.II. Partie 2

Par Filenze

Azel scrutait sa grande-sœur perdue dans ses pensées. Il connaissait ce regard déterminé. Elle était sans doute en train d’inventer toutes sortes de stratégies pour parvenir à ses fins, quelles qu’elles fussent. Cela l’impressionnait toujours. Lui était d’un naturel très réservé et préférait composer avec les évènements plutôt que les provoquer. Il retira le bras de sa sœur qui enserrait ses épaules et lui dit :

« Moi aussi je te protégerai, Amédée. Mais s’il te plait, ne fait rien de trop dangereux. »

Il appréhendait car il savait qu’elle était capable de déchaîner ses sentiments comme l’orage déchaîne la foudre. Parce que leur mère était morte à la naissance d’Azel, Amon leur avait fait régulièrement promettre de veiller l’un sur l’autre. Depuis qu’il était parti, ils sentaient qu’ils avaient besoin de ce lien, mais leur souffrance les éloignait tout à la fois. 

Les jours se succédèrent. Pour Amédée et Azel, les matinées étaient destinées à l’étude de la lecture et de l’écriture auprès de la prêtresse et les après-midis aux travaux de la ferme. Grand-père Fazam avait créé un petit jardin où Azel était le seul autorisé à organiser la culture. Cela faisait partie de l’apprentissage de son futur métier, mais pour le garçon, il s’agissait plutôt d’y exercer son art, et il adorait cela. Les fleurs côtoiyaient, les fruits et les légumes colorés dans des assemblages qui tenaient plus de l’architecture que de l’agriculture. Les insectes pollinisateurs y vrombissaient allègrement tandis qu’il devenait difficile de distinguer les ailes de papillons des pétales des fleurs. Les plantes y étaient trois fois plus grosses et les récoltes plus abondantes que dans le reste de la ferme pourtant menée d’une main de maître. A chaque fois qu’Amédée l’assistait dans son jardinage, elle avait la sensation d’entrer dans un royaume magique, une forêt paradisiaque où son frère appelait chaque plante par son nom comme un roi saluant ses sujets. Il était pourtant jeune et si frêle qu’il disparaissait aisément dans la végétation luxuriante. Amédée avait passé tant de bons moments dans cet endroit, la plupart avaient consisté à embêter son frère, en déclenchant des batailles d’eau ou en jouant à chat entre les rangées de tomates. Ces scènes de course-poursuite épiques se terminaient à l’abris des grandes jambes de son père face à un Azel détrempé et vexé. Tous ces jeux lui semblaient si lointains. Grand-mère Dalila avait rejoint le petit-jardin avec un panier. Elle passa ses doigts bruns dans les cheveux d’Amédée pour en retirer un brin d’herbe puis admira les haricots ramiers mélangés aux melons qui formaient une arche ombragée au-dessus d’elles. Elle déclara, émue :

« Ton frère à un don. »

« Le même que celui de maman ? »

Amédée voulait qu’elle lui parle de sa mère dont elle n’avait de souvenir que ce qui lui en avait été conté. Dalila posa son panier et s’accota sur une roche fraîche en lui souriant.

« Oui, Azura était une jeune femme fantastique. »

Elle avait pris son intonation de conteuse que la petite fille aimait tant. Elle s’était assise, les genoux serrés contre son ventre et regardait le décor sans le voir, son imagination portée par les paroles de Dalila.

« Enfant, Azura était une vraie petite sauvageonne. J’étais très inquiète pour elle car elle s’amusait à parcourir l’Oasis des journées entières sans jamais donner l’impression de la solitude. Elle allait nu-pieds par des chemins connus d’elle seule et ne revenait qu’au soir, les bras chargés de variétés de fruits que nous ne connaissions même pas ! Lorsque je la grondais, elle était si abattue de me déplaire qu’elle en pleurait pendant des heures. Mais dès le lendemain, sans même s’en rendre compte, elle courait après un papillon et disparaissait à nouveau dans la forêt pour ne rentrer que le soir. Ton arrière-grand-mère me répétait qu’elle devait être possédée par un bon djinn car elle était capable de dire exactement ce dont les plantes avaient besoin pour bien pousser et pouvait prévoir l’arrivée des voyageurs plusieurs heures à l’avance. Lorsqu’on lui demandait comment elle l’avait deviné, elle disait simplement qu’elle le savait. Rien ne lui faisait peur, ni les esprits, ni les monstres des contes. »

« Mais comment elle faisait tout ça ? »

Dalila haussa les épaules. Elle-même avait été bien incapable de dire d’où cette enfant avait tiré ses dispositions, et à l’époque, son esprit superstitieux en avait conçu une certaine peur. Sa propre fille lui avait évoqué les sorcières des légendes qui parlaient aux bêtes et aux esprits. Cela l’avait terrifié et elle en éprouvait de la honte aujourd’hui.

– Ça s’est arrêté lorsqu’elle a rencontré votre père ».

La gorge d’Amédée se noua. L’évocation de la mort de sa mère était un moyen de stimuler son imaginaire, mais celle récente de son père lui broyait les entrailles de chagrin.

« Lorsque tu es née, elle ne voyait plus que toi, tu étais le plus grand des trésors à ses yeux et … »

Les yeux fatigués de Dalila devinrent vitreux :

« La naissance d’Azel fût très difficile, la fièvre avait pris la pauvre enfant, elle refusait de lâcher le bébé et empêchait quiconque de s’approcher… elle était tombée gravement malade et n’a pas survécu ».

Parler du décès de sa fille plongea Dalila dans sa douleur passée. Elle leva la tête et vit Azel venir dans leur direction, un sourire radieux sur le visage.

« Qu’un aussi grand bonheur que la naissance d’un enfant côtoie un aussi grand malheur que la mort d’une fille ne devrait pas exister… ».

Amédée se releva et glissa sa main dans celle de sa grand-mère. Azel s’approcha et leur montra des petits fruits, guère plus gros que des baies, qu’il tenait dans le creux de ses mains.

« Regardez ce que j’ai réussi à faire pousser ! Ce sont des prunelles, mais au lieu d’être acides elles sont sucrées comme le miel »

Elles goutèrent les petits fruits succulents alors qu’Azel enchaînait, très excité :

« Je vais essayer de les croiser pour obtenir un noyau plus petit et plus de chaire ! »

Amédée l’écoutait d’une oreille distraite, elle aurait aimé être capable comme lui de se plonger dans une activité pour ne pas trop penser. Mais elle n’avait pas sa capacité à s’absorber totalement dans une tâche. Même s’ils passaient leur temps ensemble, Amédée avait souvent l’impression d’être une spectatrice, surtout lorsqu’Azel était plongé dans ses pensées si mystérieuses que lui-même ne parvenait pas à les exprimer clairement. Dalila les serra tous les deux dans ses bras, sa tunique usée sentait le jasmin, puis tous trois entreprirent de récolter les fraises qui poussaient à l’ombre de l’arche. Au bout d’un certain temps, Amédée demanda :

« Pourquoi maman a perdu ses pouvoirs étranges quand elle a rencontré papa ? »

La grand-mère en profita pour se redresser et étirer son dos douloureux, avant de répondre :

« Peut-être qu’elle ne les a pas perdus, mais qu’elle leur a accordé moins d’importance ? Peut-être était-ce parce qu’elle était en train de devenir une adulte ? Je ne saurais dire... ».

Azel ne comprenait pas comment c’était possible, lui n’avait pas d’autre façon de percevoir le monde que la sienne, s’il la perdait, il se perdrait lui aussi. Peu lui importait que les murmures et les soupirs qu’il percevait furent ceux du monde des esprits, ils lui prodiguaient un si grand réconfort en ce temps de deuil qu’il n’aurait pas pu tenir sans. 

Ce soir-là, ils dégustèrent une délicieuse tarte aux fraises et Amédée eut sa première nuit de sommeil sans cauchemars depuis la mort d’Amon. Elle rêva d’une fillette intrépide qui chevauchait le vent et parlait aux esprits de la nature.

Une semaine s’écoula. Le temps dans l’Oasis d’El Silma se vivait au rythme des récoltes. Les fraises, les melons, les variétés de pêches tardives étaient le travail des enfants durant les après-midis. Grand-père Fazam prêtait main forte pour la récolte des céréales dans les fermes voisines avant qu’on ne lui retourna la faveur pour ses propres moissons. Dalila préparait les condiments, stockait les récoltes et s’occupait des bêtes. Les deux enfants passaient leurs soirées avec Ourag et Galla dans le champ aux aubépines et s’essayaient à les chevaucher. Lorsque venait cette heure, Fazam et Dalila s’installaient silencieusement à la fenêtre de la salle à manger et buvaient le thé en les regardant, s’amusant à les voir tenter d’amadouer l’étalon par toutes sortes de promesses et de flatteries. Celui-ci dévisageait le frère et la sœur avec malice, ses oreilles en cœur tendues en avant. Il s’arrangeait toujours pour les faire glisser de son dos soyeux en douceur alors même qu’ils croyaient enfin tenir en selle, et il semblait prendre plaisir à ce jeu. Lorsqu’il en avait assez, il tolérait leur présence sur son dos et broutait en les promenant dans la pâture au gré de sa propre gourmandise.

« Tu as eu raison d’acheter ces chevaux. Ils sont un baume pour l’âme. »

Fazam passa son bras autour des épaules de sa compagne et le silence s’installa à nouveau entre eux. C’était un silence épais et empli de pensées indicibles qui exprimait à la fois le chagrin, l’amour et la reconnaissance d’être vivants.

« Demain il faudra que je me rende à El Silma, le Lame-noire devrait arriver et ils veulent que je sois présent pour l’accueillir ».

Malgré la douceur du climat, Dalila ne put retenir un frisson d’effroi. Elle avait été éduquée dans le respect des esprits et la crainte des démons. Elle avait toujours observé les rites que sa grand-mère lui avait enseigné pour éloigner le mal et la perspective qu’un tel être foule la terre fertile d’El Silma l’emplissait de crainte.

« Rien de bon ne sortira de sa présence ».

Fazam frotta le bras de son épouse pour la rassurer et son regard devint vitreux. Il avait vu les blessures sur le corps d’Amon et il savait que faire appel à un Lame-noire était la seule solution avant que le malheur ne s’abatte sur toute l’Oasis. Il conserva le silence cependant, ne souhaitant pas l’alarmer.

Le lendemain, Amédée ouvrit les yeux aux petites lueurs du jour. Son frère était endormi dans la couche à côté d’elle et s’agitait dans son sommeil en murmurant des plaintes indistinctes. Elle posa sa main sur sa joue à la couleur du caramel et attendit que ses tremblements cessent. La trace de cendre qui ornait son front et qui éloignaient les démons des endeuillés s’était effacée à cause de l’oreiller, aussi Amédée se recouvrit l’index du mélange préparé par sa grand-mère posé à côté du couchage et apposa à nouveau la marque sur son frère. Puis elle fit de même sur son propre front avant d’empaqueter ses affaires et de descendre au rez-de-chaussée.

Son grand père buvait le thé tandis que sa grand-mère pilait un mélange de teff rouge et de fonio pour les galettes. Son geste était répétitif et souple et emplissait la salle d’un bruissement rassurant. Elle leva des yeux étonnés vers sa petite-fille et, ramenant ses mèches grises dans son chignon, lui demanda :

« Pourquoi t’es-tu levée si tôt ? ».

Amédée posa ses yeux noirs déterminés sur sa grand-mère en lui déclarant :

« J’accompagne grand-père à El Silma ».

Le visage de la vieille femme se froissa de mécontentement. Elle regarda longuement Amédée, détaillant point par point son allure. La mort de son père avait posé une ombre dure dans ses yeux, elle n’était plus une petite fille même si elle en avait l’aspect. Elle haussa les épaules et, au grand étonnement de Fazam et d’Amédée, capitula rapidement :

– Tu iras m’acheter des teintures pour les tissus alors, et je ne veux pas que tu t’accoquines avec n’importe quel traine savate ! Surtout pas un de ces nomades qui emportent nos filles au loin !

Un sourire jaillit sur les lèvres d’Amédée qui embrassa Dalila sans réserve en la rassurant :

– Grand-mère, voyons ! Je n’ai que onze ans.

Dalila prit son petit visage aux traits fins dans le creux de ses mains parcheminées et entreprit d’ajuster son turban noir.

– Et voilà, belle comme une hirondelle bleue.

Amédée se sentit rougir et tira nerveusement sur le col de son caftan des beaux jours. Grand-père Fazam déplia sa silhouette osseuse et, clignant de l’œil à l’adresse d’Amédée, déclara :

– Je vais atteler Galla au carrosse de la princesse de l’Oasis.

Lorsqu’il quitta la pièce, Dalila confia son petit pécule à Amédée et lui énuméra les teintures dont elle avait besoin. Aussitôt, la petite fille prit une tablette de cire et un stylet dans son paquetage et nota les ingrédients sous les yeux défiants de sa grand-mère.

– Tu vois, j’ai écrit « IN-DI-GO ».

– Garde donc ta sorcellerie, tous ces signes et ces lignes me donnent le tournis.

Quand elle eut fini, elle enlaça sa grand-mère et prit place aux côtés de Fazam sur le siège de la charrette. Ce dernier se pencha pour embrasser Dalila et déclara :

– Embrasse Azel pour moi. Nous serons de retour demain soir. Dis-lui de tenir compagnie à Ourag.

Il claqua doucement de la langue et le martellement vif des sabots de la jument lui répondit, les propulsant en avant avec aisance. Alors qu’ils franchissaient la haie qui marquait les limites de la ferme, les hennissements d’Ourag retentirent et Amédée se sentit coupable de les séparer ainsi. Fazam l’observait en train de jeter des regards en arrière et la rassura :

– Ils doivent apprendre à vivre chacun de leur côté. Et regarde comme Galla est contente, elle ne prend même la peine de lui répondre.

La fringante jument avait pris un trot rapide et les menaient à vive allure sur la route de la ville. Ses oreilles étaient tournées vers l’avant et elle prenait grand plaisir à allonger sa foulée aérienne. Le chemin ombragé était bordé de caroubiers, d’argousiers et d’acacias et, dans la fraîcheur de leurs ombres fleurissait l'odorante menthe sauvage. Une ligne de saules blancs trahissait le passage d’une onde souterraine et s’arrêtait à la haie marquant le début de la ferme voisine. Les exploitations se succédaient sur la route de la ville que les pas de la jument avalaient à vive allure.

– Galla va nous porter deux fois plus vite que Kili, je n’aurais jamais été aussi en avance !

Amédée était véritablement heureuse de quitter la ferme où régnaient les souvenirs de son père et aurait aimé qu’Azel se joigne à eux. Une part d’elle-même se sentait triste de le laisser derrière, mais son projet était de rencontrer le Lame-noire et de trouver un moyen de lui prêter main-forte. Elle ne voulait pas l’impliquer dans cette aventure imprudente. De plus, laisser grand-mère seule pour travailler à la ferme n'eût pas été envisageable et la petite-fille s’en voulu d’être si égoïste. A mi-chemin, ils firent halte à un puits pour abreuver Galla. Fazam lui versa un seau d’eau dans l’abreuvoir et Amédée s’amusait à observer les oreilles de la jument qui bougeaient à chaque aspiration du liquide comme si elles l’eurent pompé. Leur arrivée avait attiré les habitants du hameau qui vinrent échanger quelques nouvelles et Amédée salua de la main un groupe de garçons de son âge. Ils la dévisagèrent de pied en cap, leurs visages virèrent au cramoisis. Ils éclatèrent de rire et se dispersèrent comme une nuée de moineaux. Amédée senti le rouge lui monter aux joues, son allure était-il si étrange qu’on se moquait ouvertement d’elle ?

Ils avaient repris leur route et Fazam, qui avait remarqué le trouble de sa petite-fille, l’interrogea du regard. Amédée fini par lui demander d’une petite voix :

–  Tu crois qu’ils ont refusé de me parler parce que je porte le deuil et que papa est mort d’une façon étrange ?

Le grand père tenta de masquer son émoi. Il n’avait pas envisagé que sa petite fille fut autant affectée par l’attitude anodine de ces enfants. Il réalisa que la mort de son père était le prisme à travers lequel elle voyait et comprenait le monde pour l’heure, et qu’il lui faudrait du temps pour qu’il en soit autrement. Il l’entoura de son bras libre, son autre main tenait les guides de Galla, et il lui dit en souriant :

– Je crois surtout que ces garçons n’avaient jamais vu une aussi belle demoiselle !

Amédée posa ses vastes yeux noirs sur le visage honnête de son grand père qui complétait son explication de façon convaincante :

– Ils ne se sont pas assez approchés pour voir la marque du deuil que tu portes et ils ne savaient certainement pas que c’était nous dans une chariotte tirée par un beau cheval blanc. Ici tout le monde connaît Kili.

Amédée serra ses genoux contre elle et déclara dans une moue :

– Et ben je préfèrerais qu’on me trouve moche et qu’on vienne me parler plutôt qu’on me trouve belle et qu’on m’évite !

Fazam éclata d’un rire tonitruant et, reprenant son souffle, lui déclara :

– N’aies pas d’inquiétudes, dans quelques années, ils feront tous la file pour venir te parler, on ne saura plus où les mettre.

Tout ceci lui semblait bien abstrait. C’était le début de l’après-midi lorsqu’ils atteignirent El Silma. Elle était si excitée qu’elle aurait aimé pouvoir regarder partout à la fois. La ville s’étendait sur les rives du grand lac turquoise Silma, et en son centre se dressait un souk couvert où se mêlaient les produits des fermes de l’Oasis et ceux des nomades, qu’ils fussent éleveurs de moutons et de chèvres dans les montagnes ou lointains caravaniers en route vers la côte. Un funduq de pierres blanches avait été bâti pour abriter les hommes et les bêtes venus de loin et le plus grand temple du Maître du désert qu’Amédée connaissait se dressait sur un piédestal de roche noble dans un jardin au bord du lac. 

– Ce soir nous irons chez ton grand-oncle Méloud.

Son grand-père lui montra de son doigt noueux le quartier des tanneurs perché sur la colline voisine. Amédée était impatiente de retrouver ses cousins et cousines, mais avant toute chose, elle devait apprendre ce qu’il était advenu du Lame- noire, et pour cela, elle ne devait pas quitter Fazam d’une semelle. 

Ils confièrent la jument aux lads du funduq et prirent le chemin du temple du Maître du Désert. Il était d’usage que chaque nouvel arrivant en ville vienne y recevoir sa bénédiction. Ils se débarrassèrent de la poussière du voyage, ôtèrent leurs souliers et se lavèrent soigneusement les mains et le visage. Amédée glissa sa petite main dans celle de son grand père et tous deux cheminèrent sur un chemin de dalles si blanches qu’elles reflétaient la lumière du soleil de façon presque insoutenable. De somptueux palmiers encadraient le passage vers l’autel et des centaines de fleurs aux senteurs exquises poussaient dans leurs ombres. Il y avait un grand nombre de personnes dans le jardin du temple. Elles venaient toutes présenter leurs hommages, parcourant ce chemin dallé poli par l’usage dans un calme serein qui rompait avec la rumeur de la ville. Seuls les oiseaux manquaient de discrétion, peuplant l’air de leurs chants exubérants, donnant en spectacle leur musique.

– J’ai l’impression d’être dans un des contes de grand-mère.

Ils avaient atteint les marches qui menaient au temple et les gravirent. C’était une structure métallique ajourée faite de bidri, un alliage de zinc et de cuivre plus noir que l’obsidienne où était incrusté de l’argent miroitant au soleil. Le temple avait la forme d’une cage de seize pieds de haut en forme de tour surmontée d’une coupole. Il jetait l’ombre des arabesques folles de ses grilles ouvragées sur les visiteurs qui l’approchaient. A l’intérieur de cette cage somptueuse et dépourvue de porte, il y avait un simple bassin rond où miroitait une eau claire et où s’aventuraient des pétales de roses et de coquelicots. Au centre de cette eau poussait un petit arbrisseau moussu et trapu.  

Fazam s’agenouilla devant le temple et sa petite-fille l’imita. Il entonna une mélopée sans mots qu’Amédée reprit, la bouche entrouverte. L’usage était de fermer les yeux en fredonnant la chanson du vent, mais elle était trop curieuse et releva la tête sans cesser de chanter. Le vent s’engouffra à travers la structure de métal en sifflant, souleva les pétales dans un tourbillon et affola sa crinière d’ébène. On racontait qu’un des bons génies protecteurs d’El Silma était enfermé dedans, et que, si un imprudent venait à ouvrir la cage, celui-ci s’échapperait et soufflerait si fort que le lac disparaitrait sous le sable d’Ilbachra. Amédée pensa que l’architecte du temple avait été plus que prévoyant en omettant de faire une porte à la cage, ainsi, l’Oasis ne serait jamais menacée par son génie. Elle reprit la main de son grand père et tous deux quittèrent le temple. Amédée avait prié avec ferveur pour que vengeance lui soit accordée, pour que la force lui soit donnée de vaincre son ennemi, quel qu’il fût. 

« Amédée, je vais me rendre à la salle du conseil des anciens et j’aimerais que tu restes auprès de Galla. Nous irons ensemble chercher les teintures pour ta grand-mère après. »

– Je ne peux pas venir avec toi ?

Son grand père prit un air faussement sévère en lui répondant :

– Je vous trouve un peu jeune pour faire partie du conseil des « anciens » mademoiselle ».

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Eldir
Posté le 05/12/2020
Bonjour, j'aime beaucoup cette deuxième partie jusque là cependant il y a une chose qui me questionne est-ce que Amédée est devenue un homme entre les deux partie, ou bien est-ce que c'était une femme que tout le monde appelait monsieur dans la première partie ???

Il me semble que c'est la deuxième situation qui s'applique et si c'est bien le cas je pense qu'il faudrait corriger certaine petite chose dans la première partie afin de rester "honnête", notamment le fait que le personnage est appelé "sieur Tombétoile" en dehors des dialogues (Ex : I.Partie 4 = A ce stade, seul le calme et la maîtrise du Sieur Tombétoile empêchait les membres de l’expédition de s’abandonner à la panique.)

Sinon le twist est très bien renversé l'image de ce guerrier avec une petite fille de ferme perdue dans un oasis de paix c'est vraiment bien. Après, et ce n'est qu'une idée en l'air, je pense que l'histoire fonctionnerais aussi bien dans l'autre sens car en partant de ce prémisse (=petite fille innocente de l'oasis), ça serait une évolution fascinante pour arriver à un point ou ce personnage massacre les démons par centaines au petit déjeuner...

Petite coquille : "son allure était-il si étrange" ==> était-elle

Merci d'avoir partager ce texte si surprenant et agréable.
Filenze
Posté le 05/12/2020

J'attendais vraiment qu'on me fasse un retour sur ce "plot twist" autour d'Amédée (enfin, plutot un narrative twist). Je le visualisais très bien dans mon esprit (j'étais toute enthousiaste de voir les réactions), mais je n'étais pas sûre de comment il serait accepté/compris par le lecteur (de peur que ça casse l'identification de certains et qu'ils se sentent "trahis", ou que ça n'ai aucun sens!).

J'avoue tout à fait que j'étais partie sur l'idée d'un personnage "féminin" qui, par son histoire et ce qui lui arrive, notamment sa "métamorphose" lorsqu'elle deviendra Lame noire, va dépasser la question de son assignation genrée... 1) parce qu'elle n'est même plus humaine (donc bon, être un homme ou une femme, ça perd un peu son sens) et 2) Parce qu'elle est perçue comme un être masculin puisqu'aucune femme ne devient Lame noire (nous verrons pourquoi), donc c'est un "impensé" de l'ensemble de la société sur cette question. :)

Ce qui m'amène à la forme d'écriture : j'ai essayé (mais c'est sûr qu'il y a des loupés) d'alterner entre un point de vue interne qui contournait tous les verbes d'état (évitant les accords, mais faisant parfois des phrases étranges) ; et une narration externe qui, soit évitait de mentionner le genre, soit qui traduisait le point de vue de "la majorité" des personnes présentes et qui percevait "Sieur Tombétoile" et non Amédée.

Ainsi "Sieur Tombétoile" est son titre, et elle (je ne sais même plus quel pronom lui mettre) se présente comme cela... j'ai donc triché en réutilisant ce titre pour éviter de répéter "Amédée" à chaque fois et ne pas dire "elle"... cela aurait rendu la chose indigeste. Et j'ai donc remplacé par des périphrases "le guerrier", "le Lame noire, le "Sieur Tombétoile" qui traduisent la vision majoritaire, et effectivement, dans l'extrait choisi, c'est le Sieur Tombétoile - ce qu'il représente - qui calme les mercenaires (qui ne connaissent même pas son véritable nom)... D'où ce côté malhonnête que vous soulevez...
Je vais retravailler dessus lorsque je réécrirais la première partie, mais c'est sur que ça va resté alambiqué.

Ensuite, si je construis le récit dans l'autre sens, en commençant par l'Oasis et en finissant par Amédée comme Lame noire implacable... c'est beaucoup plus compréhensible, mais on rentre dans un schéma type de développement du personnage qui empêche cet effet de surprise et une certaine... ambiance... un certain mystère autour d'Amédée. Je me dis que, dans ce sens là, ça donne peut être encore plus envie de lire comment elle en est arrivée là, (en tout cas, ça me donne plus envie de l'écrire, héhé :) ). Après, si je dois écrire une justification de 20 pages pour qu'on comprenne tout ça, c'est que ça ne doit pas trop fonctionner ^^'.héhé.

Merci d'avoir suivi cette histoire jusqu'ici avec autant d'attention, je suis obligée de ralentir l'écriture, mais la suite mitone et arrivera dans quelques temps :) J'espère que cette construction narrative ne vous coupera pas l'envie de lire la suite car vous retours réguliers étaient vraiment encourageants!
Et merci pour la coquille, je vais corriger :)
Eldir
Posté le 06/12/2020
Bonjour, non je trouve pas qu'il y ait besoin de 20 pages de justification et oui la version qui commence par un personnage badass et ensuite l'histoire de son origine est plus accrocheuse, c'est indéniable.

J'ai l'impression que vous avez mis beaucoup d'effort à créer cette surprise et je la trouve bien amenée et ... comment dire ... surprenante.

La réflexion que j'ai fait sur le "sieur Tombétoile" est plus le fruit de mon ignorance de votre univers. En effet vous avez admirablement esquivé les scènes d'exposition dans la première partie. Les informations sont distribuées au compte-goutte et c'est une bonne chose.

Peut être que ce qu'il manque c'est juste un peu plus de temps ou le lecteur aurait l'opportunité d'apprendre que tout les lames noirs sont des "sieur quelquechose". Peut-être même que ça y est déjà et que je l'ai raté.

Votre histoire est vraiment géniale, je vous encourage vivement à la poursuivre. J'ai hâte de lire la suite.

Bien à vous
Benebooks
Posté le 03/09/2020
Salut ! Ca faisait longtemps ^^
J'ai beaucoup apprécié ce chapitre. En particulier tout ce qui concernait le jardin de la famille et le pouvoir d'azel. La description du temple est très jolie également!

Allons y pour les coquilles :

« Moi aussi je te protégerai Amédée. : virgule après "protégerai"

Les fleurs côtoient, les fruits : j'enleverai la virgule après "côtoient" ; d'ailleurs ce ne serait pas plutôt "côtoyaient" ?

Ce soir-là, ils dégustèrent une délicieuse tarte aux fraises et Amédée eut sa première nuit de sommeil sans cauchemars depuis la mort d’Amon car elle rêva d’une fillette intrépide qui chevauchait le vent et parlait aux esprits de la nature : après "d'amon" je mettrai un point et recommencerai la phrase d'après à "elle rêva"

Grand-père Fazam prêtait main forte pour la récolte des céréales dans fermes voisines : dans LES fermes voisines


Grand-mère voyons ! Je n’ai que onze ans. : virgule après "grand mère"

et entrepris d’ajuster son turban noir. : entrepriT

et de trouver un moyen de lui prêter main-forte, elle ne voulait pas l’impliquer dans cette aventure imprudente : je mettrai "main forte ET elle ne voulait pas l'impliquer"

Amédée fini par lui demander d’une petite voix :
 Tu crois qu’ils ont refusé de me parler parce que... : tiret de dialogue manquant

Il ne se sont pas assez approchés pour voir la marque : ilS

un beau cheval blanc, ici tout le monde connaît Kili. : je mettrai un point après "blanc"

Amédée serra ses genoux contre et déclara dans une moue : contre ELLE


elle devait apprendre ce qu’il était advenu du Lame- noire : il y a un espace après "lame-"

- J’ai l’impression d’être dans un des contes de grand-mère : ce n'est pas un tiret cadratin

 entonna une mélopée sans mots qu’Amédée repris : repriT
Filenze
Posté le 03/09/2020
Merci beaucoup pour tes corrections. Et je suis contente que tu continues à apprécier même si on a changé de ton :)
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