Peu importe qu’il fut esquinté à la ganja ou que minuit fut passé depuis longtemps ou encore que ses muscles : quadriceps, fessiers, ischio-jambiers fussent tout prêts de rompre, Victor courut à perdre haleine jusqu'à Tatoo à toute heure.
Plusieurs kilomètres d’une course folle, sous les entrelacs métalliques du métro aérien. L’œil collé au téléphone, cherchant la direction dudit magasin, il manqua se fracasser au croisement Barbés et Rochechouart, se rattrapant de justesse à une grille qui lui érafla brutalement le biceps. Là, Victor se défit du smartphone et de la chemise ensanglantée, déchirée, sous laquelle malgré l'orage il était en nage. A dire vrai, rien n'aurait pu troubler sa trajectoire. Ni le sang, ni la sueur, ni encore moins les colères du ciel.
Bataillons de cyclopes dans la nuit, les lampadaires braquèrent leurs projecteurs sur lui jusqu’à ce qu’il eut atteint la boutique de tatouage. Une enseigne crépitait derrière la devanture, telle une oasis de néon, égarée au milieu des façades monotones des édifices hausmanniens. « L'AMOUR CRÈVE AU SOLEIL ». L’inscription frappa Victor. Il ressentait précisément cela. Un jour viendrait où l'intensité ne serait plus explosion, où l'attirance n'aurait plus emprise totale, et au bout du compte, où la lâcheté l'emporterait : l'amour kamikaze serait hors d'état de nuire. Si ça devait finir par arriver, il voulait se souvenir de la passion qui l'electrisait aujourd'hui. Voilà pourquoi, il y avait urgence à sauter du train en marche, avant que l'amour ne se fige inéluctablement, terrassé par le regard gorgonesque du temps. Marquer sa chair au plus vite ! Maintenant ou jamais se répétait le jeune garçon en poussant la porte de son épaule amochée.
Au fond d’une pièce aveugle, balafrée par la lumière artificielle, une femme était perchée sur une tabouret tout en zèbre et fourrure. Fumant en silence, elle écouta l’urgence absolue qui consumait Victor. Lorsque le garçon lui tendit son torse, elle sut que seule l’encre pourrait le soulager. Juste sous le cœur, elle enfonça son dard bariolé. Là où le garçon voulait que l'aiguille marque les mots qui diraient un jour : quelque chose est arrivée.
L’aube annonçait le come-back du jour et de son clair empire. Le frottement du pansement de fortune contre ses côtes, et l’idée qu’il marchait vers le sud là où elle habitait, lui fit ressentir la joie plus qu’aucun autre jour auparavant.
Les quelques berlines qui le frôlaient au nord de l’autoroute, ne manquaient pas de klaxonner à l’encontre de ce très jeune homme qui courrait à moitié nu sous la pluie battante.
On était presque à la fin de l’été. Le futur était déjà doux et ardent.