Face à face

Notes de l’auteur : J'ai écrit ce texte rapidement, le lendemain d'un re-re-re-re-re visionnage de la série Sherlock, pendant une période de relecture de NOUS. Les connaisseurs reconnaitrons le caractère de mon cher Monsieur Holmes et la passion de Claire pour les chaussettes.
Petit avertissement, dans ce texte, le personnage critique un peu la religion, rien de bien méchant à mes yeux, mais si vous êtes sensible, préservez-vous!
Bonne lecture!

 

Je regarde ses chaussettes.

 

De grosses chaussettes, en laine, rouge, et que je suis sûr qu’il crève de chaud dedans, et que je suis sûr que ça transpire comme un bœuf entre les orteils, et que je suis sûr qu’il en porte des en-dessous pour ne pas sentir. De la laine épaisse, du tissage régulier. Un tricot de mamie à coup sûr.

J’écoute rien de ce qu’il parle. Il ne manque pas d’éloquence, pourtant. De charisme non-plus. Il est habillé impec, costar, cravate, cheveux plaqués. Il est irréprochable jusque dans ses ongles parfaitement manucurés, mais voilà : tricotées main, ses chaussettes.

Il me rappelle à l’ordre. Il essaie. Il essaie vraiment de me faire « entendre raison », pour reprendre ses termes exacts. J’essaie rien, moi. Ma raison, je me la garde. Un mot d’excuse de ma part et il repart sur ses explications tandis que je repars sur ses chaussettes. La couleur sang fait un parfait contraste avec le noir de ses chaussures. De sa cravate. De sa chemise. Une couleur bien pimpante pour une humeur si sombre. Festivités ? Deuil ? Je remonte le regard jusqu’à ses paupières rosies d’humidité pour constater que ma deuxième option était correcte : grand-mère est morte. Pour une seconde, le souvenir d’un refrain écouté dans l’appartement de la mienne propre me revient. « On ira tous au paradis ». Pourquoi les gens se mentent-ils ? Malgré toutes les preuves que la nature leur offre sur un plateau serti de diamants, ils s’efforcent à croire en une vie après la mort, par puérilité et par peur. Par peur ? Pourquoi avoir peur de la mort ? Que les enfants puissent, je comprends. Les vieillards, passe encore. Mais qu’un adulte sain de corps et d’esprit puisse être effrayé par quelque chose d’aussi commune et élémentaire, ça me dépasse. Pour ma part, la mort a cessé de m’impressionner depuis longtemps. Je la connais. Je l’aie déjà approchée, presque frôlée du bout des doigts. Et elle s’est lâchement enfuie en courant. Je connaissait le petit jeu de séduction auquel on s’adonnait. Je voulais juste conclure. En un geste, j’ai tout gâché.

 

Il piaille sans arrêt. Il parle. Et reparle. Et parle encore. Il prend même pas le temps d’avaler sa salive, et je la vois mousser aux coins de ses lèvres (et je me débouche un flaconnet de désinfectant, saleté d’hypocondrie). Je sais que s’il le pouvait, il arrêterait de respirer pour gagner du temps. Il me parle, me souffle presque dessus, de choses certainement importantes dont je n’ai aucune idée. Je comprends rien et je m’en fiche. Pour l’instant, je regarde, je remarque, je ressens. Je laisse les informations rentrer dans mon cerveau sans me soucier de les traiter. J’y réfléchirais ce soir, entre une demi bouteille de poire et trois patchs de nicotine.

Cet entretien me fatigue. Cet homme me fatigue. Je dépense une énergie considérable à l’écouter, à rester droit (et à résister à la tentation d’essuyer cette foutue salive). Et il voudrait que je réfléchisse, en plus ? Très peu pour moi.

 

Je déplie mes jambes et mon dos de la chaise, lance une condoléance pour la grand-mère, et m’enfuit lâchement comme la mort l’a fait. J’aurais bien pu rester un peu plus longtemps, mais bon…

 

Tricotées main, ses chaussettes.

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Sarabistouille
Posté le 16/06/2025
Ton roman est stressant et angoissant, bien que très réaliste et captivant.
Pour l'anecdote, et vue que l'épreuve de philo était aujourd'hui :
Tant que vous existons, la mort n'est pas là et quand elle apparaît, nous existons déjà plus... - Épicure
Claire
Posté le 02/05/2025
Les détails, comme les trois patchs de nicotine, rappels bien le Sherlock dans la série qui porte son nom. Le texte est plaisant à lire, on ressent bien le caractère du narrateur, son oripilence, ses pensées qui s’enchaînent à toute allure, de manière lasse (en tout cas pour lui). Une seul question: les chaussettes rouges, est-ce une allusion au Diable ?
56 Cicatrices
Posté le 13/05/2025
Houla, alors là, pas du tout! En fait j'étais partie sur les chaussettes comme phrase d'accroche comme hommage au personnage de Claire (Claire!) dans Nous de Christelle Dabos, et j'ai choisi le rouge parce que c'était la couleur des chaussettes que je portais au moment d'écrire. Non, si il y a beaucoup de métaphores dans ce texte, je n'ai pas poussé la chose jusqu'à faire attention à la couleur des vêtements des personnages... Mais merci de me faire paraître plus intelligente que je ne le suis réellement !
^⁠_⁠^
Le Diable
Posté le 07/03/2025
Les chaussettes rouges auraient dû vous mettre la puce à l'oreille... Je suis partout et surtout là où l'on ne m'attend pas. À part ça mes pieds sont fourchus, donc raté pour les orteils.
56 Cicatrices
Posté le 09/03/2025
Alors c'était vous! Monsieur, vous êtes diablement odieux. S'infiltrer dans la vie de mes personnages, il fallait y penser. Ne recommencez plus ou je vous Belzé-butte!
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