En des temps reculés, dans les profondeurs ténébreuses d'une forêt qui recelait autant de mystères que le ciel abrite d'étoiles et de secrets, demeurait une araignée. Elle était si vieille si petite et si esseulée, qu'elle se fondait si profondément dans les ombres de la canopée que seul les moucherons qu'elle dévorait se souvenaient parfois qu’une telle prédatrice s'y cachait.
L'Arachné si redoutée était la source de tant de craintes et de rumeurs insensées que presque tous les habitants de la forêt la laissaient demeurer en paix à chaque saison qui passait. C'est qu'avec ses huit longues pattes semblables à des griffes acérées et son corps paré de sombres reflets, elle ornait, tel un cruel solitaire, sa toile de soie qui dansait jour et nuit entre les arbres creux comme les parures d'une mariée.
Aucun fiancé, cependant, ne s’aventuré jamais assez près pour observer la danse à laquelle, tout l'automne durant, elle se livrait. Bien qu’elle se souvienne vaguement d’un prétendant qui, jeune fille, l’avait approché. Mais le trouvant ennuyeux à souhait, elle avait eu tôt fait de le croquer. Où peut-être était-il si petit à son côté qu’elle l’avait confondu avec son déjeuner. C’était il y a si longtemps qu’elle ne pouvait se rappeler les circonstances exactes de son veuvage prématuré. Elle faisant élégamment vibrer sa toile toute perlée de buée des sons les plus parfaits tandis que les derniers papillons mourants de l'année venaient s'y poser. Ils trépassaient entre ses bras qui tortillaient les fils, les enveloppant de notes enchanteresses avant de les dévorer.
Car son piège inéluctable, si effrayant qu'il soit, s'était transformé en harpe de soie blanche frémissant au gré du vent. De saison en saison, de tissage en tissage et dans la solitude des nuits sous les frondaisons, l'araignée avec ses huit bras de chasseresse s'était fait une raison et avait appris l'art d'habiller le temps avec ses compositions pour faire mentir l'horreur de sa réputation.
Si la plupart des animaux des bois passaient leurs chemins sans jamais prêter l'oreille aux mélopées qui résonnaient entre les branches, quand la tempête soufflait aux plus terribles heures de l'automne dans la forêt, il en était un qui parfois se montrait sensible à la beauté du chant mortel entonné par la veuve recluse, pendu sur sa toile tissée.
C'est que fut un temps où l'habile musicienne qui logeait dans les recoins sombres des feuillages épais n'avait pas encore acquis une minuscule fraction de la glorieuse célébrité du chanteur ombrageux qui se risquait, les nuits sans Lune, à venir l'écouter. De cela, lui seul pouvait se targuer. Quand dans toute sa gloire il se drapait, ce terrifiant arpenteur des montagnes et des vallées, menant par son chant sonore les meutes des prédateurs les plus redoutés, faisait fuir loin du monde sauvage les bipèdes enragés.
Mais à l’heure où cette histoire vous est contée, nulle meute ne courait plus dans la forêt aux cimes dorées. Et le chanteur, s’il n’avait pas fait taire sa voix de ténor si redouté, était passé de l’opéra à la criée. En se réfugiant, exilé solitaire, au plus profond du bois, le loup hurlant avait aux yeux du monde perdu toute son aura. Les chasseurs, bûcherons et métayers méprisants des limites de leur monde, n’entendant plus les chants menaçants, promesses de mille tourments, s’aventurèrent plus souvent et plus avant au-delà des sentiers. S’offensant d’y rencontrer les habitants de ses lieux refusant de céder leurs maisonnées, ils les en chassaient sans courir le risque de se faire dévorer.
Solitaire et la Veuve se côtoyaient depuis de longues années, sans jamais deviser ni vraiment s’ignorer. Le premier, de coutume, gardait le silence et venait écouter les récitals de la seconde, d’autant plus appréciables que là où elle demeurait, aucune autre bête n’osaient venir interrompre la quiétude des concerts improvisés. Sauf en une mémorable occasion, où un ourson maladroit au pelage curieux s’était empêtré dans la toile de l’araignée en filant comme une flèche dans le sous-bois, l’obligeant à tout rebâtir de façon fort grossière, comme le font parfois les jeunes gens mal élevés. S’il avait été un papillon, la Veuve se serait fait un devoir de l’entortiller dans ses fils avant de le manger.
Un jour, vers la fin de l’automne, quand un froid polaire s’installait et qu’un vent pénétrant agitait la toile de l’araignée, la distrayant de l’absence de repas par quelques notes qu’elle put jouer sur sa harpe entre les branches toute de guingois, Solitaire hurlait si fort que ses cris couvraient la musique, le hululement des chouettes, même le bruit du vent et couvrait la tempête qui menaçait.
L’Arachné qui ne parvenait plus à se distraire de son ventre vide grâce à ses mélopées trouvait son visiteur plus irritant qu’à l’accoutumé, elle qu’y s’accommodait si bien d’une vie isolée loin de toute société, hormis celle des proies qu’elle dévorait.
- Solitaire, si je le pouvais, je tisserais mon fil sur ta gueule pour que tu cesses de hurler ! Ce son est plus insupportable encore que l’était la complainte du sanglier quand les chiens sont venus le traquer. Plus intolérable que les chamailleries des oursons qui se croient tout permis sous prétexte qu’ils pèseront bientôt plus lourd que tous les rochers de la vallée ! Plus épouvantable que les monologues de la Pie qui tente d’inculquer des âneries à n’importe qui !
Le loup, à ses mots, se tut et répondit :
- Hélas, si je le pouvais, je ferais mieux que hurler et hurler et hurler seul dans les ombres pendant que les épagneuls tannent le cuir des porcs sauvages. Si j’avais pu, je les aurais tous dévoré, comme tu ne te prives pas de le faire avec les papillons et les moucherons qui tombent entre tes pattes de lyriste accompli, se désola Solitaire. Ainsi les villageois se tiendraient loin de nos bois. Peut-être, dans ce cas, la Pie cesserait-elle ses jacasseries.
- Alors pourquoi ne t’y attele tu donc pas ? l’interrogea la Veuve, interloquée par cette étrange réponse.
C’est qu’avoir à disposition un habitant près à rendre de tels services serait pour la vallée tout entière une bénédiction. La perte d’un blaireau ou d’une biche de temps en temps ne serait pas un prix trop exorbitant face à la perspective de la tranquillité.
Solitaire au début, ne sut que répondre. La vérité lui était fort embarrassante. Car un Loup qui marche seul n’est plus le chasseur implacable et redouté qui appelle ses congénères sous la lune avec un chœur de célébration. Il se mit à réfléchir puis, décidant que l’araignée ne lui avait jamais causé aucun tort, il lui confessa la source de son embarras.
La Veuve, entre deux mesures qu’elle fredonna, réfléchit aux implications de tout cela. Considérant que si Solitaire tirait son trouble de la même cause que celle qui lui avait valu son nom et qu’il manquait plus de rythme que de voix, seul il ne parviendrait jamais à reconquérir son trône de gardien des forêts et des bois.
Alors, délicatement, elle se glissa près de son oreille et tapa de ses huit pattes le tempo d’une chanson qui bientôt annoncerait le renouveau de la chasse sauvage dans la contrée de la Dame Araignée.
Viens avec moi déferler,
A la traque sous le ciel étoilé,
En spectateur émerveillé
Les étoiles et les comètes sont venues danser
D’ici jusqu’au lever, chassons sous les étoiles et le croissant doré
Viens avec moi contempler,
Le reflet dans la rosée,
Des matins épouvantés,
Sous les cimes illuminées
D’ici jusqu’au lever, chassons pour les étoiles et le croissant doré
Sous la voute de noir drapée
Dansons, dansons,
Pour le croissant qui s’est levé
La terrible comédie
De la ronde de nuit
D’ici jusqu’au lever, chassons ! oui célébrons pour les étoiles et le croissant doré
Viens avec moi contempler
Le spectacle du ciel du soir
Les astres élevés
Les étoiles, les comètes et le croissant doré
Sont venus pour briller
Sur la terrible comédie
De la chasse infinie
Dansons, oui dansons
Jusqu’à la fin de la nuit
Sous la voute drapée de noir
Nous danserons la ronde
Nous danserons la ronde
Au bois, aux prés, sous la lune blonde
D’ici jusqu’au lever, chantons ! oui traquons sous les étoiles et le croissant doré
Alors que les dernières notes s’envolaient dans la nuit noire, Solitaire sentit ses babines se retrousser. Toute la forêt vibrait au rythme des chasses qui s’annonçaient. L’euphorie qui faisait bouillonner l’air ambiant précipita les milliers de moucherons vers la toile de la Veuve qui festoya comme jamais auparavant. Quand le Loup se mit en chasse ce soir-là, les hurlements des importuns raisonnèrent jusqu’au matin suivant. Plus aucun intrus sur deux jambes ne s’aventura jamais au cœur des bois. Sauf un jour, une sorcière décoiffée qui allait à pied malgré la présence d’un cheval à son côté, mais ces deux-là étaient aussi sauvages que les bêtes de la forêt malgré leurs apparences de civilité.
Et à chaque fois que la tempête grondait et que le vent soufflait suffisamment fort pour faire siffler les feuillages et les tuiles sur les toits des maisons ou qu’une Lune dorée s’élevait dans le ciel au-dessus des bois, la Veuve venait se loger au creux de l’oreille de Solitaire et ensemble, ils entonnaient un récital qui gardait pour longtemps les gêneurs sur les sentiers, bien qu’ils leurs arrivaient à l'occasion de s’y aventurer pour les y croquer.
Fin
Nous voici dans une fable d’Halloween. C’est bien trouvé ! Le ton est froid et cassant, l’araignée et le loup n’ont à priori pas de raisons de s’entendre… mais la vie est dure et écouter un gêneur cinq minutes ne peut pas faire de mal… pour le meilleur ! J’aime les histoires où l’alliance fait la force, alors forcément ce récit m’a touchée. Bravo pour cette participation !
Par contre, je rejoins certains commentaires, je n'ai pas réussi à trouver le lien avec le thème "danse macabre". Et... parfois, j'ai trouvé la lecture est peu lourde mais c'est le style qui fait ça.
Déjà, c'est super cool de lire un texte qui a choisi une voie très différente pour cette "danse macabre" ! J'aime beaucoup le ton de contes, notamment avec les personnages qui sont désignés uniquement par leur espèce ou par des titres poétiques (la Veuve, le Solitaire) - ça fonctionne très bien ici. J'aime bien aussi qu'il y ait une certaine ambiguïté sur ce que sont vraiment les personnages - dans le sens où, à un moment par exemple, je me suis demandé si l'araignée pourrait manger l'ourson, même si logiquement ça serait impossible.
Au niveau du style plus globalement, autant je trouve certaines tournures vraiment très belles (mention spéciale à "... avait appris l'art d'habiller le temps avec ses compositions pour faire mentir l'horreur de sa réputation" - l'écho du son -tion est très beau, très musical), autant parfois, le fait d'avoir autant de phrases longues / complexes, à mon sens ça en devient un peu lourd à la lecture. Enfin, "lourd" c'est pas vraiment le mot, mais j'avais l'impression que ma voix mentale s'essoufflait à la lecture, si ça fait sens ? :'))
Merci pour le partage en tous cas !
Pour moi cette histoire est plus un conte pour enfants qu'une histoire d'Halloween.
Ceci dit, en tant que conte, il est mignon et se lit relativement facilement :)
Très joli conte, j'ai beaucoup aimé la première partie où tu décris les deux protagonistes, l'écriture est fluide et on les imagine bien visuellement. Tu as su leur donner un vrai caractère à chacun. Les deux personnages sont très différents l'un de l'autre mais ont besoin l'un de l'autre, non sans une certaine violence de la part de la Veuve. Plus qu'un conte, c'est peut-être une fable en fait. C'est une danse qui ne se dit pas.
Merci pour cette lecture.
L'ambiance oppressante du danger omniprésent était là, je l'ai ressentie. Je crois que dans ton style, il y a quelque chose qui m'a éloigné du texte. Peut-être les phrases trop longues (pour moi) par moments ? Je ne sais pas. J'en ai même perdu le lien avec le thème "Danse macabre".
Pour autant, ce n'est pas grave. J'ai peut-être choisi un mauvais timing pour lire le texte, je n'étais peut-être pas suffisamment concentré pour pleinement plonger dedans. Ou, tout simplement, ce texte n'est pas fait pour moi mais un autre lectorat. Tout est possible et cela n'enlève en rien à la qualité de ton texte. Je ne veux vraiment pas te descendre en flèche...
En lisant, j'ai relevé quelques coquilles. Tu es libre d'en faire ce que tu veux :
- quand la tempête soufflait au plus terribles heures de l'automne dans la forêt --> aux plus terribles heures
- aucunes autres bêtes n’osaient venir interrompre la quiétude des concerts improvisés. --> aucune autre bête
- Alors pourquoi ne t’y atèle tu donc pas ? --> attelles
- il lui confessa la source de son embarra. --> embarras
- D’ici jusqu’au levé, chassons sous les étoiles et le croissant doré --> lever (à corriger quatre fois, si j'ai bien compté)
- Et à chaque fois que la tempête grondait et que le vent soufflait suffisamment fort pour faire siffler les feuillages et les tuiles sur les toits des maisons où qu’une Lune dorée s’élevait dans le ciel --> ou (?)
- Le reflet dans la rosé --> rosée