Comment on en est arrivé là ?
Je ne sais pas, je ne sais plus. Je me souviens d'avoir avalé plein de médicaments. J'ai eu envie de vomir. J'ai tenu bon. Puis j'ai eu sommeil. Je me suis couché. Couché pour ne plus jamais me relever. Couché pour ne plus jamais rêver. Etrange, c'est donc ça la mort ? Je regarde derrière moi mon corps. Cette couverture qui m'a abritée pendant 19 ans. Elle a l'air si fragile vu de l'extérieur. Un regard sur l’horloge m’apprend qu’il n’est qu’une heure du matin. Il y avait tellement de voix dans ma tête, j'ai essayé de les supporter mais au final, je me suis résolu à les faire taire. Je sais ce n'est pas la méthode la plus courageuse mais au moins je ne les entendrai plus jamais. Je n'aurais plus à réfléchir à comment utiliser mon argent pour durer la semaine ni comment écrire tel ou tel ligne de code pour obtenir tel résultat. L'IA va remplacer les devs ? Qu'à cela ne tienne, je ne suis plus de ce monde. Je n'aurais pas à m'en soucier. Ni de l'inflation, ni du réchauffement climatique, plus rien du tout. Je suis libre. Enfin, je l’espère.
03 h 30’
Maman vient de rentrer dans ma chambre. C'est son petit rituel nocturne. Elle veut s'assurer que je vais bien, que mes frères vont bien et peut-être, elle priera pour moi comme à son habitude. Elle jette un regard sur moi. J'ai l'air endormi. Elle sort, j'espère qu'elle ne se rendra pas encore compte. Je ne veux pas lui faire de la peine. Pas maintenant. Il fait nuit. Mais son instinct maternel hurle. Elle sait que quelque chose ne va pas. Elle revient. Elle pose sa main sur moi. Je suis déjà froid. Elle m'appelle. Elle tente de me réveiller. La peur gagne son visage. Son cerveau comprend déjà ce que son cœur de mère refuse d'admettre. Elle crie. Mes frères se réveillent. Mon père aussi. De toute façon, il ne dort quasiment jamais. Ils se précipitent tous dans ma chambre. Je les observe avec tristesse. Mon père renvoie mes frères. Ils paniquent. Qu'est-il arrivé à leur grand frère ? Ils finissent par quitter la chambre. Papa pose sa main sur moi et essaie de me réanimer. Mon corps ne réagit pas. J'ai beau crier: "Maman, Papa, je suis là. Je vous entends." Mais eux ne m'entendent pas. Désormais, ils ne m'entendront plus jamais. Maman fond en larmes. Je ne l'ai jamais vu autant pleurer. Même pas pour la mort de grand-mère, ni pour celle de sa sœur. Elle pleure son fils. Son aîné. Le regard de Papa est dur. Mais je connais mon père. Je sais qu'au fond, il pleure. La voisine, la quasi-jumelle de maman monte. Elle me voit. Elle prend ma mère dans ses bras. Elle appelle son mari. Il appelle une ambulance. Mais c'est déjà trop tard. Je n'ai jamais voulu les mettre dans cet état. Voir mes frères pleurer m'émeut. Oui, ils ont fini par savoir. De toute façon, ce n'était qu'une question de temps. On ne s'est pas toujours entendu. On s'est même battu. Mais je n'ai jamais voulu les rendre tristes. Ni les parents ni eux. J'essaie d'essuyer leurs larmes. Mon bras les traverse. Je me rends compte que quelque part, j'ai été un peu égoïste. Mais j'en avais assez de toutes ses voix.
L'ambulance vient d'arriver. Je suis conduit à la morgue en attendant les funérailles.
Pourquoi avoir fait ça ?
"Tu es nul. Tu vas jamais réussir. Regarde toi. Hypocrite. Egoïste. Menteur. Tu crois être meilleur que les autres ? Simplement parce que tu t'en sors un peu mieux ? Tu dis que tu n'aimes pas être dérangé quand tu te concentres. Mais, regarde toi quand tu as besoin d'aide. Tu penses être le meilleur ? Tu as vu tes notes en maths ? Papa cache ses douleurs pour ramener de quoi manger à la maison. Et toi, tu es pas foutu de te concentrer et de faire quelque chose de bien. Non, il faut que tu sois le plus connu. Tu n'as pas vu la déception dans les yeux de Papa quand tes profs lui ont dit que tu ne foutais plus rien ? Combien de fois ne t'a t-il pas demandé si tu avais besoin de quelque chose ? Tu es un fardeau. Regarde comment tu parles à ta mère. Elle s'inquiète tout le temps pour toi. Tu n'as pas vu la dernière fois qu'elle a pleuré ? Elle souffre. Elle est malade. Mais non, il n'y a que ton petit bonheur qui t'intéresse. Elle l'a bien compris ta "crush". Tu as vu comment elle n'a fait que te minimiser. Ton projet, tu étais fier de ton pourcentage non ? Alors qu'est ce que ça fait de se faire exposer ses erreurs avec autant de "gentillesse" ? Tu étais bouche bée. Quoi ? Tu voulais éviter le conflit ? Pas avec moi, minable, tu aurais pleuré si tu avais ouvert la bouche n'est ce pas ? C'est à cause de ça que tu fais beaucoup de choses actuellement, right ? Tu as peur. Peur de te faire critiquer. Peur d'échouer. Peur d'entendre son rire moqueur et de la voir appeler les autres. Peur de ne pas être à la hauteur. Célibataire ? Encore heureux. Regarde toi. Qui de sensé voudrait de toi ? Elle l'a bien comprise la petite. Elle a fait ce que tu méritais. Elle a joué avec toi. Tu es un monstre. Tu écris. Regardez le, il s'est pris pour Molière. Tu fais quoi exactement, hein ? Tu balances des mots et tu crois que ça un sens. D'ailleurs, tu nous les brises avec tes textes à deux balles. Tellement incapable de vivre la réalité, tu préfères te réfugier dans tes textes. Minable." C'est le genre de propos que m'assenait mon subconscient. Et plus, j'essayais de les faire taire, plus ça empirait. Je souriais lorsque j'avais envie de pleurer. Je riais lorsque ça n'allait pas. Mais, j'en ai juste eu assez. Pourquoi moi ? Qu'ai-je fait ? La suite tu la connais. J’ai mis un terme à tout ça.
10 h 30’
J'ai voulu rendre visite à mes potes. Enfin, s'ils me considèrent comme tel. La nouvelle de mon départ a déjà été annoncé. J'observe leurs visages. La plupart sont choqués. J'ai du être pas si mal comme acteur si ce développement les choque autant. Ma meilleure amie est inconsolable et mon meilleur pote a le visage fermé. Il me rappelle mon père. Lui aussi garde sa douleur au fond de lui et essaie de la consoler. Elle décide de rentrer. Mon pote la raccompagne. Eux aussi, je ne voulais pas leur faire du mal. Ma jumelle de coeur se reproche de ne pas avoir souvent demandé des nouvelles. Je lui murmure: "Faut pas. De toute façon, je t'aurais dit que j'allais bien." Mais mes mots ne peuvent pas l'atteindre. L'ambiance est morose. Etait-ce vraiment ce que je voulais ? De loin, je vois la fille que j'aime, enfin je crois que je l’aime. Je n’en suis plus tellement sûr. J'ai peur de voir sa réaction. Elle a un peu joué sur mon mental. Mais je sais qu'au fond elle ne voulait pas. Mais j'ai peur de savoir. Lâche jusqu'à dans la mort. Je retourne à mon ancienne école. J'ai encore des amis là-bas. Pratique cet état pour se déplacer. Je reconnais quelques visages. La nouvelle leur est déjà parvenu. Mon amie, celle que je considère comme ma petite soeur, celle que j'ai passé du temps à aider du mieux que je pouvais est totalement choquée. Je la connais. Elle ne comprends pas. Comment celui qui l'aidait, qui lui faisait voir le bon côté de la vie a finalement choisi cette voie ? Derrière mes sourires se cachait ma peine. "Désolé, je t'avais promis de ne jamais faire ça. Mais comme tu vois, je suis un incapable." Je commence à me sentir bouleversé. Je ne m'attendais pas à faire pleurer autant de personnes. Je ne voulais pas ça. Ce n'était pas mon intention. Je vois d'autres connaissances fondre en larmes, la douleur d'avoir perdu un ami. Je ne savais pas que j'avais autant d'importance. J'aurais peut-être réfléchi d'une autre manière si j'avais su. Sur d'autres visages, je lis juste de l'hypocrisie. Ils sont larmes parce qu'il le fallait. Je ne veux pas m'attarder sur eux. Et puis, de quel droit je les juge ? Je suis pire qu'eux. Je vais voir ma soeur de coeur, inconsolable. Elle se sent coupable, elle aussi. Coupable de ne pas avoir été plus présent. Mais, ce n'est pas sa faute. Mon amie, au Canada, l'une des rares de ma classe à ne pas m'avoir laissé tomber malgré mon sale caractère, tout aussi dévastée. Je l'ai rarement vu verser des larmes. Je n'ai pas supporté. Je m'enfuis.
Jour des funérailles
Sur le sol de ma patrie, je vais être enseveli. J'écoute à peine le sermon funéraire: "De poussière, tu retourneras à la poussière". Je cherche mon père du regard. Le voici. Non, ce n'est pas lui. Pas mon père. Je le reconnais pas. Il a pris un coup de vieux. Non, je ne voulais pas. Maman. Elle est totalement absente. Elle est comme un zombie. Malgré tout le soutien de sa quasi-jumelle. Mes frères ont perdu du poids. Nous n'avons jamais été gros dans la famille. Maintenant encore plus que jamais, je m'en aperçois. Ils ont l'air totalement perdu. Je regrette d'un coup mon action. Je vois ce que ça n'était pas une très bonne idée. Soudain, je me sens attiré vers la tombe, ce trou obscur qui sera ma demeure. J'appelle mes parents. Ils ne peuvent pas m'entendre. Non, je veux revenir en arrière. Donnez moi une autre chance. Je hurle alors que l'obscurité m'envahit.
Je me réveille brusquement. Maman m'observe. Je respire comme si j'avais fait un marathon. Je transpire à grosses gouttes. "Tu as quoi fiston ?" me demande t-elle. Je ne peux pas lui répondre. Je la serre dans mes bras très fort. Je me rendors sans lui répondre.
Ces voix ne disparaîtront pas de sitôt mais je ne me laisserais plus faire. Je suis mort une fois. Plus jamais, je ne me laisserai faire .
Scorpi, le 08/11/2024 de 04h 43' à 5h46'.