La visite

Élyria, dans sa combinaison orange, est allongée sur le dos. Les mains croisées sous la tête, posée sur un oreiller blanc, elle regarde le plafond beige. Les petites taches de rousseur sont harmonieusement disséminées sur son visage sans pommettes. Des yeux marron clair, dont le contour noir contraste avec la blancheur de sa peau et le cuivré de ses cheveux mi-longs. Ce maquillage permanent renforce le côté froid et énigmatique de son regard.

Situé au fond de la cellule, le lit fait toute la largeur de la pièce. Deux mètres. À une cinquantaine de centimètres, un parallélépipède lisse, mince et blanc soutient un matelas épais. Il n'y a pas de drap. Juste une housse blanche, étanche et ignifugée. Par terre, rangés l'un à côté de l'autre, des sabots oranges en matière synthétique.

Élyria est là, allongée, immobile, sereine. Elle respire calmement. Elle attend.

Elle attend son procès, ici, dans l'une des huit cellules du quartier haute sécurité. Elle devra attendre quelques jours, une semaine tout au plus. Après, elle attendra son exécution. Pour elle ça ne fait aucun doute, elle sera exécutée. Une injection… et ce sera fini. Il lui reste un mois à vivre… peut-être moins.

Le buste d'un droïde apparaît sur la face intérieure de la porte. Il a la chemise bleu clair des gardiens. Les inscriptions « Niota Service Pénitentiaire » sur une bande bleu foncé au niveau du plexus solaire. Le logo circulaire sur chaque épaule.

– Madame Stone. Vous avez de la visite. Restez au fond de la cellule. Je vais actionner les lasers de sécurité.

Grâce à la puce implantée dans le bras gauche d'Élyria, le droïde sait en temps réel où se trouve la prisonnière. Le visage humanoïde disparaît de l'écran de communication.

Élyria reste immobile. Une alarme et une voix féminine métallique, encore moins humaine que celle du droïde, se font entendre. « Danger. Lasers de sécurité activés. Danger. Lasers de sécurité activés… » Les raies verticales de lumière rouge séparent la pièce de huit mètres carrés en deux. D'un côté le lit et de l'autre les toilettes, le lavabo, le bac à douche. L'alarme s'est tu. Élyria, toujours allongée, n'a pas bougé. Elle entend le léger déclic de la serrure, puis le bruit à peine audible de la lourde porte qui s'ouvre. Un homme d'une trentaine d'années entre. Le droïde referme la porte. L'homme est vêtu d'un costume gris. Une cravate noire à rayures blanches obliques. Svelte, les cheveux courts, les yeux bleu-vert, le visage émacié, il arbore une barbe élégante. Il a un grain de beauté sur la pommette gauche.

– Bonjour Madame Stone. Je suis l'agent Suarez.

Il y a un instant de silence. Le visiteur non invité attend, se demandant si la prisonnière va daigner lui répondre.

– Bonjour Monsieur Suarez. Je dois avouer que je n'attendais pas d'visite, lance-t-elle en ponctuant sa phrase d'un petit rire.

L'homme s'avance. De sa main gauche il fait basculer le strapontin blanc fixé au mur, en face des sanitaires. Il fait de même avec la petite table amovible, blanche elle aussi. Il regarde sur le lit, la jeune femme mince, allongée, immobile.

– Madame Stone, je suis relativement pressé. Je vous expose la situation de manière concise. Je travaille pour le CENTER, le Centre National de Prévention du Terrorisme, section enquêtes et statistiques. L'objectif de ma visite d'aujourd'hui est de vous convaincre de m'accorder un entretien d'une durée indéterminée. Lors de cette rencontre, vous me parlerez de vous, de votre passé, de tout ce qui pourrait nous aider à mieux comprendre pourquoi vous avez commis cet attentat.

Dans le même temps, Élyria se lève et vient lentement vers lui, pieds nus, avec grâce. Puis, de sa main droite couverte d'éphélides, elle fait basculer l'autre strapontin, mais pas la tablette. Elle s’assoit, les jambes tendues, les pieds croisés, les orteils à quelques centimètres des lasers. À aucun moment elle n'a baissé les yeux. L'agent Suarez, en finissant sa dernière phrase, a jeté un bref regard vers ses pieds. Élyria, les bras croisés, le regarde droit dans les yeux, semblant déjà vouloir sonder son âme.

– Il me reste relativement peu de temps à vivre, dit-elle l'air détaché. Qu'est-ce qui vous fait croire que je désire passer une partie de ce temps précieux à… bavarder avec vous ?

– Vous serez peut-être condamnée à la prison à vie. L'espoir est mince, mais il existe.

– L'espoir… Il n'y a plus d'espoir. Et vous le savez très bien. Que cela soit bien clair agent Suarez… vous m'êtes antipathique.

– Ma présence n'a rien d'agréable pour vous. Je l'entends parfaitement. Pour vous inciter à accepter l'entretien, la loi nous autorise à vous proposer une contrepartie.

– Qui va décider de c'que j'peux obtenir ?, demande-t-elle avant de sourire. Ce n'est certainement pas vous… Monsieur Suarez.

– Non. En effet, je n'ai aucun pouvoir de décision en la matière. Je vais transmettre votre demande à mon supérieur. Demande qui passera du CENTER à Niota Sécurité Pénitentiaire. Et au final, dans quelques jours, peut-être une semaine, quelqu'un dans un bureau décidera. Vous le savez sûrement, en général on accepte une ou deux demandes permettant d'améliorer le quotidien.

– Vous m'faîtes perdre mon temps. Comme contrepartie… je demande d'abord du temps. J'estime qu'il me reste environ un mois à vivre. Savez-vous quelque chose à ce sujet ?

– Votre affaire est très médiatisée Madame Stone. L'opinion publique ne comprendrait pas qu'on attende trop longtemps. Si vous êtes condamnée à mort, vous serez sûrement exécutée avant la fin du mois. Dans ce cas il vous reste… environ trois semaines.

Élyria hoche la tête en souriant.

– Trois semaines de plus… c'est une demande raisonnable d'après vous ?

– Certains ont réussi à en obtenir deux. Mais trois, franchement… je n'sais pas. Autre chose ?

– Il est hors de question que cet entretien ait lieu avant le 15 du mois prochain. Je n'ai aucune confiance en vous, ni en cette machine dont vous n'êtes qu'un rouage.

Un instant de silence.

– Je suppose qu'il est inutile de négocier, finit par dire l'agent Suarez.

– Vous supposez bien. Deuxième condition. Il doit bien y avoir un restaurant digne de ce nom dans c'patelin. Non ? Je veux manger aut' chose que la bouffe dégueulasse qu'on sert ici. De la nourriture correcte tous les samedis soir. Ça aussi c'est pas négociable.

– Très bien, dit l'agent Suarez. Trois semaines et un repas spécial le samedi soir. Je transmets. Vous serez informée de la suite qui sera donnée à votre demande par l'un des gardiens. Au plaisir de vous revoir Madame Stone.

L'agent du CENTER se lève, se retourne pour se trouver face à la porte. Il met sa main droite, les doigts ouverts, sur l'écran de communication. Le droïde ne tarde pas à venir ouvrir la porte. L'homme au costume gris disparaît.

«Lasers de sécurité désactivés».

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Azurys
Posté le 27/04/2025
Bonjour Teddy (: Et bienvenue sur Plume d'Argent, il semblerait.

Ce premier chapitre est bref et efficace. J'ai sincèrement beaucoup apprécié le rythme maitrisé, rapide, concis, mais pas sommaire non plus. L'aspect SF est amené rapidement mais efficacement, et la simplicité du contexte de ces premières lignes rend l'immersion très simple. C'est un bon choix d'amorce, il me semble.

Le personnage d'Elyria me plait beaucoup, et je ne doute pas que tu sauras en faire un élément très intéressant à l'avenir. Pour l'instant, on ne peut la qualifier que de charismatique et intimidante, mais j'espère pénétrer dans sa psyché au fil des chapitres.

Hâte de lire la suite de cette histoire ! bonne écriture (:
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