LA TRISTESSE EST UN VIRUS

La tristesse est un virus. J'ai jamais su comment je l'avais attrapé. Ce que je crois à peu près, c'est que ni ma mère ni mon père ne me l'ont transmis. Je suis le capitaine de mon spleen. Mon père, je l'ai pas connu. Trois fois par semaine, je déjeune avec ma mère au Café Bleu, de l'autre côté de la place. Ma mère n'est pas timide, elle n'a jamais peur d'aller au-devant des gens qui se cachent derrière les gens. Elle, elle ne se cache pas, jamais. Elle est souriante ma mère, même quand le temps est maussade. On dirait qu'elle a avalé le soleil, elle rigole tout le temps, de tout, avec n'importe qui.

Quand je lui demande pourquoi moi, je n'ai pas sa joie de vivre, elle me répond que moi, je suis un fruit de l'hiver, et qu'elle, c'est un fruit de l'été et que c'est très bien ainsi. Des fois quand même, j'aimerais être une cerise plutôt qu'une clémentine.  Mais c'est une mère comme les autres, elle le voit bien parfois que mes yeux sentent la pluie, et que j'ai le cœur bas. Quand il ne reste plus que des miettes dans nos assiettes, elle sort le journal.  Elle adore lire les petites annonces de rencontre. Elle dit qu'elles sont belles, et c'est vrai que quand elle les lit, ça sonne beau, on dirait des petits poèmes télégraphiques. Elle dit que ce sont des cris qui attendent leur écho. Moi je lui dis que ce sont des appâts qui attendent leur poisson. Comme on est tous les deux d'accord, on se quitte bons parents, au revoir et à mardi. Et puis je retourne à ma place.

Assis sur ma main, posée sur le ciment froid, je regarde les petits soldats s'affairer, remuer la poussière, puis partir à la guerre. Souvent, je m'attarde sur ceux qui ont l'air d'être les plus féroces. Ce que j'aime par-dessus tout, c'est les imaginer avant, il y a longtemps, quand ils étaient enfants. Y en avait toujours un pour faire son malin devant les copains ou pour épater les filles de la galerie marchande. Ils ne travaillaient pas, ils étaient romantiques, ils ne cachaient pas la peur, la joie ou la tristesse pour faire comme les grands.

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Fannie
Posté le 09/06/2021
Coucou, Edgar Fabar !

Voilà un joli texte dans lequel narrateur décrit sa mère et se raconte avec une certaine poésie. Comme Fy, j’aime beaucoup la phrase « On dirait qu'elle a avalé le soleil ». À l'instar d’autres lectrices, j’ai eu de la peine à comprendre le dernier paragraphe : la métaphore des petits soldats ne tombe pas sous le sens.
Mais ce petit récit est plaisant à lire.
Coquilles et remarques :
— Quand je lui demande, pourquoi moi je n'ai pas sa joie de vivre ? Elle me répond (…) [Il faut choisir entre l’interrogation indirecte « Quand je lui demande pourquoi moi, je n'ai pas sa joie de vivre, elle me répond (…) » et la citation « Quand je lui demande : « Pourquoi moi, je n'ai pas sa joie de vivre ? », elle me répond (…) »]
— Elle me répond que moi je suis un fruit de l'hiver [Virgule après « moi ».]
— Dès fois quand même, j'aimerais être une cerise [Des fois]
— Ce que j'aime par dessus tout [par-dessus tout]
Edgar Fabar
Posté le 27/06/2021
Merci Fannie. Pour ton avis et pour ta relecture attentive. Tes remarques et observations sont justes, j'en ai pris certaines en compte car elles amélioraient le style.
A bientôt j'espère,
Fy_
Posté le 28/10/2020
Là j'avoue que je reste sur ma faim ! Le point après la dernière phrase fait comme la ceinture de sécurité qui bloque quand on freine trop vite, c'est la fin du texte, ou il a été coupé ?
Sinon j'aime beaucoup tes métaphores, avaler le soleil c'est une belle image pour décrire la joie :)
Le titre est très accrocheur, comment t'es venue cette idée ?
Merci pour le partage et à bientôt !
Fy
Edgar Fabar
Posté le 01/11/2020
C'est vrai que c'est un peu court jeune homme aurais-je pu me rétorquer si j'avais été.. jeune (rires). Il n'a pas été coupé, je l'ai écrit il y a un bon moment, bien avant toute cette tragicomédie virale. Le titre n'a donc rien à devoir à l'actualité. Je n'ai pas réfléchi au pourquoi du comment de ce titre. Peut-être que rapidement, la tristesse à l'instar d'un virus est un foyer qui se développe en nous, et dont les symptômes nous submergent parfois, en cela elle est pareille à une maladie.. et aussi peut-être que la tristesse est comparable à la joie, en cela qu'elle est aussi contagieuse.. enfin je crois.
Merci pour ton mot sympathique !
À bientôt oui !
- Y
Eleutheris
Posté le 25/09/2020
Une jolie écriture, poétique. Un peu à la Camille Anseaume, ou comme dans "en Attendant Bojangles".
Mais on croirait que ce récit n'est pas terminé, est-ce volontaire?
Certaines expressions sont bien trouvées "je suis le capitaine de mon spleen" mais si je puis me permettre de relever une maladresse : Elle me répond que moi je suis un fruit de l'hiver, et qu'elle, c'est un fruit de l'été et que c'est très bien ainsi. " j'aurais supprimé le moi, et à la fin, le "que", j' aurais utilisé du discours indirect libre pour donner plus de vie au dialogue :

Elle me répond que je suis un fruit de l'hiver, et elle, un fruit d'été. Mais finalement, n'est-ce pas mieux comme ça?

Evidemment, ce n'est que mon opinion, le récit reste agréable à lire.
Edgar Fabar
Posté le 04/10/2020
Merci chère lectrice. Je ne connais ni l'une ni l'autre de tes références (je vais aller jeter un oeil)

Il s'agit d'une série dite de “contes photographiques“ où à partir d'une photo réalisée par un ami photographe, j'ai cherché à imaginer une histoire courte, et suspendue comme la vie à l'intérieure d'une photo.

Pour les remarques sur le style, c'est intentionnel, c'est la façon de s'exprimer que j'ai voulue pour ce personnage à l'humeur mi-figue mi-raisin (ou plutôt mi-clémentines mi-pamplemousse)

À bientôt j'espère,
Livillia
Posté le 22/09/2020
J’ai beaucoup aimé votre écriture qui dégage beaucoup de délicatesse, par contre comme le lecteur d’avant je ne suis pas sure de saisir le dernier paragraphe ...
Edgar Fabar
Posté le 04/10/2020
Merci merci pour le compliment et la lecture. J'ai répondu à la lectrice d'avant. En synthèse, les grandes personnes les adultes sont souvent sérieux, surtout quand il y a du monde autour d'eux (transport en commun, la rue...) derrière ce masque, il aime imaginer qu'ils ont été des enfants, plus fantasques, plus spontanées, plus libres d'exprimer tout ce qu'il leur passe par la tête ! Voilà. A peu près.

A bientôt !
Herbe Rouge
Posté le 20/09/2020
J'ai bien aimé le début, mais le dernier paragraphe, je ne suis pas certaine de l'avoir vraiment compris, du coup je suis un peu déçue...
Mais c'est bien écrit et agréable à lire :)
Edgar Fabar
Posté le 04/10/2020
Merci chère lectrice.

C'est le récit intérieur d'un homme un peu las et abattu, qui est pris par une certaine mélancolie quand il observe les gens (les petits soldats) qui s'affairent autour de lui. Il aime penser que ces gens qui ont un air décidé, parfois dur, sévère ou fermé, disons concentré pour faire court (comme dans les transports en commun), ont été des enfants, et il les imaginent redevenus des enfants, étant dans l'expression spontanée plutôt que dans la retenue qu'impose la vie en société, celle des grandes personnes. Pas sur ce que ce soit plus clair ce que je te dis là. (sourire)

Salut !
Herbe Rouge
Posté le 04/10/2020
Merci pour l'explication :)
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