La journée arc-en-ciel

La journée arc-en-ciel

 

La journée avait été difficile et je ressentis le besoin de m’arrêter au parc sur le chemin du retour. J’aimais bien ce parc, ni trop petit ni trop grand, plutôt tranquille en semaine, surtout à cette heure où les enfants étaient encore à l’école. Je m’assis sur mon banc préféré, face à la fontaine. Le bruit de l’eau avait toujours eu pour effet de m’apaiser. Étrange pour quelqu’un qui avait peur de cet élément et savait à peine nager. Je fermai les yeux un instant pour me concentrer sur les clapotis de la fontaine.

Je les rouvris en entendant mon prénom. La nuit commençait à tomber, j’avais dû m’assoupir un long moment…

— Ah, Caroline, te voilà ! Je te cherchais ! Viens, on va être en retard !

— En retard ? Mais où ? Et d’abord qui êtes-vous ? Je ne vous connais pas !

— Moi, je te connais, Caroline. C’est ça, l’important. Je suis Astrid. Allez, viens, je t’expliquerai plus tard.

Étrangement, je la suivis. J’étais sûre de ne l’avoir jamais rencontrée, et pourtant j’avais l’impression de la connaître. Je croisais beaucoup de monde par mon travail et mes diverses activités, mais j’étais plutôt physionomiste et n’avais généralement aucune difficulté à me rappeler les visages et les noms.

Elle m’entraîna dans un autre coin du parc, et je me rendis compte que s’il était désert à mon arrivée, à présent une foule disparate avait pris possession des lieux. Les minijupes et talons hauts côtoyaient les costards-cravates et les jeans-baskets. Je croisais des personnes de tous âges, des adolescents aux personnes âgées. Je n’avais jamais vu une telle diversité rassemblée au même endroit, c’était impressionnant ! Plus étonnant encore, je ne reconnaissais absolument personne. J’habitais une petite ville et je connaissais presque tout le monde : élus, milieux associatifs, commerçants, dirigeants d’entreprises, parents… Mon travail à l’hôpital et mes actions sociales m’amenaient à rencontrer tant les gens dits importants que les laissés-pour-compte. Mais là, aucun visage ne m’était familier.

Nous arrivâmes près de la scène, au-dessus de laquelle une grande banderole affichait « Journée arc-en-ciel, 20e anniversaire » ainsi qu’une licorne multicolore. De plus en plus étrange… « Journée arc-en-ciel » : qu’est-ce que cela pouvait bien être ? Je n’en avais jamais entendu parler. Certes, il existait des journées pour tout et n’importe quoi, mais je n’avais eu vent d’aucune manifestation devant avoir lieu aujourd’hui. Je me targuais pourtant d’être au courant de tout ce qui se passait dans ma ville !

— Bon, maintenant tu vas me dire qui tu es ?! Qui sont tous ces gens ? Et qu’est-ce que c’est que tout ça ? C’est une blague, une caméra cachée ? Je suis arrivée dans un parc désert, je ferme les yeux quelques secondes, et soudain le parc est plein d’inconnus, la scène est dressée, et une banderole annonce un événement dont je n’ai jamais entendu parler et dont ce serait la 20e édition ?! Je ne comprends absolument rien à tout ça. Ça n’a aucun sens. Alors explique-moi tout de suite ! Je suis fatiguée et n’ai aucune envie de jouer !

Astrid sourit et je me renfrognai encore plus.

— Il s’est écoulé bien plus que quelques secondes depuis ton arrivée sur le banc. Je sais que c’est pas facile pour toi en ce moment. C’est justement pour ça qu’on est là. Ne cherche pas à tout comprendre, tu finirais avec une abominable migraine ! Sache juste que toi et moi on est liées, au-delà du temps et de l’espace. C’est pour ça que je te semble familière, alors que c’est la première fois que tu me rencontres. Fais confiance à ton intuition. Je sais que tu es découragée, que tu commences à douter et à penser à abandonner. Je t’ai amenée ici précisément pour te montrer que ton combat n’est pas vain. Je te promets que tu ne regretteras pas d’être venue.

De plus en plus intriguée, je m’apprêtais à lui répondre quand une femme apparut sur la scène et s’approcha du micro. Vêtue d’une longue robe blanche avec des rayures de toutes les couleurs sur le bas et la même licorne que celle de la banderole sur le haut, elle semblait aérienne.

— Bienvenue à cette nouvelle journée arc-en-ciel, où nous célébrons le vingtième anniversaire de l’abolition du patriarcat.

L’abolition du patriarcat ? Mais où avais-je donc atterri ? Dans quel monde ? Quelle année ? Comment était-ce arrivé ? N’étais-je pas en train de rêver ? Le patriarcat aboli ? Était-ce seulement possible ?

— Vous le savez, c’est une journée de célébration, mais aussi de commémoration. Trop de fois des avancées ont été remises en question. Il est de notre devoir de nous souvenir de ce que nos sœurs, nos frères, nos adelphes ont vécu. Les violences subies, les traumatismes, les batailles menées, les espoirs déçus…

Aujourd’hui, nous sommes libérées du joug du patriarcat. Mais pour que cette libération dure, nous devons faire cet effort de mémoire et rendre hommage à toutes celles et ceux qui se sont battus pour nous permettre cette paix. Je ne vous ferai pas l’affront de citer Simone de Beauvoir, vous savez toutes et tous que rien n’est jamais acquis !

Cette année, nous avons choisi de vous faire entendre des témoignages datant des années 2021 et 2022. Rappelez-vous, c’est quelques années après les mouvements #metoo et #balancetonporc. Le féminisme semble devenu plus fort, et pourtant la condition des femmes et des minorités ne s’est pas vraiment améliorée. La période connaît également un contexte sanitaire compliqué avec des confinements et des restrictions qui pèsent sur le moral de la population et qui n’aident pas à faire avancer le combat. Le quotidien des femmes est donc loin d’être serein.

Certains témoignages vous paraîtront difficiles à croire tant ce que nous vivons aujourd’hui en est éloigné. Pourtant, ils sont tous vrais. Des personnes, des êtres humains comme vous et moi, ont vraiment vécu cela. Rien, absolument rien, n’a été inventé. Je vous demande de respecter leur parole, qui nous parvient à travers les âges. Soyons silencieuses pendant cette lecture. Nous aurons tout le temps de faire la fête après. Mais avant, encourageons les volontaires qui ont accepté de nous lire ces témoignages, et applaudissons-les !

La foule se mit à applaudir. Emportée par cet élan, sans en avoir vraiment eu la volonté, je me mis à faire de même. Astrid était toujours à côté de moi.

— Fatima, 25 ans, mais en paraît 40. Six enfants, de 6 mois à 6 ans. Est arrivée aux urgences avec un œil au beurre noir, des bleus partout et un bras cassé. A d’abord dit avoir fait une chute dans les escaliers. A fini par reconnaître à demi-mot que c’était son mari, mais qu’il ne touchait pas aux enfants. Ne veut pas porter plainte. Comment lui en vouloir ? Nous n’avons aucune solution pérenne à lui proposer. Son mari est influent, il sera sans doute relâché aussitôt après avoir été entendu par la police, si encore ils prennent la peine de le convoquer ! En revanche, il y a de grandes probabilités pour qu’il se venge sur elle, il ne la laissera pas partir. Il a tout fait pour l’isoler : pas d’amis, pas de famille, pas de travail, juste six gosses à élever.

Je reconnus ces mots. C’était les miens. Je les avais écrits le matin même, dans mon rapport. Mais je ne l’avais pas encore transmis… Comment pouvait-il être là ? Je n’avais même pas eu le temps d’en discuter avec mes collègues. J’avais dû laisser Fatima repartir, la mort dans l’âme, en sachant très bien l’enfer qu’elle subissait à la maison. Son plâtre au bras ne la protégerait pas très longtemps des coups… Il recommencerait. Ils recommencent toujours.

Suivirent d’autres témoignages : violences conjugales, sexisme, harcèlement, viols, injonctions à la maternité, avortement, agressions sexuelles, pédocriminalité. Bref, le parfait condensé du patriarcat. Mon quotidien depuis bientôt dix ans, depuis que j’avais accepté ce poste en pensant pouvoir aider les femmes. Quelle connerie ! Je me sentais plus impuissante de jour en jour. J’avais envie de hurler, de vomir, de…

La main d’Astrid serra la mienne, et le calme revint dans mon corps. Comme si elle avait pu deviner l’état de mes pensées à cet instant précis. Quel pouvoir étrange cette femme avait-elle sur moi. J’en profitai pour me concentrer sur la foule, silencieuse. Jamais je n’avais entendu un tel silence, encore moins lors d’un rassemblement ! Même la nature s’était tue : le vent avait cessé de remuer les feuilles des arbres. Étrangement ce silence n’était pas oppressant. Je sentais de la solidarité, de la compassion, de l’empathie. C’était vraiment très curieux. Comme si la foule communiait. Non seulement entre elle, mais aussi avec les personnes qui avaient vécu et écrit les témoignages en question. Comme si, à travers le temps, elle leur envoyait de l’énergie, leur transmettait toute sa reconnaissance. C’est ça, la foule les remerciait d’avoir réussi à surmonter tant d’épreuves et permis cette libération. Une chaleur envahit mon corps, je me sentais soudainement plus sereine, plus forte.

Perdue dans mes pensées, je n’avais pas réalisé que les témoignages étaient terminés. Astrid m’interpellait.

— Caroline ? Ça va ?

— Oui oui, pardon.

— C’est pas évident d’entendre tout ça, n’est-ce pas ?

— Non, c’est sûr. Mais j’ai l’habitude. Enfin, on s’habitue jamais vraiment. On s’endurcit juste. On n’a pas le choix… Sinon on sombre… Pas un jour ne se passe sans que je rencontre l’une de ces femmes ou l’un de ces enfants. On se croit libre, tout au moins en Occident, mais on l’est pas. Ça fait plus de quarante ans que l’avortement a été légalisé et les femmes galèrent toujours. Ça reste tabou. Le magazine Causette en a fait sa une il y a pas longtemps, et des femmes connues, de tous milieux, racontaient leur avortement, comment elles l’avaient vécu. Le plus effarant, c’est que pour la plupart elles avaient eu du mal à en parler autour d’elles, même à leur famille ou leurs amis : elles avaient peur d’être jugées ! Même les plus jeunes, celles qui avaient avorté dans les dix quinze dernières années !

— Ça te tient vraiment à cœur…

— Oui, quarante ans depuis que Simone Veil s’est battue, et les femmes sont toujours jugées ! D’ailleurs, les injonctions à la maternité sont encore très fortes. Les femmes sont de plus en plus nombreuses à revendiquer le droit de ne pas vouloir d’enfant, mais elles s’en prennent plein la tête. La société accepte difficilement qu’une femme saine d’esprit puisse ne pas vouloir d’enfant. Elle est forcément anormale ! Si elle est jeune, on lui dit qu’elle changera d’avis, qu’elle n’a pas encore rencontré le bon. Si elle va voir un médecin pour une contraception définitive, elle subit très souvent des jugements : « Vous êtes bien sûre de vous ? Votre mari est d’accord ? Et si vous rencontrez quelqu’un qui en veut ? » Pire ! Si elle a déjà des enfants, elle s’entend dire : « Et si l’un de vos enfants meurt, vous n’en voudrez pas un autre ? »

Chaque année, plus d’une centaine de femmes meurent de la main de leur conjoint ou ex-conjoint, sans que ça émeuve grand-monde. Les associations luttent contre les violences sexistes et sexuelles, mais elles ont du mal à se faire entendre. Le gouvernement n’agit pas. Chaque fois qu’un homme est accusé de viol ou d’agression sexuelle, il se dit victime, et la parole de la dénonciatrice des faits est remise en question. Même si elles sont plusieurs, on les accuse de faire leurs intéressantes, de nuire à la carrière de l’homme. On répète aux femmes de porter plainte, mais quand elles le font, elles sont presque systématiquement confrontées à des remarques du genre : « Vous étiez habillée comment ? Vous aviez bu combien de verres ? Pourquoi vous n’êtes pas venue avant ? Vous faisiez quoi dans la rue à cette heure-ci ? ». La plupart du temps, la plainte est classée sans suite, quand elle n’est pas refusée à la plaignante, en toute illégalité !

Si vous êtes gay ou lesbienne, c’est pire ! Malgré la légalisation du mariage entre personnes du même sexe il y a quelques années, ce n’est pas encore devenu une normalité. Les homosexuels et les lesbiennes sont bien souvent raillées, déconsidérées, malmenées. Beaucoup les jugent anormales, voire malades. Ne parlons même pas des personnes transgenres ou non-binaires ! Pour la plupart des gens, elles n’existent tout simplement pas ou bien alors c’est du « délire » ou une « nouvelle mode »…

— Respire… Je me rends compte à quel point c’est difficile pour toi. Tu es très courageuse, Caroline. Tu le sais, n’est-ce pas ? Ça va finir par s’arranger, je t’assure.

— J’ai du mal à croire que le patriarcat ait pu être aboli. Il est tellement ancré. Depuis des siècles… Ça semble si irréel…

— Oui, je sais. C’est très différent de ce que tu vis. Mais c’est vrai. On a réussi. Il a fallu du temps. Bataille après bataille, pas à pas. On a construit une société où tout le monde peut vivre en paix et liberté. On a le droit d’être une femme, un homme, les deux à la fois ou bien aucun des deux, d’aimer une ou plusieurs personnes, du même sexe ou pas. Les enfants naissent en étant vraiment désirés et grandissent en étant encouragés dans leurs rêves, sans jugements. Les richesses sont partagées. Chaque être humain compte autant qu’un autre. Il n’y a plus de discriminations. On a appris à communiquer, sincèrement, en toute bienveillance. Les hommes ont fini par comprendre qu’eux aussi souffraient du patriarcat. Nous étions tous et toutes enfermées dans un système. Quand tout le monde en a pris conscience, c’est devenu beaucoup plus facile de déconstruire toutes ces croyances qu’on nous avait inculquées. Bien sûr, cela a pris du temps, tant la prise de conscience que la déconstruction. Et puis, il a fallu reconstruire ! Comprendre que les schémas n’étaient pas forcément mauvais, enfin pas tous, pas tout le temps, mais qu’il était important de les reconnaître et de pouvoir s’en détacher si on le souhaitait. Et ce, dans tous les domaines de la vie, les relations entre les personnes, qu’elles soient amicales, amoureuses, familiales, sexuelles. Aujourd’hui, la sexualité est réellement libre, car chaque être humain a la possibilité d’explorer, d’expérimenter, en toute sécurité, sans craindre des jugements. Il existe de nombreux espaces de parole où on peut exprimer ses inquiétudes, ses interrogations, partager son expérience. Il n’y a plus de concurrence mais une véritable solidarité.

— Tu me décris un monde idyllique…

— Je sais que c’est dur à imaginer pour toi, mais je te promets que ça va arriver.

— Viens, dit-elle en m’entraînant de l’autre côté du parc.

Le long des allées, étaient alignés des stands proposant livres, affiches, t-shirts, boissons, en-cas. Derrière, dans l’espace habituellement occupé par la pataugeoire où aimaient s’éclabousser les enfants, des tentes avaient été dressées et des chaises disposées en cercle, d’autres semblaient accueillir des expositions, et je reconnus le tableau d’Artemisia, Judith décapitant Holopherne, que j’avais découvert grâce au livre de Titiou Lecoq, Les Grandes Oubliées - Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes, dévoré quelques semaines plus tôt.

Alors que nous passions devant le stand de livres, je remarquai qu’au milieu d’autrices considérées comme « classiques » chez moi et d’autres beaucoup plus récentes mais tout de même familières telles que Victoire Tuaillon, Juliet Drouar, Lucile Peytavin, surgissaient des livres écrits par des personnes dont les noms ne me disaient absolument rien. Bien sûr, je ne connaissais pas tous les livres existants, mais ceux-ci avaient des titres tellement improbables : Histoire de l’abolition du patriarcat, Déconstruction et reconstruction des relations humaines, Homme ? Femme ? Être humain tout simplement !, Naissance des mouvements de sexualités créatives, Le Polyamour ou l’antipossession de l’amour, Éducation au consentement

Astrid me regarda en souriant :

— C’est pour ça que je voulais que tu sois là, que tu voies tout ça, que tu n’abandonnes pas. Que tu saches que ça vaut le coup de se battre. C’est important. Un jour vous allez réussir. Tu vas réussir. C’est un peu grâce à toi si cette journée existe. Même si tu ne le sais pas encore.

Je ne comprenais pas grand-chose à ce que racontait Astrid, mais ses paroles me touchaient. Elle semblait si bien me connaître. Mieux que moi-même. Comment était-ce possible ? Son énergie, sa force me gagnaient. Soudainement, mes paupières s’alourdirent, et je sentis qu’Astrid me glissait quelque chose dans la main.

Je repris conscience, j’étais à nouveau sur le banc face à la fontaine. En étais-je vraiment partie ? Avais-je rêvé ? Je cherchai mon téléphone au fond de mon sac : jeudi 13 janvier 2022, 15 h 35. Je n’avais donc fermé les yeux que quelques minutes… Pourtant, tout m’avait semblé si réel. Était-ce vraiment un rêve ? Était-ce de la magie ? Avais-je voyagé dans le temps ? Au fond, était-ce important ? Je me sentais pleine d’énergie, prête à surmonter tous les obstacles. J’avais retrouvé mon optimisme et cette foi inébranlable en l’humanité que mes proches m’enviaient. Je n’avais pas de solution à proposer à Fatima et ses enfants ? J’allais en trouver une, je l’inventerais s’il le fallait. J’étais prête à ruer dans les brancards, mais il n’était pas question qu’elle vienne allonger la liste des féminicides ! Pourquoi Fatima ? Je ne saurais le dire. J’avais cru voir une étincelle dans son regard, une petite flamme qui ne demandait qu’à grandir. Elle avait juste besoin d’aide, je n’allais pas la laisser tomber. En me levant, je m’aperçus que j’avais toujours le poing serré. Je l’ouvris et y découvris un petit pendentif, une licorne de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Je souris. Cette journée existait. Où qu’elle fût, elle existait, j’en avais la certitude.

 

*****

 

Le grand jour arriva. Je répétais mon discours tout en faisant les cent pas. Je le connaissais par cœur, mais j’avais besoin de contrer le stress qui menaçait de m’envahir. J’avais tellement attendu, espéré ce moment. J’avais bataillé ferme. Je ne voulais pas commettre le moindre faux pas. Je serrais mon pendentif. La petite licorne d’Astrid. Le temps avait passé, mais je ne l’avais pas oubliée. Je sentais sa présence, encore plus aujourd’hui. Comme si elle veillait sur moi. Cette journée restait gravée dans ma mémoire. Je ne savais toujours pas si c’était un rêve. Au fond, ça n’avait pas d’importance. C’était ce qui m’avait conduite jusque là. Je croyais à cette réalité. Cette utopie n’en était pas une. J’en étais certaine. Quelque part, cette journée existait.

— Un jour, nous célébrerons l’abolition du patriarcat lors d’une journée arc-en-ciel. Ne riez pas. Cela arrivera, j’en suis sûre. Il ne tient qu’à nous de construire ce nouveau monde. Un monde où chacun sera accepté comme il est. Ça commence aujourd’hui avec ce lieu, cette maison qui vous accueillera sans jugement, qui que vous soyez, d’où que vous veniez. Vous y trouverez la paix et la liberté d’être qui vous êtes. Vous pourrez poser votre armure et votre masque sans crainte. Vous serez toujours les bienvenu·e·s, ici, à la Maison Arc-en-ciel.

Quand j’ai rencontré Fatima, aucune solution ne lui permettait de quitter son mari avec ses enfants, de se reconstruire. Nous l’avons donc inventée ! Aujourd’hui, Fatima a un travail, ses enfants vont bien. Elle a retrouvé son indépendance. À la Maison Arc-en-ciel, les femmes trouveront un refuge, une épaule sur laquelle pleurer, une oreille attentive, un soutien pour tous les aspects de la vie : le juridique, les enfants, le travail, l’administratif…

Tout en discourant, je parcourais la salle du regard. L’assemblée était attentive. Fatima se tenait au premier rang. À ses côtés : Agnès, Marina, Chloé, Nadia, Marie, Aurane, Julia, Clémentine, Louisa. Toutes avaient les larmes aux yeux. Elles revenaient de si loin. Elles étaient tellement courageuses. En balayant les derniers rangs, je crus apercevoir Astrid ; le temps de réagir, elle avait disparu. Mais au fond de moi, je savais qu’elle était là. Elle avait toujours été là, à l’intérieur de moi.

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