Une insulte. Une insulte a défini le reste de sa vie : "Grosse vache". Deux petits mots seulement qui lui ont collé à la peau au point d'en devenir un surnom, une identité.
Le premier souvenir de ces mots remonte au centre aéré. Elle devait avoir huit ans. À cette époque, elle était fière. Fière d'être "la plus grande de la classe", fière de paraître plus âgée, plus mature. Mais l'enfance a de violent que la conscience de soi s'acquiert au même rythme que la méchanceté. Ils étaient en extérieur ce jour-là. Il faisait beau. Les enfants étaient réunis et découvraient l'univers circassien. Les yeux rivés sur sa cible, l'air déterminé, l'envie de blesser, le cœur contrarié, un gamin de son âge, fils de la directrice, balança ces deux petits mots comme on jette des cailloux. "Grosse vache". Ils se plantèrent profondément en elle, telles des flèches tirées à bout portant. Et ils y sont restés.
Et ils sont revenus, inlassablement, à toute occasion, sans crier gare. Elle ne rentre pas dans un pantalon ? Grosse vache. Le miroir reflète des courbes indésirables ? Grosse vache. Elle s'essouffle ? Grosse vache. Ils ont laissé derrière eux des plaies béantes qu'aucun régime, qu'aucun amour n'a pu refermer.
Vicieusement, ils se sont incrustés en elle dès l'enfance pour forger la femme au physique généreux qu'elle est devenue. Un physique qui abrite une personnalité au grand cœur, mais aussi au cœur gros. Gros de tous les fardeaux qu'il porte. Gros de toujours en revenir au même point, au même poids. Gros de ne toujours être réduite qu'à une masse qui dérange, qui dégoûte. Gros de voir qu'une caractéristique physique est devenue tout ce que les autres voient d'elle. Constamment. On ne lui a rien épargné. Les remarques dans la rue, les insultes, les moqueries. "Gros cul" ;"Garage à bite" ;"Baleine"... Au fil des années, tout le monde a trouvé quelque chose à dire, comme si le surpoids était un choix, comme si se délester de toute cette souffrance accumulée ne dépendait que de la volonté.
Après s'être battue contre son corps, elle a appris à écouter son cœur. Elle a appris à aimer ses courbes. Des courbes qui forment désormais les lignes de son cœur, chaleureuses, rassurantes, confortables. Des courbes aux creux desquelles on aime à se blottir, contre lesquelles on vient chercher un peu de chaleur, où l'on vient trouver l'amour d'une femme. Une femme qui s'est délestée des kilos de haine accumulés pour les remplacer par un paisible amour.
Je pense que " la différence " n’a pas sa place. On est comme on est c’est tout. Je rejette pas toute la faute sur eux, mais c’est aussi aux parents d’éduquer les enfants sur ce point-là. Surtout celui-là