La Fabrique

   Deux mains agiles empoignèrent un levier et l’abaissèrent. Leur peau, marquée par le temps et l’effort, était sillonnée de veines palpitantes. Octave soupira, ce genre de manœuvres lui coûtait de plus en plus. C’est alors qu’il enclencha le mécanisme : la roue menante s’élança dans une folle ronde, entraînant une chaîne d’engrenages dans sa danse désordonnée. Ses dents dorées plongeaient avec fermeté et donnaient la cadence à ses voisines. L’une d’elles se mit pourtant à tourner en un crissement plaintif. Octave arrêta aussitôt le processus ; le morceau de métal fut délicatement retiré, puis posé sous une immense loupe. Son œil gigantesque détaillait ses moindres angles.    
 
–  Le temps ne t’a pas épargné non plus, soupira l’homme.  
 
   Saisissant sa burette, il oignit d’huile le petit rouage, avant de lui restituer sa place.  Ses doigts d’expert se promenèrent sur le train de pignons qui cliquetaient et composaient une mélodie au rythme irrégulier. À quelques mètres de là, une série de tuyaux laissait s’échapper une colonne de nuages. Au passage d’Octave, les volcans de métal entrèrent en éruption et libérèrent un important panache de fumée, ce qui le fit tousser. Dans un élan effréné, il enclencha quelques interrupteurs, titilla le cadran d’un baromètre, jeta un œil aux pyromètre, manomètre et ampèremètre, puis fit rouler un vieux volant de cuivre. Ces tâches pesaient sur ses épaules raidies, or, ce travail machinal lui permettait de survivre. Faisant ainsi abstraction de ses sensations, il allait et venait d’un endroit à l’autre de cet immense labyrinthe de cuivre. Octave n’envisageait pas de reprendre haleine, bien que sa poitrine fût traversée par de vives douleurs. Le mécanicien essoufflé continuait de se démener de tous les côtés, pour maintenir la Fabrique en activité.  
 

   Il traversa le couloir du palier supérieur, encombré d’une multitude d’objets en fer érodé. Enfin, Octave rejoignit le hall principal. Devant lui se dressait un panneau de contrôle, que ses yeux fixaient avec une étrange appréhension. Et si cela ne fonctionnait plus ? Et si après ces nombreuses années de service, lui aussi, finissait par ne plus vouloir opérer ?  
N’était-ce pas arrivé au Four-aux-Amours, qui, durant sa jeunesse, crachait d’ardentes flammes et crépitait d’illusions ? Ses élans fougueux projetaient des poussières incandescentes, qui flottaient dans l’air tels des papillons. Désormais, ses parois étaient devenues humides à cause des nombreux seaux glacés de l’indifférence. Quant au Télégraphe, qui jadis assurait de bons échanges amicaux, il avait lui aussi cessé de marcher depuis que ses opinions rigides et son attitude dédaigneuse avaient endommagé le levier et le ressort. Ce qui était arrivé au Baril de patience était tout aussi lamentable. Au fil des années et des expériences, il s’était vidé goutte à goutte. Cependant, la machine qui causait le plus de dégâts était le Moulin-à-paroles ; à force d’être mal utilisé, il s’était abîmé au niveau des hélices et n’en faisait désormais que des siennes.  

   Octave prit une profonde inspiration et tira avec force sur une poignée du panneau de contrôle. Puis, il défit quelques boutons de sa chemise tâchée de suie et en sortit un cordon, avec, à son bout, une clé métallique. Accompagné d’une moue sceptique, il l’enclencha dans le panneau et la fit tourner. Une paupière de métal se releva, dévoilant une immense pupille, presque aussi grande que le mur. Ce gargantuesque écran de verre était le miroir du monde. À travers cet œil, s’étalait tout un univers, si vaste, si prolifique, si difficile à saisir… et qui ne finissait pas de le fasciner.  
 

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Gaji
Posté le 08/07/2020
Bonjour ! J'aime beaucoup ce début un peu mélancolique, avec peu d'informations et donc beaucoup de place à l'imagination. Ça pourrait presque être une oeuvre à part que ce premier chapitre, une nouvelle cryptique et poétique. J’appréhende presque de lire la suite du coup, mais je suis trop curieux d'en apprendre plus sur cet univers mécanique.
Charlie. A. L.
Posté le 09/07/2020
Bonjour Gaji !
Je voulais effectivement écrire quelque chose de poétique :)
Oh, j'espère que la suite te plaira tout autant !
A très bientôt !
Charlie
Makara
Posté le 06/07/2020
Coucou ! Me voilà sur ton histoire :)
C'est un début très original ! J'ai beaucoup aimé le fait que nous soyons directement plongé en plein travail, que tu ne décrives pas Octave, il pourrait avoir la vingtaine comme la quarantaine !
Au final, ce n'est pas lui le centre de ton récit. Le personnage principal c'est la fabrique et non Octave ;) et ça c'est bien joué !

Pour être honnête, la personnalisation des machines est déroutante en premier lieu, tu as un peu bousculé mes habitudes, j'ai dû relire plusieurs fois ce début pour être sure d'avoir tout compris :). (mais ça ne me fait pas de mal^^).

J'aime beaucoup ton style, il y a de belles trouvailles, plutôt poétiques.
Après je me demande le public que tu vises ? Si c'est adolescent, jeune adulte, je pense que ce sera un peu difficile comme entrée en matière. Si c'est pour les adultes, cela passe très bien.

Remarque tout à fait personnelle, je pense que tu pourrais alléger quelques phrases où alors donner plus d'informations sur cette fabrique. J'avais du mal à me représenter l'ensemble et c'est peut-être cela qui m'a fait relire plusieurs fois le début. Peut-être y-a-t-il aussi un poil trop de métaphores (mais c'est une histoire de goût^^, cela ne semble pas avoir gêné les autres lecteurs).
Autre chose, les deux premières phrases m'ont un peu arrêtées :
"Deux mains agiles empoignèrent un levier et l’abaissèrent. Leur peau, marquée par le temps et l’effort, était sillonnée de veines palpitantes. => A quoi se réfère "leur peau" ? Aux mains ? Pourquoi, ne pas plutôt parler de "la peau" tout simplement ?

Voilà, j'ai fini de t'embêter :p
J'espère que tu ne trouveras pas mon retour "dur", j'ai vraiment très apprécié ton texte, il est prometteur :)
Bisous volants
Charlie. A. L.
Posté le 06/07/2020
Coucou Makara !

Merci pour ce commentaire très riche : j'avais besoin de recevoir des critiques détaillées comme celles-ci !

Tu as bien raison : j'ai voulu faire en sorte que le lecteur puisse rapidement s'identifier à Octave ! Puis j'avais surtout envie de le plonger dans le feu de l'action !

Aussi, je souhaitais écrire quelque chose d'assez poétique, sans que ce soit trop lourd : il faut le juste dosage !

A mon avis, cette nouvelle cible surtout les jeunes adultes et les adultes, car elle aborde des problématiques assez difficiles...

Concernant le style, tu as raison : je me cherche encore. Comme dit précédemment, il faut le juste dosage : de métaphores, de descriptions...

Mais tu m'offres des remarques très pertinentes.
Et pour le reste, je vais m'y pencher, merci d'avoir souligné ces détails !

Ton commentaire m'est très utile !
A très vite ! ;)



Nanie8
Posté le 04/07/2020
Bonjour, j'aimerai bien en savoir plus sur ton personnage et l'environnement qui l'entoure !
Ton histoire m'intrigue, et je voudrai en savoir plus 😉 J'espère qu'il y aura une suite à cette narration
Charlie. A. L.
Posté le 04/07/2020
Merci Nanie ! Oui il y en aura une suite, je poste un chapitre tous les jours !
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