Je vais être franche avec vous, quand Dionysos est apparu, j'étais pas vraiment fâchée de lui laisser ma place.
Je veux dire, le meilleur endroit pour griller les steaks, c’est près des flammes, pas sur un trône d’or, même confortable
Est-ce que mon siège parmi les douze me manque ? Oh, ça dépend de quelle part de moi vous questionnez.
Mon estomac ? Il préfère largement la viande grillée.
Mes oreilles ? Elles préfèrent le bruit du feu qui crépite aux hurlements d'Héra.
Ah, les cris ! Ça me rappelle la fois où Prométhée a volé mon feu ! Quel boucan ce jour-là ! D’habitude, je le surveille bien, mon feu, mais il a fallu que je quitte mon poste pile à ce moment-là ! Quelle malchance !
On ne m’a pas demandé comment ‘Methée s’est débrouillée pour avoir du feu, alors je n'ai rien dit. Je ne suis même pas certaine qu’on sache qu’il a volé mes flammes. Après tout, ce n'est pas moi qui ai les infos ici.
Il ne manque pas à mon stress, non plus. Il est resté là-bas avec sur mon ancien trône.
Ce siège doit manquer à mes fesses par contre , il était vraiment confortable… Non, je préfère la pierre de l'âtre, je dirais bien que c’est parce qu'on peut s’y asseoir à plusieurs, en rond autour du foyer, mais non. C’est parce qu'on peut s’allonger devant la cendre et faire une sieste. D’ailleurs, je devrais peut-être en faire une.
— Grand sœur ! Il m’a pris ma fille !
Ah, aujourd'hui, c’est Demeter.
Quand il y a un problème, c’est toujours la grande sœur Hestia qu'on vient voir en premier. Elle m’explique quelque chose, radote : enlèvement par-ci, grenade par-là…
En moi, pendant ce temps, je ne sais toujours pas si sa fille s’appelle Koré ou Perséphone. Je ne ferais pas l’effort de comprendre. On ne me le demande pas. Ni même d’être attentive ou de trouver une solution. Tant mieux à vrai dire.
C’est normal, je suis l’aîné, la déesse de la famille et du foyer.
Ce qu’ils ne comprennent pas, c'est que j'ai inventé et les maisons pour avoir un endroit où avoir la paix. Cette incompréhension vient peut-être un peu de moi, mais surtout de Zeus. Je ne lui en veux pas, il a du mal avec le vocabulaire le pauvre. Surtout avec le mot “non”.
J'attise mes flammes et j’attends qu’elle finisse de pleurer tandis que les braises la réchauffent. Quand elle sera plus calme elle ira régler son problème avec Zeus et Hadès.
Dis comme ça, on dirait que je déteste ma famille. Ce n’est pas le cas. Ils sont toujours les bienvenus autour de mon feu. Sauf peut-être Apollon. Lui, je le prends a coup de tison. Poséidon aussi en fait. Mais avec ces deux-là, c’est personnel. Et encore, je ne suis pas certaine de les frapper si fort. Je veux dire, dans l’absolu, peut on frapper un dieu assez fort pour lui faire mal ?
Plus tard, Zeus arrive.
Lui ne m'embête pas trop d'habitude. Il s’assoit et rumine en silence. Je crois qu'il est persuadé que ça lui donne un air digne. Mais là, j’étais en train de griller une bonne pièce de bœuf. Ma dernière. Et je suis pas mal polie au point de manger seule devant mon petit frère.
— On partage ? je lui dis en tant que la moitié de ma viande. La petite moitié. Faut pas abuser de mon hospitalité.
Puis j'improvise un truc sur le fait qu’il faut partager dans la vie, ça permet de concerver le statue quo.
J’aime pas trop parler, quand on parle, on se dévoile. Et quand on se dévoile, on perd un peu de sa vertu. La parole, sa tâche, ça révèle les aspérités. Le silence, lui, est pur, lisse. Plus je le serais et plus on me foutra la paix.
Zeus sans toucher à la viande, l’ingrat. Mais bon, pour une fois qu’il garde ses mains pour lui, je ne vais pas me plaindre.
Lorsque Déméter revient me voir, je suis en train de faire bouillir de l’eau. La pauvrette est misérable sans sa fille.
Déméter n’a pas la même conscience professionnelle que moi, elle tient plus debout sans sa gamine. Je ne quitte jamais mon âtre, sauf quand j'ai pas de chance, et rien ne me brise. Méter, privée de sa petite, elle arrive à peine à fonctionner.
La terre gèle et que leurs foyers mortels doivent brûler plus fort, pour compenser son absence. Je ne m’inquiète pas pour eux, ils ont hérité de mon feu.
Peut-être auront-ils besoin de nouveaux aliments, de boissons chaudes, de nouvelles techniques artisanales pour pallier au froid.
Mais bon, mon travail ce n’est pas d’avoir des idées, mais de m’occuper du foyer. Je récupère une bouteille de vin, chaude parce que je l’ai laissée trop près des flammes et comme toujours, ça appelle Dionysos. Je l’aime bien, on possède la même énergie.
Dans l’eau, je balance quelques trucs que j'ai échangés avec les autres, ceux de l’est et j’y ajoute un peu de miel.
Dyoni’ est déjà en train de descendre ma bouteille de vin et étrangement, il a l’air d’apprécier ce qu'il boit. Meter elle, regarde l’eau bouillante et me demande ce que je prépare. Je lui réponds que je ne sais pas trop, juste quelques plantes qui sentent bon .
Elle hésite un peu, mais se sert une tasse d’eau bouillante parfumée et un bois une gorgée timide avant de finir le reste d’une traite.
J’ai eu du mal à les faire partir, c’est le problème à être trop convivial : les gens vous aiment bien et ne vous lâchent plus.
La fois d’après, Meter m’apporte une sorte de truc vert un peu mal foutu.
— J'ai créé cela, m'annonce-t-elle.
Ça faisait longtemps que je ne l’avais pas vue aussi fière. Elle m’explique que c'est une plante d'hiver. Je ne lui demande pas, mais je me dis que sans sa fille, elle doit avoir à peine la force de créer des machins ça et là pour que les mortels ne meurent pas de faim.
Je crois qu’ils se sont mis à apprécier des trucs appelés “tisane” et Meter a décidé de leur donner des plantes pour ça. De son côté Diony’ leur partage son vin chaud. C’est bien. Quand elle part, je m’allonge sur la pierre chaude, prête à m’endormir.
Je vous le dis et c’est la vérité : c'est agréable de ne pas être celle qui doit avoir les bonnes idées.