L’avis d’une femme sur la vie de Mahé

Par Xanne

Une ambiance tendue régnait dans le couloir. Les portes des salles d’examens étaient fermées et ne s’ouvraient que pour laisser sortir les candidats qui venaient de terminer l’épreuve pratique et laisser rentrer ceux qui devaient passer cette dernière étape d’une longue série d’examens. Contrairement aux épreuves écrites pendant laquelle tout le monde était regroupé anonymement dans une même salle, les jeunes hommes devaient passer individuellement pour ce dernier examen, réputé le plus difficile de tous. C’était l’apogée des trois semaines intenses pendant lesquelles des centaines de candidats s’étaient arrachés pour un nombre infime de places.

Parmi ces candidats, il y avait Mahé. Patientant sur sa chaise comme tous les autres, Mahé profita de l’attente pour sonder son corps noué par l’impatience et le stress. La tension était devenue sa compagne pendant les semaines de révisions et l’accompagnait à chaque épreuve. Ayant d’abord eu du mal à composer avec cette sensation, comme tous les autres candidats, la plupart d’entre eux avaient fini par l’accepter. Ça faisait partie du jeu.

La porte s’ouvrit.

- Mahé Herrmann, s’il vous plaît.

Mahé se leva de sa chaise, entra dans la salle d’examen et salua poliment les membres du jury assis derrière leurs bureaux. L'élève remit sa convocation au jury et se présenta comme un membre de la classe de Mme Torrance, en essayant de faire abstraction des regards ahuris que lui renvoyèrent tous les membres du jury, sans exception.

Sur une table étaient disposés tous les ustensiles de manipulation dont l’élève avait besoin, ainsi qu’une enveloppe qui contenait le sujet de ce dernier examen pratique.

Mahé prit une grande inspiration, décacheta l’enveloppe, sortit l’énoncé et parcourut les lignes qui dictaient le sujet. Après avoir pris connaissance de l’objet de l’examen, des résultats attendus et des conditions de restitution, Mahé s’exécuta.

Mahé avait pratiqué pendant des années pour ce moment-là. A force de s’entrainer sans répit, l'élève avait pris goût à l’intensité de l’exercice et avait fait de l’exigence son alliée. Les étapes de l’épreuve s’enchaînèrent naturellement.

Surveiller le temps, être efficace sans précipiter les gestes. Reporter les observations et les résultats sur les feuilles. Soigner la présentation pour faciliter sa relecture et la correction. Répondre aux questions de manière complète sans se perdre dans des détails inutiles.

Les minutes s’écoulèrent en silence et sans jugement, les membres du jury griffonnaient occasionnellement des notes sur leurs carnets.

Mahé avait fini toutes les manipulations et jeta un regard sur sa montre. Il lui restait cinq minutes. L'élève en profita pour présenter d’une phrase claire et concise l’ouverture à laquelle la problématique l’avait fait penser. Les tuteurs avaient mis en garde les candidats au sujet des ouvertures dans les conclusions, c’était toujours un risque. Mahé avait toujours pris ce risque lors des examens blancs pour apprendre à le mesurer. Contrairement aux autres candidats, elle n’y voyait pas un piège, mais une occasion de se démarquer des autres candidats.

L’élève remit son rapport à l’un des membres du jury et sortit de la salle d’examen. La porte claquait dans son dos. A aucun moment, le jury ne lui avait adressé la parole. Longeant le couloir tout en ignorant les regards des autres candidats qui scrutaient chacun de ses gestes, Mahé passa devant les surveillants et se rendit à la bibliothèque pour décompresser en bouquinant.

Son ouvrage de fiction à la main, Mahé se débarrassa de son sac, posa son manteau sur le dossier d’une chaise, s’installa et se plongea dans l’histoire.

Dévorant page après page, Mahé avait perdu toute notion du temps jusqu’au moment où une voix l’interrompit dans sa lecture.

- Mahé, pouvez-vous me consacrer une minute s’il vous plaît ?

Mahé se leva d’un bond. L’un des surveillants l’avait suivie dans la bibliothèque.

C‘était Mme Torrance, l'enseignante de sa classe. C’était une dame d’un âge avancé qui avait accompagné des générations et des générations de candidats à travers les épreuves. Mahé s’était souvent demandé d’où cette professeure puisait ses ressources pour transformer chaque année des novices en candidats prêts à affronter les étapes du concours.

Comment cette vieille dame arrivait-elle à semer la connaissance pour chacun, à cultiver le talent chez certains et à éliminer l’arrogance chez beaucoup d’autres, sans jamais récolter autre chose qu’une nouvelle promotion de jeunes ignorants l’année d’après ?

Mahé avait beaucoup de respect et de reconnaissance pour cette femme, mais un peu de pitié aussi, car Mme Torrance n’allait jamais faire autre chose que former les jeunes générations à devenir plus brillantes qu’elle-même. D’après les rumeurs qui circulaient perpétuellement dans l’établissement, la vieille dame était prisonnière d’un cycle sans fin qui donnait un puissant élan aux carrières des jeunes élèves sans jamais faire décoller la sienne, destinée à stagner éternellement sur le plateau de l’enseignement.   

Mme Torrance lui tendit une enveloppe.

- Vos résultats de l’épreuve pratique. Le comité de direction a insisté pour que vous en preniez connaissance le plus tôt possible.

Mahé fronça les sourcils. D’habitude les résultats étaient annoncés plusieurs semaines après la fin des épreuves. Pourquoi lui réserver un traitement de faveur ? Cette initiative allait à l’encontre de l’image d’égalité que l’établissement s’efforçait de véhiculer depuis plusieurs années.

Pour la deuxième fois de la journée, Mahé ouvrit une enveloppe, récupéra le papier à l’intérieur et prit connaissance du contenu. Il lui fallut une deuxième lecture pour saisir le sens ébranlant des mots.

Une fois sa lecture terminée, Mahé couvrit sa bouche avec sa main et leva les yeux vers ceux de Madame Torrance. Sous le choc des émotions, Mahé ne sut quoi dire à part :

- Pourquoi ce refus ? Pourquoi une disqualification ?  Sa voix craqua sur le dernier mot.

- Vous connaissez la réponse à cette question, répondit Mme Torrance.

Mahé secoua la tête.

- J’ai tout fait comme vous me l’avez enseigné. J’ai respecté la procédure. J’ai pris un risque avec l’ouverture, mais elle me semblait adéquate pour ce sujet, alors je –

- Personnellement, je trouve votre ouverture brillante, l’interrompit Mme Torrance. Nouvelle, osée, innovante, simplement brillante. Vous avez pris un très beau risque en la présentant aujourd’hui.

- Alors pourquoi ? demanda Mahé, les mains tremblantes.

- C’est quelque chose que tu ne veux pas entendre et que je m’exaspère à répéter aux candidats ambitieux comme toi, lui répondit la professeure.

Mme Torrance l’avait tutoyée. C’était la première fois que ça lui arrivait.

- Je veux savoir pourquoi! insista Mahé.

- C’est parce que tu es une fille.

Mahé recula d’un pas. Elle se heurta à la chaise derrière elle et regarda la professeure avec une expression mêlant déception et incrédulité. Elle avait déjà entendu ces mots, mais elle n’avait pas voulu y croire. Jamais elle n’aurait imaginé que ce vieux stéréotype faisait encore sa loi aujourd’hui.

Mme Torrance la regarda sans aucune pitié. Le silence pesant s’étirait dans une éternité insupportable.

Mahé ne put retenir ses larmes plus longtemps. Elle prit la lettre de refus qu’elle fourra dans son sac, arracha le manteau du dossier de la chaise et se dirigea vers la sortie en se mordant l’intérieur des joues pour ne pas laisser échapper ses sanglots.

Elle avait fait à peine quelques pas lorsque les mots de la Mme Torrance la rattrapèrent.

- Dans la vie, nous sommes uniquement confrontés aux injustices qu’il s’agit de corriger. Ne renoncez pas.

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Nascana
Posté le 07/08/2023
Coucou,

Cela explique pourquoi l'enseignante est confinée dans son rôle. Une bien triste histoire. J'espère qu'elle trouvera un moyen de briller.

Nascana
Edouard PArle
Posté le 27/01/2022
Coucou !
Je ne voyais pas du tout où tu voulais en venir en lisant... Tu m'as complètement pris par surprise !
Je ne parvenais pas à savoir si Mahé était un garçon ou une fille, la chute m'a donné la réponse mais je ne m'attendais pas du tout à l'avoir de cette manière^^
L'idée d'une fille qui est refusée injustement était déjà sympa mais l'ajout de la phrase de fin complexifie un peu le message et donne à penser. Si tu t'étais arrêté au "parce que vous êtes une fille", l'effet final aurait été très différent et j'avoue que je préfère celui-ci.
Au final c'est un peu frustrant de ne pas en savoir plus sur les circonstances et ce qui va advenir à Mahé ensuite mais c'est le but de la nouvelle^^
Par rapport au titre, bien vu le jeu de mots sur l'avis / la vie. Et le fait que tu dis l'avis d'une "femme" participe à induire en erreur sur son sexe. Donc bien joué !
Comptes-tu publier d'autres histoires ici ? En tout cas, un véritable plaisir de découvrir ta plume,
Au plaisir (=
Louis.W
Posté le 20/07/2020
Hello par là. Curieux de voir ce que tu écrivais je me suis retrouvé ici. Petite histoire avec une morale intéressante. C'est dommage qu'on n'ait pas plus d'information sur le concours en question. Ce que Mahé souhaitait faire de sa vie et pourquoi ce concours lui tenait tant à coeur. Ça aurait donné encore plus de poids à la chute.

Sinon j'ai une petite interrogation, est-elle une fille qui s'est travestie pour le concours ? Je demande à cause de l'utilisation du "Il" tout du long.
Xanne
Posté le 20/07/2020
Bonjour! Merci d'avoir commenté la seule histoire que j'ai publié pour l'instant (il y en aura peut-être d'autre, mais ce n'est pas pour tout de suite ^^).
J'ai fait exprès de ne pas préciser les circonstances du concours pour faciliter l'identification du lecteur au personnages, mais globalement je me suis inspirée de ambiance d'une grande école française (j'ai moi même fait des études d'ingenieure).
Je ne pense pas avoir utiliser de "il" dans le texte? J'ai voulu en effet faire croire au lecteur que Mahé est un garçon (d'où le prénom mixte, le nom de famille "Herrmann" qui se compose de "Herr"-monsieur en allemand et "Mann"-homme en allemand et l'absence de pronom personnel jusqu'à la phrase "Contrairement aux autres candidats, ELLE n’y voyait pas un piège, mais une occasion de se démarquer des autres candidats."
Mahé est une fille qui, dans mon imagination, porte une chemise et un pantalon sans pour autant chercher à se travestir (les vêtements ne sont pas précisés dans l'histroire, c'est peut-être un point à revoir?). Mahé est une fille qui aime les disciplines jugées "masculine" et qui est en avance sur son temps. Là où elle souhaite trouver de l'égalité et de l'équité, elle se heurte aux préjugés.
Ysaé
Posté le 28/04/2020
Salut !
J'ai lu cette histoire avec beaucoup de curiosité, et avec un réel plaisir également.
J'avais répété sur la fin le "elle" et je me demandais s'il n'y avait pas une erreur, mais j'avais finalement bien vu :)
J'imagine le message que tu souhaitais faire passer (ou du moins je le suppose) et je trouve cela réussi.
Bonne continuation !
Xanne
Posté le 20/07/2020
Merci beaucoup pour ton commentaire (et désolée de répondre si tardivement...). Dans la première version de cette histoire, il n'y avait pas de pronom personnel du tout et ça alourdissait inutilement la lecture. Finalement je préfère cette nouvelle version ou le "elle" est indiqué dans la phrase où Mahé montre le double risque qu'elle prend: présenter un ouverture en conclusion de son examen (le risque "formel" qui est le même pour chaque candidat et se présenter au concours alors qu'elle est une fille (le "vrai" risque qu'elle refuse de voir et que je voulais dévoiler à la fin de l'histoire.
Liné
Posté le 12/01/2019
Hello Xanne,
Enchantée de faire ta connaissance !
Tu m'as convaincue rien qu'avec le côté "tendance féministe" de ta nouvelle, comme tu la définis toi-même =D 
C'est une situation maleureusement si réaliste, c'est génial et nécessaire qu'on puisse en parler - ne serait-ce que par la fiction. D'ailleurs, le fait que tu ne mentionnes pas la matière enseignée et examinée donne un côté généraliste au contexte, ce qui est une bonne chose : une telle discrimination sexuelle pourrait avoir lieu (a lieu) un peu partout... 
En revanche, je ne sais pas si c'était fait exprès, mais je me suis doutée qu'il y avait une intrigue/problématique portée sur le genre car, en évitant les pronoms personnels il/elle, tu utilises très souvent le prénom Mahé - ce qui met la puce à l'oreille (j'ai moi-même rédigé une nouvelle où je joue sur les genres des personnages, donc je connais les contorsions par lesquelles il faut passer pour éviter les pronoms, c'est pas évident !)
En tout cas, merci pour cette belle lecture et à très vite, j'espère !
Liné
Xanne
Posté le 12/01/2019
Bonjour Liné,
Merci beaucoup pour ton retour! Je suis désolée de te répondre si tardivement....
En effet je voulais rester le plus général possible pour que les lecteurs puissent s'identifier à Mahé, je suis ravie de voir que ça a marché :)
Je suis consciente que le prénom "Mahé" est répété très (trop?) souvent, c'était un véritable challenge de ne pas utiliser de pronom ou d'adjectifs accordés au féminin pour ne pas trahir le son genre. J'ai essayé d'utiliser un prénom mixte pour semer le doute et je voulais faire pencher la balance du coté masculin en précisant au début que les participants aux concours sont des "jeunes hommes". Même le nom de famille de Mahé - Herrmann - fait très masculin (en allemand "Herr" signifie "monsieur" et "Mann" se traduit en français par "Homme"), mais je ne suis pas sûre si ces éléments sont assez fort pour orienter le lecteur dans cette direction.
 En tout cas je suis ravie de voir que cette première histoire a retenu ton attetion! J'essaierai d'écrire et de publier plus souvent à l'avenir.
A bientôt!
 Xanne 
Fannie
Posté le 26/05/2019
Coucou Xanne,
C’est avec ce récit que je découvre ta plume. Tu as le courage d’aborder un sujet délicat et tu le traites avec finesse.
Comme tu évites d’employer un pronom pour désigner Mahé, on sent qu’il y a un souci de genre ; je dois avouer que j’ai même imaginé une personne transgenre. Si c’est parfois intéressant de laisser planer le doute à ce sujet, je ne suis pas sûre que ce soit nécessaire de le faire jusqu’à la fin, surtout que ça ne peut pas passer inaperçu. (D’ailleurs, il y a un participe passé (« l’avait suivi ») qui prête à confusion).
Cette discrimination est révoltante, mais il me semble qu’elle aurait plus d’impact si on en savait davantage sur le contexte. J’aime bien la touche d’espoir à la fin.
Coquilles et remarques :
Ca faisait partie du jeu [Ça]
Mahé remis sa convocation [remit*]
faire abstraction des regards ahuri [ahuris]
sorti l’énoncé et parcouru les lignes [sortit / parcourut*]
mais une opportunité pour se démarquer [dans cette acception, « opportunité » est un anglicisme ; je propose « une occasion » ou « une chance de se démarquer »]
C’était une dame d’un âge avancée [avancé]
former les jeunes générations à devenir plus brillante [brillantes]
lui répondit la vielle dame [vieille]
* Tu as tendance à confondre les formes du participe passé et du passé simple (3e personne du singulier) des verbes des deuxième et troisième groupe.
Xanne
Posté le 07/11/2019
Bonjour Fannie,
C'est la première fois que je retourne sur cette page depuis des mois. Je viens de découvrir ton message.
Merci beaucoup pour ton commentaire et merci infiniment pour les remarques au sujet de la conjugaison ! D'habitude je fais attention, mais je ne suis pas à l'abri des fautes, comme tu as pu le voir. Je vais corriger les fautes dans le texte d'ici peu.

C'est la première fois que j'écris une histoire dans ce genre et je me rends compte en la relisant que le manque de pronom personnel rend la lecture un peu lourde. Je vais peut-être la reprendre un jour pour l'améliorer.

Merci encore pour ton message !

Xanne
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