J’aurais préféré écrire sur une autre période, mais on ne choisit pas toujours son temps. Tiens d’ailleurs, en parlant de temps, il fait gris dehors. Ce qui est plutôt normal pour un mois de janvier en France. Parce que, oui, j’habite en France, à Pont-du-Château exactement. Pas Pont-Château en Bretagne, Pont-du-Château en Auvergne, à côté de Clermont-Ferrand. Mais je ne vous en voudrais pas si vous vous trompez. Ma grand-mère, une femme extraordinaire, a toujours fait l’erreur et je lui en ai jamais voulu. Elle était professeure de maths. Je ne sais pas si son intérêt pour les sciences a joué dans son comportement, mais elle avait une certaine affection pour les exactitudes, et avait cette fâcheuse manie de prononcer les mots tels qu’elle les lisait, même s’ils s’agissait d’anglicismes ou de mots étrangers. Il nous est arrivé quelques fois avec mes cousins de vouloir la corriger, mais sans succès. Nous avons fini par arrêter de la corriger, et accepté d’aller manger au flinch plutôt qu’au flunch. Après tout, c’est toujours mieux que d’aller manger à McDo, qui est, lui aussi, prononcé à la française, mais cette fois, je crois que tout le monde fait l’erreur. C’est comme Donald Trump. Tout le monde le prononce mal en France, parce que Donald est aussi un prénom français et que ça nous perd. Donald Duck également, mais je vais vous épargner les autres Donald parce que je crois que vous avez compris l’idée.
En ce 09/01/2025, le monde est fidèle à lui-même, plein de contradictions, de débats, de guerres, de joies. Je le regarde défiler par la fenêtre de mon écran de téléphone, ce qui fait peut-être de moi une nonna italienne dans sa seconde vie. Mais, à en juger par notre société, j’ai un peu le sentiment que nous sommes nombreux à avoir été nonnas dans une vie antérieure. Comme si le fait d’apprendre des choses sur la vie d’inconnus (et Dieu sait qu’elles ne sont pas toutes passionnantes) allait nous faire sentir moins seuls, car le fait de nous comparer ou de nous identifier à elles créerait l’illusion d’une forme de proximité. On a l’impression de les connaître personnellement. Mais en retour, qui nous connaît ? Faudrait-il à notre tour prendre la parole en public, que ce soit sur les réseaux sociaux ou ailleurs, pour exister ? Serait-ce le seul moyen de se faire entendre ? Vous comprenez maintenant pourquoi je vous écris. Ce n’est sûrement pas une raison très flatteuse, mais c’est sûrement la plus honnête.
Janvier, c’est le premier mois de l’année. C’est le moment de faire le point sur l’année passée et de se projeter sur l’année à venir. Mon année passée a été marquée par mon rétablissement. Je n’étais pas malade, mais anxieuse et épuisée. Je suis mère de deux enfants en bas âge et il y a un an, mon état de fatigue intense avait fini par prendre des tournures de dépression. Je m’étais donc tournée vers une psychologue et un psychiatre, qui m’ont accompagnée au moyen d’un traitement par antidépresseur et de séances régulières de psychothérapie. Les effets ont été indéniables : du jour au lendemain, mes insomnies se sont arrêtées. Mes crises d’anxiété ont également disparu. Seule mon irritabilité extrême a mis du temps à s’estomper. Mon mari en a fait les frais. Mais notre couple a tenu bon et je peux maintenant sereinement parler au passé. Bien sûr, la fatigue est toujours présente mais j’ai le sentiment d’être redevenue moi-même, ce qui est peut-être le plus important. Mon psychiatre vient d’ailleurs de décider d’arrêter mon traitement.
Cette nouvelle année pourrait donc être celle des retrouvailles avec moi-même, une année d’affirmation de mes talents, de créativité, d’exploration. J’aimerais aussi que ce soit une année de recentrage sur l’essentiel : la prière, l’écriture et la vie sociale en tête.
Ce que je regrette jusqu’à présent, c’est de ne pas avoir consacré plus de temps à l’écriture, et d’avoir passé beaucoup trop de temps sur internet et les réseaux sociaux. La prière en Dieu a toujours représenté une partie centrale de mon existence, d’aussi loin que je me souvienne. J’ai toujours pensé d’ailleurs que ma passion pour l’écriture ne pourra jamais être complètement dissociée de ma foi. Il m’est impossible d’écrire sur des sujets profonds sans aborder en ligne de fond ma relation à Dieu.
Quant à ma vie sociale, elle s’est largement réduite depuis que je suis devenue mère. Je n’ai jamais été très extravertie, mais j’ai toujours eu besoin d’avoir quelques amies avec qui rire et à qui me confier. La solitude des mères est réelle. Après avoir eu deux enfants à un an d’écart, j’ai décidé de chercher un travail à temps partiel de 15h par semaine me permettant de consacrer plus de temps à mes enfants et de dégager du temps pour écrire en semaine, mais en conséquence, mon mari m’a exprimé qu’il souhaitait que je sois présente le soir pour mes enfants, rendant toute sortie impossible. J’ai tout de même la possibilité de voir régulièrement des amis ou de la famille en weekend, ce qui est très important.
En cette nouvelle année, j’aimerais également être plus utile à la société car j’ai l’impression de ne pas donner à la hauteur de ce que je pourrais faire. Ça pourrait prendre la forme d’un engagement associatif, ou bien d’un service de bénévolat.
J’aimerais enfin faire plus de sport, car, tout comme me laver, manger, dormir, c’est un besoin physiologique nécessaire à mon hygiène de vie.
Toutes ces résolutions révèlent une chose : je suis, comme beaucoup, complètement obsédée par mon bonheur.
Jusqu’à présent, je crois que cette recherche d’équilibre de vie était le propre de l’âge de la trentaine. A cet âge-là, les adultes constatent souvent que leur jeunesse s’efface et que leur corps n’est plus aussi résistant aux excès qu’avant. Ils décident alors de limiter les sorties, de faire plus de sport, de manger sainement, de dormir davantage. A fortiori, lorsque ces adultes sont devenus parents, ils sont encore plus contraints d’adopter un style de vie stricte et routinier.
En revanche, je pense que cette recherche de vie parfaitement équilibrée obsède particulièrement notre génération, et pas seulement les trentenaires. L’injonction au bonheur est omniprésente.
Elle l’est dans la sphère privée : il nous faut trouver un conjoint ou une conjointe, avoir des enfants, être un bon père, une bonne mère…
Cette injonction au bonheur concerne également le travail. Le travail semble être aujourd’hui, plus qu’hier, un lieu d’accomplissement, de recherche de sens et de sentiment d’utilité à la société. J’ai eu la chance il y a quelques années de passer un an en Pologne, au sein d’une communauté religieuse catholique. J’habitais alors avec une trentaine de jeunes de mon âge, c’est-à-dire environ 20 ans. Nos échanges étaient éloquents : nous cherchions tous à nous sentir plus utiles, que ce soit à travers nos tâches quotidiennes ou nos projets professionnels. Les aînés de la communauté nous avaient alors partagé qu’eux-mêmes, à notre âge, ne ressentaient pas ce même besoin.
L’injonction au bonheur concerne également nos activités sociales et de loisir : nous sommes aussi définis par nos domaines de compétence, que ce soit le dessin, l’escalade, la musique, le bricolage…
Nous sommes également très soucieux de notre santé, physique et mentale. Nous n’avons jamais autant consommé de médicaments, et n’avons jamais autant consulté de psychologues et psychiatres.
Plus récemment encore, nous voyons naître un intérêt croissant de tous, et en particulier des jeunes, pour se cultiver davantage. L’immensité d’internet et des technologies nouvelles comme l’IA offrent en effet un accès facilité à tout type d’information, dans des formats et des discours qui vulgarisent des sujets parfois complexes.
L’injonction au bonheur, mise en tension par les conflits et les soucis du monde, concerne aussi le monde des idées. Chacun se sent impliqué et se rallie à des causes qui lui tiennent à cœur : l’écologie en tête, mais aussi des mouvements politiques ou encore des causes sociales comme le véganisme, la protection des animaux etc.
Pour finir, de plus en plus de personnes semblent s’intéresser à leur vie spirituelle, toujours dans une quête absolue de sens à la vie. Que ce soit à travers les religions, les sectes, ou toute expérience transcendantale.
Pourquoi cette injonction au bonheur a-t-elle pris une telle ampleur (dans notre société occidentale) ?
La conjoncture joue indéniablement un rôle dans cette obsession du bonheur. Les réseaux sociaux ont sûrement joué une forme d’influence en montrant des schémas mensongers de vies parfaites, même s’ils n’expliquent pas tout. La crise du COVID-19 a également été un accélérateur de recherche de sens dans un monde qui, pour la première fois depuis longtemps, a montré un signe de faiblesse et de risque d’écroulement. On pourrait également mentionner le fait que le monde dans lequel on vit est nettement plus peuplé qu’il y a cent ans. Les gens ont besoin d’exister au milieu d’une foule immense qui étouffe leur voix. Notre société individualiste et notre modèle économique capitaliste sont également à inculper en nous faisant croire que le bonheur peut s’acheter au moyen d’argent et d’idées.
Mais la conjoncture ne peut pas être tenue pour seule responsable de ce mouvement de fond. Chaque homme porte en lui-même ce désir d’accomplissement, cette quête d’absolu. Je le vois souvent comme une pépite cachée au plus profond de nous, qui ne demande qu’à être révélée au grand jour pour briller. Elle peut prendre la forme d’une (ou plusieurs) compétence, d’une vertu, d’un talent. Ma théorie est que, plus notre société évolue, plus l’importance accordée à notre unicité est prégnante. Je ne parle pas ici d’individualisme péjoratif, mais du moi profond dont parle Marcel Proust, de notre profonde identité.
Notre société serait donc dans une course effrénée au bonheur, malsaine en partie car fondée sur les mensonges des géants capitalistes. Mais cette réaction excessive serait également l’expression d’une recherche plus profonde du sens de l’existence et de notre place dans le monde.
Le bonheur consisterait-il donc à trouver cette pépite cachée, c’est-à-dire, à découvrir notre profonde identité ?
Pour trouver cette pépite, nous courons tout azimut jusqu’à trouver un chemin qui nous fait sens. Nous marchons sur ce chemin un temps donné, puis il nous arrive de faire demi-tour ou de changer d’itinéraire. Parfois, nous empruntons le mauvais chemin en pleine conscience, tout en sachant que nous allons foncer dans le mur, mais nous nous obstinons car nous n’avons pas trouvé d’itinéraire bis à emprunter. Parfois, nous nous demandons si nous ne trouverions pas un itinéraire plus facile ailleurs, au risque de rebrousser chemin.
Là où nous faisons fausse route, c’est que cette pépite, elle n’est pas au bout du chemin, elle est en nous. Celà ne veut pas dire qu’il ne faut pas marcher, mais plutôt qu’il faut voir cette randonnée comme un parcours initiatique et non comme un objectif à atteindre. J’essaie d’appliquer à ma vie cette démarche empirique, en essayant sans cesse d’apprendre, que ce soit dans mon travail, dans mes loisirs, dans ma vie de mère et de femme. J’ai cependant mis du temps à comprendre l’intérêt de cette démarche : pendant longtemps, j’ai considéré que les échecs étaient à fuir, alors qu’en réalité, ce sont eux qui me permettent d’apprendre le plus efficacement.
Mais j’ai constaté aussi que cette démarche a ses limites. On ne peut pas tout tenter pour ensuite en déduire quel chemin il aurait fallu prendre. La vie est trop courte pour cela, et les erreurs commises à répétition risqueraient d’entraver notre confiance dans notre capacité à trouver le bonheur. Je pense notamment à toutes les formes d’addictions de notre société. A partir du moment où nous avons compris que notre bonheur n’était pas dans le plaisir éphémère procuré par une addiction, que ce soit l’alcool, le sucre, les réseaux sociaux ou autre, notre responsabilité est engagée et nous devons être vigilants à l’égard de toutes les addictions.
Car oui, la quête du bonheur est aussi une course contre la montre. Non pas que la durée moyenne de nos existences soit trop courte, car nous ne savons pas si nous serions plus heureux si nous vivions plus longtemps. C’est davantage une question de perception du temps qui passe : plus nous vieillissons, plus nous constatons que le temps file, et plus nous sommes pressés de trouver la réponse au bonheur.
Afin de gagner du temps dans notre recherche du bonheur, nous pourrions essayer davantage de nous tourner vers la connaissance et l’expérience des autres, en particulier de nos aînés qui ont déjà traversé les épreuves que nous vivons. Cela induit de leur faire confiance, ce qui n’est pas toujours simple quand on connaît les erreurs humaines commises par le passé. Là, notre discernement entre en jeu et tant mieux, car alors nous sommes impliqués de nouveau. Sinon, nous n’aurions qu’à appliquer des principes énoncés sans en chercher le sens, tels une recette au bonheur. Et je crois avoir compris depuis les trente petites années de mon existence que nous ne serions jamais heureux en appliquant simplement des principes dénués de sens. Si notre cerveau est capable de tout questionner, c’est sûrement pour une raison. Même si nous questionnons parfois des choses qui nous dépassent, comme l’existence de la souffrance dans le monde, nous avons cette capacité à nous remettre en question et à changer de voie. Cette liberté de mouvement n’est pas seulement un moyen d’atteindre le bonheur, elle est en est la principale caractéristique. Je crois en effet que le bonheur, c’est cette reconnaissance de notre liberté et de notre profonde identité. La pépite dont je parlais plus haut, c’est bien cette identité-là. Nous vivons dans un monde pluriel, mais nous sommes uniques et capables de décision.
Le challenge, s’il en est, serait donc d’explorer notre singularité tout en tenant compte des expériences passées de nos aînés, le tout dans une forme d’empressement car nous avons conscience du caractère éphémère de la vie.
Imaginez un graphique à trois dimensions : en abscisse, le niveau de singularité, en ordonnée, le temps, et un troisième axe en diagonal correspondant à l'expérience des aînés.
Une vie parfaite, à mes yeux, ressemblerait donc à ce cube plein. Une vie pleine de vie. Je ne prétends pas y être arrivée, mais j’y aspire. Je constate aussi tristement que dans notre société, de plus en plus de jeunes semblent fuir les difficultés plutôt que les affronter. Moi-même, j’ai longtemps vécu avec cette idée que pour être heureux, il faut éviter tout accroc et écouter les consignes pour une vie lisse et bien rangée. Mais alors, le schéma du cube ci-dessus serait éloquent : ma vie serait parfaitement plate.
Ou alors, au contraire, je peux choisir de prendre des risques, d’explorer de nouveaux horizons, de foncer sans écouter les recommandations parfois mal intentionnées de mon entourage. C’est une solution qui peut s’avérer payante à un moment donné, mais il faut veiller à ne pas tout faire reposer sur nos épaules, car alors nous risquons de nous écrouler au moindre échec.
La solution idéale est bien sûr un mélange des deux : une vie heureuse et équilibrée n’est pas une vie parfaitement maîtrisée, où chaque seconde de notre temps est programmée et anticipée, mais une vie où on peut laisser de la place à des imprévus, où on accepte d’être dérangé pour apprendre et avancer. Ce n’est pas non plus une vie aveugle, dénuée de discernement, mais au contraire une vie passionnée qui n’hésite pas à remettre en question l’ordre établi.
Il reste tout de même une zone d’ombre au tableau : même si nous arrivions à mener cette vie “parfaite”, nous serions toujours troublés par des interrogations qui nous dépassent. Nous pourrions vivre en harmonie, certes, mais serions-nous vraiment profondément heureux ? Certaines questions continueraient de nous hanter, comme par exemple le sens de la souffrance, ou bien l’existence de la mort.
Ma vie spirituelle m’apporte un soulagement à ce sujet. Je ne prétends pas avoir la vérité sur la présence d’un Dieu qui régirait tout l’univers, mais je peux témoigner de mon expérience personnelle sur le réconfort que cette vie de prière m’apporte. J’ai bien conscience que je peux donner l’impression de me convaincre moi-même pour me rassurer, mais j’ai beau essayé de rationaliser ma pensée, je constate que rien ne me paraît plus logique que cette existence de Dieu. J’ai beau remettre en question ma foi régulièrement, je suis sans cesse attirée par ce Dieu. Je pourrais évidemment le repousser, ce que je fais d’ailleurs régulièrement, mais parfois, je me laisse approcher et ça ne me déçoit jamais. Au contraire, je constate toujours que j’en ressors renouvelée et renforcée. Mon bonheur, c’est de me laisser apprivoiser, comme le renard du Petit Prince.
Et si nous rouvrions la porte aux “et si” ?
Et si, maintenant que nous nous sommes décortiqués le cerveau avec ces réflexions sur le bonheur, nous acceptions de laisser la main à ce Dieu pour toutes les choses que nous ne comprenons pas ? On pourrait passer une vie entière à pédaler dans la semoule pour trouver des réponses, et ce serait peut-être en partie positif, mais nous en ressortirions épuisés.
Nous pouvons - et même, nous devons - être fiers de nos accomplissements en vue de notre bonheur et du bien commun. Mais il est tout aussi important d’accepter de ne pas tout comprendre, et d’adopter une posture humble face à ce qui nous dépasse. Être croyant à mes yeux, ce n’est pas être aveugle, c’est choisir d’être accompagné.
Et si ce Dieu, que nous avons finalement accepté de rencontrer, nous faisait la promesse de répondre à toutes nos questions existentielles ? Peut-être qu’à l’arrivée, le cube ou le micro-pixel de notre bonheur a vocation à s’ajouter à tous les autres pour former un dessein divin ?