L'arbre

Le chêne respirait à pleines feuilles. Le printemps éclatait et, sous le tronc protecteur, les brins de myosotis fleurissaient. 

Le vieil arbre se pencha imperceptiblement. Il regarda la femme qui s'agenouillait à son pied. Elle était jeune. Elle portait un paquet de linge blanc qu'elle déposa entre les racines, au milieu des fleurettes bleues.
Elle chantait. Sa voix se craquelait parfois, comme la glace d'un étang gelé sous un poids trop lourd. Mais elle continuait à chanter. Doucement, avec amour.
Le paquet de linge blanc n'émit pas un son. Il dormait.

Toujours agenouillée, la femme leva le visage vers l'arbre et lui fit une prière. "Prends soin d'elle". En silence, il lui promit.

Finalement, lentement, amèrement, elle se leva. Elle s'éloigna le long du chemin. 

Le vent emporta sa berceuse.

Après quelques mètres, elle se retourna. L'arbre lui sourit. A son pied, le paquet de linge blanc s'était évanoui. Un brin de myosotis bourgeonna parmi les autres. 

 


Note : cette histoire est inspirée de la tradition des "arbres à femmes" ou "arbres porteurs". Dans les villages qui ne disposaient pas de "tours à enfants", les filles-mères qui ne pouvaient se résigner à tuer leur nouveau-né les déposaient au pied d'un arbre, au carrefour de plusieurs chemins, espérant ainsi qu'il serait adopté. Et les femmes ne pouvant concevoir priaient pour y trouver un nourrisson.

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Tatu_Philosophe
Posté le 28/10/2020
C'est... Particulier mais très intéressant, j'aime beaucoup et vais probablement me plonger dans cette série de nouvelles avec délectation. J'aime beaucoup le concept, à vrai dire, mais je doute être capable de tenir ce genre de rythme, malheureusement
Espelette
Posté le 30/10/2020
Contente que ça te plaise.
À vrai dire, c'est pour l'instant une des seules méthodes qui me permet d'écrire. Un chronomètre de 5 minutes et je me plonge. J'essaie de me frotter à des textes un peu plus longs, mais toujours avec cette méthode de 5 minutes.
Samjack
Posté le 11/04/2020
Un retour à la nature en quelque sorte.
C'est terrible et en même temps très beau. On a envie d'espérer que le nourrisson soit trouvé et en même temps, on se dit que s'il ne l'est pas, Mère Nature veillera sur lui.
Merci pour cette ode à la vie finalement.
Espelette
Posté le 12/04/2020
Et merci pour ton commentaire premier fan ;) C'est terriblement motivant de se savoir lue.
haïku
Posté le 02/04/2020
Ce texte est magnifique. Il m'a touché. Tes mots sont très bien choisis; très poétiques. Merci pour le partage de la tradition; je ne la connaissais pas.
Espelette
Posté le 04/04/2020
Merci Haïku :) ça fait très plaisir à lire.
Kieren
Posté le 31/03/2020
En Amérique du Sud, il a un arbre qui s'appelle "El Lechero".
Si l'on coupe une racine, la sève qui s'en écoule est blanche comme du lait. Alors on enterre à son pied les nourrissons et les bébés qui ne survivent pas, afin qu'ils puissent boire du lait pendant toute l'éternité.

Je ne connaissais pas cette histoire des arbres porteurs, mais je suis content que tu nous l'aies racontée.

Ce qui est chouette avec tes histoires, c'est qu'on peut prendre notre temps pour la lire, un peu comme de la poésie. Elles sont courtes, et il y a plein de détails qui ont leurs importances. Certains apportent des explications, d'autres apportent une nuance, une atmosphère.
C'est riche comme histoire.
Espelette
Posté le 01/04/2020
Merci beaucoup Kieren.

Je ne connaissais pas la tradition d'El Lechero. L'image est très forte aussi.
Liné
Posté le 24/03/2020
Je trouve ça toujours bluffant, de lire une plume sur plusieurs textes courts et de voir en un rien de temps la diversité de style : ici, contrairement au côté métronome de la nouvelle précédente, il y a quelque chose de plus "coulant".

On devine assez bien que la femme délivre un (son) nourrisson au pied de l'arbre. Le fait qu'il "s'évanouisse" laisse à croire que l'arbre en prend soin : soit que le bébé trouve des parents, soit qu'il meurt dans la nature...

A très vite !
Espelette
Posté le 24/03/2020
Merci pour ton commentaire Liné. Est-ce qu'on comprend bien qu'elle apporte un bébé ou est-ce que c'est la note qui t'a donné cette indication ?
"Un brin de myosotis bourgeonna parmi les autres", donne l'idée poétique que le nouveau-né s'est transformé en myosotis et que le tapis de fleurs au pied de l'arbre représente tous les enfants qui y ont été abandonnés. Mais peut-être n'est-ce pas clair. Je tenais à rester très sobre et à ne pas trop en dévoiler.
Liné
Posté le 25/03/2020
Je te rassure, le texte suffit (pour moi) à comprendre qu'elle apporte un bébé (c'est d'ailleurs joliment suggéré !). J'étais tout de même contente d'avoir la note de fin parce que je ne savais pas que ces arbres avaient un nom précis.
Sur la fin et le bourgeonnement, j'ai eu cette interprétation (tout en me disant qu'il y en avait d'autres possibles, et qu'elles ne s'annulaient pas entre elles)
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