Etoiles bleues indigo (1)

Par Pouiny

« Béryl, n’est-ce pas ? »

Plusieurs urgentistes étaient là, dans la chambre sombre. Aïden était resté allongé, sans bouger depuis une éternité, et les regardait s’approcher de moi sans un mot. Je hochais douloureusement la tête. Tout ce que je voyais me semblait trop rapide.

« Bien, nous allons te mettre ce masque sur tes yeux et ensuite te mettre dans cette combinaison. Nous allons t’allonger sur le brancard, et tu seras mise dans un véhicule. Nous allons t’amener jusqu’à ta nouvelle chambre. C’est compris ?

– Je ne verrais rien ?

– Absolument rien. Mais sois sans crainte, nous te porterons.

– Je devrais rester dans ce brancard… Et ne pas bouger ?

– C’est bien cela, princesse ! Pour aujourd’hui, tu as deux princes charmants à ton service !

– Je vous déteste. »

Surprise, je tournai brusquement la tête. Aïden n’avait pas bougé, mais il semblait vibrer de colère. Tout aussi étonnés que moi, les deux urgentistes restèrent silencieux. Mais Aïden répéta, sur le même ton :

« Je vous déteste. »

Comme si ces trois simples mots voulaient dire davantage. Qu’un discours entier d’émotions fortes se dissimulaient en une simple phrase enfantine. Mais les deux adultes ne semblaient pas le percevoir. L’un d’entre lui répondit :

« Tu sais petit, c’est pour le bien de ta sœur que nous sommes là !

– Je vous déteste. »

Son collègue lui tapota l’épaule pour signifier de laisser tomber. J’eus a peine le temps d’accorder à regard à mon frère, avant que ma vision soit totalement annihilée par le masque en tissu. J’enfilai la tenue qu’ils me tendaient Celle-ci comportait comme un globe d’astronaute. Essayant de dérider mon frère, je déclarai :

« Tu as vu, Aïden, je vais vraiment sur la lune ! »

Mais il ne me répondit pas. Je n’étais même plus sûre de sa présence. Je m’allongeai sur le brancard et laissai échapper un petit cri quand celui ci se souleva du sol. Alors que je sentais que j’allais sortir, pour la première fois, de la chambre sombre, j’entendis à nouveau la petite voix d’Aïden déclarer en se brisant :

« Vous n’avez pas le droit de faire ça. »

Visiblement agacé, l’un des deux adultes lui répondit :

« Écoute petit, ce n’est pas un droit mais un devoir, que nous faisons. Alors cesse de faire l’enfant. Compris ? »

Plutôt satisfait de ne pas l’entendre répondre, ils s’en allèrent pour de bon cette fois ci. Mais il était plutôt évident pour moi qu’Aïden n’allait rien dire de plus.

 

J’espérai retenir quelque chose de ma première sortie en extérieur. Et effectivement, j’entendis des sons que je n’avais jamais entendu auparavant. Mais ne sentant ni ne voyant rien, je n’eus comme ressentir qu’un vide immense, que j’oubliai avec le temps. Une fois installé dans une toute nouvelle chambre, je ne put faire que le constat suivant : le monde extérieur n’était qu’un néant total. La nouvelle chambre dans laquelle j’étais installée était tout aussi sombre que la première, bien que beaucoup plus petite. Trônait au milieu un lit immense, avec des appareils étranges et silencieux. Il y avait également une table de nuit avec une petite lampe sale, qui ressemblait à celle que j’avais dans mon ancienne vie. Mais désormais, il n’y avait plus de velux ; les seules fenêtres de la chambre étaient condamnées. Et il n’y avait plus de table, plus de tatamis, plus de quoi ne serait-ce que faire autre chose que de rester allongé dans un grand lit. On m’y installa en me demandant de ne pas bouger, puis les urgentistes partirent. L’attente commença alors.

 

Il me sembla s’écouler une éternité avant d’avoir de la visite. Tout d’abord, des infirmières se présentèrent à moi pour m’expliquer le fonctionnement de l’hôpital.

« Sache que nous viendrons à chaque fois que tu appuieras sur ce bouton ! Tu n’as rien à faire toi-même. Nous t’apporterons des repas à heures fixes sans que tu aies besoin de demander. Avant de faire quoi que ce soit, demande nous d’abord, histoire d’être sûre !

– Je n’ai pas le droit de bouger ?

– Il vaut mieux éviter pour l’instant, princesse, me répondit la jeune femme avec un semblant de compassion. Mais ne t’inquiète pas, ce sera passager ! Une fois guérie, tu quitteras l’hôpital.

– Ce sera quand ?

– Ça, ça dépend de toi, fit-elle en replaçant la couverture sur moi. Si tu fais bien ce que l’on te dit, ça pourrait être rapide ! Allez, à tout à l’heure, je passerai voir si tout va bien. »

Et elle me laissa ainsi seule. Je n’avais plus de lune à contempler, plus de leçon de braille avec ma mère, plus de petit frère à aider. Perdue dans une chambre qui n’était plus la mienne, je commençais à pleurer, souffrant de brûlure sur tout mon corps. Je n’empêchai pas mes ongles de m’arracher la peau. Il me semblait presque ne pas mériter mieux. Enfermée dans un placard bipant avec un lit, pour la première fois de ma vie, je me sentis abandonnée. Je ne pleurais silencieusement, et je n’appuyai pas sur le bouton qu’elle m’avait indiquée ; je ne pouvais qu’imaginer dans ma tête le bruit du cartable qu’Aïden jetait dans ma chambre en arrivant, ainsi que sa voix enjouée me demandant de l’aider. Tout ceci me manquait, d’autant plus que je savais que cela n’arriverait plus. Je pleurai tellement que je ne sentis même pas mon corps sombrer dans l’inconscience.

 

« Béryl ! »

J’étais à peine réveillée que je sentis un poids s’écraser contre ma jambe. Quand je réalisai qui c’était, je me réveillai aussitôt.

« Aïden ! Tu es venu !

– Bonjour, Béryl. »

Alors que j’accueillais mon frère dans mes bras, je saluai mon père d’un signe de tête. Il se rapprocha de moi pour me caresser la tête.

« C’est à cette heure ci que tu te réveilles ? Demanda-t-il, étonné.

– Quelle heure il est ? Demandai-je.

– Il est… »

il jeta un coup d’œil à son poignet, avant de réaliser qu’il était incapable de discerner les aiguilles de sa montre dans l’obscurité.

« Bon, ce n’est pas important. Est-ce que tu peux… allumer ?

– Oui, j’ai une lampe, juste ici. »

Je repoussai légèrement Aïden pour utiliser la lampe sale de la table de nuit. Éblouie, je fermai les yeux, mais je sentis mon frère se coller davantage contre moi :

« Tu m’as manqué. J’avais tellement envie de te voir !

– Moi aussi, tu m’as manqué, répondis-je en essayant de masquer la vérité de mes propos. Comment ça va ?

– Et toi, comment ça va ! C’est bien, ici ? Tu as fais quelque chose ? Raconte ! »

Aïden se figea, comme s’il s’attendait à ce que je lui raconte une histoire. Mais je n’avais rien à dire. Rien, strictement rien, ne s’était passé depuis mon arrivée. Désemparée, je jetais un regard paniqué à mon père, qui reçu parfaitement le message.

« Aïden, Béryl n’est pas venue ici pour faire quelque chose… Elle est venue ici pour se faire soigner.

– Et ça implique de ne rien faire ?

– Ça implique de se reposer, Aïden. Recule un peu, tu vas lui faire mal ! »

Penaud, Aïden sorti du lit.

« Pardon, Béryl.

– Il n’y a aucun soucis. Je suis très contente de vous voir, mais… Où est maman ? »

A ce simple mot, je vis mon père se tendre et mon frère serrer le poing. Je compris immédiatement que quelque chose de grave s’était passé. Quelque chose dont je ne savais aucunement la teneur… Quelque chose dont il était évident qu’on ne me dirait rien.

« Ce n’est rien, Béryl, assura mon père avec un sourire crispé… Elle viendra, un peu plus tard. D’accord ?

– Elle ne pourra plus me faire des leçons, n’est-ce pas ?

– Et bien… Non, plus vraiment.

– C’est dommage…

– Tu sais quand est-ce que va avoir lieu l’opération ?

– L’opération ? »

D’un seul coup, mon frère quitta brusquement la pièce, me laissant seule avec mon père. J’avais bien senti que quelque chose n’allait pas dans son comportement, mais cette fuite m’acheva. Presque en colère, je commençais à me lever. J’aurai sans doute quitté la pièce si mon père ne m’avait pas retenue.

« Mais qu’est-ce que tu fais !

– Je vais aller voir Aïden et il m’expliquera ce qu’il se passe, lui !

– Tu ne peux pas sortir de cette chambre !

– Mais il ne va pas bien !

– Personne ne va bien ! »

Choquée, je m’arrêtai immédiatement de me débattre. Mon père, comme épuisé, sembla presque s’appuyer sur mes épaules.

« On ne peut rien faire de plus. Aïden va revenir, je vais le chercher, d’accord ?

– Comment ça, personne ne va bien ? »

Il eut un immense soupir. Il l’eut l’air de regretter amèrement ses paroles.

« La situation est très difficile pour tout le monde. Mais ce n’est de la faute de personne. D’accord ?

– Mais… C’est quoi, cette histoire d’opération ? »

Mon père respira lourdement, avant de me replacer doucement dans mon lit, comme si j’étais une poupée de porcelaine.

« Tu as un cancer de la peau, Béryl. Cela veut dire que l’on va t’enlever une partie de ton corps qui est malade. Tu vois ce que c’est, un cancer ?

– Des médecins en avaient déjà parlé, je crois… Mais je ne suis pas sûre… »

Mon père soupira encore. L’envie de pleurer que prenait de nouveau. Je n’avais désormais envie que d’être seule pour cacher mes larmes.

« Tu pourras demander à un médecin où une infirmière. Ils t’expliqueront mieux que moi.

– Mais c’est grave ?

– Oui, ça peut l’être. »

Mon père me regarda dans les yeux. Il semblait angoissé. Lui aussi, semblait avoir envie de cacher ses larmes.

– Mais… Mais pourquoi ?

– C’est comme ça, ma petite fille… C’est comme ça. »

Il me prit dans ses bras, tendrement. Si tout son corps paraissait calme, le bout de ses doigts, dans mon dos, tremblait. Pour un instant, j’enviai la maîtrise qu’il pouvait avoir sur lui-même.

« Tu vas recevoir un traitement préventif, d’ici quelques jours. Les effets secondaires peuvent être impressionnants, mais ça va aller. Ça ne te fera pas trop de mal. Ensuite aura lieu une opération. Tu ne sentiras rien, tu seras endormie. Ils enlèveront la partie de toi qui est malade. Et ensuite…

– Je pourrais retourner à la maison ?

– Peut-être. Si tu te remet bien… Peut-être.

– Je vais bien me remettre… Je veux rentrer.

– Tu seras courageuse ?

– Je suis tout le temps courageuse !

– C’est vrai. »

Il me serra encore plus fort contre moi, à tel point que je sentis les battements de son cœur. Il me semblait l’avoir entendu dire :

« Je t’aime très fort, Béryl. »

Mais je n’étais pas sûre. Dans le doute, je répondis :

« Moi aussi, papa. »

Il ne me répondit pas. Après un court instant de silence, il me relâcha.

« Je vais chercher Aïden. Après, malheureusement, on ne pourra pas rester très longtemps, mais… On reviendra bientôt, promis !

– Avec maman ?

– Je ne sais pas, ma puce. »

Il ne me jeta qu’un court regard avant de sortir de la pièce. Le silence sembla me tomber sur la tête. Je la laissais s’écraser contre l’oreiller. Je regardai avec lassitude les points noirs voletant qu’il me semblait voir au plafond. Le bruit de la porte me sorti de mes rêveries.

« Béryl… »

Aïden était beaucoup moins excité qu’à son arrivée. Il me semblait qu’il avait les yeux rougis, mais j’avais du mal à le discerner. Pour dissiper toute inquiétude, je lui souris :

« Ça va, Aïden ?

– Oui… Je suis désolé d’être parti comme ça.

– Ce n’est pas grave. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

– Je ne sais pas. Mais maman… Ne veut pas venir ici.

– Pourquoi ? Elle ne veut pas me voir ?

– Je ne sais pas. »

Je restai silencieuse. J’essayais d’entendre dans ma tête, la voix de ma mère. M’en voulait-elle pour quelque chose que j’ignorais ? Alors que j’essayais de me souvenir, Aïden dit encore :

« On va déménager.

– Ah bon ?

– Oui, comme ça on sera plus proche de l’hôpital. Et comme je vais bientôt rentrer au collège…

– C’est quoi, le collège ?

– C’est comme l’école, mais en plus grand. Mais je ne suis pas sûr, je n’y suis pas encore allé.

– Tu me raconteras ?

– Oui. Je pourrais te demander de l’aide, si je n’arrive pas à quelque chose ?

– Bien sûr ! J’adorerai t’aider ! »

Il resta silencieux. Puis, il fini par déclarer d’une voix alourdie :

« Maman était déjà en train de ranger tes affaires. Il y a beaucoup de choses qui sont parties. Mais j’ai pu sauver ça… Tiens. »

Il me tendit d’une main tremblante le petit poinçon des leçons de braille. Surprise, je le pris, mais en le touchant, le doute qui m’avait pris se confirma :

« Aïden… Ce n’est pas le mien, ça, c’est le tien…

– Non ! C’est le tien ! Prends-le ! Et je te retrouverai des cahiers aussi… Tu pourras écrire tout ce que tu veux !

– Mais… Et les cartes du ciel ? Et les fleurs ?

– Je… Je ne sais pas où elles sont. Et les fleurs, elles sont coincées au plafond. Je ne peux pas les récupérer. Sinon, je te les aurais emmenée aussi… »

Son poing restait fermé, tendu à son maximum. Il ne me regardait même pas, en parlant. Et je n’avais aucune idée de ce qu’il avait pu voir, ce qu’il avait pu entendre, pour être dans un état pareil. Ne sachant pas quoi répondre, je murmurais :

« Les fleurs vont me manquer… Ça manque de lune, ici.

– J’en retrouverai. J’en retrouverai et je t’en redonnerai. On les posera… »

Il regarda la pièce, mais ne vis aucun endroit où poser des fleurs.

« On rajoutera une table, aussi, ajouta-t-il. Ça va aller, hein ?

– Oui. Je vais rentrer dès que je peux.

– Béryl ! »

Mon père rentra à nouveau dans la pièce. Il prit la main serrée d’Aïden et déclara :

« Je suis désolé, nous n’allons pas pouvoir rester plus longtemps. Je viens de parler avec un médecin. Tu seras opérée la semaine prochaine. Ils t’en parleront plus en détail quand ils auront plus de certitude. N’hésite pas à leur demander plus de précision !

– La semaine prochaine ? C’est dans longtemps ? »

Mon père eut une hésitation.

« Non, ce n’est pas très long, fini-t-il par dire. Nous reviendrons un peu avant l’opération ! Je suis désolé, chérie, j’ai beaucoup de travail.

– Oui. Ça va aller.

– On reviendra bientôt, ma chérie. Je suis très fier de toi, tu es très courageuse ! »

Il m’embrassa rapidement sur le front, avant de s’éloigner vers la porte. Aïden me jeta un dernier regard. Ses yeux bleus brillaient d’inquiétude. J’éteignis la lampe et cachais mon visage sous la couverture. Un silence mortuaire se fit. Je fermai les yeux, espérant que la semaine se passe avant que je les rouvre.

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dodoreve
Posté le 03/06/2021
La séparation d'Aïden et de Béryl fend le cœur, avec cette colère qui ne s'adresse vraiment à personne...
"J’eus a peine le temps d’accorder à regard à mon frère, avant que ma vision soit totalement annihilée par le masque en tissu. J’enfilai la tenue qu’ils me tendaient Celle-ci comportait comme un globe d’astronaute." et "Visiblement agacé, l’un des deux adultes lui répondit" Je relève parce que y'a comme une petite contradiction sur ce que Béryl "voit" une fois qu'on lui met le masque ^^
"Mais ne sentant ni ne voyant rien, je n’eus comme ressentir qu’un vide immense, que j’oubliai avec le temps." Là je n'ai pas trop compris la phrase, peut-être que c'est le "comme" qui la rend confuse ?
"Une fois installé dans une toute nouvelle chambre, je ne put faire que le constat suivant" installée*
"Je ne pleurais silencieusement, et je n’appuyai pas sur le bouton qu’elle m’avait indiquée" Le "ne" est en trop au début ?
"mon père, qui reçu parfaitement le message" reçut*
"Aïden sorti du lit." sortit*
"Si tu te remet bien" remets*
"Le bruit de la porte me sorti de mes rêveries." sortit*
"Il me semblait l’avoir entendu dire : « Je t’aime très fort, Béryl. » Mais je n’étais pas sûre. Dans le doute, je répondis : « Moi aussi, papa. »" J'ai trouvé ce passage vraiment joli, triste et très "authentique". C'est simple et en même temps on se projette bien dans l'esprit de Béryl, je trouve. Et même globalement, j'ai bien aimé aussi voir sa relation avec son père, ces gestes et la manière qu'il a de s'adresser à elle.
Pouiny
Posté le 04/06/2021
Merci pour ces corrections, j'ai trop hâte de finir le boulot et de m'y consacrer, là xD
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