Ce soir-là et pour la première fois depuis vingt-cinq ans, j’ai repris le chemin de l’école. Le long du trottoir jonché de feuilles mortes, dans la pénombre mal éclairée, j’ai retrouvé le sentiment oublié que représentait la perspective d’un échange entre parents et enseignants communément appelé "réunion parents-profs".
Lucas traîne les pieds derrière moi, il aurait bien préféré rester à la maison « faire ses devoirs » selon ses dires, la bonne excuse mais je ne suis pas dupe, il fayotte aussi bien que sa mère. Moi aussi, je trainais les pieds derrière mes parents, l’un ou l’autre car le déplacement ne se fait jamais à deux évidemment, c’est le genre de corvée qui tourne à chaque trimestre, quand on a de la chance.
Mes parents. Et là, soudain, je les revois, mon père ou ma mère, marcher près de moi le long d’un même trottoir couleur gris fin novembre, tenant dans la main la feuille chiffonnée récapitulative des rendez-vous pris à l’arrache l’avant-veille par la progéniture, raison pour laquelle ils sont tous placés entre 20h00 et 21h30, histoire de bien flinguer la soirée. Je me revois leur présenter le collège dans lequel je passe la moitié de mon temps, entre les copines, les histoires de cœur, les contrôles surprises et les permanences chahutées. Je me revois aussi, et cela me pince subitement le cœur, appréhender leur rencontre avec mes amis ou mon coup de cœur du moment. Ce même sentiment un peu honteux qui nous pousse à leur demander de nous déposer cent mètres avant l’entrée du collège, pour ne pas « se taper l’affiche ». Et puis maintenant, c’est de moi dont on a honte.
Dans ce mélange de souvenirs teintés d’une grande nostalgie, je me replonge dans les souvenirs de cette période de ma vie, qui est passée à une telle allure ! Je me demande où sont passés mes treize ans et mon optimisme débordant qui s’est peu à peu laissé happé par l’inévitable couperet de l’entrée dans la vie d’adulte, durant laquelle on laisse derrière soi à la fois l’insouciance et l’innocence. C’est vrai qu’en y repensant, ce n’était pas si mal de se prendre la tête face à un exercice de trigonométrie et autres théorèmes de Pythagore dont la dernière utilité pour ma part fut lors d’un Trivial Pursuit en 2014 durant lequel le plateau fut retourné et les camemberts, c’est dommage j’avais presque réussi à compléter le mien, éparpillés. Ça aussi, ça montre que le temps passe, quand vous êtes en mesure de remplir un camembert au Trivial Pursuit et de trouver cela presque divertissant.
Nous arrivons près des casiers. Lucas me montre le sien, fermé par un cadenas à chiffres, dont la porte jaune un peu cabossée est maculée d’autocollants en tout genre pour lesquels je n’ai pas la moindre référence. Un groupe de jeunes ados composé de trois garçons et deux filles s’approchent de nous en gloussant. Ils ont apparemment tous réussi à abandonner pères et mères quelque part dans les méandres de ce collège gris pigeon. J’observe attentivement les échanges qui se forment devant mes yeux et découvre un Lucas rougissant que je ne connais pas. Quelques regards timides et quelques paroles balbutiantes sont adressés à une certaine Manon, qui a également l’air d’en pincer pour mon fiston. Cela me fait sourire. Je me revois aussi, avec des papillons dans le ventre à l’idée d’embrasser pour la première fois Mathieu Riou de la 4ème B, après la boum de la classe de neige. Aujourd’hui, ce sentiment me manque terriblement et je me demande ce qu’a bien pu devenir cet amour de jeunesse.
Nous arrivons au premier rendez-vous, qui démarre par le professeur de français, M. Alain. Il porte un pantalon en velours côtelé bleu marine avec des baskets Nike blanches, un vrai mix des générations. D’entrée de jeu, il me parle des bavardages incessants de Lucas, qui, décidément se repose sur ses lauriers et pourrait bien mieux faire, notamment à ce dernier devoir sur les figures de style. Quelques remontrances bien senties sont échangées avec l’adolescent qui nous promet mont et merveilles pour le trimestre suivant.
S’ensuivent les rendez-vous studieux : mathématiques, histoire-géographie, physique-chimie. Puis je me retrouve en face de la salle de musique et lance un regard interrogateur à Lucas qui s’amuse déjà du spectacle qui l’attend pour cette dernière entrevue. Il n’y avait plus de places disponibles pour l’espagnol et l’anglais, il a donc dû compléter avec les enseignants qui étaient disponibles. Je souris intérieurement en repensant à ce jour où nous étions interrogés les uns après les autres à la flûte à bec et que le pauvre Julien n’avait pu sortir de la sienne que des sons épars provoquant l’hilarité générale et l’impossibilité de poursuivre les évaluations. La soirée se finit donc sur cette recommandation de M. Evan d’inscrire mon fils à des cours de triangle afin de mieux appréhender l’univers des percussions.
Sur le chemin du retour, je sens mon Lucas un peu plus silencieux que d’habitude. Je lui demande ce qui ne va pas, que dans l’ensemble, cela ne s’est quand même pas trop mal passé. Il marmonne une phrase inaudible en guise de réponse, mais j’ai déjà une idée de la raison. L’air de rien, je lui mentionne que, décidément, cette Manon n’a pas arrêté de le regarder dès qu’il avait le dos tourné, en rougissant avec ses copines. Son regard s’illumine, il veut faire genre de rien mais ses gestes me révèlent tout. Ragaillardi, l’ado habituellement un peu ingrat daigne tout de même me dire que, comparée aux autres mères, je ne suis quand même pas trop mal pour mon âge. À priori, je suis censée bien le prendre, à tel point que je me permets même de lui demander s’il est toujours nécessaire de le déposer à cent mètres de l’entrée du collège, ce qu’il confirme d’un "faut pas déconner non plus".
C’est un peu aussi ça finalement, avoir des enfants et les voir grandir. C’est revivre avec eux ces moments de la vie qui nous ont marqué, mais différemment.
Vous avez réussi à me donner une nostalgie qui n'a pour l'instant pas lieu d'être, car je suis encore au lycée !
Merci pour ce texte, et bonne continuation.