Il était une fois...

Notes de l’auteur : Histoire mêlant la caricature, l'absurde et l'horreur.

Un représentant de commerce roule sur une nationale dans sa Mégane rouge Ferrari. Il est au téléphone avec un client. Il y a du mépris dans sa voix, il lui parle familièrement. 

"Mais M Ducloux, moi j'vous le dis parce que j'vous aime bien, mais vous ne pouvez pas passer à côté de cette offre ! Vous faites une grosse connerie là ! Écoutez, j'ai deux autres acheteurs sur le coup, je vais pas pouvoir les faire poireauter bien longtemps. Si vous ne dégainez pas assez vite, ça vous filera sous le nez… Oui c'est ça M Ducloux, réfléchissez. Mais vite! Je vous laisse M Ducloux, j'arrive à mon rdv.” Il raccroche. Quel con çui-là !

Il s'arrête dans un relais en bord de nationale. L'endroit est un peu interlope. Au milieu de nulle part, par-ci par-là des voitures désossées, d’autres en vente à la sauvage, une casse dans le fond, et une cinquantaine de poids lourds en tout genre. Il voit même un lama attaché à une corde. Ça sent le manouche ou le forain tout ça…

Le relais est quasi vide malgré l'affluence de camions garés dehors, seulement deux ou trois personnes accoudées au comptoir. Les autres doivent ramasser des champignons, ou cuver leur vodka dans leur soute en matant un porno. Il sort son téléphone, appelle son client, tombe sur la messagerie, prend une voix joviale et rassurante, l'affaire est encore à conclure: " Bonjour M Grouchard, je suis au rdv, je vous attends, à tout à l'heure". 

L'homme s'assoit, pose sa mallette, arrange ses documents, vérifie son portable. Pas de messages, il attend. Un rapide coup d'œil au lieu, rien de bien clinquant, un routier classique, vieillot, à l'hygiène douteuse même. Il regarde ce lama dans son enclos par la fenêtre. Qu'est-ce que cette pauvre bête fout là ? C’est p't'être pour la bouffer…

Toujours pas de messages, ça arrive parfois, le vendeur fait monter la pression à l'acheteur en jouant le dilettant. Il connaît le truc, toujours arriver un poil en retard, imposer son rythme, c'est pas à un vieux singe qu'on apprend à manger des bananes. Trente ans qu'il fait ce métier, il en a vu!

Il commande un demi pression pour tuer le temps. "Ça fera venir mon client !" Dit-il grassement à la serveuse, qu'il reluque sans modération au passage. Elle le remarque d'ailleurs et ne s'en offusque pas. Elle doit avoir l'habitude, ça doit même lui plaire, il en est sûr.

"Ça me donne faim tout ça" dit-il, jetant un regard complice aux gens du bar. Ceux-là lui retournent une expression bovine qui lui déplaît fortement. Bande de cons pense t-il, abrutis de camionneurs débilisés à force de rester dans leur habitacle pendant des jours comme des singes dans leur cages… Ils leur faut du contact! De l'échange ! Comme dans le métier de VRP ! Là on est dans l'humain! Et on fait tourner la baraque ! C'est grâce à moi que ces connards ont du boulot, faudrait pas qu'ils l'oublient!

Il commande un plat sur la carte, une bavette à l'échalote et un pot de Côte. Après tout, son client a du retard, il n'arrive pas à le joindre. Il a fait de la route, et puis il a besoin de se détendre un peu.

La serveuse arrive avec son plat. La sauce est épaisse et brune, la viande est dégueulasse et dure, pleine de nerfs, les frites sont molles. On ne dirait même pas du steak. "Qu'est-ce que c'est que cette viande de merde? moitié gras, moitié nerfs?! Du lama?”

Heureusement que la serveuse est bonne, y' a que ça qui le fait rester quelques minutes de plus. Ça et son client évidemment, mais ce connard a l'air de l'avoir planté. Il laisse son plat, se sert un nouveau verre de rouge. Le liquide tiède et âpre lui râpe le palais. S'être fait poser un lapin par l'autre guignole lui fout la rage à l'intérieur, et ce plat ignoble, c'est la cerise sur le gâteau de merde.

La serveuse revient. "Le repas ne vous a pas plu? "

  • Non c'était dégueulasse ! Jamais rien bouffé d'aussi infecte.

  • Vraiment désolée monsieur. Vous souhaiteriez néanmoins prendre un dessert ou un café ?

  • Non, je suis refait… Mais il y aurait bien un dessert qui me ferait plaisir, si vous voyez ce que je veux dire... Je pourrais laisser un gros pourboire.

La serveuse reste stoïque. Elle regarde le représentant fixement et froidement. Leurs regards se figent. Lui, une étincelle lubrique au fond des yeux, elle, placide et froide. Un ange passe…

  • En effet, il y a bien un dessert que je peux vous offrir pour rattraper votre déjeuner. Mais je vous laisse d'abord régler au bar. Je finis mon service dans 5 minutes. 

L'homme est étonné de cette victoire facile, sans négociation ou persuasion, ça le déstabilise un peu, mais après tout, c'est un vrai mec! Il dégage de l'assurance, du respect, du sex appeal! Comment résister quand l'occasion se présente. 

Il va vite régler quand la serveuse l'invite à l'accompagner non loin, dans sa maison. 

Il pensait se faire cette pute dans les chiottes, vite fait bien fait, mais si elle veut lui offrir le service premium, pourquoi pas. Mais ce sera pas plus de cinquante balles, et sur facture pour les notes de frais s'il vous plaît !

Il la suit hors du restaurant. Ça a l'air d'être une bonne salope celle-là… avec son air de “Monsieur votre bite à un goût” et sa grosse paire de miches. Il va bien le remuer son petit cul, comme un vrai petit déménageur breton.

Ils arrivent devant la bicoque. Le mec s'amuse devant cette toute petite maison cernée de camions plus grands qu'elle.  "Et ben! Ça doit te faire de la thune tous ces clients, t'aurais pu t'en trouver une plus grande avec tout le pognon qu'ils doivent te rapporter. Avec une piscine même!”

La demoiselle ne relève pas.

 

A l'intérieur, la jeune femme change de ton. Elle se fait séductrice. Étonnant? aucunement, il comprend tout à fait, avec son physique. La cinquantaine passés, la maturité, la sagesse, l'expérience, elles peuvent pas résister, c'est logique non? Elle, elle se retenait au restaurant pour ne pas froisser les péquenauds du bar, ça se voyait. Faut savoir donner le change et garder bonne figure. Sous son masque impassible, elle bouillonnait de désir… Qu'est-ce qu'il va lui mettre! Ça va être sale. Il est sûr qu'elle aime se faire cogner un peu celle-là. 

Elle lui offre un rafraîchissement, puis l'installe au milieu du salon sur une table de massage. 

Il se sent détendu, elle sait y faire la petite. Ça lui plaît, ça l'excite! Pendant qu'elle met de l'encens et de la musique, il balade son regard dans la pièce. Atypique comme lieu. Au plafond, des fresques grotesques de camionneurs avec des aigles, des chiens-loups et toutes sortes de conneries mêlées à des lumières led, des fanions. Sur un autel, dans le fond avec des miroirs, des petites statuettes dont une de Johnny qui bouge la tête, une vierge lumineuse fluo … Tout est de très mauvais goût et l'ensemble fait l'effet d'un temple.

Elle commence à le branler, le sucer, le type se laisse faire. Dans les enceintes passe un air d'orgue électrique, "Que je t'aime" du tôlier, son morceau préféré. Il y a 25 ans, il avait demandé la main de Monique sur cette chanson. Il ferme un peu les yeux, il se sent bien. Sa respiration se fait ample, son corp s’allège, les envies de sexe rude s'estompent, il veux que ça soit plutôt doux, tendre puis passionné finalement. Il repense à sa femme qui l’attend dans leur pavillon de Nogent. Que fait-elle en ce moment? Pense-t-elle à lui? Une chaleur étrange l'envahit, il n'avait jamais ressenti ça, même en Thaïlande dans ce salon de massage où il a découvert une partie de sa sexualité.  

Il rouvre les yeux et voit la jeune femme par dessous ses seins et devine ses yeux retournés, elle psalmodie un charabia, ça fait l'effet d'un disque passé à l'envers. Il sursaute, surpris. Mais putain?! si c'est pas elle qui le suce, c'est qui alors?! Il ne peut pas bouger ses membres, sauf la tête. Elle m’a drogué la salope! La pièce est remplie de camionneurs et de camionneuses, tous l'air plus cons les uns que les autres, complètement en transe, debouts tout autour de lui. Il y a même le lama! C'est peut-être lui le chef? Il arrive à lever la tête, le crâne chauve d'un homme d'un certain âge à l'aspect patibulaire fait des vas et vient sur son entrejambe.

Putain mais c'est quoi ce bordel?! Dégage de ma teub, connard!!!” Arrive-t-il à crier difficilement, à cause de l'anesthésique.

La musique s'intensifie, elle va arriver au refrain. La serveuse, comme possédée, accélère le débit de son psaume et s'arrête net au moment du “que je t'aime” final, sort une serpette, se dirige vers le chauve édenté qui se décale, empoigne le sexe dressé et le tranche d'un coup sec. 

La douleur se révèle, une fontaine de sang gicle. La drogue qui était dans la boisson ne fait plus effet. Il hurle. 

“Bande d'enfoirés !!”

La serveuse prend ce qui à l'air d'être une coupe de championnat de foot et la remplit du sang giclant puis la distribue à l'assemblée pour faire communion.

 

“Que je t’aime” cède la place à un morceau qui s’annonce interminable, “Les lacs du Connemara”, sous les hurlements et les suppliques du VRP. Puis chaque participant sort un énorme couteau de chasse et vient prendre une petite pièce de chair, comme autant de copeaux de parmesan sous une centaines de lames. Ce n’est plus un homme, c’est un chevreuil qu’on découpe au rythme de la chanson de Sardou.

C'est au final un corps évidé de sa chair et de ses entrailles qui gît sur la table, dans une mare de sang. Seule la tête est restée intacte, dans une expression de douleur intense. La pièce est vide, aucune trace de vie, à part le lama.

À l'intérieur du restaurant routier, un steak cuit sur le grill, un représentant de commerce rentre, s'assoit, il est agacé, sa voiture vient de tomber en rade. Il a repéré une Mégane rouge Ferrari en vente qui l'intéresserait, il aime bien la couleur. Pressé et désagréable, il commande une pièce de viande...

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Gredin_des_bois
Posté le 24/08/2024
J'aime beaucoup le style direct. Les descriptions sont vraiment efficaces, on sent bien le crasseux. Cela me rappelle une vieille nouvelle fantastique d'un homme traqué par les chiffonniers de Paris. Efficace.
Chapelon
Posté le 27/08/2024
Merci beaucoup pour votre commentaire, j'avoue que j'ai posté un peu fébrilement cette histoire et n'en ai pas reposté d'autre depuis. J'en reposterai très prochainement je pense prochainement
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