Au loin est mon île silencieuse
Sereine et improvisée
Où chante attristée et mystérieuse
La sirène à l'alizé
Sur l'eau bleue qui psalmodie et s'anime
Danse une barque indécise
Emmenée par l'océan magnanime
Sur sa longue vague grise
Dans le ciel bleu, glissent les bartavelles
Leur vol langoureux m'étonne
Où vont-elles, belles intemporelles ?
Les palmiers déjà frissonnent
Loin, si loin sont mes îles orageuses
Suppliantes et oubliées
Où vont diaphanes et audacieuses
Voiles et âmes liées
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Orées sableuses, plages d'aloès
Où parfois, dans son voilage
Apparaît, nébuleuse, une déesse,
Frêle immortelle au sublime visage
Une vague chante, l'autre fredonne
Par cette dame conquise.
La dernière se dresse et s'abandonne
Et pétille d'une dentelle exquise
Qu'inlassablement la vague ne meure
Revive et s'enivre encore,
Passe et s'attarde, mais toujours demeure
Douce parure sonore
Elle se relève, se gonfle et s'étale
Dans sa lumière limpide
Vient s'y mirer une simple vestale
A la peau brune et humide
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Ile blonde aux matins de porcelaine
Quand le flot lisse chuchotte
Et que l'on croit apercevoir, lointaine,
Une nymphe venue prier, simple et dévote
Nulle brise ne vient encore ondoyer
Nulle voile familière
Seuls, deux goélands viennent déployer
Leurs ailes aventurières
La plaine, immensément, est un mirage.
A la pâleur matinale,
J'aime rêver à de bleus pâturages
Et à l'ivresse abyssale
Puis, le front baissé sur l'eau cristalline,
Par la tièdeur réjouie,
Je recueille la source diamantine
Dans mes mains, évanouie
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L'île, peuplée encore d'un léger songe
S'éveille blanche et candide
Mais la rosée, un instant, se prolonge
Sur l'oubliée thébaïde
Elle tresse des colliers de perles rondes.
De ce céleste ouvrage,
Les plaines tièdes sont riches et fécondes
Et de l'île, l'apanage
L'aube est de laine, douce et opaline
On y sent une aile d'ange,
Une longue et fragile pèlerine
A la lumière étrange
Perdue dans les cieux aux brumes lactées,
Vois, l'étoile matinière
Qui luit encore de ses cils argentés
Sur l'étendue nourricière
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O jour naissant, frêle lueur nouvelle
A chaque fois non pareille;
Jusqu'au crépuscule qui te rappelle,
Tu es plus fier que la veille
Aube virginale, matin de cristal,
Lorsque les nues de flanelle
Laissent apparaître le végétal,
Rose, Palmiers, asphodèles...
Aube qui paresse, matin qui hésite
Entre ces nobles clartés
La vie s'éveille et peu à peu s'agite
En murmures et apartés
Chaque ciel qui naît est une promesse
Chaque aurore est un message
La nuit était naguère charmeresse
Le jour devient son sillage
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Sur l'horizon flottent des étincelles
D'or et d'argent, trépidantes.
Surprises et figées, deux noctuelles
Posent leurs ailes prudentes
L'astre lumineux, comme un autre monde
Fait de feux et de douceurs,
Répand sur l'eau calme sa rivière blonde
Jusqu'aux rives des pêcheurs
Dans le ciel, des cormorans nonchalants
Dessinent avec ferveur
Des fleurs et des grand soleils chancelants
Parmi rubans et faveurs
J'oublie là mes douces mélancolies
Mes peines et mes orages.
Il me vient dans le coeur de sages folies
Et de mystérieux courages
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Je contemple l'azur et ses nuages
Bordés d'un ourlet vermeil
Et auprès de ces prodigieux ouvrages,
Je suis à l'aigle pareil
Les vagues étoilées jouent sur les eaux,
Bercent mes yeux étourdis
Et chantent sans cesse des airs nouveaux
Par les brumes assourdis
Les cieux, au loin, lèvent leurs organdis
Dont la nuit s'était vêtue
Et découvrent cet autre paradis
A la lueur impromptue
Je sens auprès de moi une présence
Indicible et bienveillante
Qui, sans parler, me fait sa confidence
Maternelle et apaisante
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La brume s'étire comme un vitrail
A l'entour des lataniers
Qui étendent leurs feuilles en éventail
Sur les cistes printaniers
Le soleil dore et tisse ses rayons
Un par un, parmi les feuilles
Et jusqu'au plus ombragé des layons
Où fleurit le chèvrefeuille
Elles ont fui les âmes noctambules,
Souffles aimants invisibles.
Leur souvenir, encore, déambule
Auprès des ombres paisibles
Ce sont là des voyageurs sans bagages
Qui ont laissé leurs vieillesses
Et sont venues, nouveaux, sur ces rivages
Aux longues nuits poétesses
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Il vient aussi parfois sur la blanche dune
Un flot d'âmes en tristesse
Qui verse ses pleurs et son infortune
Jusqu'à ce que jour paraisse
Elles sont venues, nues et sans escales
Dévotement enlacées,
Se consoler avec leurs soeurs astrales
Loin des illusions glacées
Il y a auprès de ces coeurs en peine
Un autre âme chère à Dieu,
Une Madone indulgente et sereine
Qui leur ouvre haut les cieux
Une auréole mystique se pose
Dans cet innocent séjour
Où se mêlent les parfums de la rose
Et les premiers chants du jour
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Ile, ce matin éclose
Aux bouquets des accacias fleurissants
Et des suaves lauriers-roses
Qui agitent leurs éclats renaissants
Sous un auguste santal,
La brise, un court instant s'est attardée.
Pour son parfum oriental,
Elle a, autour de l'écorce, musardé
Dans le sentier frais et vert,
Les pawlonias retombent en tonnelle.
Les senteurs de vétiver
Se mêlent à celles de la cannelle
Je ferme encore les yeux
Pour sentir le lys et la bergamote;
L'arôme doux et soyeux,
Comme une âme en fleur, doucement, flotte
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