Je crois que je dois me présenter.
Je m’appelle Saria. C’est mon prénom, le vrai. J’approche des 22 ans, si vous voulez tout savoir, ce qui fait de moi une « jeunette ». Mais en réalité, vous ne savez pas à qui vous avez affaire (je dois bien me vendre un peu pour vous faire boire mon histoire). Je suis chasseuse-herboriste-marchande-aventurière. Mais avant tout ça, je suis une femme vivante et assoifée de découvertes.
Enfin, ça, c’est ce que je veux. Je veux tout savoir sur tout. Ressentez-vous parfois cette sensation de soif intense quand vous voyez une chose si incroyable et pourtant si inconnue ? Cette sensation d’attirance mécanique lorsque vous apercevez un magnifique insecte posé là, mais que vous ne le voyez qu’à peine, du haut de vos longues jambes ?
C’est l’histoire de ma vie. Et c’est pour ça que dans mes petits carnets que vous pouvez imaginer pendus en ligne sur ma ceinture en lianes tressées, j’enregistre tout ce que je vois. Un poisson aux dents acérées capable de bondir hors de l’eau juste pour vous arracher votre précieux scalp ? Piranha blanc des vallées, alpages de Séquencie. Une plante qui, après que vous l’ayez touchée, vous enfonce des centaines de petits pics urticants à peine visibles ? Vierge de lierre, Tourbière de l’Embrun. Un petit gastéropode avec une coquille brune sur le dos et deux étranges petits yeux montés sur des tentacules disproportionnés ? … Un escargot. Vous ne connaissez pas les escargots ?
Passons. Ces connaissances, je les puise dans la nature qui m’entoure, vous l’aurez compris. Et à partir de mes précieuses données, je gagne ma pitance. Ce carnet-là, (si vous me laissez le temps de le sortir de ce fichu havresac bien trop grand), est beaucoup trop précieux pour être simplement pendu à ma ceinture. Non-pas que les autres ne le soient pas, mais ce carnet-ci est rempli de recettes de remèdes que je vends aux chalands, de techniques de découpe du bétail que je chasse, de nom de villages et lieux-dits où je me suis construite une petite réputation en tant que marchande. Si je perds ce registre, je ne sais pas exactement ce que je deviens. Ce qui est sûr, c’est que les temps deviendraient durs pour ma survie.
Voyez, page 50, c’est le début de la section sur la viande de poisson. J’ai répertorié la moyenne des prix que je pouvais tirer de chaque spécimen. Je vous ai déjà parlé du piranha blanc des vallées, n’est-ce pas ? Le spécimen entier, je le vends 600 grêlons en moyenne. Si je le découpe, je peux vendre chaque filet pour 250, le dos pour 200. Eh oui, 50 grêlons de bénéfice en main d’œuvre, plus une petite centaine si j’arrive à vendre la carcasse. Et des comptes comme ça, j’en ai des centaines et des centaines dans ce carnet. Or ne croyez pas que je suis corrompue par l’avarice, au contraire. Cet argent, je le gagne pour me nourrir et me loger. Les proies que je chasse et que j’abats meurent pour l’écosystème, pour l’Équilibre. Quand je décoche ma flèche dans le cou d’un daim, ce n’est pas pour apprécier sa souffrance, c’est pour me nourrir moi ou un village (ou les deux), c’est pour maîtriser la population de son troupeau. Croyez-moi, j’aimerais faire le bien.
J’aimerais sincèrement.
Mais peu importe pour le moment ! Pour le bien de votre immersion dans la lecture de mon témoignage, j’aimerais vous présenter ma petite hutte, perchée en amont de la vallée du Haut-Fer, à l’ouest du continent. C’est un bel édifice d’une poignée de toises de haut, entièrement construit par le charpentier du village, plus bas en suivant le cours d’eau. J’ai dû lui payer à peine cinq cents grêlons pour toute la structure. Pas beaucoup, n’est-ce pas ? Disons que j’ai bénéficié d’une sacrée ristourne lorsque j’ai sauvé sa fille malade des poumons. C’était il y a deux ans environ, quelques jours à peine avant la construction de ma demeure. La pauvre petite crachait un mélange de sang et de bile. Alors je lui ai préparé un remède réparateur à base de racines locales et de sève d’arbre qui lui a réparé ses tissus (j’ai promis de garder le silence sur l’origine réelle de son mal). Quand Tancharles, le charpentier, m’a proposé la construction pour seulement une quatre-centaine de grêlons à la suite de mon petit service, je n’en demandais pas tant. En fait, je n’attendais même rien du tout, étant donné que le simple coût des matières premières revenait environ à 350 grêlons. Mais il a beaucoup insisté, déclarant même que les divinités étaient de vastes canulars et que j’étais la seule bonté divine ici-bas. J’avoue que je n’ai rien trouvé à répondre à cela.
Mais revenons-en à nos… maisons. De l’extérieur, ma petite cabane se résume à un grand mur circulaire de cinq toises de diamètre, bâtie en bois brut de semetrus- l’arbre le plus commun dans la région, je vous le présenterai plus tard. Sachez juste qu’il est splendidement brun foncé et naturellement brillant. Perché sur ce mur à peine plus grand que moi, un toit de chaume jaune comme sa paille mêlée à un peu de lianes et d’écorce pour l’étanchéité. Le toit voûté se rejoint en un point culminant sur lequel j’ai planté une girouette en forme de poisson (parce que pourquoi pas). Et évidemment, imaginez sur le mur une porte et quelques fenêtres qui rendent l’intérieur bien lumineux. D’ailleurs, entrons.
Heureusement que vous ne savez pas que je me suis rétamée sur le pas de la porte en trébuchant sur un vêtement. Heureusement.
Bienvenue chez moi ! Grâce à mon formidable savoir-faire en rangement et en décoration, l’intérieur semble bien plus grand que la structure elle-même (mais je ne suis pas magicienne). Juste à gauche, c’est là où je range mes vêtements. Oui, juste à côté de la cuisine, je manquais cruellement de place à cause de tous mes outils de travail, figurez-vous. De toute manière, j’ai besoin de peu pour me nourrir : une petite cheminée pour faire chauffer les poêles, et un chaudron pour préparer les bouillons. Ça me suffit. A droite, maintenant, ce sont mes deux bibliothèques où je range tous mes bouquins et carnets, tous plus ou moins utiles. Prenez-en de la graine, parce qu’il est rare de trouver autant de livres chez les locaux. C’est pour ça que je les mets en valeur avec ce magnifique tapis en mousse morte cramoisie, d’ailleurs. Un plaisir pour les pieds, croyez-moi.
Dépassons le paravent, maintenant. L’autre moitié de mon habitation est consacrée à la nature, à mon travail et mes connaissances. A droite, c’est la station d’alchimie où je prépare les remèdes et l’équipement de soin. Je vous arrête tout de suite, je ne suis pas médecin. Simplement herboriste.
Au milieu, autour de l’âtre (devant lequel j’aime passer mes soirées, assise sur mon fidèle tabouret), c’est mon atelier d’artisanat. Quand je dois tresser un tissu, réparer ou concevoir un outil, huiler des flèches, c’est ici que ça se passe.
Et enfin à gauche, mon bureau. J’y écris, j’y lis, j’y rêve, j’y dors parfois. Même si je préfère mon futon, contre le paravent juste à côté.
Et voilà mon humble demeure, le tour est vite fait. Je trouvais cela important de vous la présenter en détail, étant donné que c’est ici que je me sens évoluer. Lorsque je m’aventure à travers la nature, que je chasse, que je cueille, je progresse dans mon accumulation de connaissances. Mais c’est chez moi, ici, que je concrétise mon progrès, que je note mes découvertes en détail, que je signe mes carnets, même si je n’y passe pas tout mon temps.
Bon. Maintenant que vous avez le contexte (et que je suis bien installée devant mon âtre encore chaud), vous devez toujours vous demander pourquoi vous lisez ce texte. Pourquoi cette folle semble se parler à elle-même depuis dix minutes à travers du papier et un fusain.
Si je procède ainsi, c’est car je crois bien avoir fait une découverte au-delà du révolutionnaire, au-delà de l’imaginable. Une découverte autour de laquelle peu de personnes gravitent et dont les hypothèses me semblent toutes déraisonnables. Mais je ne veux pas vous faire peur ! Cette découverte est extraordinaire, si tant est qu’elle soit réelle. Extraordinaire, sublime, débordante d’espoir et de promesses.
Si j’ai raison, alors le monde entier changera de visage. Maintenant, imaginez-vous être à ma place. J’ai moi-même du mal à me faire confiance. C’est pourquoi à travers ce témoignage, je veux tout vous faire parvenir. Tout ce que j’ai vu, entendu, ressenti pendant ces quelques mois si significatifs. Je veux que chaque personne qui trouvera ce carnet puisse se mettre à ma place, adopter mes yeux, ma peau, mon odorat, mon temps et mon espace.
Ou peut-être bien qu’au fond, je cherche simplement à n’être pas oubliée. Ne pas mourir complètement, exister encore un peu dans un monde sans moi.
Peut être que j’espère qu’en lisant ce texte, vous aurez une pensée pour Saria.
J'aime beaucoup le point de vue choisi : c'est bien réussi cette adresse directe au lecteur, on se croirait au théâtre, avec la narratrice/protagoniste qui nous plante le décor avec un regard qui circule bien (du paysage et des plantes environnant.es à la petite chaumière) comme un mouvement de camera, on se sent dans la confidence notamment avec un petit côté décontracté et humoristique, dans un registre de langue assez actuel (les tas de linge sale) et en même temps fantasy (le havresac) ajoutés dans les apartés et parenthèses. Ça rend le personnage attachant, et on a envie de savoir quelle est sa découverte.
Le chapitre termine sur une note mélancolique/inquiétante : sa découverte met elle sa vie en danger ??
La couverture du livre aussi est bien choisie (elle m'a attirée dans ton histoire).
Ensuite pour les remarques de style je n'ai presque rien à redire, si ce n'est sur deux phrases :
- je suis une femme vivante et brûlant de découvrir = on attend la suite de découvrir quoi ? Ou alors brûlant n’est pas un participe présent mais un adjectif, et cela devient : « brûlante ». Pour clarifier je remplacerais par une expression type : « assoiffée de découvertes », « ivre de trouvailles », ou n’importe quoi d’un peu plus clair …
- un toit de chaume jaune comme la paille qui le compose majoritairement, mêlée à un peu de lianes et d’écorce pour l’étanchéité. = j’enlèverai le « qui le compose majoritairement » car je trouve que ça alourdit la description même si j’entends l’idée d’une description sur un ton scientifique, je trouve que c’est un peu too much.
Voilà pour les remarques, n’hésitez pas à me dire si elles ne sont pas bienvenues
Je suis curieuse de lire la suite (et j’ai envie de mettre une girouette en forme de poisson au-dessus de ma maison maintenant )
Je suis profondément touché que cette introduction vous ait permis de voyager un petit peu dans l'univers que je construis activement depuis plusieurs mois, dans l'ombre totale. Je posterai d'autres chapitres sur Plume d'Argent avec plaisir dans la même optique d'enrichir mes compétences d'écriture. J'espère que vous serez au rendez-vous (:
Je dois la formidable illustration à ma conjointe (@shurimpurr sur Instagram), avec qui on a discuté assez longtemps de ce projet pour nous retrouver sur la même longueur d'onde.
Concernant les remarques de style, je vous suis sur vos remarques, les phrases concernées attirant déjà mon œil après relecture. Je ne suis pas encore sûr de comment les remanier mais vos conseils seront fort utiles, sans aucun doute.
Saria compte fort sur la fidélité de ses lecteurs et espère certainement vous retrouver pour la suite.
En ce qui me concerne, je vous remercie encore pour votre retour, et veillerai à commenter vos œuvres dans la même optique que la votre à mon égard. A la prochaine !