Etoiles bleues indigo (4)

Par Pouiny

Mon père parla plus avec les infirmières qu’avec moi, bien que personne ne le mit au courant pour la gifle que j’avais reçu. Je ne lui en parlait pas. Les mots de l’infirmière aux cheveux noirs me terrifiaient au point de ne pas oser la défier. Ainsi, son acte resta dans le silence, et sa toile de mépris s’accrocha à moi dans la chambre sombre.

« Il semblerait qu’il va falloir procéder à une nouvelle opération ? »

Mon père et mon frère me regardait avec un air inquiet. J’avais l’impression d’avoir raté le seul objectif que j’avais dans ma vie.

« Oui. Il paraît que ça va trop vite. Ils m’ont parlé d’un nouveau traitement, également, pour rendre mon corps plus résistant. Je savais qu’ils t’en parleraient, car il faut que tu leur donne leur accord…

– Mais toi, tu es d’accord avec ça ? »

Je haussai les épaules.

« Tout ce que je veux, c’est retourner à la maison. Les effets secondaires, je m’en fiche. Je serai courageuse.

– Très bien… C’est bien, Béryl. Je dirai aux médecins que nous sommes d’accord. Si jamais tu as quoi que ce soit, n’hésites pas à m’appeler directement, d’accord ? J’ai noté le numéro à coté de ta ligne. Je pourrai peut-être pas répondre de suite, mais je ferai au mieux.

– Oui, papa. »

Il respira. Il prit le temps de discuter avec mon frère et moi avant de repartir. Pendant quelques instant, je pris le temps d’oublier que j’étais à l’hôpital, et je me rappelais les moments joyeux de repas en famille à la maison. Mais le jour de mon anniversaire, je n’eus rien d’autre que les souhaits de médecins et d’infirmières, ainsi que mon traitement.

 

Je subis une deuxième opération. Le traitement qui commença alors fut pire que le précédent. Je passais des jours entiers, fiévreuse, perdue, allongée, incapable du moindre effort. Quand Aïden vint, je fus à peine en état pour le reconnaître.

« C’est normal que tu sois aussi brûlante ? »

Il avait posé sa main sur mon front. Il avait l’air inquiet, malgré tout. J’essayai de sourire pour le rassurer.

« ça ne m’empêche pas d’avoir froid, pourtant.

– C’est la fièvre, ça. Tu es sûre que ça va aller ?

– On m’a dit que c’était normal… Mon corps va s’habituer. Et moi aussi.

– Béryl… »

Je me tournai lentement vers lui. Il sembla m’esquiver pour s’occuper des fleurs bleues.

« Ce n’est pas normal. Ton corps… Il ne devrait pas subir autant de choses…

– Bien sûr que si, c’est normal. Normal, c’est quand on a pas le choix, non ? »

je pris rapidement une bassine pour vomir de la bile. Je commençai au moins à m’habituer aux haut-le-cœur. Sans un commentaire, Mon frère me la prit et la vida dans les toilettes de la chambre sombre.

« Tu devrais te reposer.

– Je ne veux pas être seule.

– Tu n’es pas seule. Les infirmières veillent sur toi, non ?

– Je ne veux pas être seule. »

Mon frère revint à mon chevet, reposant la bassine où elle était. Il eut un soupir.

« Je ne vais pas partir. J’ai des devoirs à faire, de toute façon.

– Sur quoi ?

– Science et vie de la terre. Tu ne pourras pas m’aider, je pense.

– Tu t’en sors mieux, dans tes devoirs ?

– Comment ça ?

– Tu me demandes de moins en moins d’aide. »

Il eut un air gêné.

« Essaie de dormir, Béryl. Tu m’aideras quand tu auras l’esprit plus clair. »

Je fermai les yeux, en sachant qu’il serait parti quand je les rouvrirai.

 

Irrégulièrement, le temps passa. Les médicaments, les tentatives de soins, s’enchaînèrent, avec plus ou moins d’effets secondaires. Mes cheveux repoussaient, puis retombaient.

« Est-ce que tu as la moindre idée du temps et de l’énergie que tu coûtes ? »

L’infirmière aux cheveux noirs restait là. Aléatoirement, je la voyais, parfois plusieurs fois dans une journée, parfois qu’une fois dans une semaine. Même si je n’arrivais pas bien à me figurer l’écoulement du temps, elle était un repère pour moi. Car à chaque fois que je voyais ses longs cheveux noirs et son visage fin mais cruel, le temps s’arrêtait et mon cœur accélérait de panique.

« Je ne sais pas.

– Encore heureux, que tu ne le saches pas. Tu en aurais honte.

– Que dois-je faire, alors ? Refuser les traitements ? Arrêter de vivre ?

– Ne pas être pris en charge aux frais de l’état, peut-être. Mais pourquoi parlerai-je de ça avec toi ? Tu n’as aucune idée de ce qu’est l’État. »

Sans plus de commentaire, elle s’en alla. Les fleurs semblèrent trembler à son passage. Le compte à rebours repris.

 

« Mmmh, voyons voir... »

J’avais mis sur le nez des lunettes que mon père m’avait offert. Elles ne me servaient quasiment jamais, sauf dans les moments où j’allais bien et où je pouvais supporter une lumière assez forte pour pouvoir lire, ce qui était assez rare. Mais voir plus nettement le visage d’Aïden était toujours une joie. Celui-ci me regardait avec beaucoup d’attente dans les yeux.

« C’est trop difficile pour toi ?

– Non, non, répondis-je avec nervosité. Je vais y arriver. »

Je ne me concentrais que sur le problème devant mes yeux. Réussir ce que m’avait demandé Aïden m’était devenu capital. Il était hors de question pour moi de devenir inutile également dans ce domaine.

« Ah ! Et voilà ! Ton équation est résolue !

– Génial ! Fais voir ? »

Je lui tendis ses cahiers, et il vérifia mes calculs. Je soupirai de soulagement, alors que je me frottais le nez par réflexe.

« Je ne suis même pas capable de te dire si c’est juste ou pas, soupira mon frère. On va dire que c’est bon… Béryl ? Qu’est-ce que tu as fait ? »

Surprise, je regardais mes doigts. Ils étaient couverts d’un liquide visqueux. Plus réactif que moi, Aïden appuya immédiatement sur le bouton pour appeler une infirmière.

« Tu saignes du nez, Béryl ! C’est censé être normal ?

– Je ne sais pas…

– Un mouchoir, un mouchoir… Attends, je dois avoir ça… Non, ne met pas la tête en arrière ! Essaie juste d’éviter de mettre du sang partout… Ah voilà, c’est bon, j’ai de quoi… Ne bouge pas ! Laisse moi faire, s’il te plaît. »

Aïden se pencha vers moi. Il me fit pencher la tête légèrement en avant, tout en me serrant le nez avec un mouchoir.

« Respire bien par la bouche ! Ça va, tu te sens bien ?

– Qu’est-ce qu’il se passe ? »

A l’entente de la voix, je me figeai aussitôt. L’infirmière aux cheveux noirs s’approcha immédiatement de moi. Aïden, ignorant, demanda :

« Est-ce que c’est normal ?

– Cela dure depuis longtemps ?

– Non, quelques minutes, mais…

– Tu as eu les bons réflexes, fit l’infirmière en lui prenant le mouchoir ensanglanté des mains. Laisse moi faire.

– Merci…

– Utilise le lavabo qui est derrière pour te laver, si tu le souhaites.

– Merci ! »

Aïden s’éloigna, me laissant seule avec l’infirmière aux yeux noirs, qui semblaient à peine me regarder.

« La chimiothérapie peut faire ce genre d’effet secondaire. C’est bénin. Néanmoins il faut maintenir la pression pendant dix minutes, et ne pas lâcher avant sous aucun prétexte. Tu as de quoi vérifier le temps, Aïden ?

– Oui, répondit mon frère en prenant machinalement la montre-chronomètre que lui avait offert papa.

– Bien. Si ce n’est pas passé dans dix minutes, rappelez moi. Je peux te laisser t’en charger ? Je suis appelée ailleurs.

– Oui, bien sûr… Merci encore. »

Elle quitta rapidement la pièce, alors qu’Aïden la relaya. Je lui enlevai brusquement la main.

« Je peux le faire moi-même.

– Ah… Excuse moi. »

Il resta interdit, à m’observer me tenir le nez, tout en regardant le chronomètre.

« Dix minutes, et pas avant, hein… C’est la première fois que ça arrive ?

– Oui. Et toi, comment ça se fait que tu savais quoi faire ?

– Oh… Il m’est déjà arrivé plusieurs fois de saigner du nez, aussi. »

Il resta évasif. Je n’insistais pas davantage. Mon cœur me faisait souffrir.

« Tu te sens bien ? »

Je ne répondis pas. Il demanda encore :

« Est-ce que tu me permets de te prendre ta pierre ? Elle est tachée…

– Tu peux y aller. »

Je me tournais du mieux que je pouvais. Je sentis ses mains sur ma nuque, détacher la chaîne en métal. Immédiatement, j’eus l’impression d’avoir été déshabillée.

« Je fais vite, promis. »

Il passa la béryl jaune sous l’eau, la frottant légèrement du bout des doigts.

« Aïden…

– Oui ! J’arrive. »

D’un pas rapide, il revint vers moi et me la rattacha immédiatement. Je ne pus empêcher un soupir de soulagement. La petite pierre brillait plus que jamais.

« Tu ne peux pas t’en séparer, hein ? De cette pierre.

– Comment je pourrais ? C’est l’une des rare chose que je possède. »

Il ne trouva rien à répondre. Je regardais son cou, autour duquel rien n’était accroché.

« Au fait… Pourquoi j’ai eu un cadeau de naissance et pas toi ?

– J’ai eu aussi une pierre de naissance ! Mais je ne supportais pas de l’avoir au cou, il paraît. Je l’ai perdue, il y a longtemps. Je ne me souviens même pas à quoi elle ressemblait.

– C’est maman qui t’a dit ça ?

– Oui.

– Elle va bien ? »

Il détourna le regard. J’eus un léger sourire.

« D’accord, d’accord… Mais elle t’a dit, ce que c’était, comme pierre ?

– C’était une béryl rouge. Elle était censée compléter la tienne.

– Vraiment ? C’est dommage que tu l’aies perdue…

– Oui. »

Je réfléchissais rapidement. Mon nez commençait à me faire souffrir.

« Ça ne fait toujours pas dix minutes ?

– Non, pas encore tout à fait. Ne t’inquiète pas, je surveille.

– Quand je serai sortie de l’hôpital… Tu ne voudrais pas acheter une béryl rouge ?

– Pourquoi ?

– Comme ça, tu penserais à moi tout en étant toi-même. »

Il eut un geste de gêne.

« Tu n’as pas idée d’à quel point ça peut coûter cher.

– Vraiment ? Mais, ma pierre aussi est chère ?

– Oui. C’est un bijou. Littéralement, ça veut dire qu’elle vaut beaucoup.

– Mais pourquoi les parents ont pu nous en acheter à la naissance et ne plus pouvoir aujourd’hui ?

– A l’époque, ils avaient sans doute les moyens, et ce n’est plus le cas aujourd’hui. C’est tout.

– Mais… Comment c’est possible ? »

Il eut un sourire teintée de tristesse.

« Maman ne travaille plus, déjà, donc elle doit moins gagner d’argent. Et puis… Il faut me payer à manger, des vêtements et des chaussures que je n’arrête pas d’user. Je coûte très cher, tu sais ?

– Plus qu’un béryl ?

– Plus que dix béryl, je dirais.

– Et moi ? Je coûte cher ? »

Bien qu’il semblait s’attendre à la question, il ne sembla pas bien la réceptionner.

« Je n’en sais rien, Béryl. Ce n’est pas moi qui gère les comptes.

– Mais…

– Les dix minutes sont passées. Fais voir ton visage ? »

J’enlevais doucement le mouchoir. Le sang ne semblait plus couler. Aïden sembla satisfait.

« Il y a des gants, par là, non ? Je vais te retirer le sang.

– Oui, sous l’évier. »

Il en prit un, qu’il humidifia à l’eau froide. Alors qu’il me le passait sur le visage, je laissais échapper :

« Mais j’aurais bien aimé que tu aies une pierre aussi. J’aurais eu l’impression d’être connecté à toi. Tu vois ce que je veux dire ?

– Je n’ai pas besoin d’une pierre pour le savoir. Allez, allonge-toi.

– Je vais bien, tu sais ? »

Son regard me força à obéir.

« Je dois coûter bien plus cher que toi, néanmoins, murmurai-je un peu douloureusement.

– On s’en fiche de combien tu coûtes. Tu es précieuse, non ? »

Pourtant, il fut incapable de me regarder dans les yeux en disant ça. Il soupira.

« Si ça peut te faire plaisir… Je regarderai pour retrouver une pierre semblable. Mais à choisir, je préférerai prendre quelque chose pour toi ? Tu n’aurais pas envie d’avoir d’autres bijoux, aussi ou même plus joli que celui-ci ?

– Ce n’est pas interdit ?

– Si c’était interdit, je pense qu’on l’aurait su depuis longtemps…

– Et bien… J’y réfléchirai. Mais déjà que tu n’as jamais réussi à me trouver une peluche…

– Je… Je n’ai pas laissé tomber ! Je pourrai un jour te trouver quelque chose qui te plaise ! Mais à chaque fois, ça dépasse mes économies…

– Le monde coûte si cher que ça ?

– Tu n’as pas idée. Tout se paye, s’en est désespérant… Mais tu verras ! Un jour, j’aurai un métier, et je gagnerais assez pour t’offrir tout ce que tu veux !

– Il ne faut pas être bon a l’école, pour bien gagner sa vie ? »

La tête qu’il fit fut si enfantine que je ne pus m’empêcher de rire. Il ressemblait à un enfant que l’on ramenait à la réalité.

« C’est bas, ça ! Bon, puisque c’est comme ça, je m’en vais.

– Vraiment ?

– J’ai encore du travail. Mais je reviens bientôt, Béryl.

– D’accord. A bientôt, Aïden. »

Il récupéra son sac et sorti en silence. Je soupirai. La solitude me serra la gorge, alors que je fermais les yeux sur le noir. Je m’imaginais avec des bracelets brillants, avec des mots d’encouragements écrits à l’intérieur. J’en parlai à Aïden, qui sembla en prendre note. Pourtant, à notre anniversaire, il n’y eut pas plus de bijoux que de peluches. Mon frère, frustré, coupable, s’en blâmait tellement que je fus obligée de le consoler moi-même. Je ne m’en étais pas vraiment étonné. Je n’y avais jamais vraiment cru moi-même. Je me consolais en arrosant doucement les fleurs quand je pouvais. M’occuper d’elles quand je le pouvais me consolait quand j’étais seule. J’avais l’impression d’être la lune de mes étoiles. J’étais responsable, protectrice, et je pouvais tout leur dire si personne n’était là pour m’écouter. Je prenais ma béryl et la faisait briller dans les reflets de ma lampe, au dessus des fleurs. Ce fut, sans doute, le plus beau cadeau que put me faire mon frère.

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