La force de sa propre valeur

Par Gabhany
Notes de l’auteur : Bonjour à toutes et tous, je suis ravie de vous retrouver par ici pour une immersion dans l'univers d'Okéanos.
C'est un premier jet donc je suis preneuse de vos avis et retours ! Je vous laisse faire la connaissance avec Zakaria <3
Bonne lecture !

Sous l'eau, le monde de Zakaria se réduisait à deux sens, et pourtant il percevait tout. La caresse bienveillante de l'eau sur sa peau. Les petites algues et la curiosité des poissons téméraires qui venaient effleurer ses chevilles. Les protestations de l'onde dérangée par ses mouvements. Il ne pouvait pas voir Maesha, ni l'entendre, mais il percevait sa présence à travers l'eau salée qui les accueillait tous les deux.

Pour le moment, cependant, rien de tout cela ne lui permettait de savoir où en était Maesha de la tâche qu'ils devaient accomplir tous les deux. Il ne pouvait donc que partir du principe qu'elle n'était pas remontée, malgré les dix minutes écoulées depuis leur dernière inspiration. Il avait beau s'entraîner tous les jours à prolonger son temps d'apnée, il ne parvenait jamais à la vaincre à ce petit jeu-là. Elle restait la meilleure plongeuse, invaincue depuis leur treizième solstice.

Les battements de son cœur restant lents et calmes, Zakaria se laissa couler un peu plus profondément, jusqu'à percevoir sous ses doigts les douces algues recouvrant le fond en bois de la barge au-dessus de lui. Il avait enfin un bon angle de vue sur le trou immense dans le filet que Maesha et lui étaient censés réparer. Une moue blasée fit relever un coin de la bouche du jeune homme. Où était-elle passée, cette fois ?

Avec une économie de mouvements dictée par le fonctionnement ralenti de son corps et les frissons légers de son épiderme, Zakaria fit un tour sur lui-même. Un seul regard à travers le bleu ondulant de la mer, traversé des rayons dorés du soleil à son zénith, lui suffit. C'était maintenant une certitude, Mae l'avait encore abandonné pour la jolie tête effilée et les nageoires tachetées d'un girocampe. Si une seule de ces petites bestioles s'était échappée, ce serait une catastrophe pour le village, et cela expliquait sûrement l'absence de Maesha. Elle n'avait pas son pareil pour les trouver, les attraper et s'en faire des copains.

Une pression familière dans ses poumons le força à accélérer le mouvement. Ses mains soulevèrent les différents brins de corde qui formaient auparavant un filet solide, les remettant dans leur position initiale, et il put alors évaluer l'ampleur des dégâts. C'était réparable, et sans trop d'efforts.

Avec soulagement, Zakaria obéit enfin à la douleur dans sa cage thoracique. En quelques coups de pieds, il se propulsa jusqu'à la surface et émergea à l'air libre. Comme à chaque fois, le plaisir de sentir l'air couler dans sa gorge se disputait avec la nostalgie de son contact avec l'eau, et la perte du pouvoir qu'elle faisait couler dans ses veines. Sous l'eau, via l'eau et le sel, Océan se coulait dans leurs veines et les rendait plus proches de lui.

Des éclats de voix parvinrent à ses oreilles, l'arrachant un peu plus au monde sous-marin. À cet instant précis, Zakaria regrettait amèrement le silence des eaux calmes.

— Perdu, Zak ! La petite sirène t'a encore battu !

— Bah alors, Zak, je croyais que cette fois-ci c'était la bonne ?

Zakaria ignora les voix moqueuses de ses amis et atteignit le ponton en quelques brasses nonchalantes. Il se hissa d'un coup, sans paraître remarquer les mains tendues devant son nez. Il se redressa et secoua ses cheveux bouclés, projetant une myriade de gouttelettes d'eau dans tous les sens. Par un heureux hasard, la plupart atteignirent les trois garçons qui l'avaient attendu bien au sec.

— Hé, les gars, vous devriez plonger plus souvent, vous savez pourquoi ? Parce que comme ça, je ne vous entendrais pas ricaner comme des mouettes affamées.

Le bois du ponton grinça sous ses pieds alors qu'il en attrapait un sans prévenir et le projetait à l'eau.

— Là, s'esclaffa Zakaria. Ça vous apprendra à vous moquer de ceux qui bossent alors que vous vous tournez les pouces.

— Ah, mais pas du tout, on ne se tourne pas les pouces, on fait même quelque chose de très utile, protesta Ari en replaçant le foulard blanc qu'il portait pour protéger son crâne rasé.

— Ah, vraiment ? Je t'écoute, étonne-moi, vieux débris.

— Eh bien, Louka ici présent compte minutieusement de combien de temps Maesha te dépasse en apnée, rigola Ari en montrant le troisième garçon un peu plus loin. Et Tal et moi, on a parié qu'elle te mettrait au moins cinq minutes dans la vue.

— Lequel de vous deux a osé parier contre moi ? râla Zak en jetant un coup d'oeil à Tal qui remontait péniblement sur le ponton.

Ari lui retourna un grand sourire plein de dents qui étincelèrent sur sa peau cuivrée.

— Les deux !

Moitié irrité, moitié amusé, Zak souffla sur les mèches bouclées en bataille qui lui retombaient devant les yeux et leva ceux-ci au ciel. C'était dramatique, on ne pouvait même plus compter sur ses amis pour le soutenir.

— Pour changer de sujet, ô Zakaria, fils du capitaine, ton paternel ne t'aurait pas donné des infos sur l'épreuve de demain, par hasard ? demanda Tal en piquant le foulard d'Ari pour sécher la myriade de petites tresses plaquées sur son crâne.

— Comme pour les cinquante précédentes fois où tu m'as posé la question, la réponse est non. Je vous ai déjà dit à tous les trois que la seule chose qu'il m'a dite, c'est qu'on ne peut pas se préparer à l'épreuve de sélection.

Ari reprit son turban à Tal d'un geste brusque assorti d'une taloche à l'arrière de la tête, puis tous deux le dévisagèrent avec espoir. Même Louka s'était rapproché subrepticement.

— Et le prochain qui me pose la question, il est de corvée de reprisage de tous les filets de toutes les tentes du village pendant une semaine, c'est clair ? Et vous savez que je le ferai, ajouta Zakaria en agitant un doigt menaçant sous le nez de ses amis.

— Que tu feras quoi ? fit une voix rieuse derrière lui. Admettre enfin ma supériorité ?

Zakaria fit volte-face et sourit à sa meilleure amie.

— Je n'ai pas le souvenir d'avoir un jour promis une chose pareille. Tu as dû te tromper, je t'assure.

Mae lui envoya un paquet d'algues à la figure, et Zak s'esclaffa. Il allait devoir reconnaître qu'il s'était montré un peu trop présomptueux.

Il regarda son amie essorer ses longs cheveux noirs pendant deux bonnes minutes avant de remarquer la petite créature suspendue à l'une des bandes de cuir de son harnais de plongée.

— C'est le girocampe qui s'était échappé ? demanda-t-il en le pointant du doigt.

Mae baissa la tête et esquissa un sourire attendri. Zak ne put s'empêcher de remarquer que les motifs marron sur la peau beige de l'animal s'harmonisaient magnifiquement avec la peau cuivrée de son amie.

— Oui, c'est lui. J'ai eu de la chance de l'apercevoir, il avait presque réussi à rejoindre les hauts-fonds.

— C'est bien, comme ça, la distribution de la prochaine lune sera complète, personne ne sera lésé. Mon père sera content. Merci.

— Comment va-t-il, ton père, d'ailleurs ? s"inquiéta Maesha en se rapprochant de lui.

Zakaria amorça un geste pour lui intimer de se taire, mais il parvint à le masquer en faisant semblant de caresser le girocampe accroché à l'épaule de son amie. La créature, haute de quelques pouces tout au plus, battit de ses pattes frêles terminées par une courte nageoire ronde et se recroquevilla un peu plus contre l'épaule de Maesha. La crête de peau translucide qui partait du haut de son long cou jusqu'au bout de sa queue se hérissa et Zak retira sa main.

— Très bien, pourquoi ?

Maesha suivit le regard de Zak vers Ari, Tal et Louka qui débattaient du nom de celui qui avait gagné leur pari. La peau cuivrée de ses pommettes se colora un peu plus, et elle afficha un sourire penaud. Zak passa ses mains dans sa tignasse tout aussi sombre que celle de son amie et dérangea un peu plus ses boucles folles qui séchaient déjà.

— Quoi ? souffla-t-il à l'adresse de Maesha en remarquant qu'elle le dévisageait. Pourquoi tu me demandes ça ?

La jeune femme pencha la tête sur le côté. Ses prunelles, d'un vert intense et changeant, le transpercèrent, mais elle resta silencieuse.

— Pour rien. Je ne l'ai pas aperçu ces derniers jours, je me demandais, c'est tout. D'habitude, il fait toujours une tournée des pontons le soir, et ça fait deux crépuscules que je ne l'ai pas vu.

— Normal, c'est moi qui les ai faites, répondit Zakaria un peu sèchement. Pa m'a demandé de prendre sa place parce qu'il était trop occupé par les préparatifs de l'épreuve.

— Ah bon ? Mais il a le droit de faire ça ? s'étonna Mae. Tu n'es pas son successeur, l'épreuve n'a même pas eu lieu ! Cet apprentissage est réservé au prochain capitaine, et ce n'est pas parce que tu es son fils que ce sera forcément toi !

— Je sais, Mae, fit Zak d'un ton apaisant. Il ne voulait pas me laisser le remplacer, mais il n'y avait personne d'autre. Tout le Conseil est occupé à préparer la journée de demain.

— Oh. D'accord. Attention à toi, hein, la taquina-t-elle en le gratifiant d'une bourrade, pas de passe-droit, je te surveille ! Si tu dois être notre prochain capitaine, tu gagneras ta place par la seule force de ta propre valeur.

— Quoi, tu doutes de moi et de mon honneur ? Je suis outré. Tout le monde sait que ma valeur est bien suffisante pour me garantir d'être le prochain capitaine.

Maesha leva les yeux au ciel et le poussa, dans l'intention manifeste de le faire tomber à l'eau. Il s'agrippa à son coude tandis qu'elle tentait de le repousser.

—Attention, Mae chérie. Si je tombe, tu tombes avec moi.

—Toujours, répliqua-t-elle avec le plus grand sérieux.

Là-dessus, elle se libéra prestement de sa poigne et le regarda tomber à l'eau dans un manque flagrant de grâce et de distinction. La dernière chose que Zak entendit avant d'être englouti fut l'éclat harmonieux de son rire, dont la mélodie le poursuivit jusque sous l'eau.

Lorsqu'il revint sur le ponton, elle s'était éclipsée. Zakaria fut un instant tenté de filer à sa suite. Elle allait certainement retrouver sa mère, fraîchement revenue de sa dernière expédition exprès pour l'épreuve de demain. Son amie ne sortait jamais indemne des retours intempestifs et toujours brefs de sa mère; et il aurait aimé être à ses côtés.

Mais son père avait sûrement besoin de lui.

Il fit signe à ses amis, sagement occupés à regarder ailleurs. À eux quatre, ils réparèrent le filet en quelques minutes, puis ils remontèrent et s'installèrent à même le ponton pour sécher quelques minutes.

Personne ne dit rien pendant un long moment, puis Ari se rapprocha de lui, lui donna un coup d'épaule et se mit à le dévisager en secouant la tête.

— Quoi ? grogna Zakaria. Tu as de l'eau dans les oreilles, c'est ça ? C'est l'inconvénient de ne pas avoir de cheveux, que veux-tu. Les miens retiennent naturellement l'eau.

— Ils retiennent aussi ton courage, non ?

— Ce qui signifie ?

— Quand est-ce que tu vas lui dire, Zak ?

— Je ne vois pas de quoi tu parles, fit le jeune homme en détournant les yeux.

— Comme tu voudras. Mais tu ne viendras pas te plaindre le jour où elle préférera plonger avec un autre que toi.

— Il n'y a pas de risque, il n'y a que moi qui peut rivaliser avec elle.

— Et tu feras quoi si quelqu'un tente quand même sa chance ?

— Mais... mais rien, enfin ! C'est une grande fille, elle fait ce qu'elle veut.

— Ah, donc si c'était moi qui l'invitait à sortir, tu ne dirais rien ?

— Je te noie de mes propres mains si tu t'approches d'elle, c'est clair ? Tu as bien assez de filles à tes pieds. Mae, tu la laisses tranquille.

Ari s'esclaffa sans vergogne tandis que Zak se renfrognait.

— Et bien sûr, cette réaction parfaitement mesurée n'a rien à voir avec ce que tu éprouves pour elle.

— Mais tu vas me foutre la paix avec ça ? C'est mon amie. Ma meilleure amie. On se connaît depuis nos premières brasses.

— Et alors ? fit Ari d'un ton sentencieux.

Sans répondre, Zakaria se leva en frottant machinalement les cicatrices rosâtres sur son bras droit. Malgré les années écoulées depuis que la méduse l'avait attrapé dans ses filaments, elles étaient toujours aussi apparentes. Lui n'en avait que sur le bras droit et la poitrine, et le venin ne lui avait heureusement laissé aucune séquelle.

— Il faut que j'y aille. Mon père m'attend. Ari, je te laisse vérifier avec Tal qu'aucun autre filet n'a été endommagé par la tortue. Quant à Louka, je voudrais qu'il aille demander aux familles si elles ont bien tous leurs girocampes. S'il en manque, préviens-moi, et je verrai avec Mae pour aller en capturer d'autres après l'épreuve de sélection.

— C'est comme si c'était fait. Mais comme tu n'es pas encore capitaine, il faut dire s'il te plaît.

Ari esquiva la bourrade qu'il lui envoya en ricanant et fila.

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JeannieC.
Posté le 14/11/2024
Hello Gabhany !
Je me rends compte que je ne t'ai jamais lue, pourtant on s'est régulièrement croisées ici et là notamment sur le fofo. Ce nouveau texte est donc l'occasion de découvrir enfin ta plume ! <3

(Juste, petite coquille dans ton résumé : "Mais cet équilibre si délicar" > délicat)

Quelques bricoles au fil du texte d'abord -
>> "Il ne pouvait pas voir Maesha, ni l'entendre, mais il percevait sa présence à travers l'eau salée qui les accueillait tous les deux.
Pour le moment, cependant, rien de tout cela ne lui permettait de savoir où en était Maesha de la tâche qu'ils devaient accomplir tous les deux. Il ne pouvait donc que partir du principe qu'elle n'était pas remontée" > redite de "ne pouvait". Je pense que tu peux l'éviter en mettant simplement "il ne voyait pas", on comprend très bien que c'est la capacité qui est en cause ici.
>> "Avec une économie de mouvements dictée par le fonctionnement ralenti de son corps et les frissons légers de son épiderme" > il y a un côté pesant dans la structure ici à avoir deux fois "nom + adjectif" et aussi deux mots en "ment" assez proches. Peut-être "dicté par son corps au ralenti" ?
>> "Une pression familière dans ses poumons le força à accélérer le mouvement." > "à accélérer" tout court ? Il y a "mouvement" un peu au-dessus, et dans l'ensemble pas mal de mots en "ment" dans ce début
>> "Avec soulagement, Zakaria obéit enfin à la douleur dans sa cage thoracique." > "Soulagé, Zakaria" ?
>> "je ne vous entendrais pas ricaner" > "ne vous entendrai" ?
>> "s"inquiéta Maesha en se rapprochant de lui" > oops, deux apostrophes ici
>> "Zakaria fut un instant tenté" > pas très heureux à l'oreille, le frottement "instant-tenté" (tan/tan). "tenté un instant" ?

Hormis ces quelques chipotages, voici un univers accueillant dont j'ai apprécié les descriptions. On est immergés (ok, celle-là était facile, je sors x) ) via les sensations et toute l'ambiance du début où les vagues ondoient, où les algues picotent les jambes.
Côté décor, on prend le temps de se familiariser, c'est sympa à suivre, et l'ambiance de vie de Zakaria est posée - avec ses camarades chamailleurs, ses histoires de cœur, ce père à qui il apporte son aide. Il y a enfin ces fameuses épreuves qui titillent la curiosité :D

Je repasserai !
Bonne soirée =)
Gabhany
Posté le 15/11/2024
Coucou Jeannie C. et un très grand merci d'être la première à commenter ce texte ! Merci pour les coquilles et remarques, je vais corriger ça de suite.
Je suis très contente que l'univers te plaise, j'avais peur de ne pas avoir assez transmis de détails et que l'mabiance ne soit pas au rdv, me voilà rassurée.
Merci merci merci encore <3
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