Je me souviens de toi

Par Sinead
Notes de l’auteur : Participation au concours de la nouvelle du 29 février

Le voilà. Ou plutôt le revoilà, ce jour qui n'existe qu'une fois tous les quatre ans. Un mois rallongé d'une journée, un sursis pour février avant l'arrivée de mars, de ces giboulées et de son printemps. Personne n'aime ce mois trop court, amputé de ses derniers jours au nom du calendrier. Cela fait tâche dans les papiers administratifs et c'est pénible pour la comptabilité.

Février, ce mal aimé.

Et pourtant, moi je l'aime, car c'est le jour où je l'ai rencontrée. 

Il y a quatre ans très exactement, un autre 29 février pareil à celui-ci, hormis que le soleil brillait haut ce jour-là, et qu'aujourd'hui il pleut à verse. C'est sûrement grâce à cette belle journée passée que j'avais pu la remarquer, au bout de la rue piétonne, seule, immobile et baignée dans la douce lumière d'un rayon providentiel, qui avait réussi à se glisser entre deux immeubles.

Une carte à la main et la tête semblable à une girouette, elle semblait chercher une rue, une direction, en tout cas quelque chose de précis. Quelque chose qui l'avait poussée à se rendre dans cette ville, en particulier aujourd'hui, ce fameux jour qui n'existe qu'une fois tous les quatre ans et auquel plus personne ne fait attention. Plus personne à part moi, qui ne peut plus ignorer le seul jour de l'année où nous nous sommes rencontrés.

Puis-je te tutoyer ?

Ce jour-là je n'ai pas osé, et pourtant, c'est la seule chose qui nous séparait encore, cette pudeur, cette politesse excessive qui érige un mur entre deux inconnus. Cette retenue qui est de rigueur lors de la première rencontre et qui s'amenuise, puis disparaît totalement au fil des regards insistants et des gestes devenus moins prudes.

Une journée c'est trop peu pour casser ce mur, sans compter ma timidité malheureuse qui nous a limité tous les deux à un « vous » de circonstance.

Il y a quatre ans, je t'ai proposé mon aide, en bon citoyen modèle voyant une personne perdue en pleine ville. Dans mon stupide cœur qui rythmait lourdement chacun de mes pas, je m'imaginais en preux chevalier venant te délivrer de ton désespoir.

Tu as relevé la tête et, mon dieu, ce regard, comment pourrais-je l'oublier? Des yeux de braise qui m'ont fait avaler ma salive de travers. Comme j'ai dû te paraître idiot ! Tu m'as souris, comme si tu me reconnaissais, comme si, au milieu de cette rue bondée, tu attendais, depuis combien de temps ?, que je vienne t'indiquer le chemin à suivre.

Surpris par ta réaction, j'ai fouillé ma mémoire à la recherche d'indices, de miettes de pain qui me ramèneraient à ton souvenir, à notre rencontre que j'avais semble-t-il honteusement oubliée. Rien, pas la plus petite idée d'une piste, rien qui m'aurait fait m'exclamer « Mais oui, c'est toi ! ». Je cherche pourtant, dans l'ombre de tes cheveux, sur les aspérités de tes lèvres charnues ou encore sur l'effronterie de ton nez retroussé, je cherche et je voudrais me rappeler quelque chose de toi, n'importe quoi.

Avons-nous été boire un verre dans ce bar au coin de la rue ? Avons-nous ri à gorge déployée devant ce film au titre racoleur ? Avons-nous descendu cette terrifiante rue à la pente vertigineuse, juchés sur un même vélo, hurlant de peur comme si nous avions à nouveau 12 ans ?

Je ne savais pas et cela m'a rempli d'une tristesse soudaine. Je le voulais, mais n'y arrivais pas.

Je ne me souvenais pas de toi.

Ce jour-là pourtant, ton sourire n'a pas faibli, comme si tout cela, mon oubli grossier et ma figure sans doute hébétée, ne te perturbait le moins du monde. J'ai fini par reprendre mes esprits, j'avais fendu la foule à contre courant pour venir te sauver et déposer mon épée à tes pieds.

«  Puis-je vous aider ? »

Tu vois ce jour d'il y a quatre ans, je m'en souviens. Tel un trésor, j'ai tout fait pour ne pas le perdre, je l'ai protégé des années qui me séparaient de toi et d'un autre 29 février où nous ne manquerions pas, j'en étais étrangement convaincu, de nous rencontrer à nouveau.

Par un coup du destin, un enchantement ou dieu sait quel mystère de l'univers, me revoilà dans cette même rue qui n'a pas changé, à cette même heure qui décida pour toujours du reste de ma vie. Je sais que tu es là car nous sommes le 29 et il ne peut en être autrement. La foule est beaucoup moins dense aujourd'hui que par le passé, mauvais temps oblige. C'est alors qu'au détour d'un parapluie, tu apparais.

Je te vois, je te reconnais et je me souviens de toi.

Je sais que tu m'attendais, parce que tu me regarde, parce que tes yeux m'ont trouvé sans avoir à me chercher. Parce que tu es là, aujourd'hui, et que j'y suis aussi. Cela fait quatre ans et pourtant, nous sommes là tous les deux.

Je m'avance sous la pluie, vers tes yeux de braise qui semblent me fixer au delà du temps, comme si cela ne faisait pas si longtemps que notre première rencontre avait eu lieu. Je sens que tu sais quelque chose que j'ignore, un secret connu de toi seule, peut-être la vérité sur ce 29 février d'il y a quatre ans, sur notre connexion qui semble tellement évidente.

Au cœur de ton regard, je peux y lire un passé commun qui nous lie et dont je n'aurai jamais aucune connaissance. Malgré tout, à cet instant, j'ai sûrement le même regard empli d'amour que le tien et le même désir qui bouillonne au fond de mon être. Je souris aussi car, que puis-je faire d'autre à cet instant ?

«  Te souviens-tu de moi ? » me demandes-tu, afin de balayer le moindre doute. « Oui, je me souviens de toi. » je réponds, sincèrement heureux d'avoir franchi le mur qui nous retenait alors.

Oui, je me souviens de ce 29 février qui n'apparaît que pour moi.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Anipya
Posté le 18/04/2020
Un très jolie texte, pas trop long et qui nous fait voyager lors de ce fameux 29 février. J'apprécie beaucoup la façon dont tu nous emmènes dans la lecture !
Sinead
Posté le 25/04/2020
Merci beaucoup !
AudreyLys
Posté le 05/03/2020
Coucou ! J'aime beaucoup ton écriture, c'est doux et poétique. Il y a quelques couacs niveau ponctuation, mais je pense qu'avec le temps qu'on avait, difficile de se relire correctement ^^' Comme je le disais, l'écriture coule et la rencontre devient évanescente. Ça en devient émouvant, bravo à toi^^
Sinead
Posté le 05/03/2020
Bonsoir !
Merci pour ta lecture. Oui en effet j'ai tout écris d'une traite et pas pris le temps de me relire correctement 😅
Elka
Posté le 05/03/2020
Une bien belle rencontre que tu nous racontes. Du moins, rencontre pour l'un, rendez-vous pour l'autre. On reste sur ce mystère du 29 oublié, mais ce n'est pas gênant je trouve. Tu le dis toi-même : elle, elle s'en souvient. Elle a la clef de ce mystère mais, sur le moment, ce n'est pas très important :)
Sinead
Posté le 05/03/2020
Bonjour et merci pour ton retour ☺️
C'est vrai que je ne résoud pas le mystère du 29, et comme tu le dis, ce n'est pas très important 😊
Unam
Posté le 03/03/2020
Bonjour Sinead,
Merci pour cette nouvelle de toute beauté et emplie de vérité:) Ça se lit super facilement, c'est poétique, c'est émouvant. C'est un beau cadeau que tu nous fais. Bravo, et encore merci.
Sinead
Posté le 03/03/2020
Bonsoir !
Merci pour tous ces compliments, ça me va droit au cœur 😊
Vagabonde
Posté le 03/03/2020
Bonjour Sinead,
Magnifique nouvelle...
J'aime ce concept d'amour qui apparaît comme une évidence... et tout le texte brille d'une honnêteté qui fait chaud au cœur.
:)
Sinead
Posté le 03/03/2020
Bonsoir !
Merci pour ta lecture. Ça faisait très longtemps que je n'avais pas écrit un texte de ce genre. Je suis heureuse qu'il ait pu te toucher 😊
Renarde
Posté le 02/03/2020
Coucou Sinead,

Une nouvelle tout en douceur et en poésie, cela fait du bien de lire de si jolies choses !

Merci pour ce moment qui m'a mis le sourire aux lèves.
Renarde
Posté le 02/03/2020
lèvres...
Sinead
Posté le 03/03/2020
Bonsoir !
Merci pour ton retour, ça me fait chaud au cœur 😊
Fannie
Posté le 02/03/2020
Coucou Sinead,
Voilà une fort jolie nouvelle, poétique et émouvante. Tu as une belle manière d’exprimer les sentiments du narrateur, tout en délicatesse, et tu donnes une réponse à la question du 29 février sans en avoir l’air, simplement en relatant la magnifique rencontre de ce jour qui n’apparaît que pour lui. Bravo pour cette belle participation !
Coquilles et remarques :
— Une rencontre, au delà du temps. (Résumé) [au-delà]
— de ces giboulées et de son printemps [ses]
— Cela fait tâche dans les papiers [tache ; une tâche est un travail à faire]
— la tête semblable à une girouette, elle semblait chercher [semblable/semblait ; comparable à une girouette, peut-être ?]
— moi, qui ne peut plus ignorer [peux]
— Une journée c'est trop peu pour casser ce mur [J’ajouterais une virgule après « journée ».]
— ma timidité malheureuse qui nous a limité tous les deux [limités]
— mon dieu, ce regard, comment pourrais-je l'oublier? [mon Dieu / il manque l’espace insécable avant le « ? ».]
— Tu m'as souris, comme si tu me reconnaissais [souri]
— tu attendais, depuis combien de temps ?, que je vienne t'indiquer le chemin à suivre [Il faudrait employer des tirets : tu attendais, — depuis combien de temps ? — que je vienne t'indiquer le chemin à suivre.]
— Avons-nous été boire un verre dans ce bar [Sommes-nous allés]
— et ma figure sans doute hébétée, ne te perturbait le moins du monde [ne te perturbait pas]
— j'avais fendu la foule à contre courant pour venir te sauver [à contre-courant]
— un enchantement ou dieu sait quel mystère [Dieu sait]
— parce que tu me regarde, parce que tes yeux [regardes]
— vers tes yeux de braise qui semblent me fixer au delà du temps [au-delà]
— Au cœur de ton regard, je peux y lire un passé commun [je peux lire ; le « y » est de trop]
— Je souris aussi car, que puis-je faire d'autre à cet instant ? [Tu peux mettre une virgule avant « car », mais pas après.]
— «  Te souviens-tu de moi ? » me demandes-tu [Il faut enlever l’espace sécable surnuméraire avant « Te ».]
Sinead
Posté le 03/03/2020
Bonsoir !
Merci pour ta lecture et ton retour, ça me fait très plaisir 😊
Bon, je n'ai plus qu'à aller corriger tout ça maintenant 😅
Alice_Lath
Posté le 02/03/2020
Ooooh, c'est beau comme un camion! Très jolie plume en tout cas, tout en délicatesse, avec des sentiments fins et en dentelle, j'aime beaucoup. C'est marrant, ça m'a un peu évoqué la rencontre entre le Maître et Marguerite, de Boulgakov. Après, j'ai tendance à parfois partir trop loin. Mais cette narration, avec les passages en tu, c'est vraiment très joli et très bien amené!
Sinead
Posté le 02/03/2020
Merci beaucoup pour ton retour, c'est super gentil 😊
Je n'ai pas lu ce livre, mais du coup je vais m'y intéresser, merci pour la référence 😉
_HP_
Posté le 29/02/2020
Ouah ! C'est très joli, très poétique, très tendre, et tu arrives sans peine à nous transmettre émotions et pensées de ton personnage. C'est vraiment bien écrit ! ^^

J'ai vu quelques ptits trucs, je te les note ^^° :p

"Un mois rallongé d'une journée, un sursit pour février avant l'arrivée de mars, de ces giboulées et de son printemps." → sursis ^^

"Et pourtant, moi je l'aime, car c'est le jour où je l'ai rencontré." → tu as l'air de parler d'une fille, "rencontrée"

"Quelque chose qui l'avait poussée à se rendre dans cette ville, en particulier aujourd'hui, ce fameux jour qui n'existe qu'une fois tous les quatre ans et dont plus personne ne fait attention." → j'aurais dit "auquel plus personne ne fait attention" ^^°

"Plus personne à par moi, qui ne peut plus ignorer le seul jour de l'année où nous nous sommes rencontrés." → à part

"Je sais que tu m'attendais, parce que tu me regarde, parce que tes yeux m'ont trouvés sans avoir à me chercher. → trouvé

"e m'avance sous la pluie, vers tes yeux de braise qui semblent me fixer au delà du temps, comme si cela ne faisait pas si longtemps que notre première rencontre avait eut lieu. → avait eu ^^

"Malgré tout, à cet instant, j'ai sûrement le même regard empli d'amour que le tiens et le même désir qui bouillonne au fond de mon être." → tien

"« Te souviens-tu de moi ? » me demande-tu, afin de balayer le moindre doute." → me demandes-tu ^^

En tout cas je te dis bravo, en peu de temps tu as réussi à écrire quelque chose de très joli.
Sinead
Posté le 29/02/2020
Bonsoir !
Oulala, j'ai honte de tant de fautes, je vais corriger tout ça, merci pour tes remarques ☺️
_HP_
Posté le 29/02/2020
Si je peux aider ^^
Cocochoup
Posté le 29/02/2020
Hey coucou
Quelle douceur et quelle tendresse dans ces phrases !
Tu retransmets parfaitement les émotions de ton personnage, c'est très joliment écrit !
Sinead
Posté le 29/02/2020
Bonsoir !
Merci beaucoup pour ta lecture et ton retour qui me fait très plaisir 😊
Vous lisez