la boucle

Allongée dans cette chambre les yeux mi-clos, Salomé touche son ventre et son cœur… Elle était assise autour de cette table il y a à peine quelques heures. Elle sait qu’elle n’aurait pas dû le regarder ainsi, mais son regard sur lui avait changé subitement, son émotion l’avait surprise tout d’abord et maintenant elle avait peur.

Il était assis sur son canapé, il était l’hôte de cette soirée si douce et improbable qui clôturait une année remplie d’horreurs et de tourments.

Quand elle est arrivée c’était comme si toute la chaleur de la pièce l’avait enveloppée de bien-être. Il y avait dans les soirées entre amis comme un parfum d’amour et de nostalgie. Après avoir pénétré dans le salon une nuée d’amis et de bonheur s’était fondue sur elle, et là dans l’excitation des retrouvailles, dans le tintement des verres de champagne, dans le tsunami des baisers chaleureux qui claquaient sur les joues… ils s’étaient regardés comme ils ne l’avaient jamais fait auparavant.

Il fallait être attentif car cela n’avait duré qu’à peine une demi-seconde, un tout petit rien, juste le temps d’un éclair dans la poitrine.

Elle n’aurait su dire ce qui l’avait mise sur la piste, était-ce le contact de sa main contre son épaule quand ils se sont salués, plus appuyé que d’habitude et juste assez court pour ne pas éveiller les soupçons ? Ou bien était-ce le fait de s’être assis à côté d’elle dans cette intime distance dont seuls les cœurs qui s’appellent l’un l’autre peuvent percevoir la nature ? Mais à chacun de leur silence, à chacun des regards évités sciemment, à chacune des fois que leurs corps s’effleuraient dans un mouvement qui aurait pu sembler banal à n’importe qui, le désir de sentir sa peau sur la sienne éloignait un peu plus de son souvenir une décennie d’amitié.

Avant de faire son entrée chez ses amis avant même de se préparer pour son réveillon qui serait à coup sûr réussi, elle s’était répété une résolution qui sonnait plus comme un mantra : celui de ne plus fermer la porte aux opportunités qui se présentaient à elle.

Alors quand ils se sont retrouvés dans l’une des chambres d’amis qui lui était réservée peu après minuit, quand tout le monde dans la pièce voisine n’était plus en mesure de réfléchir car assommés par un flot d’alcool qui n’avait cessé de couler depuis 19h, quand il s’est approché d’elle pour poser ses lèvres à quelques centimètres entre l’arête de sa mâchoire et de son oreille, elle décida de lui ouvrir la porte de son âme et d’accueillir sa main douce et fiévreuse entre ses cuisses.

Ils sont restés un moment à s’embrasser et se caresser, leur baiser était suave et fragile. Ils se sont détournés brusquement quand ils l’ont entendu dans le couloir. Quelques heures plus tard quand tout redeviendrait calme et que le sommeil et la volupté chasseraient l’interdit ils allaient s’aimer ardemment, sans crainte et sans règles.

Moi j’étais dans cette chambre les yeux mi-clos, je touchais mon ventre et mon cœur également… J’avais vomi mes flots d’alcool dans les toilettes entre minuit et 5h du matin. Les émotions à la renverse il me semblait que 2020 commençait bien fort. Je me souviens avoir beuglé ma résolution avec le dernier fond de bouteille dans mon salon face à un parterre d’amis en pagaille. Dans nos yeux on ne trouvait plus rien des fondements de notre amour si fort et quasiment déraisonnable.

Je souhaitais revivre notre première nuit et en même temps je n’accepterai plus de lui qu’il me dicte ma conduite et qu’il ruine mes rêves faute de ne pas avoir assez de courage pour conquérir les siens.

Alors quand je me suis levée pour affronter cette première journée de l’année et que je les ai aperçus sur mon lit à côté de moi, les corps encore ruisselants des étreintes de la nuit, j’ai reconnu cette femme que j’avais été autrefois. Cette femme douce et fragile n’existait plus, cet homme providentiel s’était terni.

Etait-ce de ma faute ? Etait-ce de la sienne ? Je revivais notre première nuit comme une abonnée de Netflix. Sûrement la magie fugace de l’instant des douze coups de minuit. Je regardais tendrement leurs corps ne faisant qu’un et sans vraiment m’expliquer pourquoi je sentis que toute ma colère envers lui que j’accumulais depuis des années s’était évaporée. Nos souvenirs d’amitié ont refait surface et c’est alors que je l’ai touché.

Quelques minutes plus tard j’étais sur le pas de notre porte, nous nous embrassions une ultime fois avec la certitude qu’il ne s’agissait pas là d’un adieu. Et tout comme nous avions converti une belle amitié en amour éphémère la nuit du 31 décembre et du 1er janvier de je ne sais plus quelle année, ce 1er janvier 2020 nous décidâmes d’un commun accord de ne plus fermer la porte à nos rêves oubliés.