L'attaque

Chapitre 6.

Si les amis de Caleb n’avaient pas saisi en quoi il considérait que son anniversaire soit un truc de fou, ils furent ravis de pouvoir partager leur repas tous ensemble et de pouvoir pratiquer les activités qu’ils avaient prévu pour l’occasion.
Au milieu de l'après-midi, ils se mirent par deux pour leur balade en canoë. Le jeune adolescent se retrouva en tête à tête avec Zoey, l’une de ses camarades qu’il connaissait depuis des années maintenant. Elle était dans sa classe lors de ses années primaire et l’avait perdu de vue durant ses années de collège. Pour elle, c'était une bénédiction de le retrouver au lycée. Il n’était plus l’enfant timide et solitaire mais elle ne pouvait nier qu’il était toujours un peu dans son monde et que la solitude avait toujours la part belle dans son quotidien. Elle s’était assise à l’arrière du canoë, l’observait d’abord en silence avant de tenter de reprendre la conversation avec lui.

- Tu te rends compte quand même que la dernière fois que je t’ai vu c’était il y a plus de 5 ans? C’est fou que l’on se retrouve que maintenant non?
- En même temps, j’avais supplié mon père de ne pas me mettre au collège le plus proche pour éviter de voir encore les têtes de Calvin et ses supers potes.
- C’est vrai qu’ils n’étaient pas tendre avec toi. Comme au camping quand ils avaient essayé de te faire peur sous la tente ou…
- Ça va Zoey, je m’en souviens t’en fais pas et c’est exactement pour ça que je voulais être loin d’eux. Enfin, maintenant je m’en fous, on a grandi et pour réussir à me faire peur c’est pas gagné.

Il soupira, fixa la surface de l’eau en se demandant si la créature allait réapparaître et fronça les sourcils en voyant le Maymaygwashi qui passait juste sous leur canoë. S’il cherchait à les renverser, il y avait fort à parier que Caleb se mettrait en colère mais rien. La petite créature semblait jouer dans les remous que leur embarcation provoquait et il ajouta.

- Mais alors et toi? On n'en a pas parlé. Comment ça se fait que tu ailles si loin au lycée? On habite à deux rues non?
- Mes parents ont divorcé. J’ai déménagé avec ma mère comme elle a la garde et du coup c’est plus proche pour moi. Au départ, je ne te cache pas que j’avais peur d’avoir du mal à me faire des amis mais quand j’ai vu qu’on était dans la même classe, je me suis tout de suite sentie rassurée. On s’entendait pas mal à l’époque. Enfin, quand tu acceptais de me répondre c’était toujours un peu froid mais ça allait!
- Oh tu sais, je ne suis toujours pas un grand bavard et puis vu l’ambiance de la classe à l’époque je pensais toujours que la gentillesse pouvait cacher de futures moqueries ou autres, donc je préférais éviter tout ça, et de loin!

Zoey comprenait bien, glissant sa main dans l’eau pour arroser Caleb, elle se mit alors à rire pour essayer de détendre l’atmosphère et s’approcha de lui en reprenant son sérieux.  

- Je n’ai jamais eu l’intention de me moquer de toi, ni de te faire du mal. J’espère que tu en es conscient maintenant. Tu n’étais pas comme les autres et je t’aimais bien. Quand tu étais dans la lune ou que tu dessinais, tu avais toujours la même expression sur le visage, la même que celle que tu avais en revenant tout à l’heure. Il y a des choses qui ne changeront jamais!
- Je ne sais pas si je dois être flatté ou avoir peur en sachant que tu m’observais comme ça et que tu le fais toujours!

La jeune fille lui donna un petit coup de poing dans l’épaule avant de se mettre de nouveau à rire. S’il y avait des choses récurrentes dans le comportement de Caleb, voir combien il avait évolué lui faisait chaud au cœur. Les rires de leurs amis se rapprochaient et soudain, l’embarcation de Zoey et Caleb se trouva percutée sur la gauche, Ted et Blaise glissaient leurs pagaies contre la coque, poussaient de toutes leurs forces avant de sentir les premiers mouvements de bascule. Contre toute attente ce furent eux qui se retrouvèrent à l’eau et Caleb secoua la tête. Il redoutait intérieurement que le Maymaygwashi ne voit d’un mauvais œil cette intrusion sous la surface de l’eau mais ce qui finit de lui hérisser les poils fut le grondement rauque qui résonna au loin. Le Mishipeshu, il n’était pas partit, il était là caché quelque part et lui aussi pouvait désapprouver ce qu’il se passait sur le lac.

- Ted, donne moi la main! S’écria Caleb en se penchant pour essayer d’aider son ami qui se débattait dans l’eau
- Vas-y aide moi! Je crois qu’il y a un truc qui vient de me toucher! Brailla l’autre en guise de réponse.

Zoey tendit sa pagaie pour essayer de leur venir en aide mais rapidement Ted et son acolyte prirent Caleb au piège. Ils le tirèrent dans l’eau avant de grimper rapidement dans le canoë, très fiers de la petite blague qu’ils venaient de lui jouer. Tous deux riaient à gorge déployée devant Zoey qui leur hurlait que ce n’était pas drôle. Les choses étaient bien différentes pour Caleb.
Le jeune homme n’avait jamais vraiment appris à nager et il luttait contre l’eau qui pénétrait dans son nez et sa bouche. Il battit des pieds en vain pour remonter mais la pression ressentie sur l’une de ses jambes le contraint à s’enfoncer plus profondément dans l’eau. La peur avait pris le dessus, la panique le poussait toujours à se débattre et là, à une brasse de lui, le Maymaygwashi. S’il le reconnaissait aisément, Caleb fut surpris de la voir désormais arborer une grande queue de poisson, ou de sirène, rien n’était moins sûr. Le rendu était étrange mais bien plus pratique pour la petite créature pour se déplacer sous l’eau. Il s’approchait de lui et Caleb ne comprenait toujours pas comment il faisait pour n’être jamais loin en toutes circonstances. Sans parvenir à parler, les yeux de plus en plus exorbités il secouait la tête pour tenter de faire comprendre à son ami qu’il devait remonter mais la créature semblait ne pas l’entendre de cette oreille. Elle s’approcha alors, posant une main sur sa joue comme lorsqu’ils étaient dans la chambre et Caleb entendit la voix qui l’accompagnait toujours.

- Tu n’es jamais seul Waban, mais tu dois vaincre. Libère-toi de tes chaînes. Trouve ta voie, ta force et ton courage en t’appuyant sur ce qui t’es cher.
- Tu dois vaincre! Libère-toi! Commanda une autre voix, plus féminine et directive, qu’il n’avait jusqu’alors jamais entendu.

Les voix allaient et venaient, répétant sans cesse les mêmes paroles. Le Maymaygwashi finissait par disparaître au loin et Caleb se laissa aller à fermer les yeux. Une main sur son pendentif pour se donner du courage il eut pourtant la désagréable sensation d’être tiré encore plus en profondeur et baissa la tête. Une ombre l’avait agrippé et il pouvait sentir une vague de douleur le submerger. Caleb garda une fraction de seconde le regard fixé vers elle puis, dans un état de panique, recommença à se débattre. L’ombre n’en était pas une, il l’avait vu se matérialiser sous ses yeux en un gigantesque serpent bleuté. Sa queue recouverte de pointes était enroulée autour de sa jambe et le hurlement que la créature produisit en l’entraînant était tout simplement horrible. C’était un long rugissement rauque qui fit fuir tous les poissons à l’autre extrémité du lac, qui envoya valser jusqu’au moindre petit caillou sur son passage. L’adolescent se raidit, ce son était à si méprendre, aussi puissant que le tonnerre.

Sur l’embarcation, le temps semblait s’être arrêté pour le trio. Tous avaient les yeux rivés sur la surface de l’eau à la recherche de leur ami. Les deux garçons commençaient d’ores et déjà à regretter leur petite blague mais impossible pour l’un ou l’autre de le dire à voix haute. Blaise pourtant finissait par se jeter à l’eau. Il espérait voir leur camarade, remonter avec lui, mais Caleb n’était nulle part! En se hissant sur le canoë, il lâcha subitement.

- Je ne le vois pas! Vous pensez qu’il a pu nager jusqu’où sans remonter?
- Oh le con! Tu vas voir qu’il va débarquer sans prévenir! Répliqua Ted en pouffant de rire.
- Vous auriez pu nous laisser un peu tranquille! Vous l’avez bien cherché! Bouda Zoey en croisant les bras sur sa poitrine sans quitter l’eau des yeux.
- Oh! On vous a peut-être dérangé? Reprit Ted en lui lançant un petit coup de coude.
- Non sérieux? Toi et Caleb? L’interrogea Blaise les yeux écarquillés.
- Mais non, y’a rien du tout! On était juste en train de discuter. Souffla la jeune fille en levant les yeux au ciel.

Les deux garçons n’en croyaient pas un mot. D’un coup d’œil espiègle, ils se juraient en silence d’en parler à leur camarade. Pour l’heure, ils décidèrent de ramener le canoë sur la berge, espérant malgré tout, que leur ami s’y trouverait. 

Caleb et le serpent géant avaient tous deux tourné la tête en entendant le corps de Blaise entrer dans l’eau. Si l’un essayait vainement de lui hurler qu’il était là, l’autre avait soufflé un nuage qui, aux yeux de l’adolescent pris au piège, était totalement opaque et pour le second ne montrait rien d’autre que le calme apaisant du lac. La lutte entre eux deux était sans appel et le silence ne durait jamais très longtemps. La douleur de Caleb faisait écho aux rugissements du serpent. L’adolescent se sentait, à chaque seconde, plus mal encore. Les voix lui avaient dit de se battre, de ne pas baisser les bras, mais comment faire dans ces conditions? Son rythme cardiaque commençait à ralentir, ses yeux à se fermer, il pensait à ses parents, à ses grands-parents, à tout ce qu’il avait encore à vivre et apprendre. Le sommeil le guettait, il craignait de lâcher prise mais un autre rugissement vint répondre à celui du serpent et Caleb secoua la tête, il devait lutter pour sa survie. 

Le serpent fut aussi surpris que l’adolescent. Son long corps musclé se contorsionna pour chercher l’intru qui venait se mêler de ses affaires. Malgré lui, il relâcha la pression sur la jambe de l’adolescent qui en profita pour s'extirper avant de chercher à s’éloigner, à retrouver la surface et l’air libre.
Le Maymaygwashi réapparut près de Caleb, sa main l’agrippant pour le tirer plus loin lorsqu’une masse blanche fonça droit sur le serpent. Aucun des deux ne manqua une miette du combat qui suivit. Les crocs, griffes et piques s’entrechoquaient avec une violence inouïe. Les rugissements résonnaient tantôt comme des menaces, tantôt comme des preuves irréfutables des douleurs qu’ils pouvaient ressentir à se blesser l’un l’autre.

Sans comprendre pourquoi, Caleb s'inquiéta pour le grand fauve. Quand bien même il ne l’avait pas vu longtemps il sentait que ce dernier ne lui voulait pas de mal et le voir ainsi, venir à son secours, ne pouvait dire qu’une chose, il était avec lui, comme le Maymaygwashi. Le serpent reculait lentement, son regard pénétrant se posa quelques secondes sur Caleb avant qu’il ne tarde sa langue dans sa direction. Un éclair jaillissait droit vers lui et ce ne fut qu’au coup de tonnerre qui suivit que l’adolescent compris. Ce n’était pas anodin, cette créature l’avait traqué, et leur lutte venait seulement de commencer.

Maintenu par la main du Maymaygwashi et poussé par le museau du Mishipeshu, Caleb retrouva enfin la surface. Il laissa ses poumons se remplir enfin, lâcha un profond soupir avant de regarder tout autour de lui. L’embarcation de ses amis venait de toucher la berge et il ne put s’empêcher de sourire. Ils n’avaient rien vu, rien compris mais ils étaient sains et saufs et c’était bien le plus rassurant dans tout cela. Avec l’aide de ses deux alliés il rejoignit la terre ferme, s’étendit au sol en gardant un œil sur les deux créatures restées dans l'eau et souffla.

- Plus ça va et moins je comprends ce qu’il se passe. Sans votre aide, sans…sans ton aide, ce truc m’aurait tué. Il sortait d’où?
Silence, les deux paires d’yeux le fixaient avec une intensité redoutable et Caleb perçut de nouveaux les deux voix, comme si c’était eux qui lui parlaient.
- Chacun à ses amis et ses ennemis. C’est à toi de choisir tes combats. Commença la voix qu’il entendait depuis son enfance.
- Par la terre de mes ancêtres Waban, tu dois te hâter de comprendre. Répliqua la voix féminine.
- Plus le pouvoir est grand, plus les ennemis sont puissants. Mais tu n’es pas seul, tu as ta famille. Reprit la première.
- Ouai, j’ai déjà entendu ça quelque part. Mais pour ce qui est du pouvoir, je ne suis toujours pas certain de comprendre où vous voulez en venir.
- Ecoute le vent Waban, les Grands Esprits te guideront. Siffla la seconde voix à plusieurs reprises avant que ses mots ne se perdent.

Les voix s’arrêtèrent lorsque les créatures disparurent dans le brouillard. Caleb se retrouvait une fois de plus seul. Il cherchait à se redresser, grimaça sous la douleur que lui infligeait sa jambe et posa enfin son regard dessus. Le sang avait fini par coaguler, mais les traces apparentes ne laissaient aucun doute quant à la profondeur des plaies. Par trois fois il chuta en cherchant à se relever mais une fois debout, dû se tenir aux arbres pour réussir à avancer. En entendant ses amis l’appeler au loin, il prit sur lui pour répondre et les vit arriver au pas de course.

- Mais mec t’étais où? On t’a cherché partout! Lui lança Blaise.
- Il a même plongé en pensant que tu étais en train de te noyer. Appuya Ted.
- Je euh…Je ne sais pas trop. On peut retourner au camp, histoire que je mange un truc? Parvint-il à articuler.
- Tout va bien? Lui demanda Ted, l'air inquiet.

L’adolescent ne répondit pas, avança d’un pas, il retint sa respiration pour ne pas hurler de douleur. Ses deux amis le fixaient, ne comprenant pas ce qu’il lui arrivait et l’aidèrent malgré tout à avancer. Les autres les rejoignirent sur les derniers mètres et Zoey leur accorda un regard furieux.

- Cal’ tu veux qu’on appelle ton père? Tu es sûr que ça va aller? S’enquit-elle.
- On devrait peut-être plutôt appeler une ambulance! Ajouta Camille en remarquant la pâleur de leur camarade.
- Non, ça va aller. Donnez moi juste une heure ou deux. Grogna Caleb en s’allongeant sur l’une des serviettes.

Ted hésitait. L’idée de le ramener chez lui était peut-être la meilleure et après une longue négociation les jeunes prirent tous ensemble la route pour s’assurer qu’il aille bien. En franchissant la porte de la maison, tous furent soulagés de voir que James n’était pas encore rentré. Les garçons aidèrent Caleb à monter dans sa chambre et ce dernier après s’être changé et avoir déposé ses habits mouillés en tas auprès de la porte se laissa tomber sur son lit pour tomber dans un profond sommeil.
En bas, les autres s’étaient installés sur le canapé, fixant la pendule qui leur donnait l’impression que les minutes s’étiraient de plus en plus. Il leur fallut attendre 18h pour enfin voir James passer la porte à son tour. Comme d’ordinaire il appela son fils mais fut surpris de voir Ted dévaler l’escalier et les trois autres le suivre de près.

- Où est mon fils? Les interrogea-t-il sans plus de cérémonie.
- Là-haut, il dort. On doit vous dire monsieur qu’il s’est passé un truc. Commença Ted en cherchant ses mots.
- On lui a fait une petite blague mais en fait on ne sait pas vraiment ce qu’il s’est passé. Ajouta Blaise en baissant les yeux.

Les contournant en leur jetant un regard noir James monta l’escalier quatre à qutre. En poussant la porte de la chambre de son fils, il vit Zoey assise près de lui en train de lui caresser les cheveux et grogna.

- Comment va-t-il?
- On était sur le lac, les gars l’ont fait tomber dans le lac pour rire et après en ne le voyant pas remonter Blaise a sauté dans l’eau mais il ne l’a pas vu. On s’est dit qu’il était retourné vers notre coin pour leur faire une blague en retour mais il n’y était pas. On l’a retrouvé une demi-heure après, il était tout pâle, il avait dû mal à marcher et à parler. On a préféré le ramener ici et depuis il dort. Expliqua Zoey sans lui accorder un regard.
- Vous ne pouviez pas m’appeler? Siffla James entre ses dents avant de s’approcher de son fils.
- Aucun de nous n’a votre numéro et on ne connaît pas le mot de passe de Caleb. Répondit-elle en retenant ses larmes.

La jeune fille se décalait pour laisser la place à James. L’homme était inquiet et lui demanda de sortir pour rejoindre les autres en bas. Elle obtempéra mais avant de franchir la porte se retourna en couinant.

- Vous pensez que ça va aller quand même?
- Je n’en sais rien. Répondit-il froidement avant de voir le pendentif autour du cou de son fils et d’ajouter.  J’espère seulement que oui.