Au fil de leau
La pluie ruisselle sur la vitre de la salle de bain. Elle y laisse des traînées humides et pleure à lintérieur. Un doigt cueille lune des gouttes qui se suicide contre le châssis de la fenêtre. Lindex et le pouce frottent cette eau du dehors installée au cur de la maison.
- Que fais-tu, petite fille ? questionne lombre de la porte.
La main coupable se cache derrière le dos de lenfant surprise. Lautre saccroche un peu plus autour de sa poupée de chiffon. Elle se retourne et évalue ses chances.
- Pardon, murmure la fillette. Je ne voulais pas, nounou.
- Sors dici.
Les ténèbres mouvantes obligent la minuscule silhouette à quitter la pièce. Elle frissonne, lorsquelle sapproche du noir mais nhésite pas à sy engouffrer. On ne désobéit pas à la gardienne de ces lieux.
- Où étais-tu, Sabine ? se presse un autre enfant, dès quelle atterrit dans la chambre.
- Là-haut, chuchote-t-elle.
Le regard déférant de ses compagnons de chambrée la remplit de fierté. Ils sont rares, les intrépides à oser se mesurer au rez-de-chaussée.
- Tu as eu peur ? senhardit Danny.
Ses bras maigres se convulsent sur son ours en peluche à la peau usée.
- Non, ment Sabine sans ciller. Je serai bientôt une grande.
Un hoquet de stupeur la hisse encore plus haut au centre de sa propre importance. Les jeunes se reculent et tâtonnent, à la recherche de leur couverture. Danny trébuche et son jouet vieillot tombe dans un bruit mat. Le dernier son qui se répercute au fond des galeries. La salle se transforme en théâtre muet et les êtres qui y demeurent se serrent les uns contre les autres.
- Ne craignez rien, tente de les rassurer Sabine.
Mais sa gorge refuse de fonctionner et ses lèvres restent scellées. Elle ne cherchait pas à les effrayer, en leur avouant son escapade. Là-haut laurait-elle déjà corrompue ? Elle tremble à cette pensée et rejoint la douceur de son édredon. Non, elle nest pas encore comme eux et ne retournera jamais près de la pluie.
Les pas silencieux de nounou fracassent leur angoisse. Quand elle sinstalle ici, elle aspire toute la lumière des bougies et les enfants sendorment, pour longtemps. Même Sabine ne résiste pas au sommeil qui engourdit ses sens. Avant de plonger, elle croise léclat terrifié du regard de Danny. Pourquoi ses paupières ne se ferment-elles pas ? Le loup qui dissimule le visage de nounou danse au milieu de sa pupille.
- Danny nest plus là, informe Jonathan, quand ils se réveillent. Nounou la emporté.
Ils tressaillent tous. Combien de temps avaient-ils dormi ? Sabine cache ses larmes dans les cheveux clairsemés de sa poupée Suzie. Elle sen veut et se sent responsable.
- Comment tu sais ça ? linterroge Elise.
Sa voix se perche haut dans les aigus. Elle sinquiète.
- Il est trop petit pour sortir tout seul, répond Jonathan. Jamais il ne pourrait atteindre la porte.
Toutes les têtes simmobilisent sur la bouche béante qui respire lair froid du rez-de-chaussée. Sabine donne raison à Jonathan : le disparu na pas la taille suffisante pour accéder à la sortie.
- Il ne dormait pas, ajoute-t-elle. Comme Andréa, lautre fois. Ses yeux restaient ouverts.
- On doit le sauver, senflamme Elise. Son nounours est toujours là.
Les autres aimeraient accéder à sa requête. Pourtant, ils nébauchent pas un geste. Ils se souviennent dAndréa. La vue de lours en peluche les électrocute. Il repose au milieu du lit et attend. Un autre enfant saimantera bientôt à lui. Mais pas Danny. Elise ne peut pas comprendre : cest elle qui remplace Andréa. Elle est la dernière arrivée.
- Il la fait tomber, explique Sabine.
Les enfants acquiescent et leurs doigts blanchissent, à force de tenir leur jouet. Danny avait échoué et nounou lavait ramené dehors. Le frottement inquiétant dune gondole accoste là-haut et des pieds menus débarquent sur la maison immergée.
En tout cas, c'est très bien écrit.
On a presque l'impression que c'est un début d'histoire.
Je suis tombée sur ta nouvelle par hasard. Je l'ai adorée. Tu n'en dis pas trop, mais suffisamment pour qu'on soit entraîné dans ce lieu si angoissant. à chaque lecteur son interprétation? Bravo! Je pense effectivement que tu fais appel à des peurs si profondes et si personnelles que chacun y verra ses propres angoisses refoulées.
Ton texte mérite de faire partie des Histoires d'Or 2016 (texte court).
Gaëlle
De ce texte, je retiens l'atmosphère mystérieuse qui entoure ce morceau d'histoire. J'ai beaucoup aimé la manière dont les éléments étaient décrits, le ressenti de ces jeunes enfants face à la nounou, le fait que Sabine veuille faire preuve de courage même si ses bras la trahissent aussi. J'aime aussi le fait qu'il laisse place à l'imagination, qu'il reste du point de vue de ses enfants, qui ne savent pas ceux qui arrivent à celui qui part, qui sera remplacé par un autre enfant. Pour moi, c'était des orphelins, que l'on remplaçait dès que l'un d'eux avait été adopté.
Une belle tranche de vie bien écrite ! :)
Je ne pouvais que reconnaître ce choix des mots si méticuleux et original, cette poésie propre à ta plume, cette atmosphère étrange qui imprègne chaque phrase...<br />
J'ai un gros avantage sur les autres participants : je connais très bien ton écriture, j'ai assisté à son évolution et à son plein épanouissement, étape après étape ^^ je t'ai lue, relue et re-relue.<br />
Ah, comme cette review doit être constructive, je vais un peu l'étoffer, quitte à répéter ce que j'ai déjà dit. Cette nouvelle est une expérience assez inhabituelle et je l'ai trouvée troublante à souhait. Tu poses une série d'impressions (c'est le mot, tu as ici une écriture particulièrement impressionniste), tu esquisses un contexte onirique, tu laisses planer des pistes d'interprétation mais, en définitive, à la manière d'un rêve, on ne sait pas définitivement déterminer ce qui se passe et pourquoi. On peut juste supposer.<br />
Là où c'est cruel, c'est qu'on aimerait avoir une suite, du coup ^^ car tu as planté un décor très prenant.<br />
Fais-en nous d'autres comme ça, entre L'Enfant des Ombres et le Chaudron ;-)Reponse de l'auteur: Merci ma petite Cricri pour ces gentils commentaires que je ne mérite sans doute pas aussi enthousiastes ^^ \"Au fil de l\'eau\" est terriblement étrange, même pour moi. il me serait bien impossible d\'écrire une suite, alors que j\'esquisse à peine une demi compréhension de l\'histoire (lol)
Tu ne veux pas essayer de mettre d'autres histoires en ligne ici, avec tous ces trésors que recèle ton ordinateur ? En ce qui me concerne, je me sens en confiance, alors je vais essayer de dépasser ma timidité, poster mon histoire et affronter les critiques si elles ont lieu d'être.<br />
Je pense fort à toi pour demain !
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Par contre... bon ok j'suis un peu dans le gaz, il est 20:13, ça fait une semaine que je ne fais que dormir ^^'... mais j'ai pas très bien compris la chute OoReponse de l'auteur: Bah, y a pas grand chose à comprendre à cette histoire (lol)\r\n\r\nC\'était surtout une histoire d\'orphelins, de gondoles (et donc de Venise) et de rapts... \r\n\r\nMerci pour ta review, en tout cas, elle m\'a fait bien plaisir.
Contente que tu ais posté cette nouvelle ici, je l'avais lue sur l'Antre et je l'avais beaucoup aimée.
BizZz
Dark-Liar
Reponse de l'auteur: Ben vi, me voilà ici! En fait, je me suis retrouvée sur ce site en consultant ton profil sur ff.net. Merci pour ton commentaire, il me fait plaisir.