C'est confus, ici bas, mon esprit cabossé peine à m'offrir quelques pensées cohérentes. Je ressens alors les vanités emplir mon être fatigué ; elles s'infiltrent, me transpercent, m'envahissent encore. Elles me prennent à la gorge et m'enserrent les poignets. Ainsi liée, je me sens perdue... Aveugle, je combats ces forces insaisissables auxquelles je me dois d'obéir. Je me soumets ainsi à ces puissances invisibles qui semblent vouloir imprégner ma carcasse brûlante. Mais celle-ci lutte encore, lutte toujours contre elles, en vain...
Alors je flotte entre deux eaux ténébreuses et épaisses. Cupides et curieuses, elles se plaisent à infiltrer tous les orifices de mon corps blessé. Mes membres ne répondent plus, comme englués dans cette prison humide et vaporeuse. Je m'imagine douloureusement inconsciente, comme les fois où l'on peine à s'extirper d'un rêve un peu trop persistant...
Soudain, mon corps se trouve brutalisé, et je me vois encore bien incapable de dire d'où provient ce brusque changement.
Et puis je chute. L'affreux calme cède la place à une tempête, le vent me glaçant le visage tels des longs couteaux d'argent léchant mes joues offertes. Mes mains toujours déconnectées ne peuvent les repousser, tandis que le sang me monte douloureusement à la tête. Elle me lance terriblement, comme en proie à une couronne d'épines prêtes à me lacérer. Et je sombre lentement, sombre indéniablement...
Mes genoux heurtent une surface dure, quelque peu humide. Je palpe la pierre, fait glisser sous mes doigts l'étendue rugueuse. Suffocant quelque peu, mon horizon s'éclaircit et le noir jusqu'ici omniprésent se dissipe peu à peu, quitte mes pupilles éthérées. Je découvre alors le nouvel univers qui se décline sous mes yeux fatigués. Ces pierres irrégulières paraissent s'aligner à l'infini. Je pourrais marcher des éternités, que mes pieds fouleront indéniablement le même sol, telle une litanie perpétuelle... A quelques pas de là se dresse une arche majestueuse, paraissant étrangère à ce décor d'outre tombe. Effrayante...
Et devant moi... Devant moi une femme.
Je contemple cette vision céleste,
Fumée opaque dont il ne reste que le séduisant squelette...
L'apparition bordée de bleu s'élève soudain,
Révélant sa figure dansante, enfin...
Je m'éveille alors, admire encore ce visage diaphane. Pâles et translucides, ses prunelles se posent sur cette porte, immense et grotesque, qui attire les viles âmes... Mon corps se sent irrémédiablement poussé vers l'antre de métal, incapable de résister.
L'esprit aux formes floues se plait à m'ignorer, me fascine convulsivement. Sa peau apparaît en filigrane, comme privée de sa substance. Je me persuade toutefois que je pourrais passer le doigt sur sa hanche dénudée et enfouir le visage dans cette épaisse cascade brune afin de me saouler de son parfum. Cette délicieuse apparition jure avec cette porte si froide et imposante. Je me sens pourtant brusquement jalouse de celle-ci, caressée des yeux par cette belle inconnue... Ses cheveux volent doucement en sa direction, comme guidés par une force magnifiquement diabolique.
Je suis alors ces douces opales et contemple l'arche à mon tour. Je perçois à l'intérieur quelques volutes de fumée, douloureux. Des âmes éperdues comme la mienne, éternellement retenues prisonnières, je les rejoindrais bientôt... Leurs supplications ne m'atteignent pas, glissent sur mon corps sans jamais le toucher, le caressant presque. Mais mes prunelles se lassent rapidement de cette abomination, se laissant indéniablement séduire par cette demoiselle...
Oh, ma charmante... Regorge-toi de mes passions délétères, avale ce désir qui me consume et m'empoisonne, ferme cette porte qui au devant de moi m'attend. Je sens le gouffre qui déjà m'appelle, désireux de me punir pour ces péchés.
Oh, charmante... Viens, viens te recueillir au creux de ma bouche, confesse entre mes lèvres tes amères erreurs, elles sauront te pardonner. Viens, entre tes phalanges pulse quelque chose qui pourrait m'appartenir. Au creux des miennes pourrait se trouver l'objet de tes désirs...
Aliène-moi, ma douce...
Contamine-moi,
Insémine en mon sein ce virus,
Ne m'abandonne pas...
Attache-moi,
Lie ces poignets et accroche-toi,
Encore...
Délivre-moi !
Assouvis cette passion qui lentement me lapide...
J'attends alors, incessamment, que ton visage vienne éclairer ces songes maléfiques, que doucement il les illumine. Tourne, retourne toi enfin... Mon corps tremblant peine, doute... Connais-tu cet endroit si froid ? Jamais mes prunelles n'ont eu à contempler une chose pareille, si glaciale et impersonnelle.
Rampante, je m'approche, savourant la distance qui peu à peu s'annihile. Je remarque alors que ses pieds nus ne font que frôler le sol. Oh, charmante... Mes faibles phalanges redessinent involontairement la courbe de ses mollets sans pourtant toucher sa peau habillée de fumée, l'imaginant à peine. Douce créature, insondable créature... Tends ta main, redresse moi, laisse admirer la splendeur de ton visage. Le néant me répondit alors, insensible...
La forme occulte se retourne et se rapproche de mon corps tuméfié, son regard spectral semble me reprocher mes avances. Je sens alors mon front me brûler, mes chairs se liquéfier. Et ses opales affamées savourent ce spectacle morbide...
Cette arche, trou béant, bouche ouverte qui ne peut qu'attendre ma venue. Je l'entends respirer, recrachant cet air putride, nauséabond. Malsain... J'ai l'impression qu'elle tente d'aspirer tout ce qui pour moi avait un sens. L'esprit décousu, j'halète. Je regarde à nouveau son visage affreusement souriant, presque lasse. Ses longs cils couvent le sombre de ses yeux, telle une louve. Les miens peinent à rester ouverts, ne pouvant me focaliser que sur la douleur irradiant mes membres.
Je ne sais si je suis encore femme ou amas de chair, femme ou agrégat de matière...
L'antre attire vers elle la moindre particule de mon être, atrophie chacun de mes atomes afin de les dévorer. Elle m'aspire goulument, se régale. Je sens alors que mon corps me quitte, que je me dissocie de cette enveloppe charnelle, me déchire... La muse m'observe, ses grands yeux posés sur ce qui, je crois, est mon âme. Sombre, si sombre ! Échouée... Je me trouve en cette porte désormais close, à mon tour prisonnière au milieu de toutes ces autres âmes déchues m'épiant, agglutinées. Leurs pupilles dilatées semblent me sonder, veulent-elles seulement me dévorer ?
La vérité me percute alors violemment, gifle ce qui reste de mon visage. Je n'étais qu'humaine, si faible ! Je réalise que je me trouve face au jugement dernier, et que la balance penche d'un bien mauvais côté...
Une femme...
La tentation et le jugement,
L'interdit et le châtiment,
L'échec, irrémédiablement...