Du haut de ses 12 ans, Tom s’aventurait dans le grenier de la maison familiale. Une lumière vacillante filtrait à travers la petite fenêtre poussiéreuse de cet étage. Il enjamba plusieurs caisses en bois, explorant avec excitation. Alors qu’il fouillait à la recherche d’un trésor à dénicher, son regard fut attiré par une petite mallette soigneusement posée sur une table basse en bois.
Piqué par la curiosité, il s’approcha, s’agenouilla sur le sol et ouvrit délicatement la mallette. Un nuage de poussière s’éleva, le faisant éternuer bruyamment montrant que cette boîte n’avait pas été ouverte depuis des années. À l’intérieur, il découvrit un vieux journal relié en cuir, accompagné de petites babioles et de photos jaunies par le temps. L’une d’elles, glissa à moitié hors du journal, montrant deux hommes souriants dont l’identité restait un mystère pour notre petit enquêteur.
Avec une grande précaution, Tom ouvrit le journal. Les premières pages, remplies d’une écriture très soignée, l’invitèrent à se plonger dans leur contenu.
Si tu tiens ce journal dans tes mains, c'est que le temps a fait son œuvre. Ce que tu détiens n'est rien de moins qu'un fragment de ma vie, une confession que je ressens le besoin de coucher sur le papier avant que mes souvenirs ne s’envolent. Voici ma chronique d'amour que je dédie à Mike. Peut-être, cher lecteur, y trouveras-tu un écho à ta propre existence dans cette trace d'un passé révolu.
Tout commença à une époque où je n'étais qu'un jeune homme, solitaire et appliqué. C'était dans les années 70, une période marquée par des bouleversements et des rêves d'avenir. Je n'avais plus de famille en ce temps-là, et mes journées se résumaient à l'étude de la médecine. Une discipline austère, mais qui m'offrait une évasion de la solitude et une raison d'avancer dans ce monde. J'avais des projets, des ambitions nobles, mais personne avec qui les partager.
Un soir, alors que je rentrais tard d'un cours, mon chemin croisa celui de Sarah. Ses cris stridents et teintés de panique s'échappaient d’une ruelle voisine. Elle était encerclée par des hommes dont les intentions n'étaient que trop claires. Sans réfléchir, je m'interposai tel un chevalier. Peut-être était-ce la frénésie de la jeunesse qui grondait en moi ou simplement cet instinct d’aider mon prochain, mais avant que je ne m'en rende compte, les malandrins avaient pris la fuite. Il faut dire que mon physique robuste aidait dans ce genre de situation.
La jeune femme était terrifiée, mais ses yeux, éclatants de gratitude se levèrent vers moi. D'une voix encore brisée mais reconnaissante, elle murmura quelques mots de remerciement. Nous échangeâmes peu ce soir-là, juste assez pour que j'apprenne qu'elle était, comme moi, étudiante. Une jeune femme au regard vif et à l'énergie indomptable. Le hasard ou le destin fit que nos chemins se croisèrent de nouveau. Puis, peu à peu, ce qui n'était qu'une rencontre hasardeuse se transforma en une amitié sincère, et cette dernière, en un attachement plus profond.
Sarah fut mon premier amour. Avec elle, je découvris un monde que je n'avais jamais envisagé. Elle était pourtant mon opposée en bien des aspects : vive, spontanée, et toujours prête à briser les conventions. Elle m'incitait à délaisser mes livres, à goûter à la vie au lieu de la théoriser. Mais, comme souvent, la vie a le don de bouleverser les certitudes.
Un soir, elle me mena dans un lieu bien étrange, un club où les règles du quotidien semblaient s'évaporer pour laisser place à des jeux de rôles et à une liberté qui me déconcertait. Ce fut une soirée singulière, presque incongrue, mais également révélatrice. Et c'est là que je le vis pour la premiére fois.
Mike. Un homme imposant mais d'une présence silencieuse. Comme moi, il était accompagné. Nos regards se croisèrent, chargés d'une tension que je ne pouvais nommer. Pas un mot ne fut échangé ce soir-là, mais quelque chose naquit dans ce silence. Je savais, sans comprendre pourquoi, que nos chemins allaient de nouveau se croiser. Et je ne m’étais pas trompé.
Quelques semaines après cette rencontre, alors que je sortais de la bibliothèque que je fréquentais, je l'aperçus à nouveau. Mike était seul cette fois, adossé au mur voisin, tenant sa cigarette au coin de sa bouche, les mains dans les poches, son regard perdu vers le ciel dans une rêverie lointaine. Il finit par baisser la tête en la tournant dans ma direction, sûrement alerté par mes pas. Nos regards se croisèrent alors, et ce fut comme si le temps s’était figé. Dans ses yeux noir, je crus déceler une lueur de surprise, rapidement éclipsée par une expression indéchiffrable, un mélange de curiosité et de réserve.
Ni lui ni moi ne parlâmes tout de suite. Le silence entre nous était à la fois lourd et étrangement apaisant, comme si aucun mot n’était nécessaire pour combler l’espace qui nous séparait. Je me rendis compte que mon cœur battait plus vite que je ne l’aurais cru possible. Pourquoi étais-je aussi nerveux devant cet homme que je connaissais seulement de vue ?
Il ôta la cigarette de sa bouche et expira lentement, le nuage de fumée se dissipant autour de lui. Puis, sans crier gare, un léger sourire effleura ses lèvres, presque imperceptible, comme un reflet d'une pensée qu’il ne voulait pas formuler à haute voix. Ce fut cet infime mouvement, ce fragment de spontanéité, qui brisa le sortilège. Il jeta la cigarette sur le trottoir avant de l’écraser d’un geste lent. « Tard pour sortir de la bibliothèque. » Me lança t il de sa voix grave et posée, teintée d’une curiosité qu’il ne cherchait pas à dissimuler. Je haussai les épaules, « Pas plus tard que pour fumer sous la pluie. » Rétorquai-je, pointant du menton les premières gouttes qui commençaient à tomber.
Un éclat fugitif traversa ses yeux, comme s’il trouvait ma réponse amusante. Il passa une main dans sa crinière grise. « Il faut bien avoir une excuse pour observer les étoiles, » répondit-il simplement. Un nouveau silence s’installa, mais cette fois, il était moins pesant, presque complice. Nous nous tenions là, face à face, deux étrangers reliés par une curiosité mutuelle
Ainsi débuta une amitié étrange, presque silencieuse. Mike et moi n'avions guère besoin de paroles pour nous comprendre. Nos gestes, nos regards suffisaient. Nous nous retrouvions souvent, par hasard ou par intention volontaire, partageant des moments simples et intenses. Nous étions deux âmes solitaires, liées par une compréhension mutuelle que peu pouvaient saisir.
Nos compagnes respectives observaient avec curiosité cette amitié naissante. Sarah, avec sa nature enjouée, taquinait parfois ma réserve en me demandant si je n'avais pas trouvé en Mike un alter ego. Et peut-être avait-elle raison. Mike était mon reflet, mon égal, et pourtant si différent.
Nous dansions parfois, sur des airs anciens qui nous ramenaient à une époque que nous n'avions pas connue. Une fois, dans ce cabaret que nous avions l’habitude d’aller, je me souviens lors d’une danse en duo qu'il osa un geste audacieux. Une main posée sur ma hanche lors d’une danse, ceci dans un éclat de rire moqueur. Et moi, surpris, je ne pus m'empêcher de rire à mon tour laissant cette main sur mon corps. Ces moments, bien que frivoles, marquaient une complicité qui ne cessait de croître.
Mais les chemins de la vie sont sinueux, et peu à peu, les amours que nous partagions avec nos compagnes s'effilochèrent. Peut-être était-ce l'inexorable vérité de nos cœurs qui nous rapprochait davantage. Ou peut-être étions-nous simplement destinés à nous trouver, à nous reconnaître dans cette vie tumultueuse.
C'est ainsi que, doucement, ce qui n'était qu'une amitié devint autre chose. Nous ne le dîmes pas, nous ne l'avouâmes pas tout de suite, mais nos gestes, nos silences, et nos regards suffisaient à témoigner de cette vérité que nous n'osions encore nommer.
La transition fut subtile, presque imperceptible. Ce fut dans un moment anodin que tout bascula. Nous étions seuls, dans cet appartement modeste qu’il louait, un refuge où le temps semblait suspendu. Mike, toujours taciturne, m'observa longuement alors que j’apprenais des termes médicaux. Son regard, d’habitude si réservé, avait une intensité qui me désarma.
« Fahriik, » murmura-t-il, sa voix grave et douce à la fois fit croiser nos regards. C’était tout ce qu’il prononça. Et pourtant, mon nom, dit de cette manière, suffit à ébranler toutes mes défenses. Je ne sais si ce fut la profondeur de son ton ou la lumière vacillante dans ses yeux, mais je me retrouvai incapable de détourner le regard.
Ce fut lui qui fit le premier pas. Une main qui frôla la mienne, hésitante, avant de la saisir avec une fermeté qui ne laissait place à aucun doute. Après un moment ainsi, j’approcha mon visage du sien et ainsi, sans qu’un mot de plus ne soit échangé, nous comprîmes par ce baiser ce qui avait toujours été là, tapi dans l’ombre de nos craintes et de nos hésitations.
Nous vécûmes cette révélation avec une sérénité surprenante. Ce n’était ni précipité, ni flamboyant comme dans ces histoires de jeunesse. C’était un accord, une union certes de deux hommes mais avant tout de deux âmes qui avaient enfin trouvé leur juste place. Nos vies s’entrelacèrent dès lors avec une grande simplicité.
Nous quittâmes nos compagnes respectives, non sans douleur ni explications sincères. Sarah, toujours perspicace, avait déjà pressenti ce qui s’était joué entre Mike et moi. Assise face à moi, ses mains tremblaient légèrement alors que je lui expliquais ce qui s’était passé. Ce fut l’un des moments les plus douloureux de ma vie mais malgré tout, elle eut la force de m’offrir son pardon. « Tu sembles plus heureux avec lui que tu ne l’as jamais été avec moi. Je te souhaite beaucoup de bonheur mon sauveur. » m’avait-elle dit avec une tristesse douce. Et elle avait raison.
Pour Mike, les choses furent bien plus tumultueuses. Sa compagne accueillit la nouvelle avec incompréhension et colère. Il tenta de lui expliquer, de lui raconter cette vérité qu’il ne pouvait plus ignorer, mais ses mots semblaient tomber dans un abîme. La douleur qu’il lui infligeait le déchirait, mais il savait qu’il ne pouvait plus mentir ni à elle ni à lui-même. Leur séparation fut très difficile, ponctuée de reproches violents et d’insultes. Elle quitta finalement leur appartement commun, emportant avec elle ses affaires et quelques objets communs. Mike en sortit brisé mais surtout libre, prêt à reconstruire sa vie avec moi, cette fois sans mensonge.
Mike et moi devînmes inséparables. Ensemble, nous entreprîmes de petites aventures, parfois frivoles, parfois grandioses. Avec nos maigres réserves étudiantes et nos petits boulots nous organisions des week-ends et autres voyages. Je me souviens d’un voyage à Paris, abordant nos dernières années d’étude, cette ville dont le charme ancien semblait fait pour nous. Nous errions dans les rues pavées, partageant un regard complice à chaque coin de rue. Sur le pont Alexandre III nous croisâmes un photographe ambulant. Un homme d’un âge avancé, portant un chapeau usé et une caméra suspendue à son cou. Il nous interpella avec un sourire malicieux, nous proposant de prendre une photo en nous disant que nous avions l’air de bons amis.
Nous acceptâmes, amusés et un peu gênés. Mike, avec son air nonchalant habituel, passa un bras autour de mes épaules tandis que je croisai les bras devant moi, un sourire discret sur les lèvres. Le photographe nous plaça avec un soin presque cérémonieux, s’assurant que la lumière tombait parfaitement sur nous et que le décor majestueux du pont encadrait notre silhouette.
Le clic de l’appareil photo résonna, suivi d’un silence suspendu, comme si ce moment avait été scellé dans le temps. Lorsque nous observâmes l’image, une étrange émotion nous saisit. C’était nous, oui, mais aussi quelque chose de plus. Une complicité presque palpable, un mélange d’affection et de sérénité qui transparaissait dans nos gestes et nos regards.
« Gardez-la, c’est mon cadeau, » dit le photographe avec un sourire chaleureux. Avait-il deviné lui aussi à travers cette image ? Nous le remerciâmes sincèrement, et cette photo devint un trésor. Plus tard, sous la lumière dorée de la Tour Eiffel, Mike me murmura : « Je pourrais vieillir ici , avec toi. »
Et c’est ce que nous fîmes, en un sens. Nous vieillîmes ensemble, construisant une vie riche de souvenirs et de moments simples de retour au pays. Mais comme toujours, la vie ne fut pas sans embûches.
Les premières années furent lumineuses, pleines d’un bonheur tranquille. Nous avions trouvé en l’autre ce que nous avions cherché sans le savoir : une force, un apaisement, un miroir qui nous révélait sous un jour nouveau. Mike devenu architecte, poursuivait ses premiers projets d’architecture avec passion, et moi, avec ma titularisation pour devenir médecin, je trouvais en lui un ancrage.
Il y eut des moments marquants, comme ce mariage auquel nous assistâmes, celui de notre ami commun, Théo. La cérémonie se déroulait dans une église ancienne dans la petite ville d’origine de notre ami. Lorsque le bouquet de la mariée vola dans les airs, ce fut Mike qui l’attrapa, à la surprise générale. Le regard qu’il posa alors sur moi, d’abord étonné, fini en un sourire en coin mêlant malice et tendresse. Nous savions, sans avoir besoin de mots, que ce geste prophétique portait une vérité encore tue.
Quelques années plus tard, nous fîmes de cette prophétie une réalité. Un jour d’été, dans une petite chapelle nichée au creux des montagnes, nous échangions nos vœux devant un cercle restreint d’amis et d’êtres chers. Ce fut une cérémonie modeste et peut être blasphématoire pour certains, mais chaque mot prononcé avait un poids, chaque regard échangé portait la promesse d’une vie partagée, quelles que soient les tempêtes à venir.
Et les tempêtes vinrent.
Mike tomba malade pour la première fois peu après notre union. Un cancer, agressif et imprévisible, se déclara presque sans avertissement. Ce fut un coup terrible, mais nous fîmes front ensemble. Les mois qui suivirent furent un mélange de désespoir et d’espoir farouche. J’étais maintenant médecin, pourtant face à son corps affaibli, mes connaissances semblaient si dérisoires. Il luttait avec une détermination qui me brisait autant qu’elle me remplissait d’admiration.
« Je ne vais pas partir. » Me disait-il souvent, dans ces nuits d’angoisse où je veillais à son chevet.
Et il tint parole. Contre toute attente, contre les pronostics les plus sombres, il survécut. Le cancer recula, et nous nous retrouvâmes, plus unis que jamais. Mais cette épreuve laissa une trace. Nous apprîmes à vivre avec une urgence nouvelle, une gratitude intense pour chaque instant volé au temps.
Nous profitâmes de ce miracle en réalisant un rêve qui nous semblait encore lointain quelques années auparavant : bâtir notre propre chez-nous. Adieu les appartements exigus et impersonnels, adieu les murs fins laissant filtrer les bruits d’une vie partagée avec des inconnus. Nous désirions une maison qui ne serait pas seulement un lieu de vie, mais un sanctuaire, un espace façonné à notre image, portant les marques de notre amour.
Mike, avec son talent d’architecte, prit en main la conception. Il esquissa d’abord des plans sur des feuilles volantes. Chaque détail portait sa réflexion minutieuse et son affection pour nous deux. « Cette pièce, » disait-il, traçant une ligne ferme sur le papier, « sera orientée vers le lever du soleil. Je veux que chaque matin, tu puisses le voir illuminer la maison. »
Nous choisîmes ensemble un terrain légèrement en retrait de la ville, bordé d’arbres. La construction fut une aventure en soi, mêlée d’excitation et de défis imprévus. Nos économies étaient limitées, moins que lorsque nous étions étudiant mais nous compensâmes le manque par notre dévouement. Mike passait des heures sur le chantier, supervisant chaque étape avec une précision presque obsessionnelle, tandis que je me découvrais des talents insoupçonnés, aidant autant que possible.
Nous discutions de chaque élément, des poutres apparentes du salon à la teinte des carreaux de la cuisine. Cette maison devenait l’expression concrète de notre union et de nos rêves partagés. Il y avait des moments d’agacement bien sûr – des décisions difficiles, des disputes, des compromis à faire – mais chaque pierre posée était une victoire, chaque mur érigé une déclaration d’amour silencieuse.
Lorsque la maison fut enfin terminée, nous franchîmes son seuil main dans la main. Les fenêtres laissaient entrer une lumière douce, caressant les surfaces de bois que nous avions choisies pour leur chaleur et leur simplicité. Chaque pièce semblait résonner de promesses à venir.
Ce n’était pas une demeure grandiose, mais elle était parfaite pour nous, c’était comme il avait été convenu: un sanctuaire pour nous. Notre histoire était inscrite dans ses fondations. Elle devint le théâtre de nos moments les plus précieux, un havre où nous pouvions nous réfugier après les batailles que la vie nous imposait. Et ainsi, dans cette maison, construite par nos mains et nos cœurs, nous trouvâmes un nouveau commencement.
Les années passèrent, et un vide, imperceptible d’abord, commença à se faire sentir dans notre maison pourtant si vivante. Nous avions construit un refuge empli de paix et d’amour, mais il manquait une étincelle, un prolongement de cette histoire que nous écrivions à deux. L’idée d’agrandir notre famille s’imposa peu à peu, d’abord timidement, puis avec une évidence presque naturelle.
Ce désir naquit de mille petits instants : les éclats de rire d’enfants jouant dans la rue, les discussions autour de la table sur ce que nous pourrions transmettre, ou simplement la chaleur d’un avenir plus lumineux à trois dans notre foyer. Ce n’était pas une décision impulsive mais un sentiment grandissant qui prit des années, nourri par l’envie de partager ce que nous étions et ce que nous avions appris. Nous rêvions de transmettre non seulement des souvenirs, mais aussi des valeurs : la patience, le respect, et surtout cet amour inconditionnel qui nous avait sauvés.
Ce fut une décision lourde de sens, empreinte d’espoir autant que d’appréhension. Moi qui avais grandi sans famille, pouvais-je offrir à un enfant ce que je n’avais jamais connu ? Pourtant, au fond de moi, je savais que l’amour que nous avions construit ensemble, Mike et moi, suffirait. Ce que nous avions à offrir était unique, peut-être atypique pour certains, mais profond et authentique.
Ainsi débuta un long parcours semé de formalités et d’attentes. Nous passâmes des entretiens, expliquâmes notre histoire à ceux qui devaient décider de l’avenir de cet enfant qui ne nous connaissait pas encore. Malgré les regards parfois sceptiques, nous avancions avec la conviction que nous pouvions offrir un foyer empli de chaleur et de sécurité.
Puis, un jour, tout prit sens. Ce fut une matinée ordinaire lorsque nous reçûmes l’appel qui allait bouleverser notre vie. On nous avait choisi pour rencontrer un nourisson à peine quelques mois, abandonné dans des circonstances que nous n’osions interroger. Lorsqu’il apparut devant nous, le temps sembla suspendu.
Il était là, allongé dans son berceau éclairé par un rayon de lumière. Ses grands yeux argentés nous fixaient avec une curiosité silencieuse, presque sérieuse. ce petit garçon avait un éclat particulier, un mélange de fragilité et de force qui touchait au plus profond de l’âme. Nous savions, sans le moindre doute, que ce petit être deviendrait le cœur battant de notre foyer. C’est à ce jour que notre fils Léon entra dans nos vies.
Les débuts furent aussi exaltants que déroutants. Il fallait apprivoiser ce nouvel équilibre, apprendre les gestes simples mais essentiels, découvrir les joies et les défis de la paternité. Notre maison, autrefois si calme, se remplit de sons nouveaux : des pleurs nocturnes, des éclats de rire, et plus tard, les premiers mots hésitants.
Mike semblait avoir été créé pour ce rôle. Patient, attentif, il avait une manière instinctive de calmer Léon, de capter son attention avec une simple expression ou un geste. Moi, je découvrais un aspect de moi-même que je n’avais jamais exploré. La paternité n’était pas un instinct immédiat, mais chaque jour, cet enfant m’enseignait quelque chose de nouveau sur l’amour inconditionnel.
Notre jeune garçon devint notre rayon de soleil, apportant une lumière nouvelle dans chaque recoin de notre vie. Notre maison, qui avait été un havre paisible, se transforma en un lieu vivant et vibrant. Les murs portaient les marques de son passage: dessins griffonnés, traces de pas effacées à la hâte, souvenirs indélébiles d’une enfance heureuse. Des souvenirs que nous chérissons au fond de nous.
Les années passèrent. Nous regardions Léon grandir avec une fierté que nous n’avions jamais connue. Curieux et plein de vie, il semblait absorber le monde avec une intensité qui nous rappelait à quel point chaque instant était précieux. Il aimait explorer, poser des questions sur tout, et s’émerveiller des petites choses que nous, adultes, avions appris à ignorer.
Pendant ce temps, nous vieillissions doucement, presque imperceptiblement, tandis que le monde autour de nous évoluait à une vitesse vertigineuse. Les avancées technologiques transformaient les vies, les modes changeaient, et les idéaux se métamorphosaient. Mais au milieu de ce tumulte, notre famille demeurait un point fixe, une ancre dans le flot incessant des changements.
Pourtant, malgré toute cette joie, une ombre persistait à l’horizon. Le souvenir du combat de Mike contre le cancer n’était jamais loin, gravé dans nos esprits comme un avertissement silencieux.
Et un jour, elle revint.
Ce fut comme un glas. Le diagnostic tomba, et cette fois, nous savions que la lutte serait différente. Mike avait vieilli, son corps portait encore les stigmates de son premier combat. Mais son esprit restait indomptable. « Nous avons encore du temps, » me disait-il, même lorsque la douleur se lisait sur ses traits.
Malgré ceci nous vîmes notre fils grandir, nous ramener ses premières copines, obtenir son diplôme et un beau jour se marier. Je me souviens encore du sourire radieux de Mike ce jour-là, malgré la fatigue qui le minait. Il dansa avec Léon, ses pas hésitants mais emplis de fierté. À la fin de la soirée, alors que nous étions seuls, il murmura : « J’ai tout ce dont je rêvais, Fahriik. » avant de m’embrasser comme la première fois dans cet appartement délabré.
Quelques mois plus tard, il s’éteignit à l’hôpital. Je restai à ses côtés jusqu’à son dernier souffle, ma main crispée autour de la sienne, comme si ce contact pouvait le retenir encore un peu. Lorsque la mort l’emporta, lors de son dernier souffle, ce fut comme si le monde lui-même s’était arrêté. Une partie de moi mourut avec lui, un vide immense s’ouvrant en moi, froid et insondable. La douleur n’était pas seulement dans mon cœur, mais dans chaque fibre de mon être. Mes pensées, mes gestes, jusqu’à ma respiration, tout semblait être envahi par cette souffrance.
Il n’y avait plus de repères, plus de lumière dans cet abîme. Les jours suivants furent flous, une succession d’heures vides où chaque souvenir devenait une lame. Ses rires, ses regards, sa voix… Tout revenait me hanter, m’assiégeant à chaque instant. Le chagrin était omniprésent, mêlé à une étrange culpabilité, comme si j’avais échoué à le sauver malgré tout mon amour, toute ma volonté.
Je pleurai comme je n’avais jamais pleuré de ma vie, des larmes qui semblaient ne jamais vouloir s’arrêter. Chaque larme portait le poids de tout ce que nous avions construit, de tout ce que nous avions perdu. Et pourtant, malgré cette souffrance insupportable, je restais là, figé dans un mélange d’amour et de vide, incapable d’imaginer un futur sans lui.
La maison devint soudain bien silencieuse. Je continuai à vivre, pour Léon, mais une partie de moi était partie avec Mike. C’est dans cette solitude, dans mes derniers moments, que je me mis à écrire, à coucher sur ces pages les souvenirs de notre vie, de notre amour, pour qu’ils ne soient jamais oubliés. Ainsi, je demeure dans l’attente moi aussi de partir à mon tour, pour le retrouver de l’autre côté.
Et maintenant, cher lecteur, c’est à toi que je confie cette histoire. Peut-être comprendras-tu, à travers ces mots, l’immensité de ce que nous avons partagé Mike et moi. Et peut-être, si tu tends l’oreille, entendras-tu l’écho de nos rires dans le vent.
Fahriik
Tom lut les derniers mots de Fahriik avec difficulté. Ses yeux embués de larmes contrastaient avec le sourire maladroit qui s'était dessiné sur son visage. Cherchant à émerger de cette histoire qui l'avait tant absorbé, il releva la tête. Le silence pesant du grenier fut brisé par le bruit de pas montant les marches.
— « Qu’est-ce que tu fabriques encore ici, petit pirate ?! » Lança une voix chaleureuse. Un homme apparut montant les dernières marches, un sourire amusé illuminant son visage en découvrant son fils plongé dans ses explorations.
Tom se retourna précipitamment, essuyant ses joues humides d’un revers de patte avant de balbutier :
— « Rien… »
L’adulte dressa légèrement les oreilles, captant les traces d’émotion qui trahissaient son garçon. Son regard s’attardait sur la mallette entrouverte et le petit journal que Tom tenait entre ses mains. Pourtant, il feignit l’ignorance, laissant son sourire bienveillant parler à sa place.
— « Allez, va retrouver ta petite sœur, elle t’attend pour dévorer le gâteau de ta mère. »
Tom acquiesça d’un hochement de tête rapide, déposant le journal à côté de la mallette, et se précipita vers l’escalier. Au passage, son père ne résista pas à l’envie de lui décocher quelques chatouilles qui le firent rire, changeant d’émotions. Le garçon dévala les marches en riant, son humeur bien plus allégée.
Resté seul, l’homme laissa échapper un soupir mêlé de tendresse et de mélancolie, se frottant la nuque. Il s’approcha doucement de la mallette, rangeant avec soin le journal et ses précieux souvenirs à l’intérieur. Son regard s’arrêta un instant sur la vieille photo glissée entre les pages, tandis qu’une expression indéfinissable flottait sur ses traits. Un sourire discret étira ses lèvres avant qu’il ne referme délicatement la mallette.
Il se dirigea vers la sortie du grenier lorsqu’il s’arrêta soudain en haut des marches. Quelque chose, une présence fugace, avait attiré son attention proche de la fenêtre poussiéreuse. Dans la lumière déclinante, deux silhouettes floues semblaient apparaître.. Le père resta immobile un moment, perdu dans ce qu’il crut apercevoir, avant qu’un sourire triste n’effleure ses lèvres.
Sans un mot de plus, Léon descendit lentement les marches pour rejoindre sa famille, laissant les rires résonner dans toute la maison.