Dans l'interstice entre le mur de vieilles pierres et le placoplatre patiente une petite souris. Son museau pointu remue et ses moustaches tressaillent de concert. Elle se pourlèche les pattes et les babines en alternance, goutant son environnement avec attention.
Tout est calme ici.
Tout est calme, ou presque.
Les oreilles rondes de la petite souris s'agitent : un bruit de fond lui parvient. Elle se met en mouvement.
L'obscurité ne lui fait pas peur. Elle y est habituée. Elle gambade sans un faux pas en utilisant tous ses sens.
Bifurquant à droite, elle traverse son garde-manger. Celui-là, la petite souris le connait bien, elle y passe beaucoup de temps. Les réserves de farine et de chocolat n'ont plus de secret pour elle. Avant d'y accéder, elle a dû faire une trouée dans le placard. Le bois n'est pas sa tasse de thé, toutefois la récompense de la matière noire sucrée l'a contentée. Son odorat ne lui avait pas menti.
La petite souris hésite presque à s'arrêter. Grignoter ? Non, elle continue son chemin. La curiosité l'emporte, la faim peut attendre.
C'est la drôle de boite noire qui fait du bruit : des personnes à l'intérieur parlent.
Son poste d'observation, la petite souris l'a creusé aussi : un tout petit trou dans le mur, sous le meuble de la fameuse boite. Juste de quoi se faufiler en douce et avoir une vue imprenable sur le salon. Son derrière posé sur le carrelage froid, ses moustaches frémissent à nouveau. Ses yeux humides contemplent l'homme au regard vitreux, avachi dans le canapé. Il passe une main nonchalante sur ses joues mal rasées et s'étire dans un bâillement interminable. Sur la table basse devant lui, une autre drôle de petite boite noire se met, elle aussi, à faire du bruit. Les vibrations criardes hérissent le poil de la petite souris.
Il sursaute. Il éteint les sons parasites, puis, avec des gestes lents, fatigués, l'homme prend l'objet sonore. D'une voix pâteuse et rauque, il déclame :
« Allô ? … Oui, c'est moi... (rehm-rehm)... Ah, bonjour ! … (rehm) Non, vous ne me dérangez pas... Euh... Non. Pas du tout. Je n'ai aucune nouvelle d'elle... C'est-à-dire... (silence gêné)... Non, en fait non, pour être honnête... je... comment dire ? … (nouveau silence gêné)... Et bien voilà, nous ne sommes plus vraiment ensemble... Oui, c'est ça... Depuis quand ? Pourquoi me posez-vous toutes ces questions ? … Quoi ?! Non, c'est pas possible, elle ne peut pas avoir disparu comme ça … Non, non, je vous assure, je n'ai vraiment aucune nouvelle d'elle... (encore un silence gêné)... Oui, je comprends. La dernière fois que nous nous sommes vus, c'était au réveillon... Pour tout vous avouer, c'est là que nous nous sommes séparés... Je ne peux rien vous dire de plus. Elle est partie de son côté et c'est tout. Je ne l'ai pas revue... Non, je ne me suis pas inquiété... Bon, écoutez Madame, je ne peux rien vous apprendre du plus, et non, je n'ai pas de nouvelles. Voilà. C'est ça... Au revoir. »
Une tension est apparue dans l'air. Perdu dans ses pensées le jeune homme se refait le film de la soirée.
Ils sont arrivés séparément. Lui et sa copine n'habitent pas ensemble. Pas encore et heureusement, il commence à se lasser. Peut-être que 2020 serait le moment d'aller voir ailleurs. S'ouvrir à d'autres horizons. Ce sera peut-être sa résolution.
Il est 20h et déjà l'alcool ingurgité lui donne des ailes. Surtout qu'il y a cette nana. Joli minois, jolies formes, tout son être transpire la sensualité et l'attire comme un aimant. Marion n'a pas ce charisme. C'est pour ça qu'il doit passer à autre chose. Il lui reste encore tant de fleurs à butiner. D'autant que cette jolie fille le regarde parfois en douce, parfois avec un aplomb qui lui fait oublier le reste.
Le temps passe. Il est bourré.
Marion aussi est bourrée. Elle rigole avec ses copines.
L'autre fille s'est rapprochée.
Ils parlent.
Ils boivent.
Il est encore plus éméché.
Il se retrouve dans une chambre avec cette fille. Comment s'appelle-t-elle déjà ? Ce qui est sûr, c'est que maintenant il s'envoie en l'air. Il ne s'occupe plus de rien si ce n'est de sa partenaire. C'est à peine s'il entend les gens de la fête hurler à la nouvelle année.
Par contre, la lumière crue du couloir qui l'aveugle, il la prend en pleine face. Et devant se trouve Marion. Son visage décomposé. Sa coupe de mousseux se déverse au sol. Ses yeux, ses beaux yeux, faut quand même le dire, sont ronds comme deux billes. Elle a l'air d'avoir pris un seau d'eau en pleine face. Le mouillé en moins.
Du reste, il ne se souvient pas trop. Il ne sait même pas s'il a essayé de la rattraper. Il se souvient uniquement de sa gueule de bois du lendemain. Intense. Plus personne à ses côtés, ni Marion ni l'autre. Juste des vertiges, vestiges intraveineux de sa consommation excessive d'alcool bon marché.
Ça fait trois jours maintenant. Trois jours qu'il se traîne sur ce canapé depuis cette cuite. Il ne sait pas trop. Il a pensé plusieurs fois (plein en fait) l'appeler, Marion. Il y a toujours une bonne excuse. C'est pas l'heure. C'est pas la peine. C'est fini de toute façon. C'est mieux comme ça.
C'est trop dur ?
Non. Elle aussi elle aurait pu appeler ; lui passer un savon. Elle sait faire.
Et puis, ce coup de fil étrange de sa mère. Non, c'est pas possible, elle a dû se réfugier chez une amie. Hors de question qu'il porte cette croix là. Ça devait peut-être juste se passer ainsi. C'est la vie.
Il se lève d'un bond, réveillant sa carcasse endormie. Il ne peut empêcher ses membres de trembler. L'agitation qui le traverse se propage comme une onde dans le salon.
Les moustaches de la petite souris frissonnent de concert. Elle décide que finalement sa faim est trop grande pour la repousser à nouveau. Et puis, il y a encore tant de choses à explorer, tant de galeries à sillonner.
Dans l'étroit chemin obscur du retour, elle trottine.
Elle ne sait pas trop pourquoi tout lui semble si familier et si étranger à la fois.
Elle a juste cette vague impression, cette pensée incongrue qu'elle ne comprend pas mais qui ne la quitte plus : « Je voudrais tant être une petite souris ».
Néanmoins, j'ai vraiment l'impression d'avoir découvert une très jolie plume, j'espère te relire bientôt.
oh, je suis très touchée par tes mots.
Tu me fais plaisir parce que tu es la seule à souligner ce qui m'a posé un certain problème au début : mais pourquoi donc elle voudrait être une petite souris ? C'est un peu capillotracté comme on dit.
Puis je me suis représentée Marion, son mascara coulant, ses collants filés. Elle rentre de la fête, en pleurant toutes les larmes de son corps. Celle-là, elle ne s'y attendait pas.
Sur son téléphone elle passe en revue le profil de son mec (enfin, de son ex) sur les réseaux sociaux. Elle passe du désarrois aux larmes, du désespoir à la colère. Elle cherche à comprendre.
Elle voit les photos publiés de ses amis en couple, exhibant à la face du monde leur amour et leur bonheur en cette nouvelle année qui début. Elle pleure encore.
Épuisée, trop alcoolisée et lasse pour penser, elle finit par se laisser engloutir par le sommeil. Juste avant, elle pense "mais qu'est-ce-qui a merdé ?! Pourquoi il ne m'appelle pas ? Je l'aime !".
Elle s'en veut de ne pas pouvoir se l'enlever de la tête. "Je le hais !" et dans un dernier souffle, avant que ses paupières ne se ferment pour de bon "Je voudrais tant être une petite souris".
Bon, désolée, je n'étais pas partie pour écrire tout ça ! XD Je me suis un peu laissée emporter.
merci de ta lecture et de ton retour, belle dernière journée 2019.
Je suis ravie que la petite souris t'aies emportée jusqu'à la dernière ligne. Non, on ne peut pas dire que ce gars soit sympa... Merci pour ta lecture et ton retour !
Belle dernière journée 2019 !
Le récit est agréable à lire, il est bien mené, la chute est excellente et inattendue. Je rejoins les autres plumes pour dire que c’est bien triste et que c’est l’ex de Marion qui méritait ça plutôt qu’elle.
Coquilles et remarques :
— le mur de vielles pierres [vieilles ; résumé et texte]
— se met, elle-aussi, à faire du bruit [elle aussi]
— Pour tout vous avouez [avouer]
— Elle est partie de son côté et c'est tout. Je ne l'ai pas revu [revue]
— Pas encore et heureusement, il commence à se lasser. [Avec cette ponctuation, on dirait que « heureusement » se rapporte à « il commence à se lasser ». Je propose deux points après « heureusement ».]
— Hors de question qu'il se porte cette croix là [cette croix-là / j’enlèverais « se » ; en effet, porter et se porter n’ont pas du tout la même signification]
— Les moustache de la petite souris [moustaches]
— Dans l'étroit chemin obscure [obscur]
Merci pour cette lecture orthographique et ton regard affûté ! :)
Ce qui me rend douce amère, moi, c'est de laisser encore des coquilles aussi grosses que ça :-/ heureusement que tu es là !
Belle dernière journée 2019 !
C'est moi <3
Oh ça m'a fait plaisir de retrouver ta plume <3. Elle me manque ! J'espère que tu reprendras tes publications !
J'ai senti un peu l'atmosphère "Vents contraires" dans ce texte, tout simplement car tu incarnes une nouvelle fois un animal et toujours avec autant de justesse. J'ai adoré ta petite nouvelle un peu douce-amère qui est souvent l'état d'esprit dans lequel nous sommes lorsque nous arrivons à l'approche de la nouvelle année, déçu de ne pas avoir tenu nos résolutions mais rempli d'espoirs pour la nouvelle année !
En tout cas la chute est très bonne et je trouve qu'elle rentre très bien dans le thème ! Même si j'aurai préféré que ce soit l'autre qui se transforme ;-) Il l'aurait plus mérité ! Tu veux pas écrire la suite où la petite souris lui rend la vie infernale ? :D
Merci pour cette belle nouvelle !
Bisous volants <3
\o/ oui, je suis trop happy de te voir par ici :)
j'espère effectivement reprendre mes publications, j'espère avoir le temps d'en dire deux mots dans mon JDB. (enfin, faut pas être pressé, j'ai que les idées en tête, rien d'écrit... )
je crois que tu m'as démasquée, l'appel de Vents contraires le T2 se fait clairement ressentir ^^ je n'ai pas encore tous les tenants et aboutissants du coup je ne me suis pas lancé... Je crois que j'adore incarner des animaux.
merci de ta lecture et de ton retour, et je passe vite chez toi pour te faire un retour SILLAGES (depuis le temps !)
J'étais très déstabilisé par le point de vue de la souris au début. Je ne voyais pas le rapport avec les résolutions de la nouvelle année. Parce que oui, avec ton avertissement, je m'attendais à un texte hors sujet alors que pas du tout… Il manque peut-être le côté "toutes les résolutions" mais c'est vraiment minime.
Et, à la fin, j'ai cru que la souris allait nous amener vers le cadavre de Marion. Ou qu'elle avait disparu à cause d'un souhait à lui. Mais même pas ! Bravo pour ce retournement de situation superbement bien mené. J'en reste sans voix à ma lecture.
Merci d'avoir participé et de ne pas avoir laissé ta petite voix "bouh ! c'est un hors sujet" gagner car ta petite voix a tout faux !
message transmis à ma petite voix ;)
beaucoup ont pensé que c'était vers le cadavre de Marion ou qu'elle allait disparaître... vraiment je ne penserais pas que ma "surprise" fonctionne :) Bref, merci pour ton passage et ton retour,
belle dernière journée 2019 !
Je trouve que tu as parfaitement respecté le thème.
Même en si peu de mots, une histoire très construite et agréable à lire.
J'étais trop fier d'avoir deviné que...
Dur d'en parler sans spoiler !
Tu as ma voix !
bonne fêtes !
J'en suis sans voix et merci de ton passage par ici, de ton retour :)
belle dernière journée 2019 !
Vraiment pas de soucis avec moi,
Très bon dernier à toi zaussi !
Jusqu'à la fin je me suis demandé comment les deux arcs allaient se rencontrer et franchement je suis bluffée ! Tu n'es pas du tout hors sujet !
J'avais peur du Hors-Sujet à cause des temporalités... puis, je ne suis pas dans le point de départ de la proposition du concours... mais merci :)
J'ai trouvé l'idée du POV de la souris très originale. Je me suis demandé pourquoi cette souris aimait le chocolat. Mais la fin tu m'as eu. Je croyais qu'il avait souhaité la disparition de sa copine. Bravo et de bonnes fêtes étoilées
C'est très habile de ta part, bravo !
On a une impression douce-amère à la fin de ton texte. C'est bien écrit, ingénieux, poétique même, mais quelle tristesse dans le fond !
La chute est inattendue (quelle bonne idée tu as eue !) et j'ai passé de "excellent !" à "ohhh... c'est super triste en fait".
Vraiment un super texte !
C'est vrai que c'est un peu triste, je l'avoue, j'ai un léger penchant pour l'aigre-doux :)
merci en tous cas !
Bravo pour cette fin et pour ce texte super bien écrit !
merci pour ton retour et ta lecture <3
oh, bah ça alors, la surprise fonctionne :) j'y croyais pas trop.
Mais quelle fin, quelle chute !
Je ne m'y attendais tellement pas, je pensais pluyot que ça serait le mec qui aurait fait le veoux que sa copine disparaisse
ENOOORME
Merci pour cette lecture
oh merci à toi d'avoir pris le temps de lire et de ton retour. C'est marrant, tu es la deuxième à me dire qu'on attendait pas cette fin alors qu'elle me semblait au moins aussi grosse qu'une maison XD
Et je me suis bien faite avoir :)
En plus de cela ton texte vraiment très bien écrit, il porte le lecteur jusqu'à la fin. La pauvre Marion... 💔
merci d'être venue lire et merci pour ton retour :)