Quand je ferme les yeux, la Singularité écrase mes ténèbres ; elle les déchire en mille nuances de noir. Quand je ferme les yeux, la Singularité m’envoûte ; pareille à une sirène, son chant subjugue mes sens. Quand je ferme les yeux, la Singularité m’appelle ; elle me somme de la rejoindre en son sein.
Pathie m’a formellement défendu d’une telle folie. Un sort pire que la mort m’attend si je réponds à l’Appel de la Singularité.
La Singularité me harcèle le jour et la nuit ; sous le soleil, le vent et la pluie ; tout le temps, sans répit. La Singularité bourdonne à mon oreille et écarte le bon sommeil. Ma santé se ruine, nostalgique d’une longue et paisible nuit. Si je ne trouve pas un remède, la vie risque de m’échapper. Sa fuite a déjà commencé.
Je suis malade Faustus, comprends-le bien. La Singularité m’empoisonne, corps et esprit. Une folle agonie me guette si je ne m'engage pas dans cette quête. Mon voyage constitue un espoir solide. Vale, la cité-monde, détient le savoir universel. Mon nouveau statut de citoyen m’en ouvrira les portes et derrière elles, la promesse de faire taire ce maudit Appel.
Mon départ n’a pas d’autre ambition que la survie.
Je comprends ta surprise et ta colère. J’excuse l’insulte et la dispute, les esprits échauffés de passion. Tout ce temps, je t’ai caché la vérité et, alors que le deuil nous frappait, j’ai choisi de te la révéler. Je ne souhaitais pas disparaître sans un mot. Je te devais cette vérité. Toi le premier tu le sais, j’ai toujours cultivé le secret. Je suis ainsi fait. J’aime errer dans le silence et la quiétude des ombres, de crainte que la furieuse lumière ne me brûle. Parfois, à trop m’empêtrer dans cette solitude, la maladresse me gagne quand la nécessité impose de parler vrai.
Je te prie de me pardonner. Pour cet amour déraisonnable du secret. Pour mon départ au lendemain de notre perte, le chagrin vivace et profond. Pour être un bien mauvais frère.
Si je m’y confie tout entier, cette lettre réparera peut-être mes torts ; du moins apaisera les passions qui nous ont animés hier. J’espère que ces humbles mots me donneront raison.
Il m’en coûte de t’abandonner à notre cité endeuillée, notre tendre Arpa, orpheline de Pathie, sa plus belle âme. Comprends bien, la volonté de l’imperator balaye sous un revers d’indifférence la moindre peine. Un tel feu ne se nourrit point des émois communs à la plèbe. Encore moins s’ils fleurissent en province. Cet homme, Titus Livius, ne souffre pas l’attente. Alors, ne juge pas trop sévèrement ma prompte obéissance. Je craignais de mettre au défi la patience patricienne. « Vite » a répété l’imperator tout au long de son billet. Vite, ai-je voulu agir.
Toutefois, malgré la brutalité de l’injonction et la précipitation, mes pensées n’ont cessé de s’inquiéter pour toi et les nôtres. Ainsi, il m’est apparu que je te devais la vérité. La pudeur et la timidité ont fait de moi un piètre orateur. Maladresse après maladresse, je t’ai révélé une volonté confuse et embrouillée. Tu ne comprenais pas pourquoi je te quittais. Ta colère et ton chagrin avaient raison de se plaindre d’un frère dénué de vertu.
Aujourd’hui, l’écriture a clarifié ma parole. Elle y est plus sobre et limpide. J’espère que tu partageras mon avis. Le temps me manque. Je ne puis me confier davantage dans ce billet. Le ciel rosit déjà à l’horizon.
Je ne t’abandonne pas, mon frère. Chaque jour, je t’écrirai. Je te ferai le récit de mon voyage à Vale ; de mes autres vagabondages, peut-être, si la destinée en décide ainsi. Ma correspondance sera ta nouvelle compagne, le souvenir de ma personne, de notre amitié, de notre vie passée.
Mes lettres transformeront cet amer adieu en un tendre au revoir.
Bien à toi, mon frère.
Arpa.
IV, Solstice Doré, matin.
Je n'ai pas eu l'occasion de lire la première version de ton texte, mais je suis intriguée par l'idée, par la forme aussi, un sacré exercice de style.
PS : J'ai aussi, je l'avoue, été attirée par la couverture façon éditions les Belles Lettres, le pastiche est parfait :) hop, dans ma PAL
Petit hommage à ces jolies couvertures rouges que j'aime tant :D. J'espère que la lecture te plaira !