J'ai déjà – Agathe

Je voudrais que mes « j’ai déjà » guident mes pas, qu’ils me rappellent et me disent que je ne suis pas si haïssable que ça, que je peux être moi, que cela ne gêne pas. Que j’ai le droit aussi de croire en moi, que j’ai le droit d’être douce et de m’enlacer, et d’arrêter de me détester pour ce que je n’ai pas encore fait.

Parce que, par amour, j’ai déjà témoigné pour viol, écouté des engueulades à devenir folle, accepté de m’excuser, mis de côté mes pensées, mes valeurs, et mon cœur.
Parce que j’ai déjà survécu au malheur, au chagrin et aux abus.
Parce que j’ai déjà dévissé un taille-crayon, tard le soir, seule.
Parce que j’ai déjà vécu trop de deuils.

Mais aussi parce que :

Parce que j’ai déjà fais des rencontres. D’amour, d’amitié, les deux parfois mélangés. Et même si certaines se sont très mal terminées, d’autres n’ont même pas encore commencé.
Parce que j’ai déjà enfilé un sweat et un jean à 3h du matin pour aller penser des plaies et consoler des yeux rougis de chagrin.
Parce que j’ai déjà embrassé tendrement un inconnu sans me rappeler de son prénom le lendemain matin venu.
Parce que j’ai déjà eu quelques plans culs.
Parce que j’ai déjà gagné un concours d’écriture avec un texte qui parlait de ma rupture.
Parce qu'en plein milieu d’une soirée trop arrosée j’ai déjà pissé dans les haies du Parlement.
Parce que j’ai déjà trouvé un canapé dans une rue la nuit et que depuis c’est celui qui trône dans mon appartement.
Parce que j’ai déjà eu un rendez-vous galant avec une fille, et sans mentir, je n’étais pas au courant.
Parce qu'en plein milieu d’un slam, j’ai réussi à faire l’éloge de la grande femme qu’est ma maman.
Parce que j’ai déjà déclaré ma flamme volontairement, alors que le garçon ne me connaissait ni d’Eve ni d’Adam.
Parce que j’ai déjà hurlé le rôle d’Antigone devant l’opéra avant que mon téléphone ne s’éclate trois marches plus bas.
Parce que je me suis déjà ouverte, avec du verre, au moins quatre fois.
Parce que je t’ai déjà serré dans mes bras, même si je ne m’en souviens pas, je le sais, je l’ai déjà fait papa.
Parce que j’ai déjà fais des solos, improvisés, complètement libérée et en fermant les yeux, guidée par ce qu’il y a de plus précieux : ce frisson, la musique, qui te fait dire « oui, je suis en vie ».
Parce que l’un de ces plus grands moments était devant Ibrahim Maalouf sur True Sorry.
Parce que j’ai déjà eu des fous rires, à me faire pipi dessus, qui m’ont valu des mots dans le carnet, des colles, des fiches de suivi, des rendez-vous chez la CPE, et je crois même chez une psy.
Parce que je me suis déjà baignée nue, la nuit, avec ma meilleure amie.
Parce que j’ai déjà couché avec un américain.
Parce que j’ai déjà fait boire de la bière à un chien.
Parce que je me suis déjà battu avec mon frère.
Parce que j’ai déjà dit « je t’aime » à ma grand-mère.
Parce que j’ai déjà triché, prié, menti, fugué, juré sur ma vie.
Parce que j’ai déjà lu un livre en une après midi.
Parce que j’ai déjà sauté d’un avion, d’une falaise et d’un pont.
Parce que j’ai déjà mangé l’hostie à la messe sans avoir fait ma communion.

Parce que j’ai déjà...

Parce que j’ai déjà des souvenirs, des années que je ne veux jamais oublier. Mille vies, mille rires, mille pleurs... j’ai alors mille cœurs que je veux voir gravés sur ma peau, en noir, en bleu, en or, en beau. Parce que même la mort ne pourra pas me les enlever quand je serais enterrée.

Mais ai-je déjà des regrets ? Peut être que oui. Parce que je te trouve fier à en crever et que je te voudrais pour l’éternité, mais que trop timide je n’ose pas t’aborder et te parler.

Alors, mon amour, pourrais je dire que je t’ai déjà aimé ?