« Excusez-moi, je ne trouve pas le Bonheur, j'ai cherché partout... »
Je déteste admettre publiquement mon impuissance de cette manière, mais cette fois je devais m'avouer vaincu. Il faut dire que je déteste encore plus perdre mon temps. Le vendeur était occupé à trier des articles selon leur date de péremption, activité qui devait être amusante comme en témoignait son sourire niais.
« Ah, oui, on a changé l'emplacement des émotions. Vous les trouverez toutes vers les caisses.
— Merci. » répondis-je en admettant mon infériorité d'un hochement de tête. J'avais déjà le dos tourné lorsqu'il me souhaita une bonne journée avec un enthousiasme hautement démesuré pour cette situation banale. Depuis tout ce temps, je n'ai toujours pas réussi à m'y habituer, tout le monde affiche le même sourire absurde. C'est presque oppressant, tout ce bonheur, partout. Enfin, il parait qu'on vit dans un monde meilleur maintenant, les statistiques le prouvent, et on ne contredit pas les statistiques. J'arrivai à ma destination, toute une rangée d'étagères avec des milliers de petits flacons colorés, bien rangés pour créer un dégradé plutôt plaisant. En fait, il y en avait seulement quatre sortes différentes, mais de loin, l'illusion était convaincante.
Le Bonheur, c'est les flacons jaunes, ça l'a toujours été depuis la création de la Sérénité - une version moins puissante - il y a trois ans. Je n'oublierai jamais cet événement, cette découverte marquant le début d'une nouvelle ère sociale. Tous les médias en parlaient : les chimistes de Psychœmistry avaient enfin réussi à synthétiser une substance reproduisant le sentiment de sérénité chez son consommateur. Non, ce n'était pas simplement un puissant antidépresseur, c'était plus efficace, beaucoup plus fiable, moins cher, et sans effet secondaire indésirable. Évidemment, le fonctionnement précis n'était connu que de Psychœmistry, et les quelques fuites d'informations étaient inexploitables pour les profanes dont je fais partie. Les médias s'étaient alors mis d'accord pour vulgariser le processus en une inhibition sélective des capteurs de sérotonine et de dopamine, les fameuses hormones du bonheur. Pour nous, habitants d'Eudaimonia, c'était une révolution technologique inconcevable, on pourrait désormais acheter du bonheur comme on achetait du jambon ou du papier hygiénique! Aussi, tout le monde fut stupéfait lorsque l'entreprise pharmaceutique annonça qu'elle avait d'autres ambitions : rendre accessible l'ensemble des émotions connues. C'est ainsi que les différents flacons arrivèrent successivement dans les magasins, d'abord le plus important, la Sérénité. L'Intérêt et l'Acceptation, respectivement en orange et vert clair, suivirent quelques mois plus tard. C'étaient des émotions proches de la sérénité, et donc plutôt faciles à obtenir selon les communiqués de Psychœmistry. En revanche, il fallut attendre un peu plus longtemps pour se procurer de l'Appréhension, en flacon vert foncé, dont personne ne comprenait vraiment l'utilité au moment de son apparition. A chaque nouvelle émotion primaire, les possibilités étaient multipliées; on pouvait en effet combiner librement les différents comprimés pour créer de nouvelles émotions plus complexes, comme si on mélangeait de la peinture. C'était d'ailleurs précisément grâce à ces mélanges que les chimistes s'étaient restreints à la création de huit émotions primaires, les autres pouvant ensuite être obtenues par combinaisons. Après leur départ prodigieux, il en restait donc quatre à synthétiser.
Chaque jour, on trouvait de nouvelles applications à ces émotions devenues tangibles, manipulables. Pour des raisons légales, toute trace d'émotion présente dans les aliments devait être clairement indiquée sur l'étiquette du produit : nom de l'émotion, concentration, et quantité. On pouvait ainsi s'acheter un sandwich à la Sérénité, commander un steak à l'Optimisme dans certains restaurants, ou même, pour les plus courageux, déguster du popcorn d'Appréhension pendant un film d'horreur afin d'intensifier les sensations. Une pratique courante consistait à broyer des comprimés de Sérénité pour ensuite assaisonner les plats, c'était plutôt efficace, surtout pour les enfants qui n'arrivaient pas à avaler les pilules entières. La plupart des entreprises parvenaient ainsi à améliorer leurs anciens produits de manière ingénieuse en jouant avec les émotions.
Pourtant, pour nous, consommateurs, le progrès s'arrêtait là. Les quatre émotions qui suivirent ne furent jamais commercialisées, car jugées nocives voire même malsaines par le gouvernement. Elles avaient malgré tout été synthétisées par Psychœmistry, sûrement dans le seul but d'affirmer totalement sa maîtrise du sujet, mais restaient introuvables en dehors de leurs laboratoires. Enfin, introuvables légalement, en tout cas. Dissidence au sein de l'entreprise ou chimiste prodige indépendant, l'origine de ces produits n'était pas traçable, mais ils circulaient de plus en plus, clandestinement, dans la ville. La Distraction était partiellement tolérée et sa possession entrainait un simple rappel à l'ordre accompagné d'une confiscation du produit. Pour la Songerie et la Contrariété, arrivées un peu plus tard, la sanction était plus sévère : lourde amende et garde à vue, selon les quantités. Des réseaux se formèrent rapidement et la police annonçait fièrement toute saisie de produits illicites, associant ainsi drogues et émotions, ce qui suscitait de nombreux débats politiques. La dernière émotion, l'Ennui, passa bizarrement inaperçue alors qu'elle venait compléter la base d'émotions primaires, rendant ainsi accessible, théoriquement, l'ensemble des émotions. Elle faisait aussi partie des émotions prohibées, mais personne n'en voulait, probablement parce que personne n'a vraiment besoin d'aide pour s'ennuyer. Indépendantes du solide monopole instauré par Psychœmistry, ces émotions illicites ne satisfaisaient aucun code de couleurs précis car chaque producteur avait ses propres habitudes. On retrouvait cependant des tendances récurrentes : la Songerie en variations de bleus, et bien sûr, la Contrariété en rouge.
J'arrêtai un instant de rêvasser et pris cinq flacons de Bonheur, ainsi qu'un peu d'Anticipation pour la réserve, avant de me diriger vers la caisse la plus proche. Ce sont des émotions de deuxième génération, les améliorations de la Sérénité et de l'Intérêt; ils ont eu le bon goût de conserver les mêmes couleurs, pour que la transition ne nous perturbe pas trop. D'après Psychœmistry, un troisième niveau serait atteignable, mais les dosages deviendraient délicats, particulièrement lorsqu'il s'agit de mélanger des émotions. Bien sûr, pour la science, ils allaient tenter d'en produire quand même, et certains vendeurs d'émotions illicites prétendaient même avoir déjà atteint ce niveau de pureté. Il n'était d'ailleurs pas rare de se voir proposer un flacon d'Extase ou d'Admiration en passant un peu trop tard dans les quartiers peu recommandables d'Eudaimonia. Le plus souvent, on tombait sur une version à peine modifiée des produits trouvables en magasin, alors que les plus chanceux trouvaient quelques traces d'héroïne ou d'amphétamine. Enfin, c'est ce qu'on m'avait raconté.
Le grand sourire artificiel de la caissière me proposa soudainement le ticket que je m'empressai de refuser, par protestation écologique insensée, le ticket étant de toute façon imprimé bien avant qu'elle ne formule sa récurrente proposition. Je m'échappai alors enfin de cet espace étouffant en traversant le sas formé par la porte tambour de l'entrée. Quelques pas seulement jusqu'à l'agression frontale d'une immense affiche publicitaire rappelant de bien prendre ses cinq doses de Bonheur par jour, pour rester en bonne santé. C'est sûr qu'on doit être heureux avec des dents pareilles, en modifiant un peu le texte on pouvait facilement obtenir une bonne publicité pour du dentifrice blanchissant cinq en un. J'honorai alors mon statut de loyal conformiste et ouvris l'un des flacons de Bonheur afin de prendre un comprimé, mon troisième de la journée. Apparemment, ce geste déplut au sans-abri installé au coin de la rue.
« Vous prenez encore ces saloperies ? Toujours pas compris, hein ? » lança-t-il en postillonnant à travers les quelques dents qu'il lui restait. Je soupirai en essayant de déterminer s'il s'agissait d'une provocation gratuite ou plutôt d'une honnête invitation au dialogue. Dans tous les cas, je voulais savoir ce qu'il y avait à comprendre.« Non, je n'ai pas compris. Mais peut-être que vous pourriez m'expliquer ?
— Ces machins, là, ça vous déglingue le cerveau. Vous seriez même plus capable de ressentir des émotions authentiques.
— Et alors ? On n'a justement plus besoin de produire ces émotions authentiques. » Cette dernière réplique déclencha un effrayant rire moqueur chez le sans-abri. Il s'approcha de moi. Je n'aimais pas trop cette attitude, mais je devais rester, par curiosité.
« J'imagine que tu prends les doses réglementaires, cinq de Bonheur, une de Confiance et une de Peur chaque jour, c'est ça, hein ?
— Oui, comme tous les conformistes.
— Ah ouais, c'est rassurant d'être comme tout le monde! Et d'après toi, quand on combine la Confiance et la Peur, ça donne quoi ?
— Je... je ne sais pas, je n'y ai jamais vraiment réfléchi.
— On appelle ça la Soumission. T'aimes ça toi, payer pour être soumis ? »
Dit comme ça, c'était effectivement pas très glorieux. Mais on avait pas d'alternative, pour être socialement intégré, pour trouver du travail, il fallait se soumettre à quelques règles et conventions. Les authentiques, ceux qui refusaient de consommer les émotions recommandées, subissaient l'exclusion et la discrimination. J'étais bien incapable de formuler une réponse satisfaisante, car lui avait manifestement trouvé une alternative et il n'avait certainement pas l'air malheureux. Il me fixait toujours intensément, comme un joueur d'échec attendant le prochain coup maladroit de son adversaire.
« Non, ça ne me plait pas. Mais pour vivre en société il faut nécessairement sacrifier un peu de sa liberté.
— Et dans ces conditions, t'aimes ça, vivre en société? Tu vas dire oui, mais seulement parce que t'es défoncé au Bonheur en promotion. Allez, utilise ce qui reste de ton cerveau pour une fois, tu vis dans un rêve lucide permanent mon gars, tout est faux, t'en es parfaitement conscient, mais ça t'empêche pas d'apprécier le rêve! Comme je l'ai toujours dit, ce système c'est le paroxysme de l'hypocrisie. Tu sais quoi, moi aussi au début j'en ai pris du Bonheur, mais dès que j'avalais une pilule mon corps s'indignait en générant du dégoût, voire de l'aversion, venant anéantir la misérable dose de Bonheur tout juste ingérée. Du coup, c'est pas étonnant que le Dégoût soit interdit, ça empêche les gens de se révolter et ça maintient les moutons bien sages et surtout bien heureux. Perso ça me dérange pas du tout, je sais encore produire moi-même des émotions. Mais toi par contre, ouais, toi là; t'es sûrement déjà bien trop soumis pour ressentir le moindre germe de dégoût. »
Échec et mat. Un mélange de surprise et de tristesse vint remplacer le bonheur qui essayait timidement de s'installer. Je constatai alors que la tristesse, c'est nettement plus difficile à avaler. Quelques mots avaient suffi pour vaincre le comprimé émotif à peine absorbé et par la même occasion terminer tacitement la conversation, car aucun coup ne pouvait contrer son assaut final. En m'éloignant, j'entendais encore son rire pétrifiant résonner dans mon cerveau.
Sur le chemin du retour, je maudissais silencieusement tous les prétentieux sourires artificiels que je croisais. Une jeune femme, constatant mon désarroi, me proposa de partager un peu de son Bonheur, puis réalisa que j'en avais justement plusieurs flacons sur moi. Elle repartit aussitôt, marquée par un début d'incompréhension bien dissimulée sous une épaisse couche de bonheur. C'est vraiment triste un carnaval où tout le monde porte le même masque; mais lorsque les participants oublient qu'ils sont déguisés, ça devient carrément affligeant. J'avais envie de vomir tous les comprimés ingérés machinalement pendant près de trois ans, j'avais envie de me réveiller, de sortir de ce cauchemar lucide oppressant, de ne plus être soumis à cet inconscient collectif artificiel, d'arrêter de faire semblant. Mais merde, comment on faisait avant ? Je n'en avais aucune idée, j'avais oublié... Comme s'il n'y avait jamais eu d'avant, comme si ça avait toujours fonctionné de cette manière.
En arrivant dans mon modeste appartement, j'espérais pouvoir enfin réfléchir calmement à ma discussion avec le sans-abri. Je voulus d'abord ranger les quelques achats effectués plus tôt, car même en vivant seul, je m'efforçais toujours de garder l'endroit propre et bien organisé. J'avais d'ailleurs affecté tout un étage d'une armoire à ma réserve d'émotions. Seulement, en essayant d'ouvrir la porte, elle semblait bloquée, comme maintenue fermée de l'intérieur. Je m'obstinais en donnant quelques à-coups, refusant de rester impuissant face à une simple porte, quand soudain, la porte céda, laissant s'échapper des dizaines de flacons en verre qui tombèrent sur le sol, se brisant autour de mes pieds en une nuée de débris colorés. La teinte jaune des flacons de Bonheur dominait largement les autres, jusqu'à ce que mes pieds écorchés viennent décorer ce tableau accidentel de multiples taches rouges. En relevant la tête, je découvris avec surprise l'état de ma réserve d'émotions. Ce n'était pas seulement un étage, mais toute l'armoire qui était occupée par les divers flacons jaunes, verts, et orange. Est-ce que j'avais vraiment acheté tout ça ? Est-ce que ces émotions m'appartiennent ? Je crois que c'est plutôt l'inverse, je leur appartiens. Pour la première fois depuis trop longtemps, je sortais de mon cocon onirique pour observer l'absurdité de ma situation. Même pas besoin de prendre de la Colère, elle venait naturellement pour accompagner la tristesse.
Quelque chose attira soudain mon attention au fond du sac de courses, un petit flacon bleu, très foncé. Je l'inspectai plus en détail : plutôt noir finalement, avec de légers reflets violacés. Il était bien plus petit que les autres flacons émotifs, et n'avait certainement pas été acheté en magasin. En le secouant, je compris aussi qu'il n'était pas rempli de comprimés, mais d'une substance liquide. Sous le flacon, une vieille étiquette salie indiquait : Solution d'Achlys. J'en ignorais la signification, mais c'était suffisant pour déduire qu'il ne s'agissait probablement pas d'une simple émotion. Le violet, c'est un mélange de rouge et de bleu, donc de Colère et de Tristesse; c'était peut-être ça le Dégoût dont parlait le sans-abri. Mais pourquoi une teinte aussi foncée ? Pour obtenir du noir, il faudrait mélanger toutes les couleurs, et donc toutes les émotions, c'était absurde. Ou alors, cela représente l'absence d'émotion, et dans ce cas le produit pourrait servir à réinitialiser les émotions du consommateur. Mais alors pourquoi y ajouter des reflets violets ? On me reproche souvent d'être trop curieux, je réponds toujours qu'on n'est jamais trop curieux. Je dévissai le bouchon crasseux d'un coup de pouce avant d'absorber en une gorgée le contenu du flacon
Peut-être qu'il faut attendre un moment pour que le produit fasse effet, car je ne ressentais rien à part un vide très désagréable, comme si mes poumons se vidaient lentement sans avoir aucune occasion de se remplir, comme si je me noyais à respirer du vide. Je devais sortir de cet espace étouffant, mais pas en bas, non, il fallait monter, quelque chose au-dessus m'appelait. Je quittai péniblement l'appartement en vacillant sur les éclats de verre encastrés dans mes pieds, dessinant derrière moi des trainées de sang saccadées. Une fois lancé c'était plus facile, à chaque pas les débris s'enfonçaient un peu plus profondément dans mon corps, augmentant ainsi ma stabilité au détriment de ma vitalité. Aucune raison de m'arrêter pour reprendre mon souffle, je respirais toujours du vide. J'avais repeint les escaliers en rouge mais ça n'avait aucune importance, c'était même plus joli comme ça. On pouvait facilement accéder au toit de l'immeuble en passant par une trappe au dernier étage, que je parvins à ouvrir, toujours en apnée, ce qui rendit la tâche considérablement plus délicate. Il fallait ensuite réussir à se hisser à travers l'étroite ouverture, ce qui paraissait impossible dans ces conditions. J'ignore comment, mais quelques secondes plus tard je me retrouvai sur le toit, étalé sur le dos juste à côté de la trappe qui venait de se refermer sur mon manteau. Je me détachai alors du lien qui me retenait prisonnier, abandonnant mon manteau et tout ce qu'il contenait, portefeuille, documents officiels et autres babioles inutiles. Bonne nouvelle, je pouvais à nouveau respirer normalement, ce qui provoqua une étrange réaction de mon corps que j'assimilai à des larmes de joie. Il faisait déjà nuit et un épais brouillard glacial enveloppait la cime des immeubles, j'avais l'impression d'être paumé, à poil, dans un champ enneigé. Sans repère, ce serait risqué d'avancer trop loin, mais je n'étais pas venu jusqu'ici pour être prudent. On n'est jamais trop curieux. J'avançais ainsi à l'aveugle, sans chercher à prévenir ma chute imminente. J'avais surtout une certitude, je ne redescendrais pas par le même chemin.
C'est difficile à dire après toutes ces émotions, mais je crois bien que l'idée de quitter enfin ce monde dessine sur mon visage un faible sourire. Un sourire paradoxal, mais authentique. Je regarde alors en l'air, m'adressant dans un dernier souffle non pas à un Dieu quelconque, mais à l'humanité toute entière.
« Excusez-moi, je ne trouve pas le Bonheur, j'ai cherché partout... »
Le vocabulaire et la syntaxe sont soignés.
Seul bémol, il y a quelques paragraphes un peu longs; ils auraient pû être découpés pour alléger la lecture.
Merci à vous !
Petites remarques : il y a parfois (surtout au début) des incohérences de temps, on passe brièvement au présent plutôt que de rester au passé simple. Je trouve aussi que le narrateur subit sa transformation un peu vite ? Il est conformiste depuis des années et d'un coup, suite à une simple discours, il ouvre les yeux. C'est le seul point qui m'a gênée dans ma lecture ^^
Les passages au présent sont une forme de discours indirects libres, comme "C'est presque oppressant, tout ce bonheur, partout.". Mais j'avoue que c'est peut-être un peu maladroit.
Et effectivement l'évolution du narrateur est trop brutale, en partie à cause des contraintes de longueur que je devais respecter pour écrire ce texte.
Je trouve la thématique de l'histoire vraiment intéressante.
Tes descriptions sont très claires et ça permet au lecteur de comprendre ce qu'il se passe et de se plonger dans l'histoire.
J'aime cette idée de "5 doses de bonheur par jour" ; on voit que la société a beaucoup changé et que les gens doivent rester dans la norme pour pouvoir survivre.
La répétition de la phrase "Excusez-moi, je ne trouve pas le Bonheur, j'ai cherché partout..." rend vraiment bien. on comprend tout à fait qu'il ne parle pas de la même chose au début et à la fin : qu'il a changé.
Je n'ai pas très bien compris ce qu'était ce petit flacon de liquide noir-violacé ni qui le lui avait donné. Je me dis que c'est peut-être la vendeuse du magasin, ou alors le clochard, lorsqu'il l'avait interpelé...
En tout cas, très bonne histoire !!
Le flacon noir contient une substance qui permet de réinitialiser l'état émotionnel de la personne qui la consomme. C'est effectivement le sans-abri qui l'a glissé dans son sac. Après l'avoir bu, le narrateur passe par une mort symbolique, puis une renaissance.
J'ai beaucoup aimé ton texte, qui pour moi pousse l'idée que les anxiolytiques et antidépresseurs permettent de garder les gens fonctionnels afin qu'ils puissent toujours travailler selon la logique de notre société actuelle. Je trouve ce principe de base très intéressant. Ton style l'amène de façon simple et directe. Bien qu'on n'en apprend pas tant que ça sur ton personnage en tant qu'individu, j'ai trouvé qu'on était facilement mis à sa place. Je pense que c'est grâce au fait que tu as bien su retranscrire sa "voix intérieure".
Cela étant, j'ai un peu regretté deux choses :
- j'ai trouvé que les informations sur l'origine et le fonctionnement des médicaments émotifs étaient trop rassemblées dans un seul passage compact, qui pour moi avait le goût d'info-dump et j'ai regretté que ce ne soit pas plus subtilement amené. ça m'a vraiment coupé de l'action et le retour à la narration "j'arrêtais de rêvasser" ne m'a pas tout à fait convaincu, malheureusement
- j'ai trouvé le changement d'avis/l'épiphanie de ton personnage trop rapide pour qu'elle me soit véritablement crédible
Enfin je m'avise subitement de quelque chose : la curiosité pour moi s'apparente à l'intérêt. Apparentée ou non, elle reste, pour moi, une émotion. De ce fait, je ne trouve pas très cohérent que le protagoniste admette ressentir de la curiosité "spontanément" (de ce que j'ai compris) puisque manifestement c'est quelque chose qu'il ne ressent plus, ou que de façon assistée. En fait, ce qui m'a dérangé dans cette perception, et qui rejoint mon souci évoqué en point n°2, c'est que le protagoniste semble quand même ressentir beaucoup d'émotions "spontanément", ce qui du coup, pour moi, décrédibilise l'aspect "les gens ne ressentent plus rien sans les médicaments émotifs" dénoncés par le sans-abri puis par le protagoniste... Je trouve que c'est dommage. Mais je crois qu'il suffirait de quelques corrections pour corriger le tir, si jamais tu en vois la nécessité !
J'ai bien aimé l'effet "boucle" de la fin, aussi tragique soit-elle.
Plein de bisous !
Ce texte a été écrit avec des contraintes assez fortes sur le nombre de mots, ce qui explique le style un peu précipité de certains passages. J'aurais préféré pouvoir développer l'introduction de manière plus subtile, et présenter l'évolution du narrateur plus progressivement. J'avoue que j'ai beaucoup de mal à retravailler des textes qui sont déjà "terminés", mais peut-être que j'essayerai un jour.
On peut effectivement considérer la curiosité comme une émotion, mais je voulais plutôt présenter la curiosité du narrateur comme une force externe qui le pousse à agir.
C'est un des textes sur ce site que j'ai trouvé le plus intéressant, je le confesse.
Il y a une inspiration huxleyite, je me trompe ?
Le coup des émotions en code couleur est très prenant, ça fait pénétrer avec une facilité déconcertante dans l'histoire. Les mettre avec une majuscule, c'est aussi une très bonne idée.
J'aime beaucoup le ton anti-système de l'histoire. Je désespérais d'en rencontrer un jour depuis Alain Damasio et "Les Furtifs". Ton style m'a fait penser d'ailleurs à ce monsieur dans le ton.
C'est dommage cependant que le personnage finisse par se suicider. Même si du coup cela donne un grand impact à la phrase de l'alpha et oméga de ton texte.
J'aimerais voir quelqu'un qui se libère de la masse, et qui vive sa vie en dépit de tout le monde, libre.
J'ai écrit ce texte après un cours sur les dystopies. Donc oui, les thèmes récurrents de ce genre sont bien présents !
C'est très flatteur d'être comparé à Damasio, j'avoue que son style m'inspire beaucoup.
Il y a deux lectures possibles de la fin : un suicide ou une renaissance (impossibilité de respirer, passage de la trappe, nudité du narrateur...). Je préfère de loin la seconde :)