La fille du placard

Notre routine avec Maman est très cadencée. Depuis que je suis rentrée à l’école primaire il y a cinq ans maintenant, elle m’attend tous les jours à 16h30 tapantes devant le portail de l’école, mon goûter à la main. Nous faisons ensuite le trajet ensemble jusqu’à la maison, pendant lequel je lui raconte tout ce que j’ai fait de ma journée. J’aime ces moments rien qu’à nous, durant lesquels je lui raconte tout ce qui me passe par la tête. Maman s’occupe de moi après l’école car elle ne travaille pas. Elle occupe son temps à prendre soin de notre maison, en nettoyant chacune des pièces de fond en comble, en plantant de jolies fleurs dans le jardin ou encore en allant chercher des fruits et légumes frais au marché. Depuis ma naissance, Maman a décidé d’arrêter de travailler pour avoir le temps de s’occuper de moi. Je n’ai jamais vraiment su ce qu’elle faisait comme travail avant ça, mais je crois qu’elle se plaît dans sa nouvelle vie. Je suis heureuse de notre petit train-train quotidien et que Maman soit toujours là pour moi. J’aime pouvoir rentrer tôt à la maison et jouer avec mes poupées ou l’aider à préparer le dîner. 

Même si je suis heureuse d’avoir nos moments à deux, il m’arrive d’être jalouse de mes amies qui restent à la garderie le soir. Le lendemain matin, lorsque j’arrive à l’école, elles se racontent des blagues ou se remémorent ce qu’elles ont fait ensemble la veille au soir, sans moi. Même si j’aime passer du temps chez moi avec Maman, j’aimerais pouvoir rester plus longtemps avec mes copines, et ne pas me sentir exclue de leurs conversations.

J’ai toujours voulu avoir une sœur ou un frère, pour avoir quelqu’un avec qui jouer, à qui raconter mes secrets et avec qui faire des bêtises pour énerver nos parents. Mes copines me répètent sans cesse que j’ai beaucoup de chance d’être fille unique, « au moins tu n’as personne pour venir t’embêter quand tu joues » me raconte l’une, ou « personne pour venir détruire ta tour de bois » renchérit une autre. Je ne suis pas sûre qu’elles aient raison et que mon quotidien soit vraiment meilleur que le leur. Je serai toujours reconnaissante de la relation que j’ai avec mes parents, en particulier celle que j’ai avec Maman. Mais je pense qu’il me manquera toujours quelque chose, la présence de quelqu’un d’autre. J'aimerais surtout avoir un copain ou une copine à la maison avec qui je pourrais passer du temps. Quand je n’ai plus envie de jouer seule, j’insiste auprès de Maman et Papa pour jouer avec eux à des jeux de société ou aux cartes, mais à chaque fois c’est la même chose : “Tu sais qu’on aime passer du temps avec toi ma chérie, mais les jeux de société nous ennuient”. Ils acceptent quand même de temps en temps de faire une partie, juste pour me faire plaisir. Je les comprends, ils ont leurs activités d’adultes à faire, mais j’aimerais pouvoir jouer avec eux un peu plus souvent

Aujourd’hui, comme à son habitude, Maman m’attend à la sortie de l’école avec un pain au chocolat et une brique de jus d’orange. J’ai mal à la tête depuis quelques minutes et ça me retourne l’estomac. En apercevant mon goûter, je perds instantanément l’envie d’avaler quoi que ce soit. J’allais pourtant bien toute la journée, j’ai même réussi à me concentrer assez pour suivre tout ce que racontait la maîtresse. J’ai noté tous les devoirs qu’elle nous a donné pour demain, pour une fois Maman n’aura pas besoin d’aller les demander à la maman d’une de mes copines. 

Me voyant mal en point, Maman pose la main sur mon front. “Ma pauvre chérie, tu es brûlante” me dit-elle. Elle attrape mon cartable et le porte le temps du trajet jusqu’à la maison. Heureusement pour moi, nous n’habitons pas très loin de l’école. Nous avons toujours résidé dans ce petit village, où l’école est dans le centre-ville, à côté de la mairie et du bureau de poste. EN quittant le parvis de l’école, il nous suffit de prendre la rue principale pour arriver chez nous. Une fois rentrées, et au vu de mon état lamentable, elle m’autorise exceptionnellement à ne pas faire mes devoirs. C’est dommage, pour une fois que je les avais notés ! 

Notre maison est plutôt petite, et à un mur commun avec celle des voisins, qui viennent d’ailleurs tout juste d'emménager. Quand j’ai su que les anciens propriétaires, des retraités qui voulaient partir dans le sud, mettaient leur maison en vente, j’ai espéré que les nouveaux aient des enfants. Malheureusement, c’est un couple encore trop jeune pur ça qui y a établi domicile. Une fois passée la porte d’entrée, Maman pose mon cartable sur le canapé du salon. Elle me fait signe de monter dans ma chambre pendant qu’elle range mon goûter dans la cuisine. Je traverse donc la pièce à vivre remplie de photos de moi et d’objets que j’ai fabriqués à l’école pour rejoindre l’escalier. Maman tient à conserver tous les projets que mes différentes maîtresses m’ont fait faire tout au long de ma scolarité, même les plus moches. Elle les entrepose fièrement dans le salon et la salle à manger, en trouvant toujours de la place pour une nouvelle création. Je lui ai pourtant déjà dit qu’elle pouvait se débarrasser de certains, ou au minimum les mettre au grenier, mais elle me répète qu’elle tient à garder ces différents souvenirs qui comptent beaucoup pour elle. 

Je grimpe difficilement les marches de l’escalier pour arriver dans ma chambre. Je m’installe dans mon lit en attendant que Maman me rejoigne. Elle me propose de faire la sieste en attendant le repas du soir, ce que j’accepte volontiers. Une fois emmitouflée dans ma couette, Maman part chercher un gant humide et de quoi soulager ce mal de tête qui m’assomme. J’avale avec plaisir une pipette de sirop au délicieux goût de fraise, saveur qui me remonte le moral, au moins pour un instant. Maman s’approche de ma fenêtre pour fermer les volets et éteint la lumière.

- Repose-toi bien ma puce, me dit-elle après m’avoir embrassée sur le front. Je descends à la cuisine préparer le dîner avant que Papa ne rentre du travail. Appelle-moi si tu as besoin de quelque chose, d’accord ?

J’acquiesce puis regarde Maman quitter la pièce. Je ferme les yeux pour tenter de m’endormir. La fièvre me fait trembler de la tête aux pieds, j’ai mal partout, je suis comme courbaturée. J’alterne entre la sensation de mourir de chaud, comme errant dans le désert du Sahara, et celle d’être installée en plein milieu du pays du Père Noël. En plus de ça, j’ai le tournis comme la dernière fois que j’ai fait ce grand manège du parc d’attraction avec mes parents. Je suis sur le point de tomber dans les bras de Morphée lorsque j’entends un bruit.

Toc Toc Toc.

Dans l’obscurité, je n’arrive pas à déterminer sa source.

- Maman ? je demande d’une voix faible, pensant qu’elle vient voir comment je me sens.

Pas de réponse.

Toc Toc Toc.

Le silence reprend possession de la pièce, je suis de toute façon trop fatiguée pour me préoccuper de ce bruit mystérieux. Je tente de me rendormir, mes yeux se ferment tout seul. J’imagine que ça doit être Maman qui fait du bruit dans la cuisine en préparant le repas, ou bien les voisins de la maison mitoyenne à la nôtre qui ont décidé de faire des travaux.

Un grincement perce alors le silence. On dirait le bruit des petits pas légers qui s'aventurent sur le parquet d’antan. Cette fois-ci, le son me paraît proche, très proche. Je suis convaincue qu’il vient de ma chambre. Je cherche l’interrupteur de ma lampe de chevet. Après quelques secondes, je parvins à allumer la lumière qui me permet d’y voir plus clair. Une fois ma vision adaptée à la luminosité, je balaye la pièce du regard pour vérifier que tout est à sa place. Mes jouets sont étalés par terre depuis la veille, au grand dam de Maman qui insiste pour que je range dès que j’ai fini de jouer. Les portes de ma chambre et de mon placard sont fermées. J’ai beau tendre l’oreille, je n’entends plus aucun bruit. Même pas Maman à l’étage du dessous qui s’affaire en cuisine pour préparer le dîner. C’est comme si le monde autour de moi avait disparu et qu’il ne restait plus que ma chambre… Et ces bruits dérangeants. Au bout de plusieurs minutes sans nouveaux bruits, je décide d’éteindre ma lampe et de fermer les yeux une nouvelle fois.

Toc Toc Toc.

Cette fois, les frappements semblent venir de mon placard. Énervée par ce dérangement intempestif et malgré la fièvre qui m’affaiblit, je me lève pour aller voir s’il n’y a pas un petit animal coincé dedans. Pendant l’hiver, il nous arrive souvent, mes parents et moi, de retrouver des petits animaux dans la maison. Mulots et souris aiment trouver refuge chez nous pour survivre au froid de la saison. Une année, nous avons même sauvé des chatons et leur maman qui avait pris place dans le garage. Nous n’en avons gardé aucun. Pourtant un chat aurait pu nous aider à nous débarrasser de ces petits animaux.

J’ouvre fébrilement la porte du placard. Et si une souris surgissait ? C’est alors que je me fige. Aucun rongeur n’habite mon placard, non. C’est bien une petite fille que je trouve là, debout. Elle me fixe et son regard perçant me met mal à l’aise. Une vraie petite fille, en chair et os, qui respire doucement. Prise de panique, je bondis en arrière et me plaque les mains sur la bouche. Il y a une petite fille dans mon placard. IL Y A UNE PETITE FILLE DANS MON PLACARD ! Elle me regarde, comme si elle ne s’attendait pas à me trouver là. Comme si nous n’étions pas dans ma chambre. Elle me fixe, je l’observe en retour. Elle n’a pas l’air agressive, je dirai surtout qu’elle n’a pas l’air de savoir elle-même ce qu’elle fait là.

Elle est plus jeune que moi, je dirai cinq ou six ans. Elle est plus petite aussi, n’arrivant qu’au niveau de mes épaules. Elle est vêtue d’une robe blanche avec un col Claudine, comme celle que Maman me fait porter pour aller à l’église ou aux repas de famille. Celle-ci est longue et lui arrive quasiment jusqu’aux chevilles. C’est à ce moment que je m’aperçois qu’elle est pied nu. Elle ne porte même pas de chaussons pour se protéger du sol froid. Elle a de longs cheveux blonds identiques aux miens qui encadrent son visage. Ses yeux sont d’un vert profond, les mêmes que ceux de Maman. En la regardant plus en détail, je remarque qu’elle pourrait être la jeune version de Maman, avec son petit nez et ses pommettes rosées, sûrement par le froid. Au contraire, ma famille me répète sans cesse que je suis le portrait craché de mon Papa. J’ai ses yeux noisette et son visage rond. J’ai hérité de sa myopie, me forçant à porter des lunettes de vue depuis mes trois ans. Sa ressemblance avec ma mère est tout de même troublante. 

Voyant qu’elle n’a pas l’air décidée à m’adresser la parole, je me lance timidement : 

- Bonjour ? 

La petite fille me fixe toujours mais ne répond pas. Peut-être ne parle-t-elle pas français ? J’aurais pu essayer en anglais mais je n’ai pas retenu grand-chose des cours donnés par la maîtresse. Je hausse un peu le ton et demande : 

- Qui es-tu ? Et qu’est-ce que tu fais dans mon placard ? 

Elle laisse passer quelques secondes puis me répond doucement : 

- Je crois que je me suis perdue. 

- Je crois aussi, je raille, sarcastique. 

Son comportement m’insupporte déjà. Elle débarque dans ma chambre, dans mon placard, et elle « croit être perdue » ?

- Tu es dans ma chambre, dans mon placard, je reprends, personne n’est censé être dans mon placard. C’est mon espace, rempli de mes affaires. Tu n’as rien à faire ici.

Je fronce les sourcils pour lui faire comprendre que je suis énervée par son attitude.

- Je suis désolée, s’excuse-t-elle en baissant les yeux, brisant le contact visuel établi depuis que je l’ai découverte. Je voulais jouer et je cherchais mes jouets.

Cela n’explique toujours pas pourquoi elle est ici, ni depuis quand d’ailleurs. Sa mine triste me fait de la peine, alors je reprends d’un ton plus doux pour m’adresser à elle.

- Tu veux jouer avec moi ? je propose. J’ai beaucoup de jouets dans ma chambre, tu devrais trouver quelque chose qui t’intéresse.

La petite fille lève à nouveau les yeux vers moi et acquiesce en silence, visiblement reconnaissante de ma proposition. Elle sort alors du placard lentement, et me rejoint au centre de la pièce. En passant devant moi, je sens son odeur.  La même que celle chez le dentiste quand Maman m’emmène pour vérifier que je n’ai pas de caries à force de manger des bonbons. Une odeur de propre, de produits désinfectants.

Je me dirige vers mes commodes remplies de jouets en tout genre. Je sors les tiroirs un à un, et les renverse sur le sol, les jouets jusqu’à présent rangés à l’intérieur rejoignant ceux qui gisaient déjà sur mon tapis en forme de papillon. Nous avons à notre disposition des figurines en tout genre, des petites briques de toutes les couleurs pour construire ce que notre imagination nous dictera. J’ai aussi de nombreuses poupées blondes, ma commode en déborde. Je vois son regard émerveillé à la vue de la quantité de jouets. C’est vrai que ma famille me gâte beaucoup, et je suis chanceuse d’en avoir autant. Ce qu’il me manque c’est un compagnon de jeu. Je la vois hésiter pendant un instant puis elle jette son dévolu sur les poupées. Elle s’empare d’une poupée médecin, habillée d’une blouse blanche et d’un stéthoscope. Je prends à mon tour le temps de réfléchir, puis je m’empare de ma poupée vétérinaire, vêtue d’une blouse rose avec des empreintes de pattes de chats au niveau de la poitrine.

- Quand je serai grande, je voudrais être vétérinaire, j’explique. J’adore les animaux, alors je veux pouvoir les soigner plus tard ! Papa et Maman n’ont jamais voulu avoir de chat ou de chien, mais quand j’aurai mon propre chez moi, ça sera une vraie ferme ! Je veux trois chats, deux chiens, un berger allemand et un chihuahua. Mais aussi des cochons d’Inde et des lapins nains. J’ai une copine qui a des lapins nains et c’est trop mignon, ils sont tout petits ! Dans mon jardin j’aurai aussi un âne et quatre poneys.

Je m’arrête de parler en me rendant compte que j’ai un débit de parole beaucoup trop élevé. Maman m’a déjà dit d’arrêter de parler autant et de prendre le temps de respirer entre mes phrases. Je veux demander à la petite fille ce qu’elle aimerait faire plus tard mais je me rends compte à cet instant que je ne sais même pas comment elle s’appelle.

- Au fait, c’est quoi ton prénom ?

- Je m’appelle Lila, me répond-elle sans détourner les yeux de sa poupée.

- C’est marrant, mon doudou lapin s’appelle pareil ! je m’exclame, en pointant du doigt le doudou posé sur mon lit. C’est Maman qui lui a trouvé ce nom, et je trouve que ça lui va plutôt bien.

Alors que Lila commence à attraper quelques accessoires pour sa poupée, je renchéris en lui demandant où est qu’elle habite et quel âge elle a.

- Je crois que j’ai six ans, répond-elle après avoir réfléchi quelques secondes. Ce que je trouve étrange, elle devrait connaître son âge, comme tout le monde. 

Je pensais habiter ici, mais ma chambre ne ressemble pas exactement à ça. Enfin, elle est presque pareille, mais chez moi les murs sont mauves et mon lit est de l’autre côté de la pièce. Puis je n’ai pas autant de jouets.

- C’est marrant, mes murs étaient mauves aussi avant ! Nous avons décidé avec Maman de les repeindre en rose l’été de mes cinq ans, parce que c’est ma couleur préférée.

Nous commençons ensuite à jouer. Je récupère tous les animaux que je trouve, ceux de mes poupées mais aussi mes figurines d’animaux et celles en briques. Je les mets toutes dans mon cabinet en attendant de les soigner.  Lila, elle, prend sa poupée médecin et une poupée enfant puis les installe dans son hôpital miniature. Sa petite fille est allongée sur le lit et Lila fait raconter à son médecin toutes sortes de diagnostics médicaux auxquels je ne comprends rien. Je me fais malgré tout la réflexion que ses mots ont l’air très réels. Je ne sais pas comment elle pourrait inventer de tels noms de maladies. Où a-t-elle pu aller chercher tous ces mots étranges ? Même si je me suis montrée cordiale en lui proposant de jouer avec moi, Lila me parait toujours aussi étrange.

- Mademoiselle, tu es atteinte d’une leucémie. La leucémie, c’est quand les cellules de ton corps, qui devraient être de bonnes cellules, deviennent des cellules malades. Elles se multiplient alors très vite et ne font pas bien leur travail de cellules, ce qui te rend malade, raconte Lila à la petite poupée. Cela explique la fatigue et la perte d’appétit que tu ressens depuis quelques mois. Malheureusement nous la découvrons trop tard, et même la chimiothérapie ne pourra pas t’aider. Je suis désolée mais il ne te reste que quelques mois à vivre.

- Mais c’est horrible ce que tu racontes ! Je m'insurge. Moi, mon vétérinaire il est capable de soigner tous les animaux. Pourquoi est-ce que ton médecin ne pourrait pas soigner ta petite fille ?

- Je ne sais pas, répond-elle en baissant à nouveau les yeux, l’air honteuse. Pour moi les médecins ne sont pas capables de soigner tout le monde.

C’est idiot ce qu’elle raconte ! Bien sûr que les médecins sont capables de soigner toutes les maladies. C’est pour ça qu’ils sont médecins, sinon quel est l’intérêt ? Et puis on fait pour de faux, elle pourrait inventer des histoires un peu plus marrantes. Tout d’un coup, je n’ai plus envie de jouer avec elle. Elle gâche tout !

- Puis si c’est comme ça, je n’ai plus envie de jouer avec toi, tu n’es pas marrante !

Lila continue de regarder le sol, puis je distingue des larmes glisser le long de ses joues. Elle s’excuse timidement et précise qu’elle ne recommencera plus. Elle m’avoue qu’elle n’a jamais joué avec d’autres enfants et qu’elle ne voulait pas m’embêter avec ses histoires. Elle me propose d’arrêter de jouer et de me regarder inventer mes propres histoires.

Mes yeux s’humidifient à leur tour. Je déteste voir les autres pleurer, ça me rend triste. Parfois je vois Maman pleurer, lorsqu’elle cuisine, ou pendant qu’elle range. Je ne sais pas si c’est simplement qu’elle est allergique à la poussière ou à cause des oignons qu’elle coupe en cuisinant. Elle a l’air réellement peinée dans ces moments-là, que j’accoure vers elle pour lui faire un câlin. Elle me prend dans ses bras et me remercie à chaque fois, m’expliquant que ça lui fait très plaisir d’avoir un câlin de ma part. Je prends donc Lila dans mes bras en la rassurant, ce n’est pas grave ce qu’elle à fait et je suis désolée de m’être fâchée après elle.

- Comment se fait-il que tu n’aies jamais joué avec personne d'autre ? Tu ne jouais pas avec tes copains et tes copines dans la cour ?

- Je ne suis jamais allée à l’école, m’explique-t-elle en séchant ses larmes.

- Ah bon ? Tu as bien de la chance, moi j’aime bien voir mes copines mais l’école c’est trop embêtant. On doit faire les devoirs, rester assis toute la journée, écouter la maîtresse… Quel ennui !

- Sûrement… répond-elle, évasive.

Nous reprenons nos poupées et passons un très bon moment à jouer toutes les deux. Je ne vois pas le temps passer. Comme il fait nuit dehors depuis que je suis rentrée, je n’ai aucune idée de l’heure qu’il est, mais je suppose qu’il est encore tôt si Maman ne m’a toujours pas appelée pour manger. 

- D’ailleurs, est-ce que tu as des frères et sœurs ? Moi non mais j’adorerais en avoir ! Je suis toujours toute seule pour jouer, et parfois c’est barbant. C’est pour ça que ça me fait plaisir de pouvoir jouer avec toi. Même si je ne comprends toujours pas comment est-ce que tu as pu te retrouver dans mon placard. Il faudra que tu reviennes pour qu’on joue avec mes figurines ou qu’on construise une ville géante avec toutes mes briques de construction. 

- Moi aussi ça me fait plaisir de jouer avec toi. Je n’ai pas de frères et sœurs, mais je crois que j’aimerais bien avoir une sœur. Comme ça on pourrait jouer à la poupée ensemble, se prêter nos vêtements et je pourrai lui raconter tous mes secrets. 

- Tu as beaucoup de secrets ? Tu peux m’en raconter si tu veux. Comme dirait mes copines : “je serai une tombe”. Devant sa mine confuse, je m’explique. Ça veut dire que je ne dirai jamais rien, ton secret est bien gardé. 

- Oh je ne sais pas trop si…

- Mathilde ? lance Maman du bas de l’escalier.

- Je suis désolée, je vais devoir te laisser, j’annonce à Lila. Maman m’appelle pour aller dîner.

- D’accord, merci d’avoir joué avec moi. Et puis on se racontera nos secrets la prochaine fois qu’on se verra.

- Oh oui avec plaisir, je réponds avec un sourire franc, à une prochaine Lila !

La dernière image que j’ai d’elle est celle d’une petite fille esquissant enfin un minuscule sourire. Le premier depuis que je l’ai rencontrée il y a quelques heures. Preuve qu’elle a réellement apprécié ce moment passé en ma compagnie. Je me suis également bien amusée et elle ne me fait plus peur. Je ne sais toujours pas d’où elle vient ni ce qu’elle fait chez moi, mais j’ai hâte qu’elle revienne me voir pour que nous puissions jouer ensemble. 

 

Je me réveille en sursaut. Maman me secoue. En ouvrant les yeux, je vois son visage terrifié au-dessus de moi. Elle est blanche, comme si elle avait vu un fantôme ou que sais-je.

- Tu m’as fait peur Mathilde. Tu es allongée par terre et tu ne te réveillais pas quand je t’appelais.

- Je suis désolée Maman, je m’excuse.

Effectivement, je suis allongée sur le sol. Est-ce que j’aurai fait une crise de somnambulisme ? Je n’en ai jamais faite, mais Maman m’a déjà avertie que ça pouvait m’arriver, elle en faisait, elle, quand elle était petite. J’ai également cette sensation étrange, lorsqu’on se réveille de ces longues siestes de plusieurs heures, qu’on se sent comme dans du coton. C’est comme si le monde autour était irréel, comme dans un rêve. Puis soudain je réalise. Où est passée Lila ? Elle était dans la chambre il y a encore quelques secondes. Je parcours la pièce du regard, je me retourne pour vérifier qu’elle n’est pas derrière moi. Je ne la vois nulle part. Je m’inquiète, soucieuse de ce qui a pu lui arriver. Je décide de demander à Maman si elle ne l’a pas vu. 

- Où est Lila ?

- Ton doudou ? Il est sur ton lit, répond-elle en attrapant ma peluche et en me la tendant.

- Non pas celui-là, je parle de la petite fille qui était avec moi il y a quelques minutes. On a joué ensemble à la poupée.

Maman a l’expression de quelqu’un qui a vu la vierge et elle pâlit de nouveau, alors même qu’elle venait de retrouver des couleurs.

- Je… Je n’ai vu personne ma chérie. Ça devait être dans ton rêve.

Elle a sûrement raison. Sur le sol, les poupées médecin et vétérinaire sont éloignées des autres, comme si quelqu’un avait joué avec. Mais encore une fois, j’ai sûrement imaginé tout ça pendant ma crise de somnambulisme.

- C’est marrant, je te jure, ça me paraissait vraiment réel ! C’est comme si elle était dans la chambre avec moi. Regarde, on a joué avec ses deux poupées là. J’avais le vétérinaire, et elle le médecin. D’ailleurs elle racontait des trucs bizarres, une des poupées qui était sa patiente avait une lacomie ? Je sais plus trop, c’était un mot compliqué.

Maman ouvre de grands yeux, regarde autour d’elle comme si elle cherchait quelqu’un puis respire un grand coup.

- Je suis sûre que ce n’était rien ma chérie. Et les jouets étalés partout, je te rappelle que c’est ceux que je t’ai demandé de ranger hier soir déjà. Bon, en tout cas le dîner est prêt ma chérie. Si tu as la force de te lever, Papa arrive dans cinq minutes nous pouvons l’attendre dans la cuisine. Autrement, nous pouvons commander des pizzas chez Marco et les manger dans ta chambre ? Qu’est-ce que tu en dis ? Une bonne pizza remet toujours de ses émotions, et mon petit doigt me dit que ça aide les petites filles à faire retomber leur fièvre, me propose Maman avec un sourire discret, qui se veut rassurant.

Je me sens mieux, même si cette histoire de somnambulisme me perturbe. Mais je ne dis jamais non à une pizza apportée dans mon lit, alors j’accepte la proposition de Maman de manger dans ma chambre tous les trois.

- Très bien ma chérie, je reviens dans une dizaine de minutes, attends-moi là.

Alors que Maman sort de la pièce, je retourne m’installer dans mon lit. J’entends Papa rentrer, il part dans la cuisine dire bonjour à Maman. Je les entends discuter, mais je n’arrive pas à entendre leur conversation, juste des voix étouffées par les murs épais de la maison. Malgré tout, je parviens à distinguer le ton angoissé de Maman et la voix rassurante de Papa. Est-ce qu’elle lui parle de mon rêve ? Elle avait l’air plutôt perturbée quand j’ai parlé de Lila, sans que je ne comprenne pourquoi. Sur la pointe des pieds, je sors de mon lit pour atteindre les escaliers. D’ici, j’entendrais plus clairement leur discussion.

- Comment ça elle a vu Lila ? demande Papa d’une voix étonnée. Tu es sûre qu’elle ne parlait pas juste de sa peluche ?

- Je te le dis, elle était allongée sur le sol de sa chambre, au milieu de tous ses jouets et elle m’a demandé où était passée Lila. Elle m’a expliqué qu’elle jouait avec elle, qu’elle était avec une petite fille. Ça ne peut pas être une coïncidence Henry.

Maman a l’air paniquée. Elle a des trémolos dans la voix et a sûrement les larmes aux yeux. Je ne comprends toujours pas quel est le problème avec mon rêve mais visiblement, Maman préfère ne pas m’en parler.

- Allons Élise calme toi, fait Papa d’une voix douce. Je ne sais pas quoi te dire, mais je suis sûr qu’il y a une explication rationnelle à ce qu’il vient de se passer. Allez, sèche tes larmes, tu vas inquiéter Mathilde. Je reviens, je vais chercher les pizzas.

J’entends Maman se moucher plusieurs fois, puis Papa quitte la cuisine pour se rendre à la pizzeria. Je me dépêche de retourner dans mon lit pour que personne ne s’aperçoive que j’épiais leur conversation.

Maman revient avec nos trois repas, Papa sur ses talons. Il me sourit, me fait un bisou sur le front et me demande comment s’est passé ma journée. Je lui parle de ce que j’ai fait à l’école, mais j’omets toute la partie sur ma sieste une fois rentrée à la maison.

Je prends ensuite mon plateau pour commencer à manger. Toutes ses émotions, ça creuse ! Maman m’apporte ma margarita, et une part de gâteau au chocolat qu’elle avait préparé pour le dessert. Papa nous raconte sa journée de travail et quelques anecdotes à propos de ses collègues pendant que Maman mange en silence. Elle se contente d’acquiescer à tout ce que Papa dit, sans réellement avoir l’air de se soucier de ce qu’il raconte. Ne sachant plus où me mettre, je regarde ma pizza et ne parle pas du repas. Une fois nos assiettes finies, je ne tiens plus. J’ai vu le regard horrifié de Maman. Je suis certaine qu’elle me cache quelque chose. Alors je regarde Papa dans les yeux et je lui raconte mon rêve.

Je n’épargne aucun détail, allant des frappements à la porte du placard, jusqu’à l’apparition de Lila. Je leur raconte aussi son histoire bizarre avec sa poupée médecin qui diagnostique des leucémies à ses patients, jusqu’au fait qu’elle ne soit jamais allée à l’école. Je leur explique que tout m’avait paru très vrai, que j’avais même senti son odeur, j’étais sûre de l’avoir vu de mes propres yeux.

Un silence s’installe et mes parents se regardent longuement sans dire un mot. Je ne comprends pas trop ce qu’il se passe, et voyant que personne n’a l’air décidé à parler, je recommence à manger ma pizza. Je décide d’abandonner, j’imagine que mes parents me prennent maintenant pour une folle. Papa finit par m’adresser la parole, Maman toujours occupée à jouer avec ses morceaux de pizza dans son assiette, les fixant comme si elle n’avait jamais vu une margarita de sa vie.

- Ma puce, c’est un très beau rêve que tu as fait là. Je te crois quand tu me dis tout ça tu sais. Mais tu n’as pas besoin de t’inquiéter. Tu sais, les rêves paraissent parfois très réels. Ça peut être perturbant, voire terrifiant, mais il ne faut jamais oublier que tout ça n’est que le fruit de ton imagination. Malgré tout, si quelque chose te fait peur je suis ravi que tu nous en parles avec Maman.

Je hoche la tête, en me disant qu’il a raison, qu’avec la fièvre tout a dû me paraître très réel alors que ce n’était que dans ma tête.

- Ce que je te propose, c’est d’aller t’acheter une veilleuse demain matin à la première heure, ça t’irait ? Comme ça tu pourras voir ce qu’il se passe autour de toi si jamais tu recommences à faire des rêves qui te font peur, d’accord ?

Je hoche la tête de nouveau et sourit, soulagée que Papa se montre rassurant avec moi. Je regarde Maman qui esquisse un petit sourire.

Une fois notre repas terminé, Maman débarrasse le tout dans la cuisine, et je demande à Papa s’il peut me lire une histoire avant de dormir. Il accepte et je choisis mon histoire préférée, avant de m’endormir dans ses bras, m’écroulant de fatigue.

 

Je ne le savais pas encore, mais j’allais voir Lila plusieurs fois au cours de mon enfance. La dernière fois que Lila est venu dans ma chambre est le jour de l’obtention de mon baccalauréat. Je venais de rentrer du lycée où étaient affichés les résultats de tous les terminales. Mes copines avaient toutes eu la mention « assez bien » ou « bien », j’étais la seule à avoir obtenu la mention « très bien ». Nous sommes allées fêter ça ensemble en allant boire des verres dans le bar de la ville. J’ai beaucoup bu ce soir-là, et je suis rentrée avec un mal de crâne insupportable. Une fois rentrée chez moi, je me suis empressée de prendre un comprimé de paracétamol et d’aller me coucher. Une fois installée dans mon lit, prête à m’endormir, j’ai entendu les coups familiers sur la porte de mon placard.

Toc Toc Toc. 

Contrairement à la première fois où j’ai rencontré Lila, je me lève directement pour lui ouvrir. Je la vois en plein milieu de mon placard, comme à son habitude. Elle n’a pas vieilli et porte toujours la même robe blanche, quand j’ai pris huit ans supplémentaires. Je suis heureuse de la retrouver ce soir. 

- Salut Lila !

- Salut Mathilde, me répond-elle en sautant hors du placard.

- J’ai eu mes résultats du bac aujourd’hui, mention “très bien”, je lui annonce fièrement. 

- Bravo Mathilde ! Je suis super contente pour toi ! 

            Elle perd le sourire qu’elle avait depuis que je lui ai ouvert, et se met à regarder ses pieds.

- Est-ce que ça veut dire qu’on ne se verra plus jamais maintenant que tu pars habiter à l’autre bout de la France. 

Je ne sais pas quoi lui répondre. J’ai vu comme la nouvelle l’avait rendue triste la première fois que je lui ai annoncé qu’après avoir obtenu mon bac, j’allais devoir déménager à Paris pour poursuivre mes études. 

- Oui Lila, je suis désolée mais à partir de demain je vais aller habiter à Paris, je réponds d’une voix triste. 

- Je vais être triste de ne plus te voir Mathilde. Tu vas beaucoup me manquer tu sais. Et nos après-midis à jouer aussi.

Je refoule une larme qui manque de tomber.

- Moi aussi je suis triste de partir. Mais c’est pour mon futur tu comprends ? 

- Je sais…

Un silence s’installe, et ni elle ni moi n’osons l’interrompre. Nous sommes tristes toutes les deux. Même après huit ans, je ne sais toujours pas pourquoi ni comment est-ce qu’elle est apparue dans ma vie, mais je serai toujours reconnaissante de l’avoir connue. 

Contrairement aux fois précédentes où nous devions nous quitter car Maman ou Papa m’appelait pour dîner, c’est elle qui met un terme à sa visite. Elle retourne dans le placard, et me fait signe de refermer le placard. J'obtempère, puis je me réveille en sursaut dans mon lit. Je ne sais pas si j’ai l’alcool triste, mais je me mets à pleurer toutes les larmes de mon corps. Après tout, je ne peux pas manquer d’une personne que je n’ai jamais rencontré, ni d’une relation que je n’ai vraiment eue, si ?

A ce moment-là, je savais sans réellement le savoir que je n’allais plus jamais revoir Lila.

***************

J’ai 25 ans aujourd’hui, mais l’ambiance n’est pas à la fête. Il y a maintenant trois semaines et quatre jours précisément, j’ai vécu une soirée que je n’oublierai jamais.

Alors que nous nous apprêtions à aller nous coucher avec mon mari, j’ai entendu des sirènes de police au loin. Ce n’est pas inhabituel dans notre quartier qui est connu pour être fréquenté par les dealers. Sauf que contrairement à d’habitude, elle ne s’éloigne pas vers les immeubles en bas de la rue, mais se rapproche de mon bâtiment. Quelques minutes plus tard, j’entends la sonnette de notre appartement retentir. Alors que mon mari s’occupe de la vaisselle, il me fait signe d’aller ouvrir. 

En ouvrant, je vois deux policiers en uniforme attendant devant la porte.

- Mathilde Dubreuil ? demande l’un des deux.

- Oui c’est moi. En quoi puis-je vous aider ?

- Je suis le lieutenant Bernard, et voici mon partenaire, officier Lejean. Nous sommes désolés de vous déranger à cette heure tardive. Pouvons-nous entrer ? Nous avons des informations à vous communiquer à propos de vos parents. 

Je suis confuse, mais j’acquiesce. Je leur propose quelque chose à boire, ils me répondent qu’ils prendront volontiers un café. 

Je les invite à s’installer dans le canapé pendant que je me rends dans la cuisine pour informer mon mari de leur présence, et pour leur préparer leurs boissons. Pendant ce temps, je m'imagine tous les scénarios possibles. Est-ce qu'ils vont bien ? Ont-ils été mis en cellule de dégrisement pour conduite en état d’ivresse ? Je répète sans cesse à mon père d’arrêter de boire autant avant de conduire, mais il préfère faire la sourde oreille. Ou bien peut être que ma mère à fait un AVC et qu’elle est à l'hôpital ? Non ça n’a pas de sens, j’aurais eu un médecin au téléphone, et non deux policiers dans mon salon. Je reste malgré tout sur mon avis qu’on s’apprête à m’annoncer une mauvaise nouvelle. Après tout, la police vient rarement frapper chez vous un mardi soir pour vous annoncer que vous venez de gagner au loto.

Je les rejoins ainsi que mon mari pour leur apporter leurs cafés. Les deux policiers me regardent sérieusement, puis mettent fin à mes ruminations.

- Vos parents ont été impliqués dans un accident de voiture sur l’A16 il y a plus d’une heure maintenant. Un homme sous l’influence de stupéfiants roulait à contresens depuis plusieurs minutes et a fini sa course en heurtant la voiture de vos parents. Je suis désolée Madame Dubreuil, mais ils n’ont pas survécu.

À partir de ce moment tout s’arrête. Je me souviens avoir regardé mon mari, qui m’observait l’arrivée de la police, visiblement inquiet. Puis le monde s’est mis à tourner autour de moi, des étoiles sont apparues devant mes yeux avant que je ne m’écroule sur le parquet de notre appartement.

Une fois le choc de l’annonce passé, mon mari a congédié les policiers puis m’a mis dans la voiture pour nous conduire à l'hôpital où avaient été rapatriés mes parents. Ma tante, la sœur de mon père, et son mari étaient déjà là. Ils avaient les yeux bouffis par les larmes. J’ai trouvé le courage d’aller dire un dernier au revoir à mes parents. 

            Quelques jours plus tard, nous avons organisé leur enterrement. C’était une cérémonie magnifique, avec les personnes qu’ils aimaient à mes côtés. Le moment était à leur image, joyeux malgré le contexte, avec une bande sonore remplie de leurs musiques préférées et des oraisons faites par certains invités racontant des anecdotes plus poignantes les unes que les autres. Dans les jours qui ont suivis, j’ai passé beaucoup de temps avec ma famille, pour nous apporter un soutien mutuel, et parce que mon mari refusait que je reste seule avec lui dans notre appartement. Au cours de longues discussions évoquant nos souvenirs avec mes parents, nous en sommes venus au sujet de la maison. Nous allions devoir en faire quelque chose et personne ne voulait la reprendre, celle-ci étant située trop loin de la ville et des lieux de travail de chacun. Nous avons pris la difficile décision de la vendre. Mes parents ayant acheté cette maison il y a des dizaines d’années, chacun y était attaché. C’est un crève-cœur que de devoir s’en séparer, mais c’est malheureusement la solution la plus viable.

Me voilà, le matin de ma journée d’anniversaire au volant de la camionnette que j’ai louée pour la journée. Je dois m’occuper de faire du tri dans le grenier de la maison de mes parents - ma maison d’enfance. J’ai décidé de m’y rendre seule, sans mon mari et sans ma famille, souhaitant m’approprier ce moment, cette journée, la dernière qui me connectera vraiment à mon Papa et ma Maman.

Ma tante ainsi que son mari se sont occupés de vider les meubles de chacune des pièces. Je n’avais pas eu le courage d’y aller jusqu’à présent. Mais aujourd’hui j’ai pour mission de trier tout ce qui se trouve dans le grenier. Choisir ce que je veux garder, ce que je veux donner ou jeter.

Enfin, me voilà, devant la maison où j’ai grandi, fabriqué mes premiers souvenirs, fêté mon premier anniversaire, où mes parents ont rencontré mon premier – et dernier – copain, qui est depuis devenu mon mari. Tous ces souvenirs me reviennent d’un coup alors que je rentre dans mon tout premier chez moi. Et je me rends compte que c’est la dernière fois que je franchis le pas de la porte.

J’arrive donc dans le salon, autrefois rempli de meubles que Maman avait déniché dans des marchés aux puces ou sur des sites de seconde main. Je me revois, assise à la table de la salle à manger, jouer au Monopoly avec mes parents, l’une des rares fois où ceux-ci ont accepté de jouer avec moi. Ou encore debout devant la télévision à me déchaîner sur un jeu de danse grâce à la console que m’avait offerte le Père Noël. Je me souviens aussi des soirées films, assise avec mes parents dans le canapé, tous les trois emmitouflés dans un plaid, un bol de pop-corn sur les genoux, en train de regarder pour la 100e fois un des films de la saga Harry Potter.

Une larme monte en voyant cette pièce autrefois pleine de vie désormais vide. Je l’écrase rapidement du dos de la main et je passe dans la cuisine attenante. Ma tante n’a laissé que le four et le réfrigérateur. Je cligne des yeux, puis je suis à nouveau debout devant le plan de travail, Maman derrière moi en train de m’apprendre à séparer les blancs des jaunes ou encore à réaliser des crêpes pour la première fois. J’entends les rires de Maman alors mes blancs en neige gisent devant moi, après avoir retourné le saladier pour voir s’ils étaient assez solides.

Paradoxalement, ces souvenirs de cuisine me retournent l’estomac, l’injustice du décès précoce de mes parents revenant à la charge dans mon esprit. Pourquoi eux ? Pourquoi maintenant ? J’ai besoin d’eux, de leur présence, de leur soutien pour toutes les étapes qu’il me reste à vivre.

Je ressors de la pièce et arrive en bas des escaliers, que je redoute de monter. A l’étage se trouvent ma chambre et celle de mes parents. Je retiens mon souffle et monte douloureusement les marches. Je suis toujours en apnée lorsque j’ouvre la porte qui était jusqu’alors fermée et une vague de tristesse me submerge à nouveau. Autrefois remplie de bibelots en tout genre, d’un grand lit King size en plein milieu et de cadres avec des photos de moi, la chambre de Papa et Maman n’a désormais plus aucune âme. Rien ne laisse penser que deux sexagénaires amoureux vivaient ici il y a encore quelques semaines. Je m’assois par terre près de la fenêtre, à l’endroit où se trouvait leur lit. Et je laisse les larmes monter, puis couler le long de mes joues. Je les vois même tomber sur le parquet, laissant une petite trace humide, symbole de ma tristesse à cet endroit. Je pleure un long moment, me laissant aller au chagrin et à la colère. Si mes parents avaient pris la route quelques minutes plus tard, ils auraient été là aujourd’hui, mon père assis dans le canapé, en train de regarder une émission futile sur une des chaînes de la TNT, ma mère dans la cuisine à préparer toutes sortes de pâtisseries et viennoiseries pour venir fêter mon anniversaire chez moi avec tous nos proches, comme c’était prévu depuis des mois maintenant.

Ils me manquent. Ils me manquent terriblement. Et je ne sais pas si ce vide qu’ils ont laissé dans mon cœur se refermera un jour.

Après plusieurs dizaines de minutes assise sur le sol, je décide de me lever et de me rendre dans la pièce voisine, ma chambre. Cette fois-ci, un sentiment de nostalgie me prend la poitrine et me coupe le souffle pendant une demi-seconde. Les jouets et mon lit à baldaquin que j’ai eu pour mes 10 ans ont disparu, de même pour mon bureau d’écolière et ma penderie alors remplie de déguisements de princesse. Mes murs roses seront bientôt repeints en blanc et la frise de papier peint en haut des murs sera retirée. Je me revois, passer des heures à jouer avec mes poupées et mes briques de constructions quand je n’étais alors qu’une écolière, puis avec mon propre vidéoprojecteur au collège, sur lequel Maman me laissait regarder des films les vendredis et samedis soir pour que Papa et elle puissent regarder leurs films « de grand » en bas sur la télé. Je me revois également assise à mon bureau au lycée, à réviser autant d’heures que je pouvais pour avoir les meilleures notes possibles, avec pour objectif d’intégrer Sciences Po après le baccalauréat. Quand je révisais jusqu’à tard le soir, Maman me ramenait une tasse de thé et des biscuits pour m’aider à tenir le coup de ces longues soirées de travail. Mes efforts ont d’ailleurs payé puisque je suis diplômée depuis six ans maintenant de Sciences Po Paris.

En faisant le tour de ma chambre, je m’arrête devant le placard encastré dans le mur où étaient rangés des vêtements et des déguisements en tout genre. Un souvenir me frappe. C’est comme si je les entendais à nouveau. « Toc Toc Toc ». Le parquet qui grince sous son poids. Puis son visage peint de surprise en me voyant ouvrir la porte. Je la revois là, debout, vêtue de sa robe blanche. Je revois Lila. Je revois ses yeux verts qui me fixent, se demandant sûrement ce que je faisais là, alors que je me posais la même question sur sa présence dans ma chambre. J’ai souvent repensé à cet après-midi hors du temps. À notre rencontre, fruit de mon imagination et de la fièvre. J’ai longtemps été persuadée que ce n’était pas qu’un rêve étrange lié à la sieste, comme l’avait affirmé mon père. J’étais sûre d’avoir rencontré cette petite fille d’une manière ou d’une autre. Elle avait l’air trop vraie, trop réelle. Je me rappelle de son odeur d’hôpital, qui me prend parfois au nez encore aujourd’hui sans raison. Je ne sais pas si j’étais dans une sorte de monde parallèle, mais pour moi tout était trop vrai. Puis les années sont passées, j’ai grandi, les souvenirs de petite fille se sont distordus et tout est devenu beaucoup plus flou. J’ai pu rêver d’elle. J’ai dû rêver d’elle.

Je ne sais toujours pas qui elle est, ce qu’elle faisait là, ni pourquoi ma mère a eu l’air si surprise quand j’ai évoqué son nom en me réveillant. Qui es-tu, Lila ?

 

En repensant à tout ça, une larme monte puis roule sur ma joue, je voudrais pleurer de nouveau mais j’ai épuisé mon stock dans la chambre de mes parents. Aussi, je décide de monter directement au grenier pour m’occuper des cartons. Je jette un coup d’œil à ma montre et je me rends compte que j’ai passé plus d’une heure à ressasser tous ses souvenirs.

En montant au dernier étage de la maison, je commence par faire un état des lieux, pour déterminer le temps que ça va me prendre et la quantité de cartons dont je vais avoir besoin. J’ai encore quelques heures avant de devoir rentrer pour l’anniversaire que m’a organisé mon mari. Nous en avons longuement discuté et malgré la tristesse et le chagrin, il trouvait ça important que je sois entourée d’êtres chers à mon cœur. J’ai refusé pendant plusieurs jours, puis j’ai fini par céder. Même si je préfèrerai passer la soirée à me morfondre sur mon sort, je pense que la présence de mes amis et ma famille me fera le plus grand bien.

En ce qui concerne le grenier, je souris en réalisant que lors de ses crises de rangement - qui étaient plutôt fréquentes quand elle était stressée - Maman avait déjà plutôt bien organisé l’espace. La majorité de nos affaires est déjà dans des boîtes en plastiques, dans des cartons, ou dans des classeurs. Je vais prendre du temps pour choisir ce que je veux garder, ce qui ira chez Emmaüs, ou directement dans la benne à ordures.

Je commence par les boites à ma droite. Elles sont pleines de jouets d’enfants, les miens. Des briques, des figurines, des jeux de société et des poupées. Puis je les vois. Ma poupée vétérinaire et ma poupée médecin. Celles avec lesquelles Lila et moi avons joué il y a vingt ans de cela. Cette fois ce n’est plus de la tristesse qui s’empare de moi, mais de la détermination. Il y a forcément des réponses ici, des réponses que j’ai toujours cherchées. J’ai vu le visage de Maman, j’ai entendu les discussions dans la cuisine. Il y a quelque chose qui cloche, quelque chose que mes parents m’ont caché. Il y a forcément une explication à tout ça, au minimum sur l’identité de Lila, qui était visiblement connue de mes parents. Et maintenant que j’y pense, il y a forcément une explication, quelque chose ici. Ma tante ne s’est débarrassée d’aucun document administratif ni d’albums photos. Si mes parents me cachaient des informations, la réponse doit être ici, dans la maison, dans le grenier.

Pour faire de la place et établir mon espace de recherche, je descends les boîtes de jouets dans la camionnette que j’ai loué pour la journée. Je décide de les garder, pour le jour où mon mari et moi déciderons d’avoir des enfants.

Je remonte, et continue avec les boîtes remplies de gadgets de cuisine en tout genre dont ma mère ne s’est probablement jamais servie. Étant donné qu’on ne pourrait pas me qualifier de « cordon-bleu » et qu’il n’y aura sûrement rien pour m’aider dans ma recherche d’informations sur Lila là-dedans, ces boîtes iront dans la pile « à donner ».

Pendant plusieurs heures je poursuis mon grand rangement. Je trouve du linge de maison, des serviettes de toilette, tout un tas de vêtements de bébé, mais rien qui ne m’avance réellement. Je continue de descendre un à un les cartons, puis le mal de dos commençant à se faire sentir, je décide de faire une pause en allant manger un bout dans le restaurant du coin où nous allions régulièrement avec mes parents. C’est une pizzeria, dont Marco, le chef du lieu, est devenu un très bon ami de mes parents. Lorsqu’il me voit arriver, depuis sa cuisine, il vient me saluer et me prend dans ses bras. Il était présent à l’enterrement, et à lui aussi versé une rivière de larmes. Il me propose de prendre ce que je veux sur la carte : « C’est offert par la maison » me précise-il.

Je mange ma margarita avec plaisir. Depuis plusieurs semaines maintenant, je ne mange presque plus. Le chagrin me coupe l’appétit et je manque de vomir à chaque fois que je prends une bouchée de nourriture. Malgré tout, mon repas en terrain connu me met du baume au cœur et me redonne un peu de courage pour poursuivre ma journée. Avant de partir, je décide d’interroger le chef sur Lila. Il a connu mes parents avant ma naissance, puisque ceux-ci habitaient déjà dans la maison.

- Je suis désolée trésor, je ne connais personne se prénommant Lila, me répond-il avec une mine triste, l’air réellement désolé de ne pas pouvoir m’en dire plus. Je te souhaite bon courage dans tes recherches. Et sache que tu seras toujours la bienvenue ici.

Je le remercie, puis quitte le restaurant, à nouveau prête à chercher, trier, emballer et ranger les différents objets et vêtements en tout genre qui se trouvent encore dans le grenier. Quand je remonte, je m’attaque aux classeurs. Heureusement pour moi, la plupart sont étiquetés : « Prêt maison » ; « Mutuelle » ; « Bulletins Mathilde ». Je feuillette rapidement, pas certaine de trouver ce que je cherche dans ces classeurs-là. Malgré tout, replonger dans les bulletins scolaires de ma scolarité me fait du bien. Je redécouvre les noms de mes anciens professeurs, je lis avec attention.

Avec les classeurs se trouvent tout un tas d’albums photos. J’ai eu beaucoup de chance, Maman a toujours beaucoup aimé la photographie, aussi ai-je un nombre incalculable d’albums, commençant avant même le jour de ma naissance et allant jusqu’à la fin de mes années lycées. Gagnée par la nostalgie, je décide de prendre du temps pour regarder les photos que je n’avais pas vues depuis ce qui me semble être une éternité.

Une fois les albums emballés eux-aussi dans des cartons et descendus à la camionnette, je remonte et m’assois sur le sol froid du grenier. La nuit vient de tomber et malgré le réconfort que m’ont apporté les albums photos de ma jeunesse, je n’ai toujours aucune information sur Lila. Pas de photos, pas de papiers à son nom, rien. Je commence à penser que je me suis trompée sur toute la ligne. Parfois, les rêves ne sont que des rêves et ils doivent le rester.

Dans un dernier espoir, je tente d’appeler ma tante. Elle a vidé la maison, elle est très proche de mes parents depuis des années. S’il y a bien quelqu’un qui doit avoir des informations, ça doit être elle, non ? Je me dis que même si elle ne sait pas, elle a peut-être trouvé un document, une photo, quelque chose qui pourrait m’aider dans ma recherche. 

Je compose son numéro de téléphone, puis l’appelle. Une sonnerie, deux sonneries. Allez s’il te plait Tata répond. Trois sonneries, quatre sonneries. Je ne me rappelle que maintenant qu’elle est sûrement chez moi avec le reste de ma famille à m’attendre pour fêter mon anniversaire. Je suis à bout de nerf, j’ai tellement besoin de réponses après tout ce temps. Cinq sonneries. Alors que je suis prête à raccrocher, ma tante répond.

- Allô ?

- Tante Sylvie ? C’est Mathilde à l’appareil.

- Oh Mathilde ! Comment vas-tu ? Tu penses arriver bientôt chez toi ? Tout le monde est déjà arrivé, on t’attend avec impatience.

- Je vais bien merci. Oui je ne devrais plus tarder, je viens de finir de tout trier et le coffre de ma camionnette est plein. Je marque un temps de pause, prends une grande inspiration et demande : D’ailleurs en parlant de tri, j’ai retrouvé quelque chose d’intéressant et tu pourrais peut-être m’aider à comprendre de quoi il s’agit.

- Oh, bien sûr ma chérie, que veux-tu savoir ? D’ailleurs si tu cherches les clés du garage elles sont dans l’entrée, sur le porte-clé derrière la porte. 

- En fait, j’aurais besoin d’informations concernant une certaine Lila. 

Ne sachant pas comment aborder le sujet et ne voulant pas passer des heures à lui expliquer les différents rêves où la petite fille du placard était présente, je décide alors de mentir : 

- J’ai retrouvé des photos dans un album que Maman à fait. Il y a des photos volantes sur lesquelles on voit une petite fille, je dirai qu’elle a cinq ou six ans. Sur leur dos c’est simplement noté “Lila”. Papa et Maman ne m’ont jamais parlé d’une Lila et les photos ne me disent rien, je ne pense pas les avoir vues avant aujourd’hui. Est-ce que tu en saurais plus que moi ? 

Un long silence suit ma question. Sois ma tante se creuse les méninges pour essayer de se souvenir d’une petite qu’elle aurait rencontré il y a de ça plus de trente ans, soit elle invente un mensonge à me raconter pour couvrir mes parents. 

- Allo ? Je demande après une minute. Tu es toujours là ?

- Je suis désolée ma chérie, me répond-elle, je ne connais aucune Lila qui aurait cinq ou six ans. Tu n’auras qu’à me donner les photos la prochaine fois qu’on se verra, peut-être que son visage me dira quelque chose.

- Je ne pense pas qu’elle ait toujours six ans aujourd’hui Tata, je réponds avec un rire jaune en comprenant qu’elle tente, elle aussi, de me cacher une vérité qu’elle ne souhaite pas que je connaisse. La photo à l’air de dater d’il y a plusieurs dizaines d’années maintenant, elle devrait avoir, je ne sais pas, mon âge, ou sûrement un peu plus. 

- Je suis vraiment désolée ma chérie, je n’ai aucune idée de l’identité de cette personne, s’excuse-t-elle à nouveau. Mais passe me les apporter un de ces quatre, nous pourrons les regarder ensemble et comparer avec les photos de mes albums, voir si on retrouve cette petite fille.

Folle de rage de voir que ma tante me ment comme une arracheuse de dents, je raccroche avant même de lui répondre. Je jette mon téléphone à l’autre bout de la pièce, peu inquiète à l’idée de le casser. Je suis dépitée, enragée de savoir qu’il existe sûrement une réponse, mais que personne n’a l’air décidé à m’en parler. 

            Je mets la tête dans mes mains et pleure pendant une bonne dizaine de minutes. Le cocktail de fatigue, de chagrin et de colère dans mon cerveau ne fait pas bon ménage. Mon cœur palpite et je respire difficilement, au point de me demander si je vais finir par mourir. J’ai l’impression de devenir folle. Est-ce que j’aurais bel et bien inventé tout ça ? Je poursuis probablement une piste qui ne mène nulle part, une piste que j’aurais inventée de toutes pièces. J’ai dû voir des indices là où il n’y en avait pas, et je me suis montée la tête avec ça. 

            Après dix nouvelles minutes, je décide de me relever pour aller chercher mon téléphone. Heureusement il n’est pas cassé, l’écran seulement légèrement fissuré dans un coin, mais rien qui ne l’empêche de fonctionner. J’envoie un message à mon mari pour le prévenir que j’ai fini et que je ne vais pas tarder à rentrer. Je m’excuse de l’heure tardive et je lui demande de s'excuser auprès de mes proches qui m’attendent chez moi depuis une bonne heure maintenant. Il me dit de ne pas me presser et de ne pas m’inquiéter pour ma famille et mes amis. Tout le monde comprend que la journée à été difficile et personne ne travaille demain. Ils peuvent tous m’attendre autant de temps que nécessaire. 

Avant de partir, étant donné qu’il me reste un peu de place dans ma camionnette, je décide de démonter quelques étagères. Ça fera toujours du travail en moins pour ma tante qui doit revenir demain. En en tirant une du mur, je remarque quelque chose que je n’avais jamais vu avant. Il y a une trappe. IL Y A UNE TRAPPE ! Je suis gagnée par l’espoir. Malheureusement pour moi, celle-ci est verrouillée par un cadenas à code. La joie qui me tenait il y a encore quelques secondes retombe. C’est un code à quatre chiffres. J’essaye de réfléchir. Le code pourrait très bien être l’une de nos dates de naissances. Le douze février pour Papa. Le six avril pour Maman. Puis le dix septembre pour moi. Aucun des trois ne marchent. Alors j’essaye les années. 1962. 1958. 1999. C’est une nouvelle fois une impasse. Je me creuse le cerveau. Ce n’est peut-être pas une date. J’essaye notre numéro de rue et le numéro de notre département. C’est un nouvel échec.

J’arrive à court d'idées. Prise de désespoir, je décide de la jouer bêtement et de simplement tourner les chiffres dans un ordre aléatoire en espérant rapidement tomber sur la bonne combinaison. J’ai toujours été forte en maths, alors j’essaye de calculer rapidement le nombre de combinaisons possibles sur un cadenas à quatre chiffres. Il y a 10 options possibles, pour 4 chiffres différents. 10 x 10 x 10 x 10… 10 000 combinaisons. Je tente de ne pas perdre espoir et j’essaye au hasard.

Au bout d’une vingtaine de minutes, un « clic » me sort de mon état de veille où seuls mes doigts fonctionnaient encore, afin de tourner les molettes du cadenas. 1983. Le code était donc sûrement une date ? 1983… Aucun membre de ma famille n’est né en 83. C’était onze ans avant ma naissance. J’arrête de réfléchir à propos du code, trop impatiente de découvrir ce qui se trouve derrière cette petite trappe.

Une enveloppe. Une petite enveloppe. Je l’ouvre proprement, en faisant attention à ne pas déchirer ce qui peut se trouver à l’intérieur. Elle contient un document. 

 

 

Acte de décès

 

A Paris, le 18 janvier 1989.

Nom : Dubreuil

Prénom : Lila

Père : Henry Dubreuil

Mère : Elise Dubreuil

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