Funeste est l'aurore

Notes de l’auteur : CW Mort, meurtre, sang, deuil.

Il était un petit garçon, recroquevillé sous des draps blancs,

Le regard figé et les membres tout tremblants.

Il l’apercevait chaque hiver, près des rideaux immaculés,

L’observant de ses pupilles bleues qui semblaient gelées.

Ce funeste aurore hante encore son esprit.

Autrefois, le jeune garçon ne disait mot. Dans la grande demeure familiale, aucun bruit, aucun rire, aucun son ne devait résonner, de peur que cela n’atteigne les oreilles du Maître de maison dont la sévérité était redoutée. Il n’y avait ni jouet, ni livres divertissants dans la chambre enfantine. Le seul ouvrage dont la lecture relevait de la plus haute importance, d’après les parents que le garçon admirait tant, n’était autre que la sainte Bible. Il en connaissait chaque verset. Depuis ses premiers pas dans la lecture, il avait pour habitude de la lire au moins une centaine de fois par année. Lorsqu’il est impossible de vivre pleinement son enfance, les seules issues que l’on trouve sont souvent celles que l’on daigne nous offrir. Pour cet enfant, ces issues constituaient l’Ancien Testament et le Nouveau Testament. Bien que ce fut une contrainte en premier lieu, il trouva néanmoins du plaisir dans cette activité unique et perpétuelle. Cela le fascinait. A la fois ému et terrifié, il plongeait avec crainte dans cet océan de mots qu’il ne comprenait pas toujours. Comment autant d’amour et de violence pouvaient coexister de telle sorte que cela fasse naître dans les cœurs de l’humanité un espoir et un désespoir qui dépassent l’entendement ? C’est ainsi qu’il se « divertissait ».

Un jour, le Maître vint frapper à la porte de sa chambre avant de la franchir d’un pas lourd et déterminé. Le bois vibra légèrement sous sa démarche solennelle. Le jeune garçon ouvrit grand les yeux, ignorant s’il était juste étonné ou effrayé par cette entrée inattendue. C’est que son père ne lui rendait jamais visite. Ce moment exceptionnel se produisit une seule et unique fois. L’enfant ne comprit pas tout de suite le motif de sa venue. C’est alors que le Maître éleva sa voix avec fermeté.

Le garçonnet allait effectuer sa première chasse. Son destin était scellé.

Le Maître lui confia une tenue et un équipement ajusté à sa taille en l’ordonnant de se tenir prêt à minuit pour le suivre dans les bois qui entourent le domaine. Le garçon frissonna. Les bois ? La nuit ? Alors que le vent hivernal souffle sans vergogne ? Le Maître anéantit ses espoirs de pouvoir échapper à cette cérémonie barbare en lui rappelant que pour être digne de son nom, ainsi que de sa famille, il devait accomplir l’irréparable : sacrifier une vie. Tous ses proches avaient effectué cette ascension dont la place était centrale dans leurs traditions si chères. Pour forger son honneur, il devait commettre l’horreur, ou bien perdre la vie.

Le Maître quitta la chambre sans plus attendre suite à cette annonce. L'enfant reprit soudainement son souffle, comme s’il avait échappé de justesse à une noyade soudaine. Mais il demeurait submergé par ses émotions, que ses proches s’évertuaient à éteindre depuis son plus jeune âge. Sa famille ne portait pas les « monstres » en leur cœur. Il n’y avait de place ni pour l’amour, ni pour l’amitié, et encore moins pour de l’empathie ou de la compassion. Il ignorait encore beaucoup de choses du monde extérieur et de ces créatures que l’on nommait « monstres ». Que sont véritablement les « monstres » au-delà de leurs crocs, griffes, leurs apparences métamorphes et leur nature, pour certains, immortelle ? Si père dit qu’il est nécessaire de les anéantir, car ils ne peuvent être que mauvais et qu’ils n’apportent que le chaos, pourquoi aurait-il tort ? Est-ce là la véritable mission que Dieu a confié aux êtres humains ?

Il s’équipa après le dîner, et demeura pensif durant les heures suivantes. Patient, il attendit minuit en récitant à voix basse quelques versets bibliques qu’il appréciait. Quand il craignait quelque chose, il faisait cela pour invoquer Dieu, comme pour lui demander protection. Imaginer sa présence tout près de lui le rassurait. S’il n’avait de véritable père sur Terre, il était au moins comblé par l’amour que lui portait le Père de toute chose. Les heures passèrent. Le vent souffla. Minuit sonna. Le cœur du jeune garçon se mit à battre si fort qu’il sentit presque sa cage thoracique voler violemment en éclats. Les pas du Maître étaient audibles. Il arrive.

Lorsqu’il ouvrit la porte, le garçonnet sursauta légèrement avant de le suivre silencieusement. Un gigantesque sac qui était aussi lourd qu’une enclume de géant lui fut confié. « Tu ne l’ouvriras que lorsque je te sommerai de le faire». L’enfant hocha seulement la tête. Une fois les grandes portes ouvertes, un air glacial pénétra ses poumons. Il eut presque l’impression de suffoquer. Le gel s’empara de son corps, et c’est avec beaucoup de peine qu’il s’avança sur la nappe blanche dans laquelle s’enfonçaient ses pieds. Le Maître commençait déjà à s’éloigner, ne se souciant guère de l’état de sa progéniture qui tentait, tant bien que mal, de suivre son rythme fastidieux.

Ils gravirent les collines pour rejoindre la forêt entourant le domaine. Le garçon ne sentit plus ses pieds le porter, ni aucun de ses membres frêles et fatigués. Alors qu’il s’éreintait à épargner le peu de force qui lui restait, le Maître s’arrêta net, le dos droit et l’œil attentif. « Ouvres le sac ». L’enfant s’exécuta avec difficulté. Il découvrit alors une immense arbalète. Une fois armé de cette dernière, le Maître le somma de la saisir convenablement tout en l’observant avec sévérité. L’enfant se hâta pour comprendre le fonctionnement de cet objet. Il dut ôter ses gants en cuir pour saisir les carreaux, étant trop peu habile. Manquant de se couper, ou de les faire tomber, il se précipitait pour écourter cet instant pesant sous le regard de son père qui ne manqua pas d’analyser tous ses faits et gestes. Une fois l’arbalète prête, une main sans douceur vint taper son dos fragilisé par la marche.

« Ne reviens pas avant d’avoir tué un monstre », dit le Maître d’une voix sombre. « Tu as jusqu’au levé du soleil. Tâche de ne pas mourir de froid », ajouta-t-il.

Le jeune garçon, horrifié par l’idée de devoir abattre un être vivant seul, d’être livré à lui-même dans un environnement hostile, tout en ignorant ce qu’il allait affronter, se dépêcha de s’éloigner de l’aura obscure que dégageait cet homme à l’expression sinistre. Dans la forêt, il échappa enfin à son regard. Habitué à observer son frère manier les armes durant les entraînements, il comprit bien vite qu’il lui fallait, avant toute chasse, réviser des gestes. Il s’arrêta devant un arbre au tronc épais, en guise de cible, avant de viser et de tirer. Les dix premiers coups furent plus que lamentables, comme il s’y attendait. Néanmoins, loin des jugements du Maître, il pouvait librement essayer, échouer, et apprendre. Attentif au moindre bruit qui pouvait survenir, il poursuivit ses essais avec une persévérance admirable. Quelle tristesse qu’elle trouve ses fondations dans l’angoisse d’être source de déception. Lorsqu’il ne lui restait plus aucune force, l’enfant, tout essoufflé, laissa son corps gelé tomber dans la neige, les joues pourpres d’épuisement.

« Se dépasser c’est dire non à la faiblesse », disait souvent le Maître. Mais le garçon avait conscience que cela ne sonnait pas très juste en plus d’être une affirmation où aucun véritable sens ne résidait. « Faiblesse ». Ce terme que le Maître employait chaque fois que l’enfant pleurait, chaque fois que l’enfant exprimait avec passion son amour pour ses proches, ou bien chaque fois que l’enfant souffrait, d’une blessure aussi bien morale que physique. Il savait qu’il était de chair et de cœur. Accablé par ses pensées, il se redressa. Il était plus que nécessaire de se hâter car la neige tombait. Bientôt il ne pourrait plus chasser, repérer d’éventuelles traces pour trouver sa proie, ou encore se déplacer aisément.

Soudain, un craquement.

Il relève les yeux, alerté. Il chargea l’arbalète, prêt à abattre ce qu’il croyait le menacer. Il n’entendit que les rafales gelées durant quelques instants. Une respiration profonde, de plus en plus proche, se fit ouïr. Des reniflements répétitifs. L’enfant se retourna vivement et pointa son arme, terrorisé, sentant presque son âme le quitter tant la peur l’envahit !

C’est alors qu’il le vit.

Dressé sur ses pattes, l’air très curieux, la créature à la fourrure d'un gris pâle s’avança doucement sous la lune étincelante. Ses yeux d’or perturbèrent le jeune chasseur qui baissa presque aussitôt son instrument meurtrier. La bête était un peu plus grande que lui. Une cicatrice très marquée traversait son museau. Le canidé renifla en hésitant à s’approcher. Il s’étonna.

— C’était toi qui sentais aussi étrangement ! Tu es un petit humain ? Je n’en ai jamais vu des aussi petits, fit remarquer le louveteau-garou surpris.

Le garçonnet n’osa s’exprimer. Lorsque le louveteau s’approcha davantage, l'enfant recula.

— Pardon, je ne voulais pas t’effrayer…

L’enfant fut émerveillé. Le Maître avait pourtant dit que les monstres ne pouvaient qu’être assoiffés de sang, qu’ils étaient affreux et malveillants. Il n’était peut-être pas assez grand pour combler la faim de la créature ? Le jeune loup recula à son tour, et s’installa dans la neige, fasciné par le garçon, la queue remuante. Il l’avait bien identifié. Comme sur le bestiaire, son apparence correspondait parfaitement à ce qui était décrit, excepté son expression. Un jeune loup-garou. Il ne pensait pas que de tels êtres vivaient non loin du domaine familial. Comment cela pouvait être possible ? Celui-ci était bien étrange à ses yeux. Il ne ressemblait en rien à tout ce que le garçon avait pu imaginer, avec son ton amical, son air proche de la sérénité, sa posture naturellement calme. L’enfant inspira profondément, oubliant presque qu’il avait froid.

— Que me voulez-vous ? osa-t-il enfin prononcer, intimidé.

— Oh tu parles en plus ! s’écria le louveteau tout joyeux. C’est extraordinaire !

Le garçon fixa ses crocs, méfiant.

— Tout comme vous.

— On dirait que ça te surprend.

— Comptez-vous me dévorer ?

— Non, pourquoi je ferai ça ?

— Car vous êtes…

— Une… Bête ? C’est ça que tu penses des loups-garous ?

— Pas tout à fait, mais…

— Je voulais juste être ton ami… De toute manière, je dois partir.

— Où allez-vous ? Je ne voulais pas vous o-offenser.

— Chercher mes parents. Ils doivent s’inquiéter. Au revoir, dit le louveteau avant de faire demi-tour.

— Attendez !

En voulant le poursuivre à travers les bois, l’enfant tomba dans un ravin. Il laissa échapper un cri de douleur qu’il tenta de contenir en vain. Ne pouvant mouvoir sa jambe, ou encore se déplacer, le garçon se mit à pleurer. Sa cheville le faisait tant souffrir, il perdit tout espoir de réussir son ascension et de regagner le domaine avant l’aube, un cadavre de monstre dans son sac en guise de trophée. Il ne savait pas s’il en était capable, mais à présent cette possibilité était compromise. Son père allait être extrêmement déçu. Il ne savait si sa défaite impliquait également une punition. Chaque faute commise lui coûtait d’être privé de nourriture durant toute une journée - quand il ne s’agissait pas de coups. L’enfant s’était donc appliqué à en commettre extrêmement peu. Il sanglota seul dans le froid, attendant que la douleur passe pour tenter d’au moins boiter jusqu’à un abri pour tenter de se soigner.

Il tomba de nouveau en tentant de se relever et couvrit son visage de ses mains. Par malheur, il avait également perdu ses gants.

— Est-ce que ça va ? Résonna une voix.

Le jeune garçon leva les yeux de nouveau, l’air désespéré. C’était le louveteau. Il ne répondit pas, honteux que ses paroles aient pu le blesser .

— Je sais que je te fais peur, je te jure que je ne vais rien te faire !

— Pardon, dit le jeune garçon attristé.

— Moi aussi des fois je dis que j’ai horreur des humains. Mais tu as l’air sympathique, toi.

— C’est la première fois de ma vie que je rencontre un loup-garou.

— Ah bon ? C’est une première pour nous deux alors, haha.

Le garçon gémit de douleur en grimaçant.

— Tu as mal quelque part ?

— Ce n’est rien, murmura-t-il timidement.

— Tes yeux sont rouges, et je sais que tu es loin d’être un vampire maintenant. Où as-tu mal, je peux peut-être t’aider ?

L’enfant indiqua sa cheville en contenant un petit cri. Le louveteau s’en approcha, renifla. Ses oreilles s’orientèrent vers la bouche de ce dernier qui dissimulait ses dents en train de claquer compulsivement. Le visage du jeune garçon était devenu aussi blanc que la neige. Il eut à peine le temps d’entendre le ton inquiet de son nouvel ami qu’il s’évanouit. Quelques heures plus tard, il ouvrit enfin les yeux. Une lumière était projetée sur des parois rocheuses. A moitié conscient, l’apprenti chasseur tenta de se lever. Près de lui, un feu. Une odeur de viande embaumait les lieux. Le louveteau revint.

— Ah ! J’ai eu si peur, tu es enfin réveillé !

— Où sommes-nous ?

— Dans une grotte.

— Je sais bien, dit-il en reprenant son souffle, mais géographiquement.

— Pas loin de là où nous étions. Tu sais, je ne vis ici que depuis quelques semaines. Avant de me retrouver ici on m’a blessé avec une flèche. Je me suis endormi et quand je me suis réveillé, je me suis retrouvé dans ces bois. Peut-être que c’est une mauvaise blague. Depuis, je vis sans vêtements et je ne me nourris qu’en chassant. Du moins, je chasse ce qu’il y a dans les parages… Alors que je déteste la viande.

— C’est horrible…

— Oui. Comment va ta cheville ? J’ai essayé de te mettre dans une position confortable.

Le garçon constata qu’il se trouvait sur un lit de feuilles et de petits bâtons.

— Je ne sais pas, dit-il en tentant de bouger son pied.

Il gémit.

— On va mettre de la neige dessus !

Le louveteau ne tarda point pour aller en chercher et il revint aussi vite qu’il était parti. Une fois de retour auprès du blessé, il plaça soigneusement la neige sur la zone douloureuse après avoir retiré sa botte avec une incroyable délicatesse. Son ami eut l’air soulagé.

— Tu n’as pas trop froid ?

— Un peu moins. Merci beaucoup. Ton pelage a l’air si doux.

— Il l’est ! Tu veux le toucher ? Il te paraîtra froid car j’ai mis du temps avant de trouver de bons bouts de bois.

Le jeune garçon tendit sa main, d’abord timide puis confiant. Il sourit en plongeant ses doigts dans la fourrure du louveteau. Ce dernier se mit à rire, surprenant l’enfant qui retira sa main sur le champ.

— Tu peux continuer si tu veux. Tu m’as juste chatouillé.

— Ah bon ?

Le garçon se mit à le chatouiller comme pour jouer. Les deux enfants rirent aux éclats, sentant peu à peu une forme de complicité se former entre eux. Après leurs instants d’amusement, ils se mirent à discuter. La raison de la présence de l’apprenti chasseur dans cette forêt fut un des premiers sujets abordés. Avant cela, il se présenta brièvement. Le jeune garçon ressentit un poids en son cœur lorsqu’il fit le récit de sa venue en ces bois. Il n’eut jamais aussi honte que ce soir-là. Lorsqu’il finit, il esquiva même les regards déplorés du louveteau décontenancé.

Ce fut ensuite au tour du canidé de conter sa venue mystérieuse. En premier lieu il se présenta. Le jeune loup-garou se prénommait Nillen, et était à peine plus jeune que son nouvel ami. Nillen vivait dans une famille modeste et aimante, logeant dans les rues de Montverdoyant. Il avait pour habitude de jouer dans le parc non loin du domicile familial, dans un environnement où il n’y avait aucun humain. Mais ce jour-là, Nillen se souvient avoir senti quelque chose de tranchant atteindre son petit cou. C’était la fameuse flèche qui l’avait transpercé. Il n'avait pas compris de quelle façon il était arrivé dans les bois, ni pourquoi. Toutefois, il était certain d’être vêtu avant de se réveiller en ces lieux. Dès lors qu’il sut qu’il n’était plus chez lui, et dépouillé de toutes ses affaires, il était parti à la recherche de ses parents. L’enfant pâlit. Nillen le questionna, pensant avoir fait jaillir en lui de la peine ou de la peur à cause de son histoire. Mais le jeune garçon ne dit plus rien durant de longues minutes.

Il comprit ce qu’il s’était produit, et n’osait prononcer ces mots. Il ne se serait jamais douté de l’horreur qui était en train de se produire. L’enfant présenta de lourdes et longues excuses, implorant son pardon. Nillen exprima son inquiétude. Son ami, épouvanté, ne parvenait plus à retenir ses larmes.

— Je ne voulais pas te rendre malheureux, ne t’en fais pas, on va trouver une solution ! Et des secours !

— Ce n’est pas cela, souffla le garçonnet entre deux sanglots.

— Qu’est-ce que je peux faire ?

— Nillen, à Montverdoyant, est-ce qu’il y a d’autres loups-garous qui ont disparu ?

— Oui. Mon grand cousin a disparu du jour au lendemain, on a plus aucune nouvelle. Pourquoi ?

— Nous devons partir au plus vite, dit le jeune garçon agité.

— Mais il y a une tempête dehors, le vent souffle beaucoup trop fort et tu es blessé.

Le jeune garçon sembla chercher quelque chose autour de lui. Le louveteau le fixa, et finit par saisir ses mains. Le garçon rougit.

— Arrête ! On ne peut pas sortir tout de suite. Pourquoi on doit partir si vite ?

— Je… Je veux t’aider à retrouver tes parents. Il faut qu’on les retrouve rapidement.

— Oh ! c’est gentil de ta part ! Attendons que le vent s’arrête pour y aller. Avec ta cheville ça risque d’être compliqué par contre non ?

— Je prendrai un bâton.

— Pas bête ! Tu es très malin, même si tu as une odeur bizarre.

— C’est du parfum que tu sens, je pense.

— Il sent bizarre ton parfum.

Nillen s’approcha du sac du blessé pour observer de plus près son arme, ses vivres, et autres objets qu’il put trouver. Le louveteau entra ensuite tout son museau avec curiosité en reniflant frénétiquement.

— Si tu as faim il y a du pain. C’est fait avec de la farine, donc avec du blé, fit remarquer l’enfant.

Nillen se mit à rire.

— Tu crois que je n’ai jamais mangé de pain ou quoi ? Vraiment, il n’y a que des humains pour penser comme ça.

L’enfant rougit de nouveau en regrettant de n’avoir pu s’abstenir.

— Il n’y a rien d’intéressant dans ton sac. Ah mais, que je suis bête ! Tu veux un peu de biche ? Tu n’as pas faim ? Ou tu préfères manger ton pain ?

— Non merci.

L’estomac du garçon se mit à grommeler bruyamment. Nillen, sans prêter attention à son ami, s’empressa de saisir un morceau de pain pour le lui donner.

— Je ne sais pas si tu aimes la viande. Je comprendrai que ce ne soit pas le cas, j’en ai horreur personnellement. Mais tu dois te nourrir si tu sens la faim. Le froid affaiblit beaucoup.

Le jeune garçon saisit le pain et le coupa en deux avant de tendre une part. Nillen fit non de la tête.

— J’y tiens, partager mon repas avec toi me fait plaisir. Et toi aussi tu auras besoin de force pour partir à la recherche de tes parents.

Le louveteau ne se fit pas prier et en une bouchée, il dévora le pain. En revanche, le jeune garçon, par pudeur, mangea lentement en prenant soin de mâcher à chaque fois. Dieu sait qu’il avait envie d’imiter son ami à fourrure.

Pendant que la tempête de neige sévissait et soufflait violemment, Nillen et son ami discutèrent tranquillement. Le jeune garçon fut très heureux de faire le récit de l’amour inconditionnel et infini qu’il portait pour la Bible. Il eut beaucoup de chance que son interlocuteur soit curieux au point qu’à chaque réponse, il en redemandait encore. L’enfant, lui, interrogeait le jeune loup sur ses goûts en termes de lecture. C’est alors qu’il découvrit l’existence de Wolfman, une bande dessinée peu connue. Le garçonnet était stupéfait de la vie de ce personnage dont il n’avait jamais entendu parler. Nillen le décrivit avec tant d’enthousiasme qu’il retrouva peu à peu le sourire. L’air gelé semblait plus chaud, et cette longue conversation devint un de ses plus beaux souvenirs. Le louveteau parlait avec beaucoup de joie de ses quelques jouets, des éléments les plus anodins du quotidien, de son affection sans limite pour les dessins animés, les rapaces en tout genre et les glaces à la vanille. Il lui raconta que parfois, quand il allait au parc avec ses amis, ils jouaient à des jeux. L’enfant l’écoutait attentivement, le regard illuminé par tant de passion. Au fil de leur échange, ils se confièrent leurs rêves, leurs espérances, leurs projets, leurs peurs, leurs questions.

Le temps passa. Le vent cessa.

Nillen put sortir chercher un bâton sur lequel son ami pourrait s’appuyer. Pendant ce temps, le jeune garçon réfléchit. Il devait rester peu de temps avant l’aube. Ne devrait-il pas retourner auprès de sa famille ? Où ne risquait-il pas justement d’encourir une punition beaucoup plus sévère que ce à quoi il a été confronté auparavant ? Assailli par le doute, et épouvanté à l’idée de causer plus d’ennuis à Nillen, il ne pouvait se résoudre à faire demi-tour.

Cette affection que le louveteau lui portait lui semblait si immense qu’il aurait pu être comblé pour toute une vie. De toute son existence, personne ne lui avait adressé une telle amitié, avec des paroles aussi apaisantes et pleines de bienveillance. Il était clair qu’il ne pouvait pour rien au monde abandonner un tel lien, qui en peu de temps devint si précieux à ses yeux qu’il était à présent inconcevable d’imaginer se séparer pour toujours de Nillen. Surtout après ce qu’il avait compris.

Nillen était un nom mélodieux qui, et un être attachant. Pour la première fois, fit battre le coeur marbré du timide garçonnet. Jamais il n'aurait pu le tuer.

Si l’aube se levait, son père, tout comme tout autre membre de sa famille, le penserait peut-être mort. Nillen serait donc peut-être hors de danger. Le garçon respira profondément. A son âge, on l’avait peu asséné de grands discours sur son avenir et sur ses devoirs. L’ascension n’était que la première étape d’un long chemin qui fut déjà décidé à sa place, bien avant sa venue au monde. Le jeune garçon était encore insouciant sur ces questions, car ses journées se résumaient à ses apprentissages et ses lectures redondantes. Bien qu’encore beaucoup de choses lui échappaient, Nillen n’était pas en sûreté près du domaine. Il fallait s’en éloigner, le plus possible. Après réflexion, il y pensa. Et si après l’aube quelqu’un venait en ces bois pour chercher sa dépouille ? Et si, en sachant qu’il y a un jeune loup-garou qui se pavane dans la forêt, on viendrait à vouloir l’abattre à sa place puisque l’ascension était compromise ?

Nillen revint tout enjoué avec un grand bâton adapté à la taille du garçon. L’enfant se leva sans se ménager, ce qui surprit le louveteau qui le dévisagea avec inquiétude.

— Tu vas te faire mal !

— Il faut partir ! Des gens vont venir nous faire du mal.

— Mais qui ? Quels gens ?

— Je… Des gens que j’ai vus avant de me perdre.

— Tu les connais ?

— …

Nillen posa sa patte griffue sur son épaule.

— Ne t’en fais pas, on va s’en aller. J’ai confiance en toi.

Il leva les yeux vers son ami.

Les yeux dorés du jeune loup étaient si doux qu’aucune étreinte n’aurait égaler la tendresse qui se lisait dans son regard. L’enfant sentit presque son désarroi s’évanouir à sa vue. Il resta immobile, contemplant presque cette expression pleine de bonté. Une larme glissa sur une de ses joues et il pria intérieurement pour trouver la force de ne pas s’effondrer. Dehors, le ciel commençait à s’éclaircir progressivement.

L’enfant pressa Nillen et ils sortirent de la grotte après avoir rassemblé hâtivement toutes les affaires du jeune garçon. La neige avait envahi tous les alentours. Le sol était couvert d’une nappe blanche si épaisse qu’elle dépassait les genoux des deux enfants. Le louveteau porta donc le jeune blessé sur son dos. La marche fut éprouvante, mais la compagnie de l’un comme de l’autre adoucissait quelque peu ce moment pénible. Même si Nillen avait quelques difficultés à parler, il tentait de détendre son ami, alors tendu, en lui décrivant ses parents, en détaillant leurs défauts et qualités, en imaginant tous les jeux auxquels ils pourront jouer ensemble tous les jours, en lui disant qu’il sera toujours le bienvenu dans sa vie. L’enfant ne put lui faire tant de promesses, mais lui signifia combien cela le remplissait d'allégresse de s’imaginer à ses côtés pour découvrir toutes les merveilles qu’il lui avait décrites dans la grotte.

Le soleil se leva, lumineux, majestueux. Nillen interpella son ami, ébloui par les rayons qui se glissaient entre les branches.

— Avec la neige, c’est encore plus beau le matin !

— Tu dors le jour ?

— Non, la nuit, comme toi. Mais je devais m’occuper de toi donc je n’ai pas dormi. Mais ne t’en fais pas, j’ai pas mal de force !

— C’est vrai que tu as beaucoup de force, je ne suis pas trop lourd avec mon sac ?

— Pas du tout ! Enfin, pas pour le moment.

— Tu es si gentil. Je regrette de t’avoir aussi mal jugé.

— On s’en fiche, c’est du passé.

Un bruit très familier se fit entendre et un vacarme tranchant scia le silence. Le garçon n’eut le temps de le reconnaître. Son visage se couvrit de sang. Il tressaillit de terreur et sentit le corps de son ami s’écrouler sous son poids en apercevant, malgré lui, ce que contenait sa gorge dont la chaleur fumante laissait échapper une odeur sanguinaire épouvantable. La neige fut couverte d'une marée pourpre. La tête se trouvait à quelques mètres, les yeux fixant le vide, remplis de larmes écarlates. Une ombre sortit des bois. L’enfant se débattit, croyant que son heure était venue. Sa poitrine palpitait si douloureusement que le malaise devint proche. Ses yeux s’écarquillèrent lorsqu’il aperçut sa sœur s’approcher de lui.

— Je ne l’aurais pas fait si tu avais obéi, petit frère. Un monstre reste un monstre. Il est de notre devoir de les anéantir. Ce loup misérable n’a eu que ce qu’il méritait. Tu as le cœur bien trop tendre encore, n’importe quel monstre peut te manipuler et utiliser tes émotions. Ce que tu as fait est impardonnable. Cependant, cela restera entre nous, tu ne supporterai pas le courroux de nos honorables parents. Père avait prévu, en cas de fuite, de te placer dans la chambre noire. Je lui dirai que tu as du te battre jusqu’à l’aube dans un combat inéquitable. Bien. Il est temps de rentrer, à présent. Avec un peu de chance, tu finiras par devenir digne de notre nom.

En rentrant, il dut affronter le mécontentement du Maître. Ce dernier ne lui adressa plus la parole pendant des mois. Durant longtemps, le jeune garçon ne fit que des cauchemars. Agrippé à ses draps, il observait l’angle tout près de ses fenêtres depuis lequel un loup-garou froid au regard macabre l’observait avec insistance. Chaque fois que l’aube venait, un froid sans nom le réveillait brutalement. Il le voyait, juste là. C’est un souvenir qui ne le quitta jamais et qu’il garda secret comme pour conjurer un mauvais sort. Une fois jeune homme, il retourna en cachette dans les bois pour graver le nom de Nillen dans la grotte. C’est ainsi qu’il honora la mémoire de son premier ami, et son premier amour. Pendant de nombreuses années, il se recueillit dans ce lieu où régnait les regrets, priant pour que Nillen soit heureux et comblé au Paradis.

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Pinky Nuage
Posté le 22/11/2023
Coucou !

Wouah, c'est une très belle histoire, j'ai beaucoup aimé. Malgré sa tristesse, on est transporté dans le périple du personnage et dans les péripéties de l'histoire.
Très belle nouvelle !
noorlayluna
Posté le 22/11/2023
Merci pour ton commentaire ! Je suis très heureuse de savoir que ça t'ait plu ! ^^
LeMytheDeLecrit
Posté le 07/11/2023
Coucou Noorlayluna,

Je trouve que c'est super écrit et que tu as une belle plume, bien que se soit triste on le ressent et je trouve ça bien. Je vais aller jeter un coup d'œil à tes autres œuvres, puisque celle-ci m'a plu.
noorlayluna
Posté le 07/11/2023
Coucou, merci beaucoup pour ton commentaire, j'espère que les autres te plairont autant ou plus selon tes préférences ! ^^
MarineD
Posté le 30/05/2022
Hello Noorlayluna,

Je suis dégoûtée, je t'avais écris un commentaire long comme le bras et j'ai été déconnectée de PA, j'ai tout perdu T_T je vais essayer de le refaire rapidement mais le site m'a donné une grosse bouffée de chaud.

Je disais donc... une bien triste hhistoire, mais très belle et bien écrite. Le poème d'introduction donne le ton. La poésie s'entend encore au début de la narration, puis se fond dans une prose plus classique.

Tu as noté que le texte est en correction, mais comme je ne sais pas ce que tu vas retravailler j'ai noté les coquilles que j'ai vues :
levé de soleil -> er
Pourquoi je ferai(s) ça
Résonna une voix -> pas de majuscule à l'incise
blesser . -> espace en trop
où ne risquait-il -> ou
n'aurait égaler -> é
tu ne supporterai(s)
tu as du -> û
régnait les regrets -> ent

J'ai noté deux petites choses dans le texte.
Parfois tu utilises des termes différents pour désigner le personnage sans utiliser son prénom. Quand il y a deux termes en même temps dans la même phrase, ça alourdit un peu l'ensemble => L’enfant pressa Nillen et ils sortirent de la grotte après avoir rassemblé hâtivement toutes les affaires du jeune garçon.

Et le moment où le personnage prépare l'arbalète m'a surpris, je me suis dit "Mince, comment il saurait faire ça ?" Juste un peu plus loin, tu expliques mieux la place de la chasse dans la famille et le fait qu'il ait pu observer son frère, mais je pense que ça vaudrait le coup de remonter un peu l'explication pour que la préparation de l'arbalète ne paraisse pas incohérente de prime abord.

Voilà, ce sont de menus détails dans un texte globalement très joli. Avec un titre pareil, je savais à quoi m'attendre et pourtant, on ne peut pas s'empêcher d'espérer jusqu'au bout que les deux garçons parviennent à s'enfuir T_T
noorlayluna
Posté le 31/05/2022
Je suis navrée que ça te soit arrivé, j'ai moi-même vécu ça, je compatis ;-;

Je pensais ajouter peut-être certains détails et modifier certains passages pour rendre le texte plus agréable à lire, mais je ne sais pas quand je prendrai le temps de faire tout ça encore. En tout cas merci beaucoup pour ton commentaire, d'avoir pris le temps de relever les coquilles et pour les quelques conseils, ça va beaucoup m'aider à m'améliorer !
À bientôt !
Akiria
Posté le 11/03/2022
Bonjour,

J'ai apprécié cette histoire, je suis super deg pour Nillen 😭
J'ai trouvé ça bien écrit. C'est intriguant...

J'ai relevé quelques petites coquilles, en voici quelques unes :
- sur le temps, parfois tu as laissé au présent :
Ce n’est rien, murmure-t-il timidement. (murmura)

- quelques erreurs pas bien méchantes :
L’enfant ne comprit pas tout suite (tout de suite)
les rafales gelés (gelées)
en plongeant ses doigt (doigts)
Sur ses goûts en terme(s) de lecture.
Wolfman, une bande dessiné(e)
ce personnage dont il n’avait jamais entendu parlé (er).
des paroles aussi apaisantes et pleine(s) de bienveillance ...

Je ne connaissais pas la série, ça m'a donné envie de la découvrir ! Merci
noorlayluna
Posté le 12/03/2022
Merci beaucoup d'avoir relevé les coquilles, je vais pouvoir corriger tout ça sans trop me relire, merci !
Tant mieux si ça t'a plu et bonne écoute pour la série audio, j'espère qu'elle te plaira autant que moi ! ^^
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