Toc toc toc toc toc.
Encouragé par les coups d'œil irrités de Cole, je respire à fond et essaie de me calmer en fixant mon genou dans l'espoir de le faire arrêter de bouger. Mais après dix minutes d'échecs répétés, je me résigne et me mets à faire les cent pas dans cette fichue infirmerie.
"Non mais qu'est-ce qu'ils fichent depuis une heure-là, ça doit quand-même pas compliquer de leur faire cracher le morceau !
—Eh bah vas-y toi, Mr. l'Expert.
—Oui, bah oui, après tout l'inaction sied mieux à certains qu'à d'autres hein ?"
Cole et moi nous regardons dans les yeux pendant un long moment, notre duel interrompu seulement par le léger grincement de la porte qui s'ouvre. Je détourne le regard.
Mon humeur doit se voir sur mon visage parce que Galdor lève les deux mains en signe d'apaisement.
"Du calme traduit Ley, du calme."
Je me suis rassis, mon attention toute dirigée vers lui cette fois. Le récit de ce qu'il avait appris de la bande qui sévissait en ville depuis à notre arrivée a été beaucoup trop court à mon goût. Bien que cette fois, j'en suis certain – sans me risquer à le vérifier tout de même – il n'avait rien omis aucun détail. Je ne peux que vous laisser imaginer ma frustration.
—M-mais attendez et le bateau ? Et le flutiste ? et-.
—Ils ont seulement admis vouloirrr vendrrre les enfants, comme vous le soupçonniez.
—Et pour nous ?, est soudain intervenu Cole. Ils avaient bien le même symbole tatoué que celui qu'on vous a décrit non ?
—En plus !, appuis-je, immédiatement soulagé par le soutien de mon ami. M'avait-il pardonné ? Rien n'était moins sûr, en tout cas il reste que notre récent accrochage ne lui a pas fait perdre de vue notre objectif commun.
—Ah, oui..."
Il ne fallait pas être extralucide pour deviner le "mais à suivre". Galdor a passé sa main derrière sa nuque, gêné et je me suis tendu.
"Ce qu'il y a c'est que le Conseil demande à vous voirrr.
A ma grande stupéfaction, Cole réagit au quart de tour.
—Me dites pas qu'ils nous croient pas ?!, éructe-t-il en se précipitant sur Galdor. Leith, qui avait fait partie de l'escorte des mercenaires et était revenu avec le Maitre de guilde, tente de s'interposer mais Galdor le retient d'un geste.
—Ils ne peuvent crrroirrre ce qu'ils n'ont pas entendu parrr eux même, jeune homme.
—Mais vous leur avez bien dit vous, pas vrai ?
—Isaac, nous sommes une guilde, nous sommes... Euh... Estimés parrr la communauté, c'est vrrrai. Mais nous ne pouvons pas passer au-dessus des lois voyons !, s'indigne alors Ley.
Non mais l'hallucine ! On s'est fait kidnappés – moi deux fois – on s'est fait attaquer par ces types et en prime, on a réussi en mille fois moins de temps qu'eux à régler leur problème à leur place ! Comment peuvent-ils encore douter de nous ? Quand est-ce que l'évidence va enfin leur exploser à la figure ?!
—Donc vous êtes là pour nous amener à vos chefs c'est ça ? – Galdor acquiesce sans ciller. – Su-per."
Tout aussi dépité, je me résous à les suivre malgré tout. Plus vite on y sera, plus vite on en finira. Et puis, je compte bien en profiter pour demander des comptes à ce Conseil quant à l'efficacité de ses méthodes d'interrogatoire.
Arrivés devant la haute porte à double battants du bâtiment principal de la ville je suis surpris par le nombre de gardes qui, visiblement, nous attendent. Tandis que deux gardes ouvrent devant nous, six hautes silhouettes nous encadrent et Cole et moi nous rapprochons instinctivement.
Nous traversons les couloirs sinueux du bâtiment sans que je fasse attention aux mosaïques qui constituent les murs, aux bustes et au gens dont je sens à peine les regards aigus sur moi alors qu'ils s'écartent pour nous laisser un bien large passage. Tout au long de notre progression je n'ai conscience que de deux choses : nous montons et Cole et ses poings serrés parviennent tout aussi difficilement à cacher son sentiment – identique au mien – de marcher droit vers la fosse aux lions que moi.
Notre escorte s'arrête devant une autre porte en bois semblable à celle de l'entrée, mais moins haute, plus large et différemment ouvragée. Deux des gardes qui la constitue vont prendre place aux côtés des deux qui gardent déjà la porte tandis que Galdor se tourne vers nous, solennel.
"Vous ne nous accompagnez pas ? demande-je trop brusquement.
Il secoue la tête alors que Ley répond pour lui.
—Seuls les acc- les concerrrnés, les Conseillés, leur grrreffier, les soldats, les généraux et, occasionnellement un public de prrrivilégiers peuvent entrer dans la salle...
La gaffe qu'il a rattrapée ne m'avait pas échappée et avec un visage aussi expressif que le sien, l'absence de qualificatif au mot "salle" non plus évidemment. Si je n'étais pas déjà assez flippé à cet instant, voilà qui m'aurait décidé.
—Et on est sensé se défendre par langue des signes ? Par télépathie pendant qu'on y est ?, gronde mon camarade. Et je suis pour le coup aussi sidéré que lui de voir Ley réfléchir sérieusement à la question.
—Ne-ne vous en faites pas, nous leurrr avons parrrlé de votrrre... Parrrticularrrité. Ils-ils ont leurrr prrroprrre trrraducteurrr.
—Et il a aussi six malabars collés aux basques ou c'est encore une de nos particularités ?"
Ley, Leith et Galdor fixent maintenant Cole, qui lassé, qui prêt à en découdre, qui au bord de l'arrêt cardiaque – je vous laisse le soin de deviner. Après un long soupir je me résigne pour ma part à tapoter son bras pour attirer son attention. D'abord furibond, le changement notable qui s'était opéré pendant notre accrochage suffit à le faire redescendre en pression : notre agitation – à Cole et moi évidemment – avait pousser les gardes à porter la, main à leurs épées, près sans doute à nous tailler en fine lamelles si nous venions à exploser – au sens littéral du terme – comme tout le monde dans cette foutue ville semble s'y attendre.
Pour achever de "détendre" l'atmosphère, je glisse quelques mots en irlandais à son attention – comme je l'espérait, Ley nous regarde comme un poisson hors de l'eau. C'est là-dessus – et un peu plus sereinement pour lui – que Cole et moi pénétrons dans la salle du conseil.
Je vous passe les détails, soyons quittes pour dire qu'ils n'en valent pas la peine d'accord ? Ce que vous devez savoir en revanche, c'est que comme nous l'avions pressenti Cole et moi, cette bande d'antiquités en toges à paillettes – bien que pas plus âgés que Galdor, ç'aurait pu être écrit dans leurs manières ou dans leur façon emphatique de s'exprimer entre autres – ne nous avait pas fait mander pour discuter de toute la "particularité" de notre situation autour d'un thé. Non, ce qu'ils voulaient eux, pour changer, c'était trouver – quitte à l'inventer – un lien chimérique entre nous et leur incompétence à faire la police dans leur propre cité.
Enfin, il serait plus juste de dire que cinq d'entre eux faisaient notre procès. Quatre autres se contentaient de nous fixer comme s'ils voulaient arracher nos cœurs pour en disséquer le mensonge et le dernier – bien qu'aussi silencieux que les autres – nous regardait avec la même lueur que Galdor dans le regard. S'il était le seul à nous écouter vraiment, pourquoi ne résonnait-ils pas ses pairs ? Il n'avait pas trouver son pass pour les plus hautes sphères d'un royaume dans une pochette surprise quand même ?!
Vous vous doutez bien qu'il nous a fallu énormément de self-control pour rester calmes alors qu'ils se bornaient à nous lier à la série de rapts récents qu'avait subi la ville et qui, de ce que j'en avait compris – le traducteur ne transmettait que ce que ces supérieurs voulaient évidemment – s'étendait à tout le royaume. A un moment, une de leurs tentatives a dû être tellement aberrante que le dénommé Hilfengad à enfin finit par s'y opposer. Déjà surpris par cette soudaine prise de position, Cole et moi l'avons encore plus été de voir l'approbation de deux des spectateurs à sa gauche.
Et bien que cela en ait froissé plus d'un, il a fait signe au gardes et Galdor a investi la salle, flanqué de Ley. Les débats on repris, tendus mais au moins existant cette fois, et en une dizaine de minutes nous nous sommes retrouvés dehors. Cole a immédiatement explosé :
—Non mais c'est quoi leur problème à ces viocs ?! Ils nous ramènent, nous laissent plantés là pendant trente minutes sans nous calculer une seconde, à débattre avec eux-mêmes du meilleur prétexte pour nous jeter au trou et... (Il jette à Ley un coup d'œil assassin.) Leur pseudo-traducteur à la mords-moi l'nœud là, la prochaine fois que je le vois j'te jure que j'l'-.
—Attends, tu as compris ce qu'ils disaient ?, l'ai-je coupé autant pour savoir que pour l'empêcher de se rendre coupable de menace de mort, ça n'aurait pas arrangé nos affaires.
—Pffft, même une taupe l'aurait compris Isaac ! Et toi aussi d'aill-.
Je lui ai écraser le pied et la douleur l'a fait taire
—Oups ! pas fait exprès.
—Argh mais bien sûr.
—Calmez-vous., nous a intimé Galdor par l'intermédiaire de Ley. Je sais bien que tout cela est trrrès dérrroutant pourrr vous alorrrs entrrrez, je vais tout vous expliquer."
Il a ouvert la porte du Q.G. et y est entré en ignorant les regards attentifs des autres membres de la guide, stoppés dans leurs conversations. Il m'a fait signe de m'assoir – il avait compris depuis le temps que Cole était une cause perdue sur ce point. J'ai tenté de résister mais ai fini par céder en soufflant.
"Le Conseil traque ces malfrats depuis plus d'un mois sans succès maintenant-.
—Vu leur façon d'enquêter, c'est pas étonnant., ai-je craché.
—Taisez-vous deux minutes et écoutez-moi., a traduit Ley avec plus d'irritation que son supérieur (on aurait dit un bébé en plein caprice). Il n s'agit pas tellement là de justice que d'apparrrences, les rumeurs et avis vont (Ley a semblé chercher ses mots) vont bon trrrain depuis un certain temps maintenant. La population commence à questionner la compétence du Conseil tout comme vous. Il était prrrimordial – pourrr eux du moins – de fairrre montrrre d'autrrrité pourrr rrrassurer les sarrrdags. Leur montrrrer que les choses bougent.
—Quelle est la sentence alors ?, ai-je demander avant que Cole ne retourne mettre ses menaces avortées à exécution. Je n'ai pas pu cependant polir l'ironie de ma voix.
—Il n'y en a aucune.
L'incompréhension devait être flagrante sur nos visages, car notre traducteur n'a pas caché son exaspération quand il a répondu de lui-même :
—La guilde s'est porrrtée garrrante pourrr vous figurrrez-vous !
—Eeeuuuh..., avons-nous fait à l'unisson.
—La guilde a rrrappelé ce que la ville vous devait, le rrrôle que vous avez joué dans l'arrresstation de ces types.", a-t-il repris après que Galdor ait presser son épaule pour le calmer. Et elle vous a placé sous sa prrrotection."
Après cette petite précision il s'est dégagé de la main du Maitre et est allé s'enfermer derrière une porte que je n'avais jamais ouverte encore. Je me suis affalé sur ma chaise et frotté le front. Je retire ce que j'ai dit, voir Ley s'énerver c'est très... Malaisant. J'ai eu l'impression d'avoir fait une grosse bêtise. J'ai alors relevé les yeux et croisé le regard de Galdor qui me fixait. Je ne suis pas sûr mais j'ai cru y lire de la compassion en plus de son éternelle bienveillance.
"J-J-Je vais..." ai-je pathétiquement bredouillé à son attention avant d'ajouter "On se vois plus tard Cole, ok" ? Je me suis rué vers la porte sans attendre la réponse.
Et me voici à présent, noyé dans les bouquins jusqu'au cou depuis une éternité. A mes côtés, c'est à un Ley à nouveau tout sourire que je tente de faire comprendre toutes les subtilités imagées du français. Et pour ça, rien de mieux que de les faire coïncider avec celles du Fëln, la langue nationale du royaume : c'est ainsi que "se creuser la tête" correspond à "se râbler le pâté" par exemple.
Cole aussi s'essaie à cet apprentissage – je suis encore très perplexe aussi sur ce changement radical d'opinion. Pourtant, il nous a bel et bien rejoint quelques heures après notre débriefing de ce qui s'est passé au palais. Je n'ai pas fait de remarque : beaucoup trop incroyable pour que je me risque à questionner ce soudain intérêt.
"On vas manger ? Je meurrrs de faim !, s'exclame soudain Ley en éclatant de rire à cette énième expression dont il trouve l'analogie " je braille de la caisse à briffe" particulièrement tordante.
—Moi j'arrête là pour aujourd'hui. Je suis dehors si vous me cherchez."
Il a passé la porte avant que j'aie pu dire quoique ce soit. Ley à côté, a semblé tout aussi surpris.
*********
"Dis-moi, il n'est pas un peu étrrrange euh... Cole, ces temps-ci ?
Je relève brusquement la tête de mon assiette en entendant la question de Ley. Il me faut quelques secondes pour me souvenir d'où je me trouve et pourquoi.
—Oh ! C'est rien. C'est juste euh... Ce plat qui est trop bon !, mens-je en espérant fort être crédible.
—Et tu peux le déduirrre rrrien qu'à l'odeur et l'aspect de ton assiette ? Qu'est-ce qu'il y a ?, me demande-il alors que je souffle bruyamment, dépité d'avoir sorti une excuse aussi bidon.
—C'est rien, c'est... Ça m'arrive parfois. Enfin m'arrivait ! ça m'arrivait avant...
—Ah oui, tes absences. Et depuis quand ça t'arrrives exactement ?
Après avoir encore essayer de me défiler et quand j'ai compris qu'il ne lâcherait rien, je décide finalement de lui balancer tout ce que je sais sur mes problèmes de mémoire et d'attention, leur débuts supposé, leurs fréquence, l'amélioration depuis que je suis ici... Et malgré tout, les circonstances de ma première – j'insiste vraiment là-dessus – et dernière perte de conscience en date (bon par contre j'omets le rêve évidemment, faut pas déconner).
—Donc tu t'es enfin décidé ?! Argh et j'ai raté ça ! Je te hais. Pourrrquoi tu ne voulais pas d'ailleurrrs ? (Je hausse les épaules.) Bon quoiqu'il en soit, c'est signe que ton potentiel se développe. En prrrincipe on prend en charrrge les jeunes trrrès tôt à l'école, pour leur apprendre la magie s'ils le souhaitent, sourrrtout ceux chez qui le potentiel est aussi flagrant que le tien. Mais bon vu d'où vous venez tout les deux... (il se ressaisit immédiatement et poursuit). J-Je pense qu'il faudrrrait vite commencer ton apprrrentissage, si tu n'apprends pas à maîtrrriser ton pouvoirrr, ce qui t'as sauvé la vie deux fois pourrrait devenirrr-.
—Problématique ? Gênant ? Dangereux ? Fatal ?
—Excessif., m'interrompt-il en détournant le regard. Tu n'as pas peurrr ?, demande-t-il avant que le silence ne s'installe pour de bon.
Je secoue la tête, ce qui me vaut ses yeux ronds.
—Tu l'as dit toi-même, c'est à ce pouvoir que doit de ne pas être attaché à poil devant une tripotée de vieux pervers tripoteurs ou pire, donc pour l'instant je me sens plutôt redevable à mère Nature. Ou plutôt Géant Vert rectifie-je devant son incompréhension (qui ne fait que s'accentuer). Laisse tomber. Enfaîte la seule chose que je regrette pour l'instant, c'est d'avoir risqué de mettre en danger ces enfants... tu sais, dans le bateau.
—Une chance que l'embarrrcation ai été conçue pour absorber un peu la magie., approuve-t-il. Au fait ! Tu as ton Almana ?
—La grosse perle c'est ça ? C'est Cole qui l'a.
—Grrrosse ? Grrrosse comment ? Attends quoi ?! Tu t'es séparrré de ton Almana ?, s'exclame-t-il en bondissant de sa chaise.
Je cligne des yeux face à une telle réaction.
—Euh bah... Grosse comme ma paume. Et je l'ai donnée à Cole donc techniquement je ne m'en suis pas vraiment séparé.
Il se rassoit la mâchoire pendante.
—Grrrosse comme... (il secoue vigoureusement la tête). Isaac, Gaïus t'a sans doute fait le la leçon surrr d'où vient l'Almana et blablabla ? Mais je parrrie qu'il ne t'a pas parlé de son importance culturrrelle ?"
Ley lui ne s'est pas privé. Il s'avère ainsi que les tests de potentiel sont très onéreux, et que ce n'est que par souci d'équité que, selon lui, ils sont offerts une fois dans la vie de chaque sardag à partir de ses quinze ans – l'âge approximatif à partir duquel le potentiel magique devient mesurable.
C'est pour cette raison que le premier test de potentiel est plus vu comme un rite de passage que comme une simple évaluation, et la première Almana comme un trophée que comme une simple "condensation de pouvoir". Bien que je voie très bien le vieux Gaïus nous sortir l'argument "Vous n'êtes même pas nés à Lidragis !" je ne peux m'empêcher de me sentir arnaqué. J'ai la conviction que cette omission n'avait rien d'un oubli de sa part.
"Et en plus, tu lui a donné à lui..., a-t-il marmonné.
—Pardon ?
—Quoi ? R-Rrrien rrrien., bredouille-t-il penaud.
—J'ai très bien entendu malheureusement., ai-je rétorqué.
—B-ben... T-tu sais, il est bizarrre quand-même ton ami.
—Ah vraiment ? Quel rapport ?
—Au-aucun aucun (il fait de grands gestes pour essayer de me calmer). C'est juste que... Tu vois bien, il est toujours tendu, toujours en colère, on-on dirrrait qu'il va frapper le premier qu'il voit faire de la magie devant lui c'est bizarrre non ? Et en plus il ne s'assoit jamais !
—Pas du tout ! (Je me frotte fermement la mâchoire pour retrouver mon calme qui vient de partir en fumée.) Si tu fais bien le compte de ce qui nous est arrivé presque à chaque fois qu'on a été témoin de magie, tu trouveras ça plutôt logique. Et je te signale (je prends une grande inspiration avant de continuer, il y a bien assez de gens qui nous regardent comme ça). Je te signale qu'avec la confiance qui a règne depuis qu'on est arrivé... Tu ne peux pas nous reprocher d'avoir mal vécu d'avoir été accusé d'enlèvement d'enfants, deux semaines après avoir atterris ici même si c'est défendable.
—D'accord, d'accord ! Mais...
—C'est mon ami !"
Ley tente de se défendre avec humeur mais finit par capituler quand je lui rappelle que Cole gère malgré tout mieux ses colères que d'autres.
—En parlant de Jayden, je n'ai pas encore eu l'occasion de voir sa tête maintenant qu'on est officiellement blanchis.
Pile à ce moment-là, Leith fait son entrée dans le hall et s'affale sur une chaise de bar.
—Alors ça c'est étrrrange..."
C'est vrai qu'à chaque fois que je les avais vu jusqu'à présent c'était ensemble. Mais même lui n'a pas l'air de savoir où est Jayden. De ce que j'ai compris ils étaient censés partir en mission ensemble – un transport de marchandises risqué je crois – mais Jayden aurait annulé au dernier moment. Pour la troisième fois en une semaine. Mais à en juger par la tête que fait Leith, ça fait plus longtemps que Jayden manque à ses devoirs.
Je crois comprendre d'un coup. En remettent dans un certain ordre les évènements récents, son comportement a un certain sens en fait. Voyant Ley toujours absorbé par ses réflexions, je lui glisse l'air de rien que je pars faire un tour et me mets à la recherche de Cole, je dois en avoir le cœur net. Je me souviens cependant qu'il a décidé de sortir et c'est sans grand espoir que je fais le tour des bâtiments à sa recherche. En vain. Il serait sorti dehors ?
Un frisson me traverse de la tête au pied à l'idée qu'il puisse se retrouver seul quelque part en ville, dans une ruelle sombre face au flutiste encore en fuite. Mon premier reflexe c'est de retourner à la guilde prévenir les autres. Il a beau s'en être plus doué que moi en combat singulier, je ne me souviens que trop bien du mode opératoire de ce type... Je m'arrête aussitôt cependant. Les yeux rivés sur la porte du bâtiment je repense à tout ce qui s'est passé depuis que nous sommes arrivés ici dans cette ville, dans cette guilde. Je repense aussi à ce matin :
"La guilde s'est portée garante pour vous figurez-vous !"
Non, je ne peux pas leur dire. Ils en ont tous déjà beaucoup trop fait pour nous. Bien décidé à changer ça dans un avenir proche je tourne les talons et cours direction Alya Daÿle. Si j'ai visé juste, je n'aurais peut-être pas besoin d'impliqué toute la guilde.
Il ne me faut pas longtemps pour arriver à Alya Daÿle, avoir fait le chemin du retour nu comme un ver au milieu des regards stupéfaits, surpris voire inquisiteurs de certaines des personnes les plus influentes de la ville – du pays même – autant dire que je ne suis pas près d'oublier l'itinéraire de sitôt. Dans la cour devant l'édifice au haut clocher, là où la veille encore leurs versions zombifiées s'alignaient en file indienne, les enfants courent, jouent et rient comme si jamais personne n'avait essayer de les enlever pour en faire des esclaves.
Bien que cette scène me réchauffe le cœur, je ne trouve pas qui je cherche en scrutant la foule. Alors je fais le tour en restant à bonne distance. Pour maximiser mes chances, je me concentre pour essayer de calquer la magie cachée sur le décor que je vois – comme hier dans le brouillard. Mais avec les yeux ouverts, c'est tellement plus dur que je rentre dans quelque chose sur mon chemin.
Quelqu'un plutôt.
"Hé ! Vous ? z'êtes le type du bateau... Non ?
—Et toi le... gamin récalcitrant d'hier., réponds-je en reculant.
Oui je sais, y'a mieux comme qualificatif mais vous permettez ? C'est déjà un miracle que j'ai pu mettre en pratiques mes quelques leçons avec Ley.
—Ah ouais, j'aime pas qu'on m'dise c'que j'dois faire. Mais j'en suis pas encore à faire exploser des bateau moi.
—Je déteste qu'on m'embarque contre mon gré. Et surtout si c'est pour m'enfermer au milieu d'un ramassis d'ivrognes aussi glauque.
Nous nous sommes regardés dans les yeux quelques secondes et nous avons éclaté de rire et il a enserrer ma taille de ses petits bras.
—Merci vieux.
Je signalais à cette petite racaille en herbe que je n'ai que dix-huit ans – non 19 enfaîte – quand il a fait son apparition.
—Je savais bien que je te trouverai là.
—Qu'est-ce que tu fais avec lui Oz ? Recule.
Le poing droit de Jayden se mets à luire alors qu'il se rapproche et tend la main vers le garçon. Des gerbes de poussières se sont misent à voleter
—Oz ? C'est ton nom ? demande-je en souriant alors qu'il s'apprêtait à répliquer. Ça fait très... Magicien dis-donc.
—Tu trouves ? Enfaîte mon vrai nom c'est Ozam, mais justement-.
Mais Jayden a réitéré son avertissement et j'ai jugé plus prudent de mettre les choses au clair tout de suite. Mais c'est Oz qui le fait pour moi.
—Jayden c'est lui ! Il a fait exploser ce bateau et s'il avait pas été là, le type à la flûte nous aurait tous embarqué et-.
—Ça ne veux rien dire ! Ils n'ont jamais pénétré la ville jusqu'au jour où ils se sont amenés lui et son... toutou là !
—Mon "toutou" comme tu dis s'appelle Cole, et tu es gonflé !, éructe-je. Je te signale que c'est toi l'animal qui a essayé de nous exploser parce que les choses ne prenaient pas le tour que tu voulais !
—Fermez-là tous les deux ! (Nous nous sommes exécutés Jayden et moi mais n'avons pas cessé de nous affronter du regard). Jayden, le Conseil les a blanchis ça a fait la une ce matin, t'as pas lu la une que j'tai filé c'matin ? (Il reçoit un regard noir en réponse.) Et en plus... En plus je l'ai vu... Je l'ai vu dans la cale, ils étaient pas potes Jay, vraiment pas.
—Ah... Et il t'a dit ton sauveur, qu'il est là depuis une semaine, qu'il fait croire à tout le monde qu'il comprends pas le Fëln et là pouf comme par magie, il comprend et il parle le Fëln ! Alors, comment tu justifie ça toi hein ?!
—Mais qu'est-ce que tu peux être teigneux ma parole ! Je parle le Fëln parce que je l'ai appris !
—En une semaine ?!
—En dix ! Mais je crois comprendre que t'avais déjà toutes tes certitudes quand on racontait notre histoire à l'infirmerie pas vrai ?
—Oh oui, votre fameuse histoire de mildariens exhibitionnistes atterris par magie sur Lidraghis ! Tu sais quoi ? La seule chose crédible dedans c'est peut-être bien que la partie exhibitionniste., crache-t-il avec un rire mauvais.
Un ange passe avant que je reprenne mon souffle et réplique.
—Ça c'est un coup bas..., dis-je en hochant la tête pour me redonner contenance. Tu... Tu réagis souvent aussi noblement ou c'est uniquement quand tu dois cacher que t'as peur ? (Je passe devant Ozam et m'avance vers lui, son visage se referme aussitôt et ses poings se remettent à luire.) Peur que l'histoire se répète."
Son poing file dans la seconde et même si j'y étais préparé, il atteint le coin de ma mâchoire et je titube en arrière. J'entends derrière moi Ozam s'indigner mais je n'y prête pas attention. Le son me parvient comme assourdi pas du coton, et toute sensation de douleur est éclipsée par celle oppressante, étouffante de gonfler de d'intérieur. Littéralement.
Face à moi, l'expression de Jayden passe lentement de la fureur à la sidération. Mais ne n'arrive plus à fixer mon regard assez longtemps pour m'en assurer, c'est comme si mes yeux étaient aimantés par un point dans le fond de mes orbites. Mon équilibre se fait chancelant et je lève une mais – je vous jure je voulais juste m'appuyer sur un truc ou n'importe quoi d'autre. Mais j'ai tout juste le temps de comprendre que Jayden valse à plusieurs mètres et percute l'arbre derrière lui.
Puis d'un coup je mes jambes me lâchent et je m'écrase comme une bouse sur le sol de terre. Je n'ai alors plus que cette perturbante sensation aux tripes. La même que celle que j'ai ressenti le jour où j'ai vomi sur les godasses d'une ex de Cole. On avait organisé un concours de qui se goinfre le plus avec Charles et Sean ; et elle avait commis l'erreur d'en attendre la fin pour "involontairement" sous-entendre que Cole pourrait trouver mieux comme fréquentation que "deux porcs malpropres et une tête d'ampoule greffée à ses bouquin".
Je suis tiré de mes pensées par Ozam et Jayden qui me secouent par les épaules. Je les chasse tous les deux d'un revers de main agacé.
"Je vais bien !
—C'est ça, je vais te ramener mon pauvre., réplique Jayden avec suffisance.
Je tique immédiatement.
—Pfff cours toujours. (je prends appuie et me hisse le long du tronc d'arbre en même temps que je continu avec humeur.) Tu sais quoi ? J'ai pas besoin de toi, j'ai pas besoin que tu me crois et j'ai encore moi besoin que tu m'ai-.
Bien évidemment, j'ai trébuché et manqué de m'étaler en plein milieu de ma déclaration d'indépendance... Vraiment je crains beaucoup parfois.
—Pouah, ce que tu peux être borné quand tu t'y mets !, peste-t-il en me rattrapant par le bras pour le placer autour de ses épaule. Je pensais que tu aurais appris quelque chose de ces derniers jours...
—Tu plaisantes j'espère ?
—Pas du tout ! Ne jamais se fier aux apparences.
—Alors là, c'est l'hôpital qui se fout de la charité ! Enfin, le vautour qui se mange le foie comme vous dites."
Nous nous défions du regard et finissons par éclater de rire.
Sur le trajet du retour nous avons discuté Jayden et moi. Il m'a raconté son histoire et comment il est entré dans cette guilde, "Avel". Jayden est originaire d'Assaray, un pays au sud du royaume, c'est Galdor et d'autres membres d'Avel qui l'ont trouvé dans la cale d'un bateau semblable à celui dans lequel je me suis retrouvé. Il était alors âgé de douze ans. Quand je lui ai demandé s'il savait où ces bateaux était sensés aller – je savais que je marchais sur des œufs, mais je j'étais aussi concerné et je voulais vraiment savoir – il a serré les poings avant de répondre :
"Roskoe".