Interlude - La princesse et l'étranger

Par Daichi

Depuis les fenêtres de la chambre mal rangée, malgré ses paupières fermées, les lumières de la ville lui parvenaient sans mal. Il ouvrit les yeux et, s’attendant à être illuminé par toutes les sources lumineuses qui pouvaient exister à Everlaw, ne vit qu’une chevelure obscure flottant au vent. Des cheveux qu’il avait lui-même délacés de leur chignon, alors que celle à qui ils appartenaient était dans ses bras quelques heures auparavant. Entre ces brins de jais passaient les rayons de ce qu’on appelait le cœur de l’Empire – pourtant, il ne fut aveuglé que par les deux yeux d’émeraude qui se tournèrent vers lui, au-dessus d’un sourire désabusé.

« Te voilà réveillé, l’étranger », dit la voix de la princesse.

Il voulut se relever, mais ses coudes le trahirent. Son corps était trempé, son souffle convulsé, ses yeux agressés par la lumière. La nuit avait été longue, trop longue. Ce bleu lui manquait, bien qu’il en eût honte devant son aimée. Elle clôt les rideaux pour l’apaiser et s’assit délicatement sur son bassin, posant une main douce sur sa joue de sueur. Elle chuchota pour le détendre, le caressa pour l’apaiser, guida son souffle et baissa ses paupières.

Puis, plutôt que les lèvres tant attendues, il sentit du métal contre les siennes. La brume qui s’infiltra dans sa bouche et ses poumons, en un « pshiiiit », le fit presque bondir. Presque, se rattrapant contre ses hanches. C’était alors, en une fraction de seconde, comme si sa sueur avait séché. Comme si son souffle s’était accordé à celle qui le maintenait, et la lumière de s’amenuir. Puis son visage lui apparut, plus brillant encore, mais d’une douceur qui le força à conserver ses paupières ouvertes.

« Reste allongé, lui ordonna-t-elle en rejoignant le fragile et fin balcon qui surmontait ce précipice fourmillant.

— Je ne suis plus si étranger que ça, répondit en retard celui qui la désobéit, déjà hissé sur ses jambes. Pas après ce qu’on vient de vivre.

— Peut-être bien. Ou pas. Nous ne nous reverrons sûrement plus, d’ici demain. Je suis déjà en retard pour rentrer, Père va être furieux… »

L’adolescent l’enlaça par-derrière, observant par-dessus sa petite épaule le grand gouffre de vie de Pontmarchais, au-dessus d’eux. Tous se mouvaient avec l’énergie du matin, si loin, mais pourtant si envahissants, brisant leur petit cocon solennel. Ils ne pouvaient se douter qu’entre les bras du mineur se tenait là l’une des figures les plus importantes du monde. Seuls les observaient de curieux oiseaux de métal, qui venaient de passer au-dessus de leur tête.

« Je n’hésiterai pas à venir lui demander ta main une nouvelle fois, sourit-il en réponse.

— Oh, non ! pouffait-elle en lui pinçant le nez. Tu n’as même pas réussi à grimper le portail la dernière fois… Ça ne compte pas vraiment.

— Bon, le lui demander tout court alors.

— Hors de question… Tu sais ce que tu risques. Et moi aussi, d’ailleurs. »

Il soupira dans ses cheveux, puis éternua à leur contact, libérant un rire de la gorge de son aimée. Il s’en satisfit, sa voix chantante lui arrachant un sourire. Il prit une dense respiration, heureux de ne point sentir l’air âcre des aérations mais l’odeur de sa princesse, ses poumons enfin libérés. Voyant qu’elle se tenait le plus loin possible de la partie la plus fragile du balcon, il lui prit la main et l’y emmena, ignorant ses suppliques paniquées.

« Non, Noah, s’il te…

— Allez, tu ne crains rien, je te tiens.

— Non ! (Elle se débattit avec force, les jambes tremblantes.) S’il te plaît, j’ai peur… »

Son sourire passa de l’espiègle au tendre, et sa main vint caresser sa joue, sur laquelle voulaient tomber quelques larmes.

« Tu me fais confiance ?

— Oui… Mais pas en mes jambes. Ni en mes bras. Ni en ce balcon.

— Alors je serai tes jambes, tes bras, et… C’est bizarre de dire que je suis ton balcon, non ? Ta rambarde alors ! »

Elle leva les yeux au ciel et, sachant qu’il venait de gagner, il l’attira contre lui. Il maintint le dos tout juste vêtu de la jeune princesse contre son torse, et l’entraîna près du vide. Se trouvaient là les restes d’un tuyau, maintenu depuis le toit du bâtiment par d’épais câbles. Épais ils étaient, mais des yeux de la jeune fille, ils paraissaient tels de fragiles fils de soie, ne tenant qu’un petit pont vers le vide prêt à chuter au moindre appui. Son jeune amant l’encouragea pourtant à y poser un pied.

« Je te tiens. Regarde, je ne lâche pas tes mains. Tu vois ? C’est facile. Encore un petit pas.

— Ça bouge…

— Nous aussi, on bouge ! Il suffit de bouger en même temps. Laisse-moi te guider, avance ton pied, tout doucement… Voilà. »

Voyant qu’elle tremblait, il embrassa son épaule et l’amena plus encore contre lui.

« Ne regarde surtout pas en bas. Si tu n’y arrives pas, alors ferme les yeux.

— J’imagine que tu seras mes yeux aussi ? le railla-t-elle pour se rassurer, paupières closes.

— Pourquoi pas ? Je serai ton corps tout entier, si tu en as besoin. Demande-moi, et je ferai n’importe quoi.

— Alors ramène-moi sur le balcon.

— Ça, pas question », ricana-t-il. Il l’aida à poser un pied devant l’autre, puis un deuxième, encore, jusqu’à cinq pas. La distance lui sembla suffisante. Le vent soufflait fort, depuis toutes les aérations de la cité, alors il la tint solidement par les mains, esquivant les cheveux qui dansaient au rythme des bourrasques. Elle respirait profondément, la moiteur de ses mains trahissant son vertige.

« Tu peux ouvrir les yeux. »

Alors qu’elle ouvrait les paupières avec hésitation, le jeune homme la fit tourner sur elle-même, d’une seule main tenue, ses pieds au bord du tuyau. Elle réprima un cri de frayeur, jusqu’à être amenée contre lui, ses lèvres sur les siennes. Paniquée, elle se rassura par un baiser, avant de se décoller vivement, le regard rempli de reproches.

« Tu es encore plus belle avec ce genre de regard, minaudait l’étranger en se maintenant d’une seule main sur un des câbles.

— Un mot de plus et je te coupe la langue. »

Il lâcha un rire enfantin, avant de l’embrasser à nouveau. Elle se laissa faire, soupirant de passion et d’exaspération mêlées.

« Qu’importe, dit-il ensuite. Sans, je t’enverrai des lettres dans ce cas ! »

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