Jalousie

– Je me suis bien amusé cette nuit ! murmura Milos.

Le sourire aux lèvres, il se tourna vers son compagnon. Celui-ci s’était installé sur le lit, et se contenta de répondre d’une voix qui se voulait détachée.

– J’en suis fort heureux pour toi.

Le médecin n’ajouta rien de plus, serrant les dents. Ses yeux rivés sur le bel homme blond actuellement occupé à tourner dans la chambre, il ne bougea pas d’un pouce. Son cœur se pinça. Il avait tant d’amour pour lui… Mais après tout, son partenaire bien qu’exubérant, et exaspérant à la fois, savait se montrer tendre ainsi qu’à l’écoute avec lui. Bélim le fixa à nouveau. Il avait tant de chance de pouvoir vivre une histoire d’amour aussi forte, même s’ils devaient se cacher.

Voir deux hommes amoureux à leur époque, c’était se condamner tous les deux. Le nouveau siècle n’était pas plus clément que le précédent à leur égard.

C’était la raison pour laquelle il ne pouvait s’empêcher d’être malheureux, lorsqu’il voyait la jolie rousse au bras de son compagnon. Aux yeux de tous, elle était l’épouse de Milos. Il lui était donc autorisé à elle, d’entrer dans sa chambre sans essuyer des regards soupçonneux.

D’un autre côté, Bélim se sentait ridicule. Il adorait Rosa. Elle était son amie, sa confidente, la seule femme qui l’intéressait. Même s’il ne la désirait pas physiquement, il aimait passer des moments privilégiés avec elle, et la voir s’endormir dans ses bras.

Elle l’avait toujours accepté, même après avoir découvert son attachement pour Milos. La rousse était restée avec lui, l’avait soutenue et écoutée. Ils partageaient les mêmes avis, la même conception de la vie. Finalement lorsqu’ils s’étaient retrouvés tous les trois ensemble, cela avait été une révélation : ils s’aimaient. Leur amour était différent des autres, mais il existait. Chacun alternait pour passer des moments privilégiés avec l’un de ses compagnons.

Ce soir, le médecin aurait dû avoir le blond pour lui seul. Malgré cela, il se retrouvait à faire la tête parce que Milos lui avait parlé de leur compagne. C’était d’un ridicule. Il ne pouvait s’empêcher de toujours craindre le pire. Avait-il tellement peu confiance en lui ? Avait-il peur à ce point de perdre son amant ?

– C’était une expérience formidable. Rosa est une partenaire expérimentée, et d’une endurance à toute épreuve.

Le médecin serra les dents à ces mots. Pourquoi fallait-il qu’il lui dise ça ? Il y avait des choses qu’il n’avait pas envie de savoir. Encore plus parce qu’il avait conscience que la jeune femme savait lui faire plaisir.

– Si seulement nous pouvions passer plus de moments ainsi. Je suis sûr qu’elle appréciait aussi. Tu aurais vu le sourire sur son visage.

Bélim chercha une objection qui ne paraisse pas trop agressive. Il fallait qu’il arrête le flux de parole.

– Moi aussi, j’aimerais partager ces moments avec toi, déclara le médecin.

Milos rit.

– Je croyais que tu n’aimais pas ça…

La réponse souffla son compagnon. Qu’avait-il fait qui laisse à penser que c’était le cas ? La remarque le blessa en plein cœur. S’était-il montré trop prude ?

– Bien sûr que si. Enfin avec toi… Juste avec toi…

Il se sentit mal d’avoir élevé la voix. Le blond se tourna vers lui, le visage lumineux.

– Vraiment ? Est-ce que tu voudrais le faire, maintenant ?

Les joues de Bélim le brûlèrent. Son partenaire s’était toujours montré franc. Il n’usait jamais de sous-entendu pour lui faire comprendre ce qu’il attendait de lui. Une fois encore, il savait se révéler direct.

– Avec toi, j’aimerais beaucoup.

Milos s’approcha pour lui tendre la main. Sans attendre, le médecin s’en saisit. En quelques secondes, il se retrouva au milieu de la pièce. Les doigts de son compagnon trouvèrent les siens pour s’entrelacer.

– Bon, déjà la position, je vais te montrer ce que j’attends de toi.

Bélim hocha la tête. Il avait l’habitude des directives de son amant.

– Pose la main sur mon bras, je garderais la mienne sur ton épaule. Pour l’autre, on reste comme on est.

Le médecin commença à s’interroger. Qu’est-ce que c’était que cette posture étrange ?

– Je vais guider ton corps et tu n’auras plus qu’à me suivre. Prends garde à ne pas me marcher sur les pieds.

Brusquement, l’évidence lui sauta aux yeux. Il parlait de danse.

– Ça me fait tellement plaisir que tu acceptes. Je croyais que tu détestais ça…

– C’est-à-dire que…

– Danser avec l’homme que j’aime est une des choses que je désirais secrètement.

Portant la main de Bélim à ses lèvres, il l’embrassa tendrement.

– Tu as toujours refusé alors je m’étais fait une raison. Je me sens si heureux.

Le médecin chercha une échappatoire. Comment expliquer son changement soudain d’avis ?

– Tu avais Rosa. Elle est tellement plus douée que moi.

– Je sais. Mais justement, je n’ai plus rien à lui apprendre. Même si j’adore la danse avec elle, cela ne sera pas pareil qu’avec toi.

Maintenant que Milos s’en était réjouie, il lui était impossible de lui dire qu’il ne voulait pas danser. Pris à son propre piège, Bélim maudit son manque de confiance. Il allait devoir subir cette épreuve au pire toute la journée, au mieux plusieurs heures durant. Mais bon, c’était un sacrifice à faire pour sentir tout l’amour que lui portait son compagnon. Lorsqu’il plongeait ses yeux dans ses iris couleur océan, il y lisait de la tendresse.

– Rosa adorait sûrement t’avoir comme partenaire, elle aussi.

Cette idée le paniqua. Ce serait encore pire que maintenant. Là, il se contentait de se faire traîner par Milos sur un air imaginaire. S’il venait à danser avec la rousse, ce serait à lui de la mener. La pauvre méritait mieux que ça.

– Je n’en doute pas. Seulement, restons-en là pour le moment.

– Comme tu voudras.

À nouveau son compagnon l’entraîna dans un tournoiement. La prochaine fois, Bélim se promit de réfléchir avant de se faire de fausses idées.