La Bête

LA BÊTE

Charlotte Remay – 2021

      Une douce odeur de conifères et de fleurs remonta le long de ses narines, la réveillant avec légèreté. Elle ne s’était pas rendu compte que le sommeil l’avait emportée. Evanouie sur le sol moelleux, abondamment chauffé durant la journée. Depuis combien de temps dormait-elle ? Nul ne saurait le dire.

      Autour d’elle, s’étendait une forêt à perte de vue. La lumière de cette fin de journée d’été traversait la cime des arbres, renvoyant à Anna une vision onirique du sanctuaire sylvestre dans lequel elle se trouvait. Une mousse délicate, d’un vert éclatant, recouvrait le sol, parsemé de feuilles morte et de brindilles. Malgré ce décor féérique, Anna ne sentait pas à son aise. Où était-elle ? Qui l’avait déposée là ? Comment sortir de cette jungle dépourvue de sentier ?

      Elle tourna plusieurs fois sur elle-même dans l’espoir de tomber sur un petit chemin de terre que, par mégarde, elle n’aurait pas vu. Peut-être caché sous les fougères, qui habillaient les troncs des arbres ? Un terrible présentiment l’envahit soudain. Elle devait s’enfuir le plus vite possible, car la Bête n’était sans doute pas loin. Tapis dans les fourrés, guettant le moindre de ses mouvements, attendant patiemment que le soleil disparaisse, lui donnant ainsi l’avantage de ne pas être vue.  

      Alors qu’Anna cherchait désespérément son chemin, la lumière disparut peu à peu. L’air se rafraichit. Les bourdonnements des insectes laissèrent place aux hululements de la nuit. La forêt, paisible et rassurante, se transforma en un terrain hostile où les prédateurs régnaient en maître dans l’obscurité. La peur se répandit tel un poison dans ses veines, enlaçant chaque partie de son corps de son effroyable étreinte. Contre toute attente, pas de bruit suspect. Juste le chant des chouettes et des grillons. Mais la jeune fille n’était pas dupe, ELLE était là… la Bête. Terrifiante, intelligente, impitoyable. Ce monstre voulait juste jouer avec ses nerfs. En lui faisant croire qu’elle n’était pas encore là, ou qu’elle ne l’avait encore vu, le monstre s’assurait une chasse excitante.  

      L’adolescente, l’ayant déjà combattu à maintes reprises, connaissait sa façon sadique de procéder. Comment avait-elle pu sortir indemne et vainqueur de ces duels ? Elle ne s’en souvenait plus, comme si elle repartait de zéro. Les feuillages, jusqu’alors tranquille, s’agitèrent brusquement révélant un masse sombre. La Bête avait bondi si soudainement que son propre mouvement l’effaçait presque. Cette énième partie de chasse débuta sans mystère. Déterminée à gagner ce jeu pervers, Anna choisit de courir droit devant elle. Sans se retourner, sans chercher à savoir si son adversaire l’attaquerait par les côtés. « Et si elle m’attaquait de front, cette fois ? » pensa-t-elle. Malheureusement, le temps de la réflexion s’était envolé dans les méandres des ténèbres dès lors qu’elle avait pris ses jambes à son cou.

      L’adolescente essaya de ne pas penser à sa tête monstrueusement laide, à ses dents acérées et beaucoup trop longues pour sa gueule allongée, ses oreilles droites dressées sur le haut de son crâne, et ses yeux injectés de sang. Contrairement au loup, cette créature n’avait pas de cris, juste des grondement terribles, annonciateur d’une mort probablement violente si la Bête parvenait à la rattraper. Le bruit sourd de ses enjambées rapides laissait supposer qu’elle se trouvait derrière Anna, mais il fallait s’attendre au pire, comme à chaque fois.

      C’est alors que la jeune fille sentit quelque chose de très lourd se jeter sur elle. Les alentours n’existaient plus, le paysage se brouilla dans un tourbillon bleuté. Le poids de la Bête la projeta au sol, face contre terre. Terrorisée, l’adolescente voulut hurler, mais aucun son ne s’échappa de sa bouche. Alors, elle se débâtit comme un diable pour se défaire des griffes de la créature. Lorsqu’elle décida de se retourner pour faire face à son destin, Anna se sentit partir, comme si le sol s’était dérobé sous son corps frêle d’adolescente. Le temps sembla s’étirer à l’infini jusqu’à ce qu’elle sente subitement une effroyable étreinte s’enrouler autour de se jambes. La jeune fille avait beau se débattre, la chose qui s’était emparée d’elle ne comptait pas la laisser partir. Elle redoubla d’effort et sentit sa joue s’écraser brusquement sur le sol.

      Ses paupières s’ouvrirent d’un coup, lui révélant son nouvel environnement : elle reconnut sa chambre et se rendit compte qu’elle était tombée de son lit. Sa joue, posée contre le tapis, picotait légèrement. Elle se retourna et constata que ses jambes s’étaient emmêlées dans ses draps. Soulagée, Anna parvint facilement à délivrer ses jambes de leur entrave d’un seul coup de main. Encore tremblante, le corps recouvert par la transpiration, l’adolescente voulut se relever, mais l’angoisse revint en un rien de temps quand elle se retrouva, de nouveau, face aux pattes rousses de la Bête. Elle sentit le souffle chaud du monstre bercer ses cheveux à chaque nouvelle expiration. Tétanisée, elle réussit néanmoins à rassembler tout le courage qui lui restait pour faire face à… Alex, son berger allemand.