Elle était assise au bas des marches. Il devait être treize heures passées. La journée était belle, ensoleillée mais pas trop chaude. Elle portait un boléro noir parsemé de quelques sequins qui formaient un détail floral à la hauteur du cœur. La courte veste était posée sur sa robe de soirée, une robe longue, vert menthe, avec un décolleté étroit. Ses cheveux bruns noisette retombaient sur ses épaules et me firent penser à la crinière d’un cheval sauvage qu’on venait tout juste de peigner. Sa frange s’ouvrait légèrement au milieu et renforçait le naturel de sa coiffure. Ses yeux ? Clairs je crois mais pas trop ; peut-être bleu-gris, ou marron ; je ne sais plus très bien. Son regard était difficile à capter. Elle avait un maquillage léger dont je ne remarquai que le carmin des lèvres. Elle était assise, les bras tendus mais souples, mains posées de chaque côté de la banquette. Elle était seule, mais n’avait pas l’air d’attendre. Elle était juste là, paisible, sûre d’elle et de l’espace qu’elle occupait, le regard à l’horizon, même quand il lui arrivait de tourner la tête de temps en temps ; ses yeux ne se posaient jamais ni sur le sol, ni vers le plafond, toujours droit devant elle. Mais elle ne nous regardait pas. Elle regardait au-delà.
Je fus la première à la remarquer, ça aurait été difficile de la manquer car le couloir au bas des marches n’était pas plus grand que l’espace entre mes bras. Hélène et Nathalie étaient devant moi, elles descendirent les escaliers et tournèrent les talons au bas des marches vers la sortie. Lorsque je fus à sa hauteur je cherchai ses yeux, un sourire, un signe qu’elle m’avait vu aussi. Même un regard gêné aurait suffi. Les gens se remarquent les uns les autres, même sans se regarder en face, leurs corps se remarquent. Je continuais à parler avec Hélène et Nat devant la porte du studio, dehors, sur le trottoir, contournant le bâtiment vitré pour longer la banquette où elle était assise, de l’autre côté, la femme en vert, avait disparu.
C’est à ce moment précis que je réalisais qu’elle n’avait été là que pour mes yeux, un esprit, un fantôme, assis là et contemplant au-delà. Si vous croisez un jour une personne qui regarde devant elle, jamais par terre, ni au ciel, toujours à l’horizon, qui voit tout, mais qui ne vous voit pas, sachez que cette personne vient de très loin, peut-être même de l’au-delà. Ou peut-être est-ce vous ? Savez-vous d’où vous venez ?