C’était le matin.
Un paysan labourait son champ. Heureusement pour lui, son cheval était en pleine forme.
Un profond silence régnait dans la forêt proche. Rien ne faisait de bruit…
Rien ? Non : de petits oiseaux gazouillaient.
Un énorme arbre projetait une ombre gigantesque. Une légère brise faisait frémir les buissons et les fleurs. Une jolie rivière ruisselait un peu plus loin où des libellules voletaient.
Ah ! C’était vraiment une matinée superbe !
Ce paysan avait déposé dans l’herbe fraîche son déjeuner.
Et ce déjeuner se révélait être une délicieuse andouille…
Seigneur Renart, que l’air frais avait affamé, avait repéré l’andouille.
Il rampa dans les hautes herbes pour que le paysan ne l’aperçoive pas.
Il ne lui restait plus que quelques mètres à parcourir…
Encore un peu…
Allez, un dernier effort…
Et…
« Renart !
- Tibert ? » sursauta Renart.
Et avant que Renart ait eu le temps de dire « ouf », Tibert avait commencé :
« Cette andouille est à moi, je l’ai vue le premier ! s’exclama-t-il.
- Tu n’y es point ! Cette andouille m’appartient : j’allais justement la prendre ! » répliqua Renart.
Sans surprise, ils pensèrent exactement la même chose : « Il va voir ce qu’il va voir ! »
La tension augmentait…
Prêts à bondir sur l’objet de leur désir, le goupil fronçait les sourcils et le chat le fixait.
L’andouille si convoitée serait à celui qui l’emporterait le plus rapidement.
Comme par hasard, ils mordirent le saucisson en même temps.
« Cela suffit, ce déjeuner devrait revenir à celui qui le mérite le plus. Par conséquent, le plus fort, c’est-à-dire moi, déclara Renart.
- Pas du tout ! T’es-tu seulement regardé ? Ton gros museau maladroit, ton corps malhabile… Cette andouille me revient de droit. »
Ce désaccord généra une longue dispute et, au bout d’un moment, ils décidèrent de régler leur problème par un duel.
Ils allaient commencer le combat quand Tiécelin le corbeau arriva.
« Je vous souhaite bien le bonjour ! Oh ! Ah, mais que vois-je ? Vous vous apprêtez à vous bagarrer pour une andouille ? Mais enfin, messieurs, j’ai une solution bien plus simple ! se moqua Tiécelin en s’emparant du saucisson, sans laisser le temps aux deux compères de réagir.
- Mais… enfin… attends ! s’écria Tibert.
- Taratata ! Vous allez voir comme ma solution est simple ! » dit Tiécelin.
Il s’envola sur une branche et entreprit de couper avec son bec l’andouille en deux parties égales. Malheureusement, il ne parvint pas à obtenir un équilibre parfait : une « moitié » était plus longue que l’autre.
« Ne vous inquiétez pas, je vais arranger ça, » s’excusa Tiécelin.
Il avala un morceau de la part la plus grande.
Seulement, la part la plus grande était désormais la plus petite.
Tiécelin recommença son petit manège jusqu’à ce qu’il ne reste plus que deux petits bouts.
Il déclara qu’il devait égaliser encore et engloutit le premier bout.
Puis, il informa les ennemis qu’il se voyait dans l’obligation d’engloutir le dernier morceau : il avait résolu leur conflit.
Sans plus attendre, le corbeau s’envola dans la forêt profonde et laissa là les deux animaux bouche bée.
Ils étaient si étonnés de la ruse inattendue du corbeau qu’ils ne remarquèrent pas le paysan arriver.
Quelle ne fut pas leur surprise !
Le paysan était très mécontent et il poursuivit Renart et Tibert à travers tout le bois.
Quand ils réussirent enfin à échapper au paysan furieux, l’après-midi avait déjà commencé à pointer le bout de son nez.
Tous deux mourraient de faim.
Aussi, quand ils aperçurent à nouvau Tiécelin avec un jambon, la faim fit place à la rage et au désir de se venger.
Pour une fois, ils décidèrent de s’unir.
Renart commença :
« Tiens, notre ami Tiécelin ! Quelle bonne surprise ! s’extasia-t-il, d’une voix qui se voulait aimable. Comment vas-tu ?
- Bien, merci.
- Dis-moi, ne voudrais-tu pas nous rendre quelque petit service ? demanda Tibert d’un ton mielleux.
- Oh, vous me connaissez, honnête, serviable, modeste et généreux comme je suis, je me dois d’accepter ! » s’enorgueillit le corbeau.
Les deux compères dirent à Tiécelin qu’ils connaissaient une vieille femme malheureuse et qu’une petite visite de leur part à eux trois lui ferait plaisir.
Alors, le corbeau, ne se doutant de rien, suivit les deux trompeurs jusqu’à une pauvre maisonnette.
Ils frappèrent à la porte de la bicoque au moment où une grand-mère grincheuse déposait une galette toute dorée sur le rebord de la fenêtre pour la refroidir.
Renard et Tibert coururent se cacher derrière la chaumière, laissant Tiécelin tout seul face avec la vieille.
« Oooh ! Vilain corbeau, vas t’en ! Va-t’en ! grinça-t-elle en s’emparant d’un balai pour chasser l’oiseau.
- Je suis là ! Ah non, ici, maintenant ! Ha, je suis trop fort pour vous, n’est-ce pas ? » se vantait Tiécelin qui prenait un malin plaisir à narguer la vieille.
Pendant ce temps, Renart et Tibert avaient discrètement dérobé la belle galette.
Tiécelin le remarqua aussitôt et fit ses adieux à la grand-mère non sans se moquer d’elle.
Renart et Tibert s’apprêtaient à dévorer la pâtisserie pour apaiser leur faim quand le corbeau leur dit d’un ton méprisant :
« Pouah, vous mangez une tarte contenant des vers et des insectes !
- Mais enfin, que nous racontes-tu ? Cette galette a l’air très bonne, répondit Renart tout en observant plus attentivement le gâteau.
- Mais non, regarde bien ! Ne voyez-vous pas les asticots qui grouillent ? interrogea Tiécelin.
- Arrête de dire des sottises, maudit corbeau ! » se fâcha Tibert.
Ils se retournèrent pour punir Tiécelin en le tapant mais celui-ci saisit la galette dans son bec et s’envola sans crier gare.
Il leur cria :
« Mes chers amis, vous avez eu la bonté de me faire confiance, et par deux fois ! Voilà votre récompense : un bon régime, quoi de mieux pour garder la forme ! Moi, je m’en vais : il faut que je digère cette andouille savoureuse, cette galette exquise… Surtout, ne me remerciez pas : comme je vous l’ai déjà dit, ma générosité est sans pareille ! »
4 avril 2021
C'est plein d'humour et j'ai passé un excellent moment.
Les corbeaux et les merles sont réputés pour leur vive intelligence.
Je vous souhaite une excellente soirée.
Oui, on blâme souvent les corbeaux comme des "animaux maléfiques" mais non, c'est faux !
Je vous remercie pour votre passage ici et votre gentil commentaire.
Bonne continuation,
RoseRose
J'ai pris beaucoup de plaisir à lire votre histoire inspirée des fables de la Fontaine.
C'est drôle, bien enlevé et je n'ai pas été déçue par la fin où les deux prédateurs réputés pour leur ruse notamment le renard se font encore rouler dans la farine de la galette.
Très sympa, merci.
Bonne continuation.
Effectivement, j'ai voulu faire en sorte que le personnage qui semble être le plus faible soit celui qui tire les ficelles.
Un monde où les plus forts établissent leurs lois n'est pas un monde où il fait bon vivre.
Vive les corbeaux et leur intelligence !
Merci beaucoup pour ton commentaire !
RoseRose
C'est vrai que le corbeau a traditionnellement le mauvais rôle dans les histoires. Est-ce à cause de sa noirceur qu'on le déteste autant ?
Et pourtant, il paraît qu'il est un des animaux les plus intelligents qui soient.
Merci pour ton comm' qui me fait bien plaisir.
RoseRose
merci beaucoup pour ton gentil commentaire !
Moi aussi, j'ai beaucoup aimé "Roule galette" (et d'ailleurs, j'aime toujours).
" Galette, galette, je vais te manger !". Ah, mais trop tard ! Tiécelin s'en est emparé...
À très vite,
RoseRose
merci beaucoup pour ton gentil commentaire !
Moi aussi, j'ai beaucoup aimé "Roule galette" (et d'ailleurs, j'aime toujours).
" Galette, galette, je vais te manger !". Ah, mais trop tard ! Tiécelin s'en est emparé...
À très vite,
RoseRose
Je ne comprends pas, c'est donc une réécriture ?
Merci pour ton comm' !
À bientôt,
RoseRose