Je m’appelle Eve. Ironique, n’est-ce pas ? Dans certaines religions, Eve est considérée comme la mère de l’Humanité, la première femme à avoir existé. Moi, je suis vraisemblablement la dernière. Nous sommes le 11 juin 2073 et c’est mon anniversaire. Le dernier. J’ai vingt-trois ans, et mes trois dernières années sur Terre ont été un enfer.
Le 8 août 2070, au plein milieu d’un énième été caniculaire en Europe, une énième épidémie s’est déclenchée, se transformant rapidement en pandémie planétaire. J’étais à l’époque étudiante à l’université, en licence de sciences politiques. Je voulais changer le monde, naïve comme j’étais. Je ne savais pas encore qu’il était déjà bien trop tard pour sauver l’Humanité.
La température à la surface de la Terre avait augmenté de six degrés depuis le début du siècle, et les décès liés aux conséquences climatiques se comptaient chaque année par centaines de milliers. L’année de ma naissance, en 2050, après des siècles de croissance démographique, la planète Terre avait même commencé à voir sa population humaine décliner.
Plus personne ne voulait avoir d’enfants. En réalité, rares étaient celles et ceux qui pouvaient encore en concevoir. L’augmentation de la pollution, couplée à la hausse de la température, entraînait des conséquences néfastes sur les organismes humains et notamment sur les appareils reproductifs, faisant chuter drastiquement les taux de natalité aux quatre coins de la planète. Malgré les prohibitions des modes de contraception et des interruptions médicales de grossesses, rien à faire. Nous étions redescendus à sept milliards de terriens le jour de mon dixième anniversaire.
L’inaction des dirigeants de notre monde depuis les premières alertes des scientifiques à la fin du siècle dernier avait eu raison de leur cupidité.
Favorisée par les nouvelles températures de la planète, la fonte des glaces s’était accélérée. La banquise ? Je me rappelle avoir vu ce qu’il en restait disparaitre l’été de mes quatorze ans. Et il s’avérait que dans cette glace se trouvaient des virus conservés pendant des milliers d’années, mais toujours aussi dévastateurs. Ils touchèrent d’abord les animaux les plus proches avant de s’attaquer aux êtres humains limitrophes. Rapidement, toute l’humanité fut touchée.
Au départ, les grands groupes pharmaceutiques avaient fait face, développant des vaccins relativement efficaces. Mais la pression s’était accentuée, et la production de vaccins avait été soit ralentie, soit réalisée en passant certaines étapes clés. Les effets secondaires étaient parfois pires que la maladie en elle-même, alors soit les gens mourraient sans traitement, soit ils mourraient du traitement.
Le 7 novembre 2068, nous étions redescendus à cinq milliards d’habitants. Personne ne savait plus quoi faire.
Il y a encore trois ans, j’avais une famille et des amis. Deux parents, un grand frère, une petite sœur, une famille banale. J’avais même une petite amie, depuis quelques mois. Mais une nouvelle pandémie s’était déclenchée, faisant des ravages encore plus impressionnants que les virus précédents, sans que les chercheurs ne parviennent à trouver un traitement suffisamment rapidement.
Fin 2069, la Terre ne comptait déjà plus que 2 milliards d’habitants.
Ce virus n’était pas comme les autres, qui tuaient sans discriminer. Lui, à qui on n’eut pas le temps de trouver un nom, était plus virulent envers les personnes dotées d’un utérus. Celles qui étaient touchées avaient 100% de chance de trépasser. Pour les personnes en étant dépourvu, on descendait à 90%.
Ma famille, mes amis, Lily, ils sont tous mort aujourd'hui.
Je me suis interdit de ressentir quelconque émotion vis-à-vis des quelques centaines de milliers de survivants, exclusivement des hommes. C’était la meilleure façon pour moi de trouver une solution pour mourir. J’ai bien retenu la leçon.
Je n’ai jamais été contaminée par le Virus, sans savoir pourquoi. C’est pourtant lui qui a décimé l’intégralité de mon entourage mais, moi, je ne l’intéresse pas. En quoi suis-je différente des autres ? J’ai toujours fait mon maximum pour me fondre dans la masse. Suis-je l’Elue qui sauvera les hommes ? Une divinité m’a-t-elle désignée pour quelconque raison dans le but de faire perdurer l’humanité ? Ce n’est plus mon problème, j’ai déjà assez donné.
Nous sommes le 11 juin 2073, je viens d’avoir vingt-trois ans. Sans surprise, je n’ai personne avec qui le fêter. J’ai déjà trop tardé.
Pourquoi est-ce que je ne veux pas me battre pour survivre ? Parce que j’ai déjà essayé. Et parce que je sais quel sort me sera réservé, si certains réalisent qu’il reste encore une femme vivante pour procréer. Mes cheveux mal coupés ne dissimulent pas assez mon visage fin et mes traits féminins. Par précaution, ça fait des mois que je n’ai pas interagi avec un autre humain. Pas depuis qu’il a officiellement été annoncé que la dernière femme vivante recensée était décédée.
Peut-être en reste-t-il d’autres, qui se cachent comme moi ? Je n’espère pas. D’après la rumeur, des femmes en état de mort cérébrale ont été inséminées dans le but de servir de « mères porteuses ». D’autres, dont les cadavres sont encore frais et considérés « en bon état », on extrait les ovaires et les utérus pour tenter des fécondations en laboratoire.
Le but est toujours le même : garantir la survie de l’humanité. Mais quelle humanité ? S’ils me mettaient la main dessus, je sais très bien quel traitement me serait réservé. Je deviendrais tout simplement un ventre sur pattes jusqu’à être ménopausée, fécondée chaque année, avec ou sans mon consentement. Ma situation aurait été tellement différente si j’avais été la dernière personne à porter des chromosomes X et Y.
De ce que j’ai entendu, pour l’instant, rien de ce qui a été testé n’a marché. Apparemment, il resterait aussi quelques milliers de femmes âgées mais, comme elles ne sont plus en âge d’enfanter, on les laisse en paix. Je n’y crois pas une seconde. Il faut bien que les hommes « soulagent leurs pulsions », non ?
Le soleil est en train de se coucher, c’est mon moment préféré de la journée. Quitte à mourir, autant le faire en beauté. Ce beau ciel teinté de rose, d’orange et de violet est le dernier de ma vie que j’admirerai.
Lily, si elle avait encore été à mes côtés, en aurait certainement fait un poème :
« Le soleil venait de disparaitre dans le ciel embrumé
Les quelques nuages colorés commençaient à se disperser
La température douce annonçait le début de l’été
Le liquide bouillait doucement dans la casserole cabossée »
C’est vrai qu’elle est cabossée cette casserole. Son ancien propriétaire ne devait pas en prendre grand soin. C’était la seule qui restait dans le grand tiroir quand je suis arrivée ici hier après-midi.
Je jette un œil à la cuisine de la maison dans laquelle je me suis réfugiée, dans un quartier huppé d’une ville désertée. Pas d’hommes dans le coin, je m’en suis assurée. Tout ce qui a encore de la valeur a déjà été pillé. Ils ont dû prendre toutes les belles casseroles, et ne laisser que celle-ci. Sans les femmes, ils sont bien obligés de mettre la main à la pâte.
La décoration est simple, immaculée. Le plan de travail et les meubles sont blancs, contrastant avec les plaques de cuisson électriques marron foncé. J’ai de la chance, le courant n’a pas encore été coupé. Ma mixture empoisonnée est tranquillement en train de chauffer. L’odeur qu’elle dégage n’est même pas si désagréable pour mon nez.
Mon regard se pose à présent en direction de la table de marbre qui se dresse au milieu de la pièce. Mon assiette, mon verre et mes couverts sales y sont toujours disposés. Je n’ai aucune envie de faire la vaisselle, ça n’aurait de toute façon aucun intérêt.
J’ai longuement réfléchi à la manière dont j’allais procéder. Il était hors de question qu’on s’approprie mon cadavre, l’Humanité pouvait crever.
Une balle dans le crâne ? Trop risqué. Je n’avais jamais utilisé d’armes à feu et je ne voulais pas me rater.
Une corde et un tabouret ? Pas assez raffiné. Et je savais au fond de moi que je n’aurais jamais le courage de sauter.
Comme la majorité des femmes mettant fin à leur jour, j’avais choisi de m’empoisonner. J’avais mis la main, après plusieurs semaines de recherche, sur des somnifères ainsi que sur des substances mortifères que j’avais mélangées dans un saladier. Pour ne pas que le goût soit trop infect, j’avais aussi rajouté des saveurs sucrées. J’avais ensuite versé le contenu du saladier dans la petite casserole bossue, afin que tout soit bien fondu.
Mon plan était simple. D’abord, je verserai de l’essence partout dans la luxueuse maison. Ensuite, j’avalerai assez de somnifères pour m’assommer. Quand ceux-ci commenceraient à faire effet, j’ingurgiterai la mixture empoisonnée, puis je lancerai mon briquet allumé sur le sol mouillé. Enfin, avant que mes yeux ne se ferment à tout jamais, je regarderai les flammes s’envoler, avec le dernier espoir de survie de l’Humanité.
Je viens de finir ton texte et j'y vais donc de mon petit commentaire ^^
Au niveau de l'écriture, c'est plutôt fluide et bien écrit. Le thème est intéressant et ouvre une belle porte pour parler des violences faites aux femmes.
Pour ma part, c'est la narration à la première personne qui ne m'a pas accrochée. Si ce choix permet des remarques et jugements de la narratrice, pour peu qu'on n'accroche pas avec elle, ça peut tomber un peu à plat. Mais là, ça reste très personnel et subjectif ^^
Le dernier paragraphe me fait un effet de poupées russes, avec autant de possibilités d'échec qu'il y a d'étapes dans le plan d’Ève.
Pour finir, j'ai, comme un·e camarade, trouvé le début un peu longuet et j'ai un peu manqué d'empathie pour le personnage. J'aurais aimé ressentir des émotions : de la peur, de la terreur, de la révolte, de la colère, mais cette espèce de résignation blasée m'a laissée aussi froide que le ton de la narratrice.
J’ai beaucoup de compassion pour l’héroïne, qui se résigne d’une certaine manière, mais en même temps que ferait on à sa place? Bonne question.
Je te fais un petit retour suite à lecture de ta nouvelle. Je l'ai trouvée intéressante et je me permets de te donner mon avis plus en détail !
Tout d'abord pour ses points forts, j'ai trouvé le style fluide. Il y a quelques phrases un peu longues qui pourraient être recoupées (ex : L’augmentation de la pollution, couplée à la hausse de la température, entraînait des conséquences néfastes sur les organismes humains et notamment sur les appareils reproductifs, faisant chuter drastiquement les taux de natalité aux quatre coins de la planète") mais l'écriture est bonne dans l'ensemble.
Le thème est intéressant aussi, ça s'inscrit bien dans la science-fiction avec un récit d'anticipation tout à fait sombre. Je trouve que la raison qui pousse ta protagoniste à mettre fin à ses jours est très logique, son désespoir s'entend, ses refus d'accepter ce qu'il reste de l'humanité aussi. Tu rends notamment très bien, par l'écriture, le sentiment de lassitude d'Eve.
Pour les choses que j'ai moins aimées, je dirai qu'au niveau du texte, la timeline, sur une nouvelle aussi courte, est présentée avec trop insistance.
Alors il est intéressant de mettre du contexte sur les maux du textes, mais toutes ces dates, ce compte-goutte daté disons, il me semble superflu. Savoir qu'en 2068 la population était de 5 milliards puis en 2069 de 1 milliard est certes dramatique, mais ça ne m'a pas appris beaucoup plus si tu avais indiqué que la population avait petit à petit décliné (d'ailleurs c'est aussi plus ou moins déjà dit dans ses termes au travers du texte).
Aussi, la présentation d'Eve du début de texte, après avoir lu la nouvelle et quand j'y reviens, ne me semble par forcément utile. "Je voulais changer le monde". Ah ? Il y a trois ans, alors que la population avait déjà presque entièrement été décimée ? Alors si elle était encore motivé en ce temps, qu'est-ce qui l'a faite changer ? Ce n'est pas clair, elle faisait déjà partie des ultimes survivantes à ce moment. D'ailleurs, il n'est pas clair non plus en quoi elle voulait changer le monde, et je crois que c'est un thème que tu pourrais développer : quel était son monde de rêve ?
Ensuite, une chose qui m'a semblé être un contresens :
"Pas depuis qu’il a officiellement été annoncé que la dernière femme vivante recensée était décédée"
puis
"Apparemment, il resterait aussi quelques milliers de femmes âgées"
-> alors peut-être voulais-tu plutôt dire, dans la première phrase, la dernière femme avec un utérus fonctionnel ? Parce que de toute évidence ça n'était pas la dernière femme.
Pour terminer, une petite chose qui m'a un peu plus dérangée :
"Sans les femmes, ils sont bien obligés de mettre la main à la pâte." -> J'y vois peut-être un trait d'humour noir, mais je trouve que la phrase est réductrice. Autant pour l'homme que pour la femme d'ailleurs. Les femmes sont-elles aujourd'hui encore réduite à un rôle de ménagère (a fortiori dans le futur que tu dépeins) ? Les hommes sont-ils des incapables tous autant qu'ils sont ?
Je comprends que le texte traite de la condition de la femme en tant que personnage catalogué à la reproduction / de la violence qui en découle, c'est un point de vue intéressant, cependant, je trouve qu'il s'en dégage une certaine violence envers les hommes qui sont tous mis dans le même panier ; des primates qui ne pensent qu'avec leur entrejambe et qui ne daignerait descendre de leur piédestal que si bobonne n'est pas dispo (mmh, et rien de dégradant à faire la cuisine pourtant).
C'est ma perception personnelle, mais je n'aime pas être manichéenne sur la perception de l'homme et de la femme. Un sexe ne prévaut pas sur l'autre selon moi.
Voilà :) C'était simplement mon avis. Je te souhaite une bonne continuation sur PA !