Hier encore j’avais une super idée de roman. Comprenez, une idée REVOLUTIONNAIRE. Une idée tellement brillante qu’elle me garantissait un bestseller mondial. Un rêve pour les écrivains comme moi. Enfin, écrivain me paraît bien prétentieux par rapport à ma situation. Avec cette idée, j’aurais vendu au moins un million d’ouvrages, de mon chef-d’œuvre.
Mon stylo d’expert-comptable attend l’atterrissage. Mais il ne viendra pas. Il ne se posera pas sur le papier, n’écrira pas les premières lignes du succès assuré. Non, il est dans ma main, il attend. Comme moi.
J’attends l’inspiration. Les mots. Mais ils ne viendront pas.
J’ai tout oublié d’hier. Tout. La seule chose dont je me souvienne, c’est de cette idée de génie. Cette idée qui m’échappe, qui me fuit. Il me semble tout juste l’avoir contractée.
Cette idée vide dont je ne me remémore que la grandeur.
Hier. Qu’est-ce que j’ai fait hier ? Le trou noir est complet. Je m’accroche désespérément au sentiment d’excitation qui m’avait envahi, hier, quand l’idée m’est apparue. Dans ses plus limpides détails.
Et, pourtant, elle n’a laissé derrière elle que quelques sensations. Pas un traître mot sur son contenu.
Moi, je suis désemparé. Plus le temps passe, plus je sens mes souvenirs s’estomper.
La lune scintille dans le firmament. La nuit. Tard. Je planche sur ma feuille blanche depuis ce matin. Je me suis réveillé avec ce sentiment tenace, cette trace glorieuse d’un souvenir, d’une idée merveilleuse. Je me suis attablé. Un crayon, une feuille, une tasse de thé devant les yeux. Et, pouf… je me suis rendu compte qu’elle s’était envolée. Volatilisée.
Les étoiles sont allumées depuis un temps derrière ma fenêtre.
Que s’est-il passé, hier ?
Cette question tourne en boucle dans ma tête depuis que le soleil a pointé le bout de son nez.
Bon. Je ne peux pas rester là. Plus, en tout cas. Je dois savoir. Je lâche mon stylo. Je quitte mon bureau. La porte se referme d’elle-même derrière moi. J’enfile mon manteau et mes chaussures avant d’abandonner mon appartement parisien. L’ascenseur m’emmène du quatrième étage au rez-de-chaussée.
Je dois retrouver cette idée. ABSOLUMENT. Dans les plus brefs délais.
Demain, je reprends le travail, mon boulot, comme tout le monde. Je suis devenu expert-comptable par la force des choses. Cependant, ce que je veux faire, c’est écrire. Devenir un écrivain de renom. Cela dit, je vous demanderai toutefois de tenir votre langue. J’en garde le secret depuis que mes parents ont tracé à ma place mon avenir d’expert-comptable. Ils ne doivent rien savoir.
Les aiguilles tournent. Le temps passe. J’oublie.
Je suis dans la rue. Les Hommes de la nuit s’activent. La ville, notre métropole, fonctionne presque comme en plein jour.
Je cherche un quartier tranquille. Un endroit paisible. A l’écart de ce rythme effréné.
Où est-ce que j’étais, hier ?
Ma mémoire ne semble pas plus coopérative.
Avec qui j’étais, hier ?
Je ne me souviens de… Si ! Il y a quelque chose.
Ma sœur. Hier, j’étais avec ma sœur.
Je dois la retrouver.
Ma sœur est notaire dans un quartier huppé de Paris, non loin du mien. Peut-être que je pourrais…
J’aperçois les rayons de l’aube. Je consulte ma montre : 6h30 pile. Impossible. Hier est passé D’hier à avant-hier il y a déjà six heures trente de temps. Trois-cent-quatre-dix-vingt minutes. Vingt-trois-mille-quatre-cents secondes.
Je dois rejoindre mon cabinet. Mon premier rendez-vous est programmé pour 6h45. Je vais être en retard.
Mon idée devra attendre. Je l’ai déjà assez attendue pour qu’elle patiente quelques heures, voire plus. Une journée sûrement. C’est peut-être trop.
Je dois faire un choix. Mon rendez-vous. Mon travail. Je cours. Je saute dans le premier bus qui traverse la route. Il est silencieux. Les gens sont encore tout endormis. Ils sont loin d’imaginer le déchirement que je ressens à devoir sacrifier mon idée pour ce rendez-vous.
Qu’est-ce qui m’a pris de recevoir si tôt ?
L’argent, évidemment.
Tiens, je n’ai pas pris ma sacoche. Tant pis. M. Potier n’en aura pas besoin.
Le bus file à son prochain arrêt. Le mien. Je me dépêche de sortir et de grimper les étages de l’immeuble. Je retourne mes poches devant la porte et en extirpe un trousseau de clés. Elles tournent dans les trois serrures qui verrouillent mon cabinet jusqu’à ce qu’un « clic » sonore retentisse.
Ma secrétaire n’arrivera pas avant 7h30. Je m’installe devant une pile de paperasse. J’ai déjà la migraine.
Tout est prêt. Je peux recevoir. C’est étrange, car, dans la salle d’attente, il n’y a personne.
Les minutes s’égrènent. Personne. 7h30 se présente sans ma secrétaire. Elle ne viendra pas.
Tout cela est de plus en plus étrange. Curieux. Anormal.
Mon idée. Mes pensées reviennent à avant-hier. Ce trou noir. L’excitation. Je ressens maintenant du stress, une boule énorme noue ma gorge. De l’angoisse. De la nervosité. Une forme d’appréhension se dessine dans mon esprit, de plus en plus distincte.
Avant-hier, il s’est passé quelque chose que je redoutais depuis longtemps de vivre.
Mais… quoi ?
Tout cela commence à me taper sur les nerfs. Ça m’agace. Cette idée qui me file entre les doigts, sans que je puisse m’en saisir. Oui, je m’énerve, parce que je suis incapable de me souvenir de quoique ce soit. Avant-hier est un néant dans mon cerveau. Un trou de vide dans ma mémoire.
Ma sœur. Il n’y a plus qu’elle pour me donner des réponses.
Je m’empare du combiné de l’office, compose le numéro et le porte à mon oreille. Les « bip » se succèdent. Je piétine le tapis de mes chaussures cirées.
- Allo ?
- Laura !
- Oui, Christophe ?
- Avant-hier, nous étions où ? je demande avant qu’elle ne me coupe dans mon élan.
Elle paraît embarrassée.
- Pourquoi tu me poses cette question ?
- Réponds, s’il te plaît.
Elle me semble déconcertée.
- Je… eh bien… On était chez papa et maman, tu ne te souviens pas ?
Si, je m’en souviens. Ce passé, si proche soit-il, s’éclaircit peu à peu.
- Qu’est-ce qu’il s’est passé, avant-hier ?
- Avant-hier… Tu ne te souviens vraiment de rien ?
- Rien, je dis, ce serait trop compliqué à expliquer.
Nous marquons une longue pause.
- Avant-hier, nous étions quel jour ? j’enchaine.
- Enfin, Christophe, si aujourd’hui on est le 2 mars…
- On était le 28 février ?
- 2020 est une année bissextile, Christophe.
Nous étions le 29, ce jour-là. Maintenant, je me souviens. Le 29 est un jour spécial… pour moi. Chaque année bissextile, les jours suivant le 29 février, je ne me souviens plus de rien. J’oublie même que, les autres années, je vis un jour de plus. Le 29 février n’existe pas les années non-bissextiles. Pourtant, pour moi, le temps s’arrête l’espace d’une journée. Et moi, hors de son emprise, je vis l’équivalent de vingt-quatre heures entre le 28 février et le 1er mars. Je ne sais pas pourquoi.
Les années bissextiles, je me répète, le 29 février passe à la trappe. Ce jour passé, je ne me souviens plus que j’ai déjà vécu cela les années bissextiles précédentes.
- Laura, tu es toujours là ?
- Oui.
- Qu’est-ce qu’il s’est passé, ce 29 févier, Laura ?
- Papa et maman sont fâchés contre toi. Je ne sais pas quel démon s’est emparé de toi, avant-hier soir. Je ne comprends pas comment tu ne peux pas t’en souvenir. Tu leur as fait un de ces chocs ! Ils ne t’adresseront plus la parole jusqu’à l’année prochaine. Au moins.
- Quand vas-tu daigner me raconter ce qu’il s’est passé ?!
- Tu leur as annoncé, de but en blanc, que tu arrêtais tout, ton boulot d’expert-comptable, tout, pour te consacrer à l’écriture, asséna ma sœur, d’un ton glacial.
Mes pensées se figent. Moi, j’ai fait ça ? Je lâche le téléphone qui va rebondir par terre.
- Allo ? Allo ? Christophe, tu m’entends ? grésille le combiné.
C’est pour ça que M. Potier n’est pas venu : j’ai annulé. Il fallait décidément que ce soit ce jour-là que je fasse ma déclaration ! Le 29 février ! Quel idiot j’ai été. J’ai oublié que j’allais oublier.
Je me souviens de tout, à présent. De mon idée. Eh oui, je pars. Je m’en vais.
Du papier. Il y en a dans mon bureau. Je prends mon stylo d’écrivain et… j’écris.
2024. Cette fois, je ne ferai rien de remarquable ce 29 février. Je tâcherai juste… de me rappeler.
Un truc m'a dérangé : la mise en page, les début de lignes ne sont pas verticalement alignés, c'est un peu perturbant quand on est pas habitué. Mais rien de bien grave, cela dit !
Bref, bravo à toi pour ta participation !
Oui, Christophe est un peu trop sûr de lui, c’est son plus grand défaut ! :-)
Tu utilises quel logiciel ? Normalement si tu ne brouilles pas ta marge toi même avec des espaces, c'est bien aligné
Tout arrêter sur un coup de tête, vivre son rêve ou du moins essayer ; quelle belle idée <3
J'ai vu ton histoire qui participe au concours ! J'espère la lire avant la fin des votes ! ^^ Ma PàL est prête à tout inonder !
Que de doutes, de confusion dans cet esprit rationnel, un peu prisonnier des réflexes du quotidien! Et quel dommage qu'il prenne une décision qui lui trotte dans la tête le seul jour où il ne s'en souviendra pas!
Maintenant il ne lui reste plus qu'à poursuivre en ce sens ;)
C’est fort dommage qu’une idée de roman aussi géniale et révolutionnaire se perde dans les limbes. Avec sa façon particulière de vivre la fin du mois de février, en effet, Christophe a bien choisi son jour pour décider d’annoncer à sa famille qu’il va tout plaquer afin de devenir écrivain. Il est bien imprudent et un peu présomptueux : s’il trouve sa propre idée exceptionnelle, ça ne veut pas dire que les maisons d’édition auront la même opinion ; et si le roman n’est pas bien écrit, l’idée la plus brillante peut tomber à plat. Pauvre Christophe ! Il n’est pas sorti de l’auberge.
En tout cas toi, tu as eu une bonne idée pour ta nouvelle et, dans un style alerte, tu nous livres un récit qui nous tient en haleine jusqu’au bout.
Coquilles et remarques :
— Comprenez, une idée REVOLUTIONNAIRE. [RÉVOLUTIONNAIRE]
— Une idée tellement brillante qu’elle me garantissait un bestseller mondial [un best-seller]
— J’ai tout oublié de hier. Tout [d’hier]
— Cette idée vide dont je ne me remémore que sa grandeur [la grandeur ; tu ne peux pas mettre « sa » après « dont » : c’est redondant]
— Un endroit paisible. A l’écart de ce rythme effréné. [À]
— Impossible. Hier est passé de hier à avant-hier il y a déjà six heures trente de temps [d’hier / Là, j’avoue être un peu perdue…]
— Vingt-trois-mille-quatre-cent secondes [quatre-cents ; on met le « s » quand il n’y a aucun chiffre après.]
— Tant pis. Mr Potier n’en aura pas besoin. / C’est pour ça que Mr Potier n’est pas venu [M. Potier ; Mr est l’abréviation de Mister]
— jusqu’à ce qu’un « clique » sonore retentisse [un « clic » ; une clique, c’est autre chose…]
— Avant-hier… Tu ne souviens vraiment de rien ? [ne te souviens]
— Chaque année bissextile, les jours suivants le 29 février [suivant]
— Pourtant, pour moi, le temps s’arrête le temps d’une journée. [Je propose « l’espace d’une journée ».]
— je vis l’équivalent de vingt-quatre heure entre le 28 février et le 1er mars [heures]
— que j’ai déjà vécu cela les années bissextiles précedentes [précédentes]
— Je ne comprends pas comment tu ne peux pas t’en souvenir [tu peux ne pas t’en souvenir]
— Je tâcherais juste… de me rappeler [tâcherai]
Pour "bestseller", Mr Dico est d'accord, je suppose qu'il est plus anglicisme que "best-seller"...
D'hier ? C'est encore une exception du français ? Je pensais qu'on mettais toujours "de" devant les H...
Pour "la grandeur", je suis complétement d'accord !
Je comprends pour " Hier est passé de hier à avant-hier", mais je ne pense pas pouvoir t'expliquer...
Entre M. et Mr, j'ai toujours hésité. Je pensais que Mr était accepté pour la simple raison qu'il y a un R à la fin de "Monsieur". Mais je pense que tu as raison.
Heureusement que tu es passée par-là pour me pointer toutes ces petites erreurs du doigt !
Merci pour ton commentaire !!! ^^
Le français est une langue compliquée ! Pfiou !
Je pense que le début à parler à tout le monde. L'idée du siècle qui se fait la malle (moi, c'est parfois un rêve où je me dis "c'est un bon scénario, ça" et pffiutt... plus rien le lendemain).
J'aime bien l'acte manqué de faire son coming-out d'écrivain le jour de l'amnésie générale ! Franchement, je fuis ma famille si cela devait m'arriver XD.
Bref, ton idée est vraiment chouette et ton récit dynamique, top !
Enfin, merci d'être passée par là et d'avoir laissé un commentaire ! ^^
Au plaisir de te lire ! (Je ne sais pas si tu posteras un jour une histoire, mais je serais allée volontiers la lire.)
Oui ^^ mais j'avoue que je n'ai écrit que 3 chapitres en plus du prologue :o ^^ même si je sais à peu près ce qu'il doit se passer ^^
C'est vrai que le pauvre gars n'a pas choisi son jour pour tout plaquer XD mais j'espère au moins qu'il finira pas le retrouver et l'écrire, son roman ! ça donne envie de savoir la suite de l'histoire !
Héhé, je n'ai pas prévu de suite... Mais bon, qui sait ?
Contente d'avoir réussi à retranscrire ce problème (bien embêtant) qui touche (malheureusement :-) beaucoup d'auteur(e)s !
Christophe lui-même m'a fait rire en choisissant (pile) le mauvais jour, le 29, pour faire sa déclaration ! Ah là là, ces personnages !
franchement j'ai accroché et je ne dis pas ça pour te faire plaisir !
Juste, si j'avais quelque chose à titiller ce serait le "clique sonore", moi j'aurais plutôt mis "cliquetis sonore" ou "clic sonore" mais bon sinon rien à redire ;)
L'idée des 24h en plus était une très bonne idée :)
En plus sans fautes de frappes, très bien écrit, le contexte aussi était très bien, c'est construit et complet !
J'espère que tu seras dans les premiers,
je ne doute pas de ton talent d'écrivaine ;)
D'ailleurs je veux la suiiiite (même si il n'y en a pas) !
Eh bien bonne continuation ma chère Prudence, bonne chance pour le concours, tu tiens un bon fil ;)
Fy
Dommage que tu ne participes pas au concours... Je m'aurais fait un plaisir de lire ta nouvelle !