Cette saison avait été bonne. La cale était remplie. Nous avions eu peu de perte. Mais le moral n'y était pas. Sur le pond personne ne chantonnait. Personne ne riait. Tout le monde pensait au prochain voyage.
Nous étions sur le chemin du retour. Cependant les marins savaient que après la saison de vente, nous allions y retourner. Aller plus loin encore. Partir plus longtemps. Et nous allions devoir risquer notre vie interminablement pour nourrir les quelques terres émergées. Les quelques millions de personne restantes.
L'année prochaine allait être plus dur que n'importe laquelle.
Parce que l'eau ne s'arrêtait pas.
Elle avait envahi les continents. D'ouest en est. Du nord au sud. Elle avait rasé les villes. Des plus pauvres aux plus riches. Elle avait emporté des milliards de familles. Terrorisant des enfants. Abandonnant leur mère dans ses tréfonds.
Malgré les horreurs qu'elle avait commis. Elle ne s'arrêtait pas. Chaque année nous calculions sa montée. Chaque année nous étions effrayé par sa vitesse. Parce qu'en plus des habitations, c'était les champs. Les élevages. Les usines qu'elle repoussait. Il ne restait plus que le poisson. Aussi rare que les terres. Incapables d'habiter dans les récifs corallien. A présent bien trop profond pour eux.
Notre planète bleu portait à merveille son nom.
Dans ce désastre pourtant prévisible, certains s'étaient perchés dans les montagnes. Construisant des villes toujours plus hautes. Essayant de se protéger de la nature. S'enfermant dans des remparts perméables. D'autres avaient embarqué sur des voiliers. Voyageant au fil des vents. Se servant de ce qui les avait poussé à partir. Devenant les ravitailleurs des citadins. Les marchants ambulants du monde. Qui atténuaient les famines. Nourrissaient les familles.
J'étais l'un d'eux. Et rien ne me ferait retourner entre les murs des villes. Qui protègent de l'air et des marées. De la douceur du Soleil. Du ballotement de vagues. Du chant des dernières baleines.
Pourtant nous y étions obligé, chaque année après les pêches. Nous commercions avec grands et petits États.
Cette saison là nous avait rapproché du nouveau Bangkok. Une capital qui s'était déplacé de sept cent kilomètres. En un lieu à présent loin d'être sacré. Et seul quelques visages permettaient de me réjouir du mois passé loin de l'océan. Je savais que j'allais y retrouver la guitare de Jeff. La voix de Mile. Et les danses de Apo. Les festivités seraient dur à surpasser.
Le grondement sourd de notre arrivée faisait d'ailleurs vibré terre et mer.
Nous étions encore à plusieurs dizaines de mille du port. Mais les gondoles que nous avions aperçus en début de mâtiné étaient bien celle de Bangkok. Elles avaient dû sonné l'alerte. Et la corne affirmait que nous étions les premiers arrivés.
Elle ne sonnait qu'une fois par an. Lorsque un navire marchant s'approchait enfin des côtes. Elle annonçait notre retour. La fête qui suivait.
Lorsqu'elle grondait, les rues s'enflammaient. Plus on se rapprochait plus on entendait la musique ricocher sur l'eau. Et même si je n'aimais pas la terre. Même si les bâtiments de bétons m'inquiétaient. Rien n'était plus réjouissant que les mélodies du monde. Les rires des familles. Ainsi que les chants des vieillards.
Pendant tout une saison. Plutôt que les pleurs et le bruit des vagues, il y avait la vie restante. Les quelques milliers d'humains qui chantaient le retours des leurs.
Et j'étais heureux de fêter cette saison avec mes amis.
" Agrandissez la voilure, nous devons arriver avant la nuit si vous ne voulez pas passer une autre soirée sur l'eau. "
Le capitaine nous arrachait de notre contemplation. Il fallait s'activer.
Certains montèrent aux mats pour régler les bômes. D'autres s'occupèrent des voiles du pont. On bordait. Attachait. Arrangeait le gréement pour avoir autant de vitesse que possible. Et pour nous récompenser, une brise un peu plus puissante vient gonfler nos voiles.
Nous avions encore quelques heures devant nous pour briquer le bateau. Depuis déjà plusieurs jours nous faisions tout pour le rendre attrayant. A présent il ne restait plus que la passerelle principale. Chacun. Un seau et une serpillère à la main. Prenait son travail très au sérieux. C'était à qui aurait le carré le plus propre. Nous avions oublié la saison suivante et ses milles en plus. Nous avions oublié les pertes sur le retour. Il n'y avait que ce planché. Et nos proches qui jouaient pour nous sur la côte.
Lorsque la mer prit une teinte dorian. Qu'elle ne put reproduire la beauté du ciel cardinal. Nous pénétrions dans le port. Partout des lumières. Partout des feux de joie. Des cris. Des rires. Et une musique. Si forte. Si douce.
Un rappel que la terre n'était peut-être pas si mauvaise.
Sur les pontons des centaines de gens. Les quelques enfants de la ville étaient en première ligne. Peu s'était ajouté à ceux que je connaissais déjà. Mais leurs acclamations en valaient mille des adultes. Leur joie compensait leur nombre. Comme nous à leur époque.
Sans essayer de repérer Apo, Jeff ou Mile, j'effectuais les dernières manœuvres. Lançais les bouts aux marins déjà sur la terre ferme. Vérifiais la solidité des nœuds. Rangeais le pont. Pour enfin débarquer. Quelques temps après les autres.
" Est ce que le capitaine vous laisse la journée demain. "
La voix de Jeff disparue aussi vite qu'elle était apparue. Remplacé par une étreinte chaude.
" Tu nous as manqué. "
Un message des trois. Pour me dire qu'on ne dormira pas de la nuit.
Ils m'entrainent sans avoir attendu ma réponse. Nous slalomions sur les quais bondés. Prenions notre temps pour apprécier la musique. Pour faire quelques pas de danse hésitants. Avant de repartir dans les rues décorées.
Tout était vêtue de milliers de couleurs différentes. Des murs jusqu'aux vêtements. En passant par les arbres. Dans une lueur semblable au crépuscule, chaque nuance semblait chaude. Mais gardait pourtant son éclat. C'était un spectacle étrange. Aussi spécial que ce jour.
Pour une fois je ne regrettais pas d'avoir débarquer.
Les trois devant moi riaient. Ils ne faisaient pas leur age. D'ici, ils avaient encore dix-sept ans. Ils fuyaient encore mon regard d'enfant. Ils s'amusaient encore à m'embêter. Nous étions devenus amis malgré les années qui nous séparaient. Peut-être parce que nous n'étions pas nombreux. Peut-être parce que je m'entêtais à les suivre partout. Pourtant aujourd'hui c'était eux qui m'incitaient à venir les voir. C'était eux qui me sermonnaient lorsque je ne leur faisais pas parvenir de lettre. Et ils semblaient ne pas avoir grandit. Être rester m'attendre.
S'il n'y avait plus d'avenir à cette terre. Alors il fallait s'amuser. Profiter des dernière brides d'adolescence. Des années où on pouvait vivre. Avant de sombrer dans l'océan.