L’anse du vieux panier d’osier de Mamie Meunier fait un peu mal à ses petits doigts. Il pleut mais il a mis ses bottes en caoutchouc multicolores et son imperméable à carreaux bleu et rouge. Il est devant la porte vitrée qui donne sur le grand jardin de Mamie Meunier et trépigne d’impatience, dansant d’un pied sur l’autre comme s’il avait envie de faire pipi.
- Tu as envie de faire pipi ? lui demande d’ailleurs Maman, qui ferme son grand manteau rouge et s’apprête à déployer son grand parapluie jaune d’œuf.
Il dit non. Non non. Mais il aimerait bien que Papa et la petite sœur se dépêchent d’arriver, que Maman ouvre enfin la porte, parce que zut, elle n’avait qu’à être là, tant pis pour elle s’il trouve tous les œufs.
Dehors la pluie redouble d’intensité et vient frapper sur la vitre comme pour demander si elle peut entrer. Mamie Meunier arrive dans le couloir et commente :
- Oh là là, quel déluge ! J’espère que les cloches ne se sont pas perdues avec toute cette grisaille.
- Oui, moi aussi, approuve-t-il pour faire plaisir à Mamie Meunier.
Il sait bien que c’est Maman qui est allée cacher les œufs dans le jardin ce matin. Ça explique son parapluie qui dégouline sur le carrelage en faisant ploc ploc ploc. Enfin, ça, il l’imagine, parce qu’avec la pluie qui tambourine contre la vitre, on n’entend rien du tout.
- Ne mets pas tes doigts sur la porte ! Il va y avoir des traces partout ! soupire Maman.
Il retire ses mains en laissant ses empreintes. Il voit moins bien au travers de la porte-fenêtre quand il n’a pas ses doigts sur le verre. Il aurait bien aimé repérer quelques œufs en premier…
Papa arrive enfin dans le couloir avec la petite sœur. Elle a encore le contour de la bouche plein de dentifrice.
- Le temps d’habiller Eugénie et on lance la chasse ! s’exclame-t-il en la posant par terre. Tu veux bien attendre encore un petit peu, Robin ?
Robin fait non de la tête mais Papa ne le regarde pas. Maman et Mamie Meunier non plus d’ailleurs, Eugénie a l’air de les intéresser beaucoup plus de toute façon, alors que lui, au moins, il a mis son manteau tout seul.
Enfin, il entend la fermeture Eclair qui produit un beau ziiiiiiiip libérateur. Maman se penche au-dessus de lui et ouvre la porte sur la pluie battante. Elle a à peine le temps d’ajuster la capuche de son ciré avant qu’il ne s’élance dans le jardin en traînant le gros panier derrière lui.
Très vite, il a le visage tout mouillé. La pluie n’a pas l’air contente de le voir, mais ça tombe bien, lui non plus. Robin fronce les sourcils pour essayer de distinguer les taches de couleurs parmi tout ce flou artistique, à travers toute l’eau qu’il a dans les yeux et qui pique. Il entend vaguement Maman lui dire quelque chose, mais son esprit entier est focalisé sur les œufs. Les œufs.
En voilà un ! Robin court vers le parterre de tulipes et sa petite main se referme sur…une tulipe. Raté. Espérant que Mamie Meunier n’a rien vu des pétales qui viennent de se décrocher et de tomber au sol sous l’effet de la pesanteur, Robin fait furtivement demi-tour et patauge dans l’herbe saturée de flaques en tournant la tête dans tous les sens. Son regard se pose sur un endroit stratégique : la jardinière sous la fenêtre de la cuisine ! Il s’élance vers le vase, plein d’espoir, sauf que Papa se plante juste devant au dernier moment :
- Non, ça, c’est pour Eugénie !
Les jambes de Papa refusent de le laisser passer. Robin trépigne. Papa émet son drôle de sifflement de quand il est en colère :
- Ah non, mon grand, ne commence pas à faire ta mauvaise tête ou je te reprends ton panier tout de suite !
Robin soupire et pense à se mettre à pleurnicher, bien que ça n’attendrira jamais Papa, ce genre de chose de marche qu’avec Mamie Meunier.
Il repart donc vers une autre direction en se dandinant sous le poids du panier. Il connaît un autre lieu potentiellement idéal pour la planque d’œufs en chocolat : le potager de Mamie Meunier. Tous les ans, il y en a tant que parfois, Robin se demande s’il n’en laisse pas par mégarde qui repoussent l’année suivante.
Il arrive en bordure du petit lopin aux cheveux verts. La terre colle un peu à ses bottes, mais au moins, la pluie a cessé de tomber sur sa tête et ne mouille plus. Elle n’aurait plus grand chose à mouiller sur Robin, d’ailleurs. Il contourne soigneusement les allées et écrase toutes les feuilles de laitue qui lui passent près des pieds. Son attention est guidée par de petits objets brillants qui se cachent derrière les poireaux.
Il lâche sa hotte et tombe à genoux devant les jolis œufs tout colorés. Il hésite à les ranger un à un dans son panier. Regardant tout autour de lui, il espère que Papa ne va pas encore débarquer pour l’empêcher de les récupérer. Alors il défait avec soin chaque emballage et mange tous les œufs de la cachette. En voilà qu’Eugénie n’aura pas !
Enfournant son dernier trophée, Robin se redresse et ses yeux tombent sur l’objet ovoïde qui s’appuie dans le coin du mur du potager.
Un œuf. Enorme.
Curieusement, celui-là est noir et bizarrement craquelé. Robin se rapproche précautionneusement. Pas question de le laisser à sa pique-assiette de petite sœur ! Il se saisit à deux mains de l’immense récompense. L’œuf se soulève un peu, et retombe lourdement sur le sol. Cette fois, il va falloir appeler Papa.
Robin fait demi-tour avec cette intention, quand un grondement le fait se retourner. Là où se tenait l’œuf quelques secondes plutôt vole un petit dragon. Ebahi, Robin, reste les pieds cloués au sol.
Le dragon se pose sur les restes de sa coquille et le regarde droit dans les yeux. Il s’exprime avec une voix traînante et grave :
- Enfin la fin de l’averse. Je n’attendais que ça pour prendre mon envol.
De la fumée sort de son nez. Il s’exprime d’une voix monocorde, sans modifier son ton d’un bémol. Robin est impressionné. Et un peu tremblant, aussi.
- Quel est votre clan, humain ?
Robin ne sait pas ce qu’est un clan, alors il ne répond rien. Il ne sait pas ce qu’il faut répondre à un dragon pour ne pas le vexer, de toute manière.
- Votre famille ? Suis-je au moins sur le bon continent ?
Robin ne sait pas non plus ce qu’est un continent. Quoiqu’il en soit, il commence à avoir vraiment la frousse. Il s’assoit au milieu des jonquilles de Mamie Meunier et renifle. Les larmes viennent toutes seules sur ses joues détrempées. La chasse aux œufs est beaucoup moins drôle maintenant qu’il a trouvé un dragon qui rêve d’une chasse au petit garçon.
- Mmmmh…j’ai dû me tromper…me tromper d’histoire…à moins qu’il y ait à votre connaissance une jeune personne blonde aux cheveux longs ?
Robin s’essuie les yeux. Il pleure toujours, comme pour remplacer la pluie, et ça semble indisposer le dragon qui, comme chacun sait, n’aime pas beaucoup l’eau. Ce dernier n’a d’ailleurs pas très envie de s’attarder ici, la région et ses habitants ont l’air si humides ! De toute façon, il est végétarien, et même si le potager lui fait bien envie, il voit bien qu’il terrifie l’enfant. Il déploie ses ailes et se maintient à sa hauteur.
- Au revoir, petite flaque, dit-il en soufflant légèrement sur les cheveux de Robin.
Il prend son élan et s’envole vers le ciel. Robin plonge la tête la première dans la terre du potager, endormi comme un bienheureux.
- Robin ! Robin !
Robin se relève lentement. Il ne se souvient plus pourquoi il est là. Il baisse les yeux et remarque les papiers colorés dans le fond de son panier. Alors, sans savoir d’où lui vient cette idée, il imagine dans sa tête un dragon qui mange des poireaux. Pourtant, Papa lui a répété cent fois que les dragons n’existent pas, c’est pour ça qu’ils ont cessé de lui faire peur. Et puis, les dragons, ça ne mange pas les poireaux.
D’ailleurs, Mamie Meunier n’en a plus, des poireaux, remarque Robin en regardant dans le fond du potager, là où il a trouvé ses précieux œufs de Pâques. Il lui semblait pourtant qu’il y en avait encore. Dommage, il aime bien la soupe aux poireaux, mais seulement celle de Mamie Meunier.
- Robin ! Robin !
En rejoignant ses parents qui l’appellent, Robin se promet de ne plus jamais abuser de chocolats de Pâques.
Pendant un instant, j'ai cru que le dragon allait manger le garçon, heureusement ce n'est pas le cas.
Je comprends bien le sentiment d'injustice que l'on ressent quand y a des coins réservés au plus jeune.
Avant de commencer notre tryptique, je voulais absolument finir mes commentaires des textes du Speedwriting :) (Vous vous êtes concertées pour les dragons ou quoi ? ^^)
Alors. Déjà, trop mignon ce petit Robin. Tu m'as eue dès le premier paragraphe, avec la mention de ses petits doigts, de sa Mamie Meunier et de ses bottes en caoutchouc. Je crois que je suis assez gaga des petits garçons de cet âge-là, ça me rappelle la mignonnerie de mon frère à cette période ^^ bref j'étais déjà conquise, mais ça ne s'est pas arrêté là ! La description du début de la chasse est succulente. Quelle injustice de garder les oeufs pour sa soeur, en tant qu'aînée, je trouve que Robin réagit plutôt bien, j'avais tendance à exploser de frustration... Bn et ce dragon est parfait. Je ne sais pas si tu connais la série de bouquins "Harold et les dragons" (il y a même eu un film), mais c'est exactement ce genre de ronchons mal élevés que j'adore. Ca m'y a beaucoup fait penser ! "Petite flaque" xD
Enfin bref, un texte tout doux et gentiment fantastique, j'ai beaucoup aimé ! Bravo Mimi, et à très bientôt :)
Et non je n'ai pas lu cette série… en fait, je ne lis pas beaucoup, c'est mon principal défaut (en plus du fait que je suis une personne invivable la plupart du temps ^^)
Bravo mimi ! :)
Encore une histoire toute mignonne ! Et le petit Robin qui se dépêche de manger les oeufs qu'il trouve pour pas que sa soeur lui vole ! J'ai trouvé ça fort juste, j'aurai bien été capable d'en faire autant ! :)
Toutes tes descriptions sont si bien faites qu'on s'y croirait dans ce jardin, et puis c'est une belle tranche d'enfance que tu nous offre là, jusqu'à ce dragon végétarien qui fait rêver.
Bravo ! Félicitations !
Oh, tu as un dragon aussi dans ton histoire... bon, les miens sont nettement plus trash... (niarf, niarf !!)
Elle est toute gentille ton histoire, un petit conte pour enfants (qui ont envie de rencontrer des dragons...)
J'aime bien cette façon que tu as de ne pas nommer le petit héros au début. Ca donne un ton, et je ne sais pas pourquoi, je trouve que ça aide à visualiser le petit graçon encore mieux. Les images "météorologiques" que tu sèmes sont très simples et poétiques à la fois (la pluie qui tambourine, le parapluie qui fait ploc, la pluie qui n'est pas contente de le voir...). La jalousie aussi avec la petite soeur un peu favorisée est très bien rendue et le petit garçon en devient émouvant.
Enfin, le dragon : là c'est presque trop court. Il s'en va trop vite ce dragon ! J'aurais aimé que ça dure un peu plus longtemps, que tu le décrives un peu plus ou qu'il promette de revenir (qui sait...)...
Juste un truc: je n'ai pas compris pourquoi le petit garçon pense que le dragon veut le chasser.
Bref, je la trouve vraiment très chouette ta petite histoire. Tu devrais écrire pour les enfants, tu as vraiment le ton juste je trouve !
Bravo !!
Merci beaucoup ♥ J'ai écrit le plan de toute une histoire pour enfants (un roman policier), mais le ton était impossible à trouver… je l'ai recommencé des tas de fois, et puis comme une autre histoire est arrivée, je l'ai un peu laissée de côté…
Grosses bises !
Mimi
mais non tu n'es pas folle! elle est chou cette histoire! et la façon dont c'est raconté est original. et puis, intégrer un dragon dans une chasse aux oeufs, fallait y penser!