Ile, es-tu là?

Par Unam

Ce qui nous lie, c’est le bleu du ciel, le vert des arbres et la caresse du vent dans leurs feuilles. Ce qui nous connecte c’est l’eau de la pluie, les reflets du soleil sur la mer et le chant des oiseaux. Tout l’espace entre nous les éléments le remplissent et nous unissent à nouveau. Cet air que je respire tu le respires aussi. De tes poumons aux miens il va. De ma poitrine à la tienne il vole. Et comme ça, nous partageons, dans le plus grand des secrets et à la vue de tous, cet amour qui nous ressemble.

Quand vient le soir, le voile nocturne nous enveloppe dans une étreinte protectrice, et la lune, au-dessus de nos têtes, éclaire des promesses de renouveau. Elle me montre les étoiles pour rêver et trouver là les galets scintillants de mon retour vers toi. 

Oh mon île, si proche et si loin de moi, je te vois partout, dans les fleurs d’un jardin, le battement d’ailes d’un oiseau, dans les rires d’un enfant et dans ce vent qui souffle toujours autour de moi, comme les vagues avancent dans le coquillage posé contre mon oreille. Et alors je goûte, sur le bout de ma langue, le sel de tes alizées ; ou sont-ce mes larmes ? Est-ce ton sel que j’ai gardé au fond de moi pour être sûre de ne jamais te quitter ? Un jour viendra, je te retrouverai, comme je te connaissais alors, brûlante et passionnée, douce et aimante, riche et joyeuse. Et alors, je te ferai tout l’amour que tu m’as donné pour que l’on soit toutes deux guéries de ces mots qui nous séparent : exil, deuil, déracinée, perdue, là-bas. 

Toi ma belle, ma reine, mon argile. Dans tes montagnes se cache la source de mes désirs ; comme un joyau enfoui dans l’émeraude de tes forêts, elle brille sous ton soleil ardent. Ta lave coule dans mes veines comme la sève du fanjan profite à l’orchidée. Ta mer infinie me lie à l’univers. Et sous ton ciel étoilé, je vois Dieu dans toute ta beauté. 

Ah toi mon levant, toi mon couchant. Toi mon air, mon berceau et mon feu, c’est un mauvais sort qui m’a fait dériver loin de toi. L’eau qui parcoure tes vallées verdoyantes et se jette en cascades dans tes bassins bleutés ; cette eau, je l’ai bue et je la boirai encore car elle m’a ouvert les yeux sur tes précieux trésors, sur mes vrais dons du ciel.  Cette eau qui nous unit et nous sépare à cette heure dans des océans d’amour, de désespoir et d’amertume ; chaotiques, troubles, invisibles et pourtant si réels à la fleur de ma peau. 

Quel bonheur ce serait de t’entendre encore chanter et voir tes hanches se balancer, fluides comme kayamb qui roule, contre la houle affolée. Quel plaisir de sentir tes pieds nus piler la terre sèche au son des tambours, soulevant autour d’eux un nuage de poussière plus envoûtant que tous les mirages. Laisse-moi encore voir ton cœur exploser de joie quand ton volcan crache son feu vers des cieux qui n’attendent que toi pour déverser en pluies torrentielles, sur tes pentes escarpées, des sentiments presqu’oubliés ; abreuvant ta soif, rafraîchissant tes ardeurs, lavant tes blessures et te laissant nue et brillante dans le soleil du matin. 

Alors j’essaie de retenir ton odeur sur ma peau, ton goût sur ma langue, mais plus je m’efforce de suivre ta trace, plus tu t’effaces, comme si nous ne nous étions jamais connues, comme si nous n’étions pas liées pour l’éternité. Tu me retiens, comme une impression délicate sur le voile de mon inconscient, mais déjà je ne te sais plus. Comment est-ce possible? Seuls me restent l’ombre de ma peau et le sel de tes larmes, traces vivantes d’une mémoire inachevée. Te caches-tu bien en moi ? Est-ce bien confortable ? Comme au temps où tu me portais, au chaud, au calme, entourée seulement de ta beauté, de tes douces saveurs, de tes senteurs enivrantes et de tes vertus guérisseuses. Île, es-tu là ? 

 

 

 

 

 

 

 

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