L'attente

Accoudée au rebord de la galerie marchande d'un hypermarché au nom de croisement routier, je contemple la population à la recherche de ma cible. Toujours invisible à mon oeil nu, je finis par être attirée par une immense tâche rouge. Il ne me faut pas longtemps pour reconnaître un de ses Père Noël de seconde zone... Et dire qu'une panoplie de gosses en culottes courtes est venue le voir... Par chance, leur innocence toute enfantine leur évitera la déconvenue. Ils n'auront pas conscience du nez trop rouge de l'individu, et avec un peu de chance ne percevrons pas l'haleine, quelque peu alcoolisée du petit papa noël.

Un soupir s'échappe de mes lèvres. J'abandonne ce spectacle pour contempler celui des décorations un peu trop orange du magasin. J'aurais pourtant juré que cette année, la mode était au rouge et or à moins que ce ne soit celle de l'année dernière. En même temps quelle idée d'instaurer une mode pour une fête censée être symbole de partage et d'amour ? Je pourrais bien sûr m'attarder quelques secondes sur ce point pour débattre, mais mes oreilles sont agressées par des cris quasi-hystériques. Je pars à leur recherche et découvre que le Père Noël semble avoir quelques soucis. Cette découverte ne manque pas de me faire sourire...

L'origine de son malheur est une charmante petite fille aux cheveux jaune paille et aux oreilles de chat. Peut-être est-ce sa fille cachée ? Celle qu'il aurait eu avec Catwoman... Après tout, dieu sait ce que peut faire le Père Noël en dehors des fêtes de fin d'année. C'est un homme après tout, et comme toute personne de la gent masculine, il aime voir si l'herbe est plus verte dans le jardin du voisin, et surtout de la voisine. Mère Noël peut bien être un canon de toute beauté, la fidélité n'a jamais été le propre de l'homme.

En tout cas, la dispute ne manque pas de piment. La petite fille n'a d'enfantin que son apparence. Ses griffes verbales sont digne d'une femme éconduite par un goujat et le Père Noël se montre digne de son statut d'alcoolique notoire. Ses paroles sont aussi fantasques que menaçantes, mais le dernier mot ne sera pas pour lui : la gamine aux oreilles de chat fait mine de se retirer de la scène avant une ultime volte-face où elle lui promet une vengeance des plus salées. Qui a bien pu dire que les galeries marchandes étaient aussi ennuyeuses qu'un cours d'histoire à la psychologie ? Pas moi, en tout cas. Enfin mine de rien, il faut que je remette au travail moi. Je me redresse donc et me relance à la poursuite de ma cible. Je n'ai aucune idée de ce qu'elle va porter, mais j'espère sincèrement qu'elle laissera au placard son immonde sac indigo. Enfin... je verrais bien quand elle daignera de montrer le bout de son nez après l'immanquable quart d'heure savoyard aux allures d'éternité.

En attendant, j'erre comme une âme en peine parmi la foule où plus rien ne se passe. Aucun gamin ne semble décider à m'offrir une représentation d'un tragique caprice. Rien. Et puis, soudain, au détour d'un énième demi-tour, je manque de percuter une femme étrange. Il me faudra quelques secondes pour comprendre le trouble qui m'a envahi : elle porte une barbe violette.

Retenant un rire nerveux, je marmonne quelques excuses à son attention. C'est là que je remarque qu'elle est assortie à un double presque identique et qu'ensemble, elles encadrent la petite fille aux oreilles de chat dont la mine est celle d'un condamné à mort. 

Aurait-on oublié de me dire qu'aujourd'hui je passe dans la quatrième dimension ?

Si la réponse me semble vitale, elle devient bien vite secondaire au moment où mon regard croise ma cible. Sans perdre une seconde, je me précipite vers elle pour une séance de shopping imminent, qui me fera oublier cette pause étrange de mon existence.