L’eau murmurait. L’eau chuchotait. L’eau chantait. Il suffisait juste de tendre l’oreille et d’être attentif.
L’eau racontait des histoires merveilleuses. Des histoires issues de glaciers millénaires et de neige éternelle qui fondaient en été. Ces histoires coulaient dans les rivières et les ruisseaux. Elles se répandaient partout et contaient leurs secrets à qui voulait bien leur prêter attention. Parfois elle se perdait dans le ventre d’un animal, parfois dans un sac en cuir balloté sur des kilomètres. Il arrivait que l’eau se retrouve en une fine couche de gel autour du Mur, une création titanesque qui encerclait la totalité des terres du Nord. Ses habitants vivaient paisiblement à l’intérieur, alternant bon gré mal gré entre l’été et l’hiver. On murmurait bien des légendes au sujet de ce Mur, mais celle qui revenait le plus était celle de la punition. Une punition adressée à un peuple belliqueux.
Et à l’intérieur du Mur, l’eau existait sous toutes ses formes. L’eau était glace, l’eau était neige, l’eau était l’air humide.
Malheureusement, les gens n’étaient plus aussi patients et attentionnés. C’est ainsi que les habitants du Mur se mirent à oublier leurs histoires. Ils en oublièrent jusqu’à leurs origines. Mais l’eau, elle, n’oubliait rien. Elle se rappelait tout. Du commencement du monde jusqu’aujourd’hui, en passant par la mystérieuse création du Mur.
Seule Koko pouvait encore entendre les paroles de l’eau. Elle lui répondait et était même la seule à le faire encore. Dès fois, les villageois la regardaient avec un drôle d’air et rigolaient bêtement, pensant que l’imagination sans limite des enfants pouvait mener à bien des scènes étranges. Mais Koko n’imaginait rien. Tout était réel. Et les gens venaient se moquer d’elle, et Koko, imperturbable, continuait à dialoguer avec l’eau. Elle n’avait cure de sa mère qui la traitait de folle ; elle ne se souciait guère de ses cousines qui riaient sur son apparence.
Mais lorsque Koko n’était pas occupée à écouter l’eau ou à ignorer les villageois, elle partait chasser pendant des heures avec son père. Tous les deux étaient aussi silencieux que des pierres. A vrai dire, l’un comme l’autre n’était pas très doué pour se faire des amis. Nul besoin de parler quand un silence pouvait exprimer tous les mots du monde. Un seul regard, un seul geste, et Koko comprenait tout de suite. En la présence rassurante et muette de son père, la petite fille ne se sentait pas obligée de parler, d’animer la discussion, d’être parfaite. Koko devait juste être Koko et tout allait pour le mieux.
Accroupie près d’un cours d’eau dont la surface de glace se craquelait en dentelle au soleil, Koko trempait sa petite main dans le bleu polaire. Elle ne ressentait pas la morsure de l’eau gelée. Pas ce genre de douleurs. Elle se pencha davantage et écouta. Le bruissement de l’eau agitée, les craquements de la glace qui gloussait, le sifflement du cormoran qui revenait pour l’été, le chuintement du vent du sud, les battements de son propre cœur apaisé… Koko ferma les yeux et laissa l’eau lui conter une histoire – et pas n’importe laquelle. Une histoire qui s’était extraite du cœur d’un glacier multimillénaire. Elle avait coulé, goutte par goutte, mot par mot, juste pour Koko. Touchée par cette attention, les lèvres gercées de la fillette esquissèrent un timide arc, creusant un sillon de fossettes.
Voici l’histoire de Sunke la Téméraire, une femme qui a bravé l’inconnu pour trouver un remède à sa fille mourante…
Il y a de cela plus de deux mille ans, Sunke la Téméraire fit le tour du monde en quête d’un remède pour sa fille bien-aimée, atteinte d’une maladie incurable. Sunke combattit des monstres, armée de son couteau et parée de sa peau d’ours. Elle déjoua les plans machiavéliques d’un empereur cupide. Elle trompa des dragons vaniteux. Elle accorda une danse aux aurores boréales.
Sur sa route, elle trouva des alliés : un couple de monstres qui voulaient devenir humains et un jeune homme qui cherchait à acquérir une force prodigieuse afin d’épouser la fille de l’empereur.
Tous les quatre furent guidés par Shao, l’esprit bienveillant, qui leur révéla l’existence d’une créature capable de réaliser leurs souhaits. Aussitôt, ils se mirent en route pour la retrouver…
Une main s’abattit sur sa joue. Koko sursauta et tomba en arrière tandis qu’un liquide carmin, chaud et salé coula de sa narine et tacha la neige.
— Combien de fois te l’ai-je dit ? Ne joue pas avec l’eau, tu vas te salir ! Et c’est encore moi qui vais nettoyer tes vêtements sales.
La silhouette maigre et sec de sa mère se dressait devant elle. Maman s’énervait très vite et pour peu de choses. Il valait mieux ne pas l’énerver.
D’un geste, Koko stoppa le flux de sang qui s’écoulait sans discontinuer. De petites taches vermeilles avaient fleuri sur la neige pure, s’écaillant en un rose saumon.
— Va aider ton fainéant de père à dénicher des phoques tant que la glace tient. Les premiers vent chauds vont tout faire fondre.
Sans aucune délicatesse, sa mère lui jeta un filet et une sacoche remplie de bouts de morue grossièrement découpés. Koko jeta un regard désespéré vers l’eau qui n’avait pas fini de lui raconter son histoire. Serait-elle encore là à son retour ? Connaîtrait-elle la fin de l’histoire ?
— Qu’est-ce que tu attends, petite sotte ? Tu veux que l’on meure de faim ? Cours le rejoindre dans la baie glacée !
La perspective d’une deuxième gifle la décida à bouger ses pieds. Surtout, ne pas répondre à maman. Son père lui avait répété un bon million de fois de ne pas énerver sa mère – sous peine de subir sa mauvaise humeur pendant des jours ! Alors Koko courut, courut jusqu’à en perdre haleine.
— Qu’est-ce que l’eau te racontait cette fois ?
Papa avait creusé un trou dans la glace et attendait qu’un phoque, attiré par l’odeur de morue, se décide à montrer le bout de son nez. Koko lécha le sang qui était resté collé à ses lèvres avant de lui répondre. Un goût salé se répandit dans sa bouche.
— L’histoire d’une femme qui a fait le tour du monde pour trouver un remède à sa fille.
— Dommage que ce ne soit pas ta mère.
Koko et son père échangèrent un regard pleins de sous-entendus avant d’éclater de rire.
— Hokchin a dit qu’il avait vu des orques tueuses rôder près de la côte, souffla Koko.
Loin d’être inquiété, son père émit un petit rire qui secoua son corps massif.
— Hokchin se trompe tout le temps.
— Maman dit que c’est pour ça que sa femme l’a quitté.
— Ta mère ne sait rien de l’amour.
— Alors pourquoi tu l’as épousé ?
Mis devant le fait accompli, Qochan ne trouva rien à répondre. Oui, il y a quinze ans, il avait laissé ses parents lui choisirent une épouse comme il faut. Mais ce choix avait entraîné la meilleure chose qui lui soit jamais arrivé et jamais il ne le regretterait.
L’air se refroidit d’un coup. Un vent froid s’introduisit sous les vêtements de Koko et la fit frissonner. Celle-ci jeta un œil sur ses habits. A défaut d’être beaux, ils étaient confortables. Son manteau difforme de fourrures gris lui donnait le double de sa corpulence, sa capuche surmontée par des cornes de caribous cachait la moitié de son visage, et son large pantalon en laine retenu par une ceinture de cuir dissimulait quasiment ses bottes en peaux de rennes. Rien à voir avec les jolies robes colorées de ses cousines qui fanfaronnaient au village.
Parfois, maman soupirait en la voyant près de l’eau. Elle se demandait pourquoi sa fille était constamment à l’écart des autres enfants. Elle qui avait tant prié pour un fils se retrouvait avec une gamine sans manières et presque sauvageonne qui lui avait déchiré le ventre, au point qu’elle ne pourrait plus jamais enfanter. Pourquoi maman soupirait-elle à longueur de journée en contemplant leur petite cabane ? Pourquoi se plaignait-elle de sa fille chaque jour au village ? Pourquoi ne pouvait-elle pas se contenter de leur vie sobre au lieu de jeter leur peu d’argent dans des bijoux inutiles ? Papa et elle trouvaient tout juste de quoi manger mais maman continuait à s’apitoyer sur son sort.
Une petite silhouette ronde et grise émergea du trou et se dandina vers le morceau de morue, ses moustaches perlées d’eau. Koko se redressa. Aussitôt, papa saisie sa massue et l’abattit sur le phoque qui mourut instantanément. Koko se précipita vers le cadavre sans vie et le plaça précautionneusement dans le filet. Inutile de vider les entrailles. Le corps d’un phoque était une précieuse ressource où tous se conservait.
Une secousse les fit tous les deux tomber à terre. Koko se releva immédiatement, les yeux grands ouvert.
— C’était quoi ? paniqua-t-elle.
— La glace se brise, il faut retourner sur le rivage !
Ni une ni deux, papa empoigna Koko de toutes ses forces et ils coururent aussi vite qu’ils le purent. Toutefois, Koko eut le temps de jeter un coup d’œil derrière elle. Là où ils se tenaient quelques instants plus tôt, la glace avait éclaté et la nageoire dorsale d’une orque se tenait droite parmi les débris de la banquise.
— Tu sais, tu pourrais être très jolie si tu laissais tes cheveux pousser.
Koko ne sut si la remarque de Yimeg était un compliment ou un conseil. Peut-être ni l’un ni l’autre.
— Les garçons aiment les filles aux cheveux longs, poursuivit-elle en gloussant.
— Et tu as les cheveux courts, justement, appuya Tsuyeg.
—Tu as quoi dans ton filet ? interrogea Osseg.
Serré entre ses petits bras osseux, Koko supportait tant bien que mal le cadavre encore chaud du phoque. Papa lui avait dit de le garder précieusement pendant qu’il prévenait le village du retour imminent des orques. Koko n’avait pas tardé à se retrouver toute seule avec ses cousines qui l’inspectaient des pieds à la tête.
Yimeg, Tsuyeg et Osseg se ressemblaient tant qu’il était difficile de les dissocier. Leur mère était si folle d’elles qu’elle leur avait cousu les mêmes vêtements, ce qui rendait définitivement impossible de les différencier. On disait au village que les trois sœurs étaient si belles qu’elles avaient déjà reçu des demandes en mariage des quatre coins du Mur.
La langue de Koko se délia.
— Un phoque. Papa et moi, on est allé en chasser aujourd’hui.
— Tu nous le donne ? insista Yimeg.
— Non, on en a besoin.
— Allez, s’il te plaît, insistèrent ses cousines en cœur.
Au même instant, deux garçons aux yeux espiègles arrivèrent en se bousculant. Sodan et Rutan s’amusaient à se lancer une balle en peaux de rennes mais lorsqu’ils s’aperçurent de la présence de Koko, ils cessèrent de rire.
— Tu sens cette odeur, Rutan ?
— Une odeur de phoque, j’en suis sûr Sodan.
— C’est toi qui l’as chassé ?
— Oui, Sodan, répondit Koko en rougissant.
— On peut l’avoir ?
— Non je…
— Regardez ! Elle est toute rouge ! Je suis sûre qu’elle est amoureuse de Sodan ! ricana Yimeg.
— C’est faux ! Je ne suis pas…
— Beurk, t’es tellement moche qu’aucun homme ne t’épousera, déclara Sodan en mimant des vomissements exagérés.
Tandis qu’ils éclataient tous de rire, Koko se mordit la lèvre pour ne pas pleurer. Elle se mordit jusqu’à ce qu’une eau amère et salée emplisse sa bouche. Sans même lui laisser le temps de réagir, Yimeg, Tsuyeg et Osseg lui arrachèrent le filet et se mirent à courir vers la baie glacée. Aussitôt, Sodan et Rutan les rejoignirent et tous les cinq, ils prirent un vilain plaisir à se balancer le phoque entre eux, empêchant Koko de retrouver son butin. Cette dernière eut beau courir et les supplier d’arrêter, ses efforts furent vains.
Au bout d’un moment, Rutan attrapa le phoque et le lança le plus loin possible. Koko sentit son cœur manquer un battement. Elle avait cru entendre un affreux craquement de glace. Comme pour confirmer ses craintes, des fissures se tracèrent et encerclèrent le cadavre du phoque.
— Attention aux orques, ria Rutan qui s’empressa de rejoindre les autres sur le rivage.
Bouche bée, Koko resta les bras ballants, debout sur la glace. Comment allait-elle l’expliquer à papa ? Et maman allait-elle la battre ? Une ombre noire sous la glace se rapprocha d’elle. Koko fit un pas en arrière. La glace avait dû fondre plus rapidement que d’habitude. Comment était-ce possible que les orques aient pu s’introduire dans la baie glacée aussi vite ? L’orque en dessous d’elle était gigantesque et elle n’était pas seule. Quatre autres suivirent et se placèrent en dessous du phoque.
Les jambes tremblantes, Koko fit un second pas en arrière. Elle entendit les rires fuser derrière elle. Yimeg, Tsuyeg et Osseg se délectaient de la scène.
Sans ce phoque, ils n’auraient rien à dîner ce soir. Maman s’énerverait et papa encaisserait encore sa colère. Et ça, ce serait de sa faute.
Fais comme si ce phoque était le remède qui sauverait ta fille. Montre-toi courageuse comme Sunke.
L’eau lui parlait. Elle murmurait sous les crissements de la glace. Galvanisée, Koko avança prudemment et sûrement, l’ombre effrayante des orques toujours en dessous d’elle. Un rapide coup d’œil lui sembla que les orques s’appliquaient à la suivre. Hokchin lui avait un jour dit que les orques étaient plus intelligentes qu’il n’y paraissait. Cela ne rassura pas Koko le moins du monde.
Avance bravement vers le danger, telle Sunke la Téméraire.
Mais Koko n’avait même pas eu le temps de connaître la fin de l’histoire. Peut-être que Sunke et ses compagnons mourraient à la fin ? Cette idée lui glaça le sang.
Le phoque n’était plus qu’à quelques mètres. Koko se pencha et étira son bras jusque vers le phoque. Mais cela ne suffit pas. Beaucoup trop petit, son bras touchait à peine le cadavre tiède. A regrets, elle dut s’approcher davantage. Elle saisit l’une des nageoires moites et attira le phoque vers elle quand une voix de tonnerre explosa.
— KOKO !
Son père se précipita pour la rejoindre et la seconde d’après, la glace se brisa en mille morceaux. Déstabilisée, Koko perdit équilibre et s’affala au sol, serrant de toutes ses forces le phoque contre sa poitrine.
— Koko ! J’arrive, ne bouge pas !
Koko voulu lui répondre mais les mots se nouèrent dans sa gorge et elle ne put que relâcher un sanglot. Maintenant, tout était fichu.Une orque émergea de la surface, provoquant un séisme de vagues. Elle fonçait droit vers Koko, la bouche grande ouverte. Koko jeta un rapide coup d’œil autour d’elle. A quelques mètres, un iceberg géant avec une crevasse pouvait lui servir d’abris. Mais encore fallait-il l’atteindre…
Sunke aussi s’est lancée dans l’inconnu.
Koko lança le phoque à l’orque qui fit demi-tour. L’occasion ne se présenterait pas deux fois.
Aussi calme et stoïque que le Mur, Koko se jeta de tout son cœur sur l’iceberg, emplie d’espoir et d’optimisme.
Et échoua lamentablement.
Elle tomba dans l’eau, tête la première.
De puissantes dents plongèrent dans sa jambe et l’attirèrent dans les profondeurs. Koko hurla de toutes ses forces, tentant de rester à la surface. Non, elle ne voulait pas mourir. Pas maintenant alors que l’eau ne lui avait pas raconté la fin de l’histoire de Sunke. Criant et pleurant à la fois, Koko ressentit pour la première fois la morsure de l’eau polaire.
Qochan se jeta dans l’eau mais ne tarda pas à se retrouver encerclé. Koko eut à peine assez de forces pour l’appeler à l’aide. Il lui semblait se vider de son sang. D’ailleurs, l’eau avait pris une teinte rouge.
Son sang se mêlait à l’eau. L’eau de la nuit des temps. L’eau précieusement protégée par le Mur. Le Mur créé pour les punir de la perversité qui coulait dans ses veines. Ses veines qui contenaient son sang impur.
Epuisée de se battre, Koko oublia tout.
Elle qui ne voulait pas oublier les histoires que ses ancêtres avaient délaissées, elle fit le vide en elle. Elle effaça de sa mémoire les rires cruels de ses cousines. Elle supprima de sa pensée les remarques douloureuses de Sodan et Rutan. Elle tira un trait sur les soupirs de sa mère. Elle tâcha de ne pas penser à son père qu’elle avait encore déçu. Elle tira un trait sur l’aventure de Sunke. Comment avait-elle pu croire un seul instant qu’elle pouvait être téméraire comme Sunke ? Au final, elle n’avait rien accompli de brave.
Koko s’abandonna corps et âme à l’eau jusqu’à ne faire plus qu’un.
Une douleur aigue picotait sa jambe, à l’endroit même où l’orque l’avait mordue. Koko se tortilla jusqu’à pouvoir tâter la douleur. A sa grande surprise, rien. Aucune morsure… Avait-elle rêvé ?
Elle ouvrit les yeux. En quelques frottements d’yeux, elle reconnut ces murs sombres et austères. Elle était chez elle et un petit feu vacillait au centre, surplombé par une marmite sifflante. Une délicieuse odeur de viande fit saliver Koko. Emmaillotée dans des couvertures, elle mourrait de chaud et de faim, ce qui la convainquit de s’extirper. Elle enfila quelques vêtements, se servit un bol de ragoût et se dépêcha de l’engloutir. Elle prit à peine le temps de mâcher et se contenta d’engloutir la viande comme un animal sauvage, des gouttes de sauce traçant des traînées grasses sur ses joues. Une agréable chaleur se répandit dans tout son être meurtri. Repue, Koko soupira d’aise.
Des bruits de pas la figèrent comme un stalactite. Deux personnes discutaient à voix basse juste derrière la porte… Prudente, Koko se rapprocha.
— Et comment a-t-elle fait pour survivre ? Les enfants ont dit que les orques étaient nombreuses…
— Je n’en sais fichtrement rien. Elle n’a aucune blessure. Les trois filles de Messeg affirment qu’une énorme vague l’a ramené sur le rivage. Mais les villageois disent qu’elle est un peu sorcière, alors vous savez… Que reste-t-il de Qochan ?
— Le pauvre, jusqu’à la fin il aura eu une vie misérable… les recherches n’ont rien donné. Un bras et un morceau de son crâne.
Koko se redirigea vers sa couche, pâle comme la neige. Elle eut soudain envie de vomir mais Koko se retint : un ragoût comme ça, elle n’en mangerait pas de sitôt.
L’eau était un être chaotique. Menteur. Versatile. Beau à l’extérieur. Dangereux à l’intérieur.
Cela faisait des semaines que Koko n’écoutait plus l’eau. Elle l’accusait d’être l’origine de ses ennuis. L’eau lui avait tout prit : son père, son meilleur ami, sa raison d’être… L’eau était injuste. Injuste. Injuste. Injuste. Sa colère et sa douleur martelaient la surface brisée de son être, gonflait son cœur de rage et remplissait ses yeux d’eau salée.
La neige fondait au soleil. La glace fondait au soleil. L’eau ruisselait. Mais Koko refusait toujours d’écouter les paroles de l’eau. Au fond, ses ancêtres avaient eu raison de ne plus vouloir y prêter attention. Parfois, il valait mieux oublier le passé. Quel intérêt de connaître la fin des aventures d’une femme datant d’il y a deux mille ans ? Koko n’avait fait que se plonger dans le passé pour mieux se perdre dans le présent. Elle l’avait bien mérité au final.
Elle longea le Mur, glissant sur les pierres sa main décharnée. Elle frotta sa peau contre la surface dure et caillouteuse. Du sang perla et glissa dessus.
L’avantage, c’était que plus personne ne la réprimandait maintenant. Quelques jours après les funérailles, maman s’en était allée. Elle avait pris une veste et couteau et elle s’en était allée sans un regard, sans un mot – exactement comme Sunke. Mais Koko savait qu’elle ne reviendrait jamais.
Depuis, Koko se débrouillait comme elle pouvait pour survivre, allant chasser pendant des journées entières. Les premiers jours, lorsqu’elle n’avait pas la force de bouger, des villageois lui jeter à manger comme à un animal. Yimeg, Tsuyeg et Osseg étaient revenues l’embêter, accompagnées des garçons. Mais Koko avait sorti la massue de son père et ils avaient déguerpis aussi vite que lapins.
Elle déambulait partout, sans aucun but précis. Elle se lançait parfois à l’aventure en pleine nuit, profitant de la chaleur de l’été pour des nuits à la belle étoile. Elle contemplait alors le Mur qui était si grand qu’il pouvait les atteindre. Ce Mur gigantesque que rien ne semblait ébranler. Ce Mur présent dans le décors et qui semblait les toiser de toute sa hauteur.
Le Mur n’était qu’une punition, l’eau un élément naturel, Koko une erreur.
Une nuit, Koko s’abandonna sur le bord de l’eau. La glace avait disparu, laissant une eau claire et pure où la lune se reflétait, déformé par les flots tremblotants. Des pétales de fleurs coulaient gracieusement à la surface, offrant une scène tout droit sortie d’un rêve. Koko ne put s’empêcher de trouver la situation injuste. L’eau n’avait pas le droit d’être calme et paisible alors que papa était mort.
— Espèce de menteur… T’es qu’un sale menteur… Toi et tes histoires, vous pouvez aller vous faire voir ! Papa est mort parce que tu m’as dit que je pouvais être comme Sunke ! Si j’avais fait demi-tour, papa serais encore là… Mais il mort…
Koko se prit le ventre et éclata en larmes. Ses hurlements déchirèrent le silence de la nuit. Mais il ne se passa rien. Papa était toujours mort. L’eau était devenue sourde. Le temps continuait de s’écouler. Personne n’avait écouté ses prières. Epuisée à force de pleurer, Koko s’endormie près de l’eau.
Koko, veux-tu voir le monde ? Veux-tu braver l’inconnu comme Sunke ? Veux-tu connaître la fin de son histoire ?
Je ne sais pas.
Tu ne seras pas toute seule.
Je ne sais pas me battre.
Tu deviendras forte. Fais-moi confiance.
Je ne survivrais pas dans ce monde.
Le sang de Sunke coule en toi. Je sais que tu y arriveras.
Non c’est faux.
L’eau de la nuit des temps ne ment pas. L’eau ne se trompe jamais. L’eau façonne les humains. Elle les entoure depuis leur naissance. L’eau connaît leurs désirs les plus profonds. Laisse ton eau se mêler à la mienne comme à ta création.
Si j’ai écouté l’eau, c’était parce que je voulais être comme Sunke. Je voulais que les gens se rappellent de moi.
Fille de Sunke, veux-tu voir le monde ? Veux-tu braver l’inconnu comme ton aïeule ? Veux-tu connaître la fin de son histoire ?
L'astre du jour se levait en miroitant sur la surface agitée de la mer. Koko se tenait debout sur le Mur. Une immense étendue d’eau s’étalait devant elle. Le soleil cuisait sa peau, le vent giflait ses cheveux, l’odeur de la mer salée la secoua, le cri des albatros l'assommait.
Décidément, l’eau ne se trompait jamais.
L’eau murmurait. L’eau chuchotait. L’eau chantait. Il suffisait juste de tendre l’oreille et d’être attentif.
Wow, quelle découverte ! J'en reste pantoise. Le personnage de Koko est attachant - je me suis beaucoup reconnue dans sa fascination pour l'eau. J'ai particulièrement aimé le ton avec lequel l'histoire est narré - qui rappelle beaucoup le conte - ou encore les mots de fin qui sont les mêmes que ceux du début. Je trouve ça juste... beau. Un peu magique, quand même.
J'ai déniché quelques points d'améliorations peu intéressants (je les liste juste après) mais avant : sache que ta manière d'écrire est très visuelle, et pendant tout le texte, j’ai imaginé les scènes sous le prisme d’un film Ghibli. (le nom « Koko » n’y est peut-être pas pour rien) J'ai comme l'impression, par ailleurs, que les Ghibli sont une grande source d'inspiration pour toi... je me trompe ? ;)
- « près d’un cours d’eau dont la surface de glace se craquelait en dentelle au soleil » c’est très beau <3
- « Celle-ci jeta un œil sur ses habits. A défaut d’être beaux, ils étaient confortables. » Je trouve qu’ici, on peut trouver un adjectif un peu plus pertinent que « beau ».
- « Attention aux orques, ria Rutan » ne serait-ce pas plutôt « rit » ?
- Comme accentuation de ton style "visuel" (et ce qui te permettra en outre de l'affirmer davantage) je ne peux que t'encourager à employer un langage descriptif plus spécifique, en lien avec l'ambiance que tu veux établir. Cela pourrait aussi permettre une immersion plus totale, je pense, bien qu'elle soit déjà très complète :)
En bref : une super lecture, un conte mélodieux et un univers bien plus vaste qu'il n'y paraît... Cette histoire de Mur, ces prénoms originaux m'ont rendue curieuse. Peut-être glisserais-je un œil, qui sait, (lorsque ma PàL aura fait marée basse) aux Héritiers de la Grenouille ?
Bonnes inspirations ! <3
Pluma.
désolée de répondre tardivement, c'était une période chargée MAIS me revoilà et je découvre avec plaisir ce commentaire
moooh, tes compliments me vont droit au coeur ! sur ce petit conte, j'avais essayé de changer de style d'écriture, d'adopter le ton des contes. Je vois que cela a marché !!! héhé, je suis flattée. Mais si tu lis les Héritiers de la Grenouille, prends ton temps (d'ailleurs moi je fais actuellement traîner tes histoires dans ma PAL je suis navrée Pluplu)
bref, tu m'as comprise.
d'ailleurs, entendre des compliments sur la beauté de mes phrases, c'est énorme pour moi qui trouve tes descriptions superbes. Pour moi, tu es la "maître" des descriptions imagées et poétiques de PA (j'exagère même pas!)
merci encore et à très bientôt sur l'espace commentaire !!
bisous à la cerise !
cheery cherry
Je prends mon mal en patience avec cette nouvelle ^^ Tiens, ça se passe dans le même univers, c'est une bonne surprise (=
La nageoire de l'orque qui fend la banquise doit être un spectacle terrifiant, en l'imaginant j'ai eu un frisson ^^ Et que dire des ombres sous Soko ! ça rappelle la mer quand on a l'impression que des monstres marins vont passer sous ton bateau^^ Que tu les décris bien !
La mise en relation avec la légende est super, la voix de l'eau rend aussi super bien.
La phrase de début et de fin identique ça marche très bien.
Et que dire de cette fin douce-amère déchirante... Tu me brises le coeur ^^
Seul un nouveau chapitre des HG pourra me consoler (=
J'ai vraiment une sensibilité particulière à ta plume il faut croire, dommage que tu n'aies pas encore écrit une saga de 15 tomes avec 500 pages ahah
Quelques coquilles :
"Dès fois, les villageois la regardaient" -> des fois
"de ses cousines qui riaient sur son apparence." -> qui riaient de son apparence ?
"l’un comme l’autre n’était pas très doué" -> n'étaient pas très doués
"Les premiers vent chauds" -> vents
A très bientôt !!
Merci encore, c'était super !
Hehe oui c'est triste et pas joyeux mais t'en fais pas trop, HG est bientôt de retour. Enfin je ne sais pas encore quand hein mais bientôt.
Je prends note pour les coquilles
A plus !
A très vite alors (=
Je suis tombée sur ton profil presque par hasard, de profil en profil, cherchant je ne sais quoi, attendant de tomber sur quelque chose... et là, la sérendipité prend tout son sens...
Comment dire... merci. Merci pour ce moment poétique, mélodieux, presque nervalien qui donne simplement l'envie de continuer de te lire; ce que je vais faire sans hésiter :)
Haha merci au hasard de t'avoir guidé jusqu'à moi je suis contente que ça t'ait et que tu ai passé un bon moment poétique et mélodieux 😄
À très très bientôt sur PA 😉
J'aime beaucoup l'univers que tu nous proposes. Il est très poétique. J'aime aussi beaucoup le prenom de Koko et la façon dont tu dépeins les relations qu'elle entretient avec les autres protagonistes. C'est particulièrement efficace !
Merci pour cette lecture !
Je voulais un prénom simple et facile à retenir alors Koko est venue toute seule. Bon y a aussi un autre argument mais ce sera pour plus tard x)
merci beaucoup ça me fait plaisir :) à très bientôt sur PA
Effectivement Koko et son père sont très proches. Je me suis demandé pleins de fois comment écrire une relation père-fille réaliste.
et non c'est moi qui te remercie pour ce commentaire généreux x) j'ai passé un temps fou à créer l'univers et je ne peux qu'être comblée si tu l'aimes >.<
J'espère que tu vas bien :)
Je suis enfin passée par ici et je ne suis pas déçue ! Ta petite histoire, à la fois belle et triste, nous fait voyager pendant un court instant dans un autre monde. La petite Koko m'a attendrie, et la personnification de l'eau a été bien menée ! <3
ça me donne bien envie de commencer les héritiers de la Grenouille ;)
Voilà des bisous et à tout bientôt !
Qu'est-ce que j'adore ce petit commentaire ^^ cette personnification avec l'eau m'a pris du temps... J'avais peur d'en faire trop puis pas assez.
A vrai dire, Koko est l'un de mes personnages préférés et je suis contente que ça t'ait plu x)
Je te souhaite une bonne lecture et à plus :D
Me voilà enfin ! Et je ne suis pas déçue ! J'ai commencé cette histoire pour la lire d'une traite. On s'attache à Koko facilement (d'ailleurs, j'adore son prénom). C'est triste, mais on a besoin de tristesse dans les écrits ! C'est beau, plein de délicatesse et de poésie... <3
Les thèmes que tu abordes dans le fond me touchent. Et j'aime la nouveauté que tu apportes dans tes écrits, ce petit air d'Asie =D
J'ai quelques petites remarques à, des coquillettes qui traînent par-ci par-là :
"Dès fois" - Parfois ?
Sa mère la gifle et du sang coule, je n'ai pas compris où exactement (c'est assez déstabilisant xD)
"Une délicieuse odeur de viande fit saliver Koko." "Emmaillotée dans des couvertures, elle mourrait de chaud et de faim"
Ici, j'intervertirais Koko par "la" (la fit saliver) et dans la seconde phrase, le "elle" par Koko. Je trouve que c'est plus naturel et fluide à la lecture.
"Mais Koko avait sorti la massue de son père et ils avaient déguerpis aussi vite que lapins. " - le petit "des" a aussi pris ses jambes à son cou, je crois x)
"La glace avait disparu, laissant une eau claire et pure où la lune se reflétait, déformé(E) par les flots tremblotants."
Voilà, voilà. D'ailleurs, cette dernière phrase est magnifique. J'oublie sans doute de dire des trucs, mais peu importe : MERCI pour cette nouvelle :-)
d'ailleurs je n'en suis pas très fière ; j'aurais pu mieux faire à bien des égards.
(koko saigne du nez, je n'ai pas été très claire dans ce passage x) )
je me suis inspirée des indigènes du nord de la Sibérie du coup on peut dire que c'est ... eurasiatique ?
A plus :)
Je n'ai pas été déçu par le reste ! J'ai trouvé cette petite histoire très belle, très triste. Elle nous envoie tout plein d'émotions à la lecture !
Merci beaucoup pour ce partage :).
Du coup, je vais prochainement commencer Les héritiers de la Grenouille.
Je pris des petites notes en cours de lecture que je te laisse là:
"et de neige éternelle qui fondaient en été"
Si la neige est éternelle, elle ne devrait pas fondre ? Si ?
"dont la surface de glace se craquelait en dentelle"
Très jolie image :)
des villageois lui jeter
lui jetaient ?
A bientôt !
euh concernant la neige éternelle j'ai peut-être pas fait attention à ce détail, merci de m'avoir prévenue !
bonne lecture pour les héritiers de la grenouille
Ca faisait longtemps, je n'avais pas vu que tu avais publié une autre histoire
Elle est un peu tristou d'ailleurs, mais bien écrite et très poétique.
J'aime bien !
(Bon, en tant que papa, ca m'embête toujours un peu que ce soit toujours le père qui meurt ! Oui, comme dans le roi lion ! :-P mais bon c'est pas grave haha)
Un joli préquel à ton autre histoire
Sinon j'ai relevé quelques coquilles si jamais ca peut t'intéresser :
La silhouette maigre et sec de sa mère se dressait devant elle. Maman s’énervait très vite et pour peu de choses. Il valait mieux ne pas l’énerver.
Répétition de "enerver", il y en a d'autre d'ailleurs dans ce coin là
Inutile de vider les entrailles. Le corps d’un phoque était une précieuse ressource où tous se conservait. -> tout ? se conservait
Attention aux orques, ria Rutan qui s’empressa de rejoindre les autres sur le rivage. -> ria -> rit (moi aussi je faisais la faute :-P)
A bientôt !!
j'ai fait pas mal d'erreurs mais bref je suis contente qu'elle t'ai plus :)
d'ailleurs j'ai vu qu'il y a avait le tome2 des Cités Célestes aussi ?
Le rythme de publication va cependant être assez lent car je n'ai pas du tout fini de l'écrire hihi
si ça te fait cet effet, dans ce cas j'ai réussi mon pari ^^
à bientôt sur PA