Le chêne respirait à pleines feuilles. Le printemps éclatait et, sous le tronc protecteur, les brins de myosotis fleurissaient.
Le vieil arbre se pencha imperceptiblement. Il regarda la femme qui s'agenouillait à son pied. Elle était jeune. Elle portait un paquet de linge blanc qu'elle déposa entre les racines, au milieu des fleurettes bleues.
Elle chantait. Sa voix se craquelait parfois, comme la glace d'un étang gelé sous un poids trop lourd. Mais elle continuait à chanter. Doucement, avec amour.
Le paquet de linge blanc n'émit pas un son. Il dormait.
Toujours agenouillée, la femme leva le visage vers l'arbre et lui fit une prière. "Prends soin d'elle". En silence, il lui promit.
Finalement, lentement, amèrement, elle se leva. Elle s'éloigna le long du chemin.
Le vent emporta sa berceuse.
Après quelques mètres, elle se retourna. L'arbre lui sourit. A son pied, le paquet de linge blanc s'était évanoui. Un brin de myosotis bourgeonna parmi les autres.
Note : cette histoire est inspirée de la tradition des "arbres à femmes" ou "arbres porteurs". Dans les villages qui ne disposaient pas de "tours à enfants", les filles-mères qui ne pouvaient se résigner à tuer leur nouveau-né les déposaient au pied d'un arbre, au carrefour de plusieurs chemins, espérant ainsi qu'il serait adopté. Et les femmes ne pouvant concevoir priaient pour y trouver un nourrisson.
À vrai dire, c'est pour l'instant une des seules méthodes qui me permet d'écrire. Un chronomètre de 5 minutes et je me plonge. J'essaie de me frotter à des textes un peu plus longs, mais toujours avec cette méthode de 5 minutes.
C'est terrible et en même temps très beau. On a envie d'espérer que le nourrisson soit trouvé et en même temps, on se dit que s'il ne l'est pas, Mère Nature veillera sur lui.
Merci pour cette ode à la vie finalement.
Si l'on coupe une racine, la sève qui s'en écoule est blanche comme du lait. Alors on enterre à son pied les nourrissons et les bébés qui ne survivent pas, afin qu'ils puissent boire du lait pendant toute l'éternité.
Je ne connaissais pas cette histoire des arbres porteurs, mais je suis content que tu nous l'aies racontée.
Ce qui est chouette avec tes histoires, c'est qu'on peut prendre notre temps pour la lire, un peu comme de la poésie. Elles sont courtes, et il y a plein de détails qui ont leurs importances. Certains apportent des explications, d'autres apportent une nuance, une atmosphère.
C'est riche comme histoire.
Je ne connaissais pas la tradition d'El Lechero. L'image est très forte aussi.
On devine assez bien que la femme délivre un (son) nourrisson au pied de l'arbre. Le fait qu'il "s'évanouisse" laisse à croire que l'arbre en prend soin : soit que le bébé trouve des parents, soit qu'il meurt dans la nature...
A très vite !
"Un brin de myosotis bourgeonna parmi les autres", donne l'idée poétique que le nouveau-né s'est transformé en myosotis et que le tapis de fleurs au pied de l'arbre représente tous les enfants qui y ont été abandonnés. Mais peut-être n'est-ce pas clair. Je tenais à rester très sobre et à ne pas trop en dévoiler.
Sur la fin et le bourgeonnement, j'ai eu cette interprétation (tout en me disant qu'il y en avait d'autres possibles, et qu'elles ne s'annulaient pas entre elles)