- Hors de question.
- Alleeeeeeeeez Sandra, une bataille d’eau, juste une ! Il fait tellement chaud, et ça fait du bien, et t’as déjà ton maillot de bain sur toi…Juste cinq minutes, cinq et pas une de plus ! Bon allez, cinq minutes trente. Alleeeeeeez, s’te plaîîîîîîîîît !
- Non. Lâche-moi les baskets.
- Mais, c’est toujours pareil avec toi, tu sais pas t’amuser, tu te donnes des grands airs mais tu crèves autant de chaud que moi. Allez quoi, Sandra, les vacances ! Des grandes vacances sans bataille d’eau, c’est comme un petit-déjeuner sans chocolat chaud !
Je rabattis le journal sur mon nez sans chercher à dissimuler mon exaspération. Et les vacances, c’était pas censé promouvoir la trève instable des frères et sœurs en FOUTANT LA PAIX au plus grand des deux ?
- De toute façon c’est comme d’habitude, tu vas même pas bronzer, tu vas finir rouge écrevisse avant la fin de la journée et tu vas pleurer toute seule, moi je rigolerai bien.
La punaise ! De toute façon, même si je jouais à son jeu stupide, j’avais autant de chances de finir écarlate. Beaucoup moins de faire une bonne sieste, et c’était ça qu’elle semblait ne pas vouloir comprendre. J’allais devoir être méchante. Je n’aimais pas spécialement ça, mais elle ne semblait pas tout à fait branchée sur la même longueur d’onde que moi.
Je relevai une dernière fois le magazine qui me cachait le visage du soleil avec un affichage l’expression la plus dissuasive que je pus trouver.
- Lili, LAISSE-MOI TRANQUILLE ! C’est quoi le mot que tu comprends pas là-dedans ? Je te l’ai pas suffisamment répété TOUTE TA VIE ?
Lili se mit à bouder, emportant avec elle le tuyau d’arrosage jusqu’au bout du jardin. La pomme atterrit contre le tuteur du poirier que Papa avait planté au printemps. Elle était positionnée de telle façon que je me trouvais pile dans sa ligne de mire. Lili n’avait qu’à ouvrir en grand le robinet pour m’atteindre depuis l’autre extrémité du terrain. Elle n’en fit rien, elle se contenta, l’air renfrogné, de s’asseoir à l’ombre des volets du salon, à demi-clos.
Je ressentis alors un bref élan de culpabilité.
- Tu proposeras à tes potes, suggérai-je, même si je m’en foutais totalement.
- De toute façon, tu prends toute la place dans le jardin. Tu râlerais qu’on te mouille et qu’on crie trop fort.
- Vous n’avez qu’à rester à trois mètres et sans faire de bruit ! Depuis quand est-ce que c’est indispensable pour jouer à la bataille d’eau ?
Ma réponse ne dut pas plaire à Lili, car elle ne me répondit pas. Je recalai les pages au-dessus de mes yeux, reposai mes mains de chaque côté de mon corps emmailloté étendu sur la serviette de bain aux motifs de vacances, et replongeai dans la sieste que le boulet de ma vie venait d’interrompre.
Je ne me sentis même pas partir. Aussi, quand je m’éveillai, j’étais drôlement surprise de m’être autant reposée. Merveille, ma peau avait sa couleur habituelle, pas de brûlure au quatrième degré à déplorer.
Je me redressai péniblement, aveuglée par ce soleil assommant dont j’étais auparavant protégée par mes paupières closes. Je fronçai aussitôt les sourcils. La lumière était presque inhabituelle, presque jaune, de la couleur de l’herbe cramée qui nous servait de pelouse, comme si j’étais encore endormie, le silence était lourd comme un orage. Je me pinçai pour vérifier : non, j’étais bien réveillée. Alors ? Je jetai un coup d’œil vers le dernier endroit où j’avais vu Lili : elle était là, elle était endormie, rien d’anormal. Si ses copains n’étaient pas encore arrivés, je n’avais pas dû dormir si longtemps que ça. D’ailleurs, c’est souvent l’impression qu’on a lorsqu’on s’assoupit profondément. Je me remis un peu de crème solaire sur les bras, les jambes et le ventre. Je n’étais plus fatiguée mais j’avais un magazine à feuilleter, c’était une activité tout aussi passionnante.
Soudain, un « pssschiiiiiiiit ! » s’exclama dans l’air saturé du jardin, et je reçus les premières gouttes de la tempête sur les bras.
Je jetai un regard furieux vers le pommeau du tuyau d’arrosage, persuadée d’y trouver ma sœur. Non, personne, Lili n’avait pas bougé d’un cheveu depuis les dernières trente secondes, le temps d’une prolongation de partie de bataille d’eau. Le pommeau devait être instable depuis qu’elle l’avait laissé et la gâchette devait appuyer sur le tuteur, et voilà tout.
J’étalais consciencieusement la pâte blanche sur le bout de mon nez et mes oreilles quand quelque chose m’effleura le sommet du crâne. Je me redressai d’un bond et me retournai. Pas un brin de vent, pas un arbuste suffisamment près pour me chatouiller, alors quoi ? Trop bizarre.
Je regardais tout autour de moi et je ne voyais rien. Je ne devais pas être très bien réveillée. En me tournant de nouveau vers le tuyau abandonné, je reçus cette fois le jet à puissance maximale braqué dans ma direction.
En plein dans la figure.
Ça ne peut être qu’une blague, me disais-je en m’essuyant. J’étais debout maintenant, et le tuyau ne pouvait pas m’avoir visée sans une aide extérieure. Les amis chelou de Lili étaient forcément arrivés et me jouaient une bonne vieille farce, dont ils parleraient encore à Noël tellement leur vie est vide.
J’haussai les épaules et entrepris de faire le tour de la maison. En passant à côté de Lili, je remarquai qu’elle dormait toujours. J’hésitai à la réveiller, et puis décidai que non. Je longeai donc les murs à la recherche du plaisantin qui s’amusait à me faire peur. Rien. Les parents étaient sortis, les mômes pas encore arrivés, et un psychopathe hydrophile nous – me – cassait les pieds avec application.
Je retournai à l’arrière de la maison, là où j’avais laissé ma sœur, ma serviette et ma crème solaire, et ce foutu tuyau d’arrosage. Je commençai par le ranger autour de son piquet, agacée. Je dus d’ailleurs m’y reprendre à trois fois avant d’y parvenir convenablement.
C’est en revenant sur mes pas que je m’aperçus d’un truc louche. Plus de Lili à l’ombre du volet. Alors là, c’était sûr, j’avais trouvé mon coupable, saleté de petite sœur ! Treize ans et pas capable de se tenir !
Furieuse, je fis un second tour de la maison à grand pas. Je ne la trouvai pas, mais entendis du mouvement près du tuyau d’arrosage… vraiment, je n’étais pas douée aujourd’hui.
En revenant derrière la maison, un courant d’air me frôla et mes cheveux s’envolèrent sous la bourrasque. Je vérifiai : les arbres étaient immobiles, pas un nuage dans le ciel… quelqu’un qui s’enfuit peut-être ? J’avançai pour mieux voir l’autre côté de l’angle du mur derrière lequel le courant d’air avait disparu : rien.
Je me retournai… et me retrouvai nez à nez avec le pommeau d’arrosage, qui s’était déroulé et avançait vers moi, menaçant. Je me mis à hurler. Flottant dans les airs, il me suivit à travers le jardin, me trempant de la tête aux pieds. Je tentai de faire le tour de la maison pour le mener en bout de tuyau, mais il fit demi-tour et me rattrapa aussi sec.
Quelque chose me chatouillait dans le cou, mais impossible de savoir quoi : quand je me retournais, il n’y avait rien, rien que ce tuyau d’arrosage de l’enfer qui revenait à la charge. Alors je me remettais à courir, jusqu’à ce qui doive faire le tour de la maison, et la chose revenait sans bruit m’effleurer.
C’était un sentiment absolument désagréable. Il fallait que tout cela cesse. J’eus enfin une idée.
Je fis courageusement volte face près de la cabane à outils, munie d’un râteau que je brandis au-dessus de ma tête avec un air féroce.
- J’ESPÈRE QUE T’AS PENSÉ À LA CHAMBRE À AIR DE RECHANGE, VERMINE !
Et je me jetai sur le tuyau, tapant dessus à coups de râteau. Les dents se plantèrent dans l’herbe, dans le caoutchouc, dans mes pieds, l’eau se répandait dans l’herbe, le sang coulait partout, et le pommeau me tapait violemment sur la tête pour me faire lâcher prise, hurlant des paroles à n’y rien comprendre :
- Je t’ai eue ! Tu vois que tu t’amuses ! Ça t’apprendra à ne pas vouloir jouer avec moi ! Tu vois que tu t’amuses ! Tu vois que c’est drôle, une bataille d’eau !
Drôle ? J’étais en train de littéralement le trucider, je commençais à me sentir faible avec tous les vaisseaux sanguins que je venais de m’éclater, j’arrachais des mottes d’herbe lourdes et rouges, mais il trouvait ça drôle ?
C’est alors que les arrosoirs débarquèrent. Ils défoncèrent la porte de la cabane à outils et se précipitèrent aux cuves de récupération d’eau de pluie pour se ravitailler. Alors que je tapais sans relâche sur le tuyau qui s’enroulait autour de moi comme un boa, ils vinrent tournoyer au-dessus de ma tête et aplatirent soixante litres d’eau sur ma tête. J’hurlai de nouveau, brandissant mon râteau…
… et me retrouvai assise sur ma serviette, trempée, le cœur battant, un groupe d’adolescents débiles rigolant tout aussi stupidement autour de moi.
Un cauchemar.
Un autre.
L’un tenait un arrosoir vide, l’autre une branche feuillue, et ma sœur, mon démon de petite sœur, elle tenait le pommeau d’arrosage avec sur sa figure l’air le moins innocent et le plus fier du monde.
Même si elle dit ne pas rêver, on se dit que c'est toujours possible, et la fin vient confirmer qu'il s'agissait biend 'un cauchemar. Le mini détail du fait qu'elle dit "un cauchemar / un autre" apporte une touche sympa ! Comme s'il y avaoti autre chose à fouiller, de plus surnaturel.
J'avoue, j'ai manqué d'inspi pour la chute x) Je suis peut-être trop terre-à-terre !!!
Tu écris vraiment bien, c'est agréable de te lire ! Ton histoire est à la fois drôle et horrible : et le mélange des deux est génial ! Un pommeau d'arrosage tueur, c'est très original et au final assez effrayant. Et puis les coups de râteau... j'en ai mal aux pieds !
J'aime vraiment ton histoire ! Bravo à toi ^^
Ah, ce petit twist de fin, je dois avouer que je ne m'y attendais pas ^^<br />Moi qui pensais qu'elle allait mourir étranglée par un tuyau. Après, je crois que je reste un tantinet sceptique face à l'histoire, pour la simple et bonne raison que je fais partie des gens qui rêvent de contextes particulièrement fifou. Genre si la nana s'était retrouvée dans son ancienne école avec 15 tuyaux d'arrosage, des loups et des gens qui meurent assomés par des rateaux, je pense que ça l'aurait plus fait pour moi. Là la dimension trop réaliste fait qu'on croit moins à un cauchemar qu'à un gros délire dû au soleil qui lui tape sur la tête (ou peut-être qu'en fait le personnage principal est fou ET C'EST ÇA LE TWIST)
Mais sinon je trouve ça très bien écrit et c'est intelligent d'utiliser le contexte de la fratrie, je trouve que ça donne une dimension très réaliste (ma petite soeur était un peu ce genre là en plus, donc je m'y retrouve hahaha)
Bravo pour ta participation !
Merci pour tes compliments <3 Et je suis trop rationnelle pour écrire un truc sans explication logique à la fin haha. Il paraît que c'est là mon principal défaut (si je n'en avais qu'un héhé)
Merci <3 Et pour le rêve, je peux affirmer que ce sont les autres qui ont copiééééé ? *siffle* xD
Très efficace, et bon petit style percutant.
On est plongé tout de suite dans une scène qui fait un peu huis clos, paradoxal, c'est en extérieur : la soeur, le tuyau d'arrosage et le reste.
J'aurais presque souhaité qu'on ne sache pas que c'était un rêve !
A bientôt
Oui, j'étais un peu à court pour le rêve… apparemment je ne suis pas la seule !
Je trouve ça toujours un peu dommage l'effet "ce n'était qu'un rêve" mais la fin est quand même assez marrante (et imaginer ce pommeau de tuyau d'arrosage l'engueuler en lui assurant le fun d'une bataille d'eau, c'est plutôt fendard)
Ton écriture m'avait manqué Mimi, tellement naturelle et efficace <3 Cette petite peste et sa grande soeur (plutôt pestouille ado aussi) sont très vraie dans cette nouvelle.
Bravo ! (je suis à nouveau estomaquée par ta vitesse, n'empêche !)
Oui, j'avoue, j'avais pas d'autre idée pour terminer ça bien, j'aime pas trop tuer mes personnages et ç'aurait été la mort la moins glorieuse du monde x'D
Et pour mon efficacité, c'est que j'aurais pas eu le temps de l'écrire ce week-end sinon, j'avais un agenda de ministre ^^
Et tout plein de keurs keurs keurs <3 Tu es trop mimi :')
J'ai beaucoup aimé tes personnages en tout cas, elles avaient toutes les deux quelque chose de très vrai (et pourtant j'ai pas de petite soeur), ce qui fait sûrement qu'on entre bien dans la scène que tu nous dépeinds et qu'on arrive (presque) à croire à l'attaquer de tuyau ! =D
Remarque, ç'aurait été encore plus dégueu avec une hache :D Je me contenterai du râteau…
Merci Danette <3
Je dois bien avouer que j'ai pas trop eu peur, mais en même temps c'est tellement dur de faire peur seulement avec des mots... Et bon, la scène où elle se bat contre le tuyau meurtrier m'a quand même filé des frissons, l'herbe qui devient rouge et tout ça... Beurk.
C'est bête quand même, pour ta pauvre héroïne xD
Oui, je sais pas où je suis allée chercher ça… Surtout les trucs gore, c'est tellement pas mon genre en vrai *siffle*
juste un truc me dérange:
elle plante un rateau dans un tuyau d'arrosage et il y a de sange
Wath? Très bienr réussi en tous cas comme texte.
Et sinon elle se plante le rateau dans les pieds, c'est pour ça qu'il y a du sang :D
Merci d'avoir lu !