Le 36 au rapport

Le 36 au rapport

 

 

-        Allez les gars, on se dépêche ! Zen, ok ? On va le coincer, cette fois ! Pour le reste, on fait comme d'habitude !

 

Une équipe de policiers en civil dévalait le grand escalier du 36, quai des Orfèvres. Sur ce même escalier qui conduisait au quartier général de la Brigade Criminelle, deux flics se poussèrent pour leur laisser le passage.

 

-        Bon courage, Baudot ! lança l'un des deux lieutenants, un charmant jeune homme blond.

-        Merci, Val' ! On y croit ! répondit le commissaire, déjà loin.

 

Une fois le champ libre, les deux officiers reprirent silencieusement leur ascension vers le dernier étage.

 

-        C'est chiant de se farcir cet escalier interminable du matin au soir... ronchonna le jeune homme, essoufflé. Quand est-ce qu'ils vont se décider à nous mettre un ascenseur ?

-        Valentin, bouclez-la, répliqua sa coéquipière, agacée.

-        Oui, ma Reine.

 

Ils arrivèrent enfin au dernier palier, et Valentin Levesque se félicita d'être en congés dès le soir même. Après trois semaines d'enfer à courir après ce foutu criminel, il était bien content de pouvoir se reposer un peu. Il jeta un petit coup d'œil à sa collègue, de crainte qu'elle eût égaré le ticket gagnant de ses vacances. Mais non. Valentin se rassura bien vite. Fidèle à elle-même, Gabrielle de Caumont serrait fermement le dossier Conway contre sa poitrine et se tenait prête à pulvériser celui qui oserait lui chiper son trésor.

 

Le dernier palier débouchait sur le couloir, face à une armoire vitrée où des objets étaient exposés. À côté du bureau 305, un insigne circulaire portant les initiales BC et un chardon, ainsi qu'une grosse médaille de bronze sur laquelle était gravé le quai des Orfèvres, décoraient les murs forts abîmés. C'était vieux mais propre, déstabilisant mais chaleureux. Une trentaine de policiers encombraient le couloir étroit et vétuste où ils s'enfonçaient. Certains se poussèrent pour laisser passer leurs deux collègues, mais il y en avait toujours un qui essayait d'échanger quelques mots avec eux.

 

-        Alors, ça y est ? Vous l'avez eu ?! Pas trop tôt, hein ?

-        Poussez-vous ! s'énerva Gabrielle, qui n'était pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. Poussez-vous, on a rendez-vous et on est à la bourre !

-        Place à la grande reine de la Crim' ! clama son collègue, dans l'espoir de mieux circuler.

-        Hé Valentin ! Pause café ?!

-        Ce ne serait pas de refus, mais...

-        Dégagez ! rugit la jeune femme d'une voix tonitruante.

 

Terrifiés, les flics désertèrent le couloir en moins de deux secondes, tous étant retournés dans leur bureau respectif. Valentin siffla, admiratif.

 

-        Mazette, vous êtes redoutablement efficace ! complimenta-t-il, jouant avec le paquet de feuilles qu'il transportait.

 

Elle ne répondit pas et se contenta de soulever le menton. Elle accéléra l'allure, et il dut calquer son pas sur le sien. Ses talons aiguilles claquaient de plus en plus fort sur le vieux lino. Ils étaient sur le point d'atteindre le bureau du commissaire divisionnaire lorsqu'un jeune garçon frais et insouciant sortit joyeusement d'un bureau proche pour accoster son supérieur.

 

-        Hé Val' ! Est-ce que je peux accompagner Berthier sur une scène de crime ? Dis oui, dis oui, dis...

-        Photocopies, annonça platement Valentin, sans le regarder, et faisant claquer le paquet de feuilles sur l'avant-bras de son élève.

 

Anthony repartit avec un air malheureux, mais les deux lieutenants ne parurent pas s'en formaliser. Ils s'arrêtèrent devant le bureau 315, le même bureau où se succédaient tous les grands patrons de la Brigade Criminelle. Gabrielle inspira et toqua contre la porte. Une voix lointaine les invita à entrer, ce qu'ils firent, bien que légèrement gênés. Leur supérieur, celui à qui ils devaient rendre tous les comptes, les toisait avec tout le calme et la sérénité qu'un commissaire divisionnaire pouvait faire preuve. Les cheveux poivre et sel, les sourcils épais, les yeux vifs, un mince sourire sur les lèvres, il aspirait au respect et à la confiance de ses hommes.

 

-        Ah ! De Caumont et Levesque, je vous attendais. Si vous voulez bien vous prendre place...

 

Les deux officiers s'exécutèrent, dociles. Tout en s'asseyant, Gabrielle remit le dossier Conway au chef de la Crim', qui l'ouvrit aussitôt d'un air suspicieux.

 

-        L'affaire Conway, commenta-t-il, comme attristé. Une fin bien dramatique pour une jeune femme... Tuée le plus beau jour de sa vie, c'est bien ça ? Quel âge avait-elle déjà ?

-        22 ans, répondit Valentin.

 

Le commissaire divisionnaire se retint d'émettre un commentaire et observa profondément les deux policiers en face de lui.

 

-        Au rapport, vous deux ! N'oubliez pas le moindre détail. Je dois pouvoir reconstituer toute l'histoire à la Directrice. Je vous écoute.

-        Roselyn Conway a été, comme vous l'avez dit, tuée le jour de son mariage, après la cérémonie, commença Gabrielle. Le repas s'est fait au domicile qu'elle partageait avec son époux, et seuls les intimes y avaient été invités. La liste des suspects s'est vue réduite à dix personnes, que nous avons toutes interrogées.

-        Prenez les clichés du corps de la victime, proposa Valentin à son supérieur, qui lui obéit aussitôt. Roselyn Conway, qui se trouvait dans sa chambre, n'a ni été frappée, ni blessée. Aucune marque. Pas de sang versé.

-        Mais le couteau...

-        Le couteau est là pour faire joli. Et pour tirer d'affaire le meurtrier, puisqu'on y retrouve les empreintes du mari, Cedric Stanwood, sur le manche.

 

Le commissaire divisionnaire rajusta ses lunettes rondes et se pencha sur la photographie. Roselyn Conway était étendue sur son lit, vêtue de sa fine robe de mariée, le visage livide, le corps impeccable. Elle paraissait dormir. Un sommeil sans rêves, un sommeil éternel. La Belle au bois dormant qui ne se réveillera jamais. Non loin d'elle, à la place du fuseau, se trouvaient un verre en cristal vide et un couteau, tous deux posés sur la table de chevet.

 

-        Notez aussi que nous avons également retrouvé les mêmes empreintes sur le verre.

-        Mais alors, Monsieur Stanwood...

-        N'est pas le meurtrier, termina Valentin. Il est si facile de mettre des gants et d'emprunter un verre qui a déjà été touché par une personne. Le mari de Roselyn avait déjà bu dans celui-ci. Le meurtrier a cherché à brouiller les pistes, et le verre l'a plutôt bien aidé !

-        Donc elle a été empoisonnée ?

-        Absolument. Le rapport d'autopsie est formel, expliqua Gabrielle. Le médecin légiste a relevé la présence d'une forte dose d'arsenic dans le corps de Roselyn. Le verre en contenait, et le meurtrier a convaincu la victime de le boire. Nous sommes en plein été, Monsieur le Commissaire, un verre d'eau ne se refuse généralement pas.

 

Il opina d'un mouvement de tête et jeta un œil sur le rapport d'autopsie du médecin légiste. Après une rapide lecture, il s'arrêta sur la liste des points de vente qui procuraient de l'arsenic. Berthier et Anthony avaient passé une semaine pour tous les recenser, et une de plus pour trouver la boutique où le meurtrier s'était rendu. Une visite, une facture conservée, un nom, un coup de Stabilo. Le commissaire divisionnaire reporta son attention sur ses deux subordonnés.

 

-        Et comment le meurtrier s'est-il pris pour tuer Roselyn Conway ? Quel est le mobile du crime ? Et qui...

-        Hé doucement ! paniqua Valentin. Une chose après l'autre, s'il vous plait. Gabrielle, continuez.

-        Nous avons obtenu des témoignages très différents les uns des autres - ne faites pas cette tête Valentin, j'ai l'impression que ce que je dis vous met en rogne. Presque tous ont laissé entendre que Norman Scarborough a été le dernier à avoir vu la victime vivante, et lui-même l'affirme. Mais c'était un peu trop simple...

-        Bordel, c'est peu de le dire, bougonna son collègue. Je vous préviens, c'est la dernière fois que je me fais avoir par une équipe de branquignols !

 

Gabrielle lança un regard frustré à Valentin, qui préféra tousser pour dissimuler son mauvais caractère. Puis elle se redressa, plus droite encore, et reprit son analyse.

 

-        La personne qui a tué Roselyn Conway n'est autre que sa mère, Janna Roberts. C'est elle qui lui a administré le poison.

-        Non ?! s'étonna le commissaire divisionnaire, les yeux ronds.

-        Si, répliqua Valentin. Son témoignage était faux. Elle a même essayé de nous refourguer son mari comme coupable. Cela l'aurait d'ailleurs bien arrangée... Je vous expliquerai pourquoi après. Ce qu'elle ne savait pas, c'est que trois personnes, à savoir le jardinier et les beaux-parents de la victime, ont vu Janna Roberts monter à l'étage aux trousses de sa fille. Nous supposons qu'elle transportait le couteau de Cedric Stanwood avec elle, qu'elle a dû ensuite poser sur la table de chevet. Gary Stanwood, le beau-père, ne l'a vue redescendre qu'une demi-heure ou trois quarts d'heure plus tard, mais le crime n'avait pas encore été commis. En réalité, Janna Roberts n'a pas tué sa fille de ses propres mains. Et c'est là que le verre d'eau intervient.

 

Le lieutenant s'arrêta quelques instants pour reprendre son souffle, pendant que son supérieur parcourait silencieusement le dossier Conway, les oreilles grandes ouvertes. Valentin croisa ensuite les bras, et ronchonna en repensant à ce mauvais souvenir que représentait le verre d'eau.

 

-        Oh, ce putain de verre d'eau... Un bordel incroyable ! Gabrielle, je vous laisse lui expliquer, parce qu'il m'a assez saoulé, le verre d'eau. J'ai d'ailleurs toujours pas compris pourquoi on parle de trois verres au lieu d'un !

-        Trois verres suspects auraient circulé dans la maison le jour du crime, reprit la jeune femme. Il y a d'abord le verre qu'Ursula Scarborough a offert à la mariée, puis celui apporté par Wilbur Walter, le majordome, et que Roselyn Conway a bu. Enfin, il y a le verre que Norman Scarborough aurait donné à Janna Roberts, avec pour mission de l'apporter à la mariée. Selon elle, il aurait versé quelque chose dedans. Vous suivez jusqu'ici ?

-        Oui, répondirent les deux hommes.

-        Or, Norman Scarborough n'a jamais proposé de l'eau à la victime.

-        Il vous l'a dit ?

-        Il nous l'a dit.

-        Et vous le croyez ?

-        Et nous le croyons. C'est beaucoup trop facile de s'en prendre à lui. Ce troisième verre n'existe pas. Il a été inventé par Janna Roberts. C'est elle qui a transmis le verre d'eau à sa fille par le biais d'Ursula Scarborough. Toutes les deux portaient des gants de soie, ce qui explique l'absence de leurs empreintes, mais Ursula ignorait totalement que l'eau était empoisonnée. Ainsi, elle est devenue inconsciemment complice de Janna Roberts, qui ne se salissait pas les mains et surveillait le meurtre de loin. Quand elle est redescendue, elles ont bavardé ensemble. Ursula fournissait donc un alibi à Madame Roberts au moment du crime, car Roselyn n'était pas encore morte. Monsieur Scarborough a été le dernier à la voir vivante par l'entrebâillement de la porte, et quelques instants après, Mademoiselle Conway a bu le poison et est décédée sur le coup. Voilà ce qui s'est passé avec exactitude, Monsieur le Commissaire. Vos neurones ont-elles suivi, Valentin ?

 

L'intéressé grogna quelque chose d'incompréhensible, faisant preuve d'une réelle mauvaise foi. Quant au commissaire divisionnaire, il comprenait peu à peu le stratagème minutieux de Janna Roberts. En plus d'utiliser une innocente pour commettre le meurtre, celle-ci avait profité des affinités houleuses entre Norman Scarborough et Roselyn Conway pour cacher son crime. Le mari d'Ursula Scarborough représentait le bouc émissaire parfait. Sa haine et son dégoût envers la victime étaient connus de tous. Durant son interrogatoire, il avait bafouillé constamment et n'avait pas su répondre aux questions posées. Normal pour la police de le soupçonner.

 

Si le début de l'enquête avait tourné au profit de Janna Roberts, les choses avaient bien vite changé. Gabrielle, qui avait tenu à apporter son soutien à la famille de la victime, avait proposé à Janna Roberts de s'entretenir avec un psychologue de la Crim'. Celle-ci, d'un air totalement indifférent, avait jugé cela inutile. L'absence totale de tristesse et de remords sur son visage avait frappé de plein fouet Gabrielle, dont les soupçons s'étaient multipliés. Comment une mère pouvait-elle rester insensible face à la mort tragique de son enfant ? N'aimait-elle pas assez sa fille pour la regretter ? L'enquête avait pris alors un sacré tournant, appuyée par les témoignages de Tim Hawes, le jardinier, et le couple Stanwood.

 

-        Vous connaissez désormais les grandes lignes, fit Gabrielle, après un long moment où le chef de la Crim' était resté silencieux. Mais ce meurtre est un peu plus compliqué que ça. Passons les suspects en revue, et vous comprendrez très vite les dessous du crime. Au départ, nous avions quatre suspects. Commençons par Norman Scarborough, le bouc émissaire. Sa femme et lui ont été les plus touchés par ce crime. Si Norman était le coupable parfait aux yeux de tous parce qu'il ne cachait pas sa haine envers la victime, sa femme s'en est également pris plein la figure, puisque Janna Roberts s'en est servie pour tuer sa fille. Cependant, Ursula n'écopera pas d'un jugement, ni d'une peine de prison.

-        Comment étaient les rapports entre le couple Scarborough et Janna Roberts ? questionna le commissaire divisionnaire, suspicieux.

-        Madame Roberts avait la réputation d'être une sacrée menteuse et de se montrer désagréable avec tout le monde, raconta Valentin. Elle n'avait pas d'amis, mais on ne lui connaît aucun véritable conflit avec les Scarborough, d'autant plus qu'Ursula discutait sans problème avec elle.

-        Et ses relations avec la victime ?

 

Les deux lieutenants ouvrirent la bouche et se jetèrent simultanément un regard contrit. Tous deux auraient aimé parler, mais dans un élan de galanterie, le jeune homme laissa la parole à sa collaboratrice.

 

-        Difficiles. Leurs relations n'étaient pas vraiment au beau fixe... Pour vous donner une petite idée, Monsieur le Commissaire, c'est le grand-père de Roselyn, Philbert Conway, qui l'a élevée avec l'aide de Monsieur et Madame Scarborough. Le beau-père, Silvester Roberts, a fait en sorte de se débarrasser d'elle quand elle était petite... Janna Roberts ne s'y est jamais opposée, et n'a jamais pris le parti de sa fille.

-        Bon début, marmonna Valentin.

-        Monsieur Roberts ne supportait pas Roselyn et ses manières rebelles. Il n'était d'ailleurs pas le seul. C'était aussi le cas de Norman Scarborough et Gary Stanwood, le père de Cedric.

-        Et Janna Roberts ? demanda le chef de la Crim', intrigué.

-        Oh, ce n'est pas l'attitude de sa fille qui la dérangeait...

 

Le ton dégagé que prenait Gabrielle faisait languir son supérieur. Il mourait d'impatience de connaître le mobile du crime, mais la jeune femme ne semblait pas vouloir dériver prématurément ses explications.

 

-        Nous avons appris que Roselyn et Silvester Roberts se voyaient souvent, et qu'elle en cachait les raisons à son fiancé.

-        Pourquoi ? Ils avaient une liaison ?

-        Pas du tout, voyons ! s'écrièrent les deux officiers, horrifiés.

-        Bordel, mais lâchez le morceau ! s'énerva le commissaire divisionnaire.

-        Tout vient à point à qui sait attendre, récita Gabrielle, décroisant et recroisant ses longues jambes sous le nez de son supérieur. Si Roselyn rencontrait souvent son beau-père, c'était pour lui demander quelques conseils.

-        Des conseils ?

-        Oui. Silvester Roberts était autrefois explorateur, certes, mais il a fait des études en droit dans sa jeunesse. Et Roselyn avait justement besoin de quelques renseignements d'ordre juridique.

-        Et il les lui a donnés ? Alors qu'il la détestait ?!

-        Faut croire, maronna Valentin. Il suffit de brancher la conversation sur ses voyages, et une fois qu'il est lancé, il vous dit tout ce que vous voulez ! Apparemment, la petite connaissait l'astuce.

-        Et sur quoi avait-elle besoin d'être renseignée ?

-        Nous y venons, déclara la jeune femme. Et c'est là le mobile du crime. Le père biologique de Roselyn Conway est décédé il y a trois mois. Ce n'était un secret pour personne. Cependant...

-        Un héritage ! s'exclama le chef de la Crim', triomphant.

 

Les deux lieutenants sourirent devant la lueur de compréhension qui brillait dans les yeux de leur supérieur. À part le fait d'être sociopathe, il n'y avait que trois raisons possibles pour tuer sa propre fille. L'argent, l'amour et l'envie. Voire les trois combinés.

 

-        Un héritage, absolument. Roselyn devait en être l'héritière, et seuls sa mère et son beau-père étaient au courant de la nouvelle. D'un côté, Silvester Roberts expliquait à sa belle-fille tout ce qu'elle devait savoir concernant les droits de succession. De l'autre, Janna Roberts complotait le meurtre de sa propre fille. Car si Roselyn Conway venait à mourir, elle aurait tout fait pour récupérer, j'ignore comment, l'héritage de son ex-mari. L'héritage et le jardinier, Tim Hawes.

-        Pardon ?! s'étouffa le grand patron, les yeux exorbités.

-        Et oui !

-        Vous auriez dû la voir quand elle nous parlait du bronzage de son jardinier : « Ce teint lui va à merveille ! », imita Valentin d'un ton sucré salé, et papillonnant des cils avec exagération.

 

Gabrielle, blasée, se frappa la main contre le front. Visiblement, le commissaire divisionnaire hésitait à l'imiter. Le jeune homme haussa les épaules en guise d'innocence.

 

-        Ma foi, c'est pas vrai, Gabrielle ?! Ça fait des années qu'elle lui fait de l'œil !

-        Oui, d'accord, mais ils n'ont jamais eu de liaison !

-        Pas encore, releva le lieutenant, irrité. Tim Hawes est coriace, mais Janna Roberts a l'habitude d'obtenir tout ce qu'elle veut. Ce n'est pas peut-être pas la raison majeure qui a poussé cette folle à buter sa fille, mais c'est quand même un argument de taille ! C'est ce qu'on appelle faire d'une pierre deux coups, Gabrielle. Bien sûr, elle aurait récupéré un chèque avec quelques zéros et une villa au bord de la mer, mais aussi le jardinier tant qu'à faire ! Ça a l'air d'ailleurs d'être bien parti, puisqu'il est retourné faire son boulot chez les Roberts !

-        Mais son mari ? intervint le patron, captivé.

-        Silvester Roberts ? s'étonna Gabrielle. Oh, il se doutait que sa femme avait des vues sur le jardinier. Il savait depuis bien longtemps qu'elle était attirée par les hommes plus jeunes qu'elle et...

-        Oui, elle m'a même passé au scanner, grogna Valentin, qui se souvenait du regard méfiant de Janna Roberts qui l'avait détaillé de haut en bas.

 

L'officier reçut une claque sur le bras de sa collaboratrice. Elle détestait lorsqu'il détournait la conversation, et encore plus quand il lui coupait la parole (surtout pour dire des âneries !). Après avoir échangé un regard meurtrier avec sa collègue, Valentin croisa les bras et bouda dans son coin.

 

-        Je reprends, fit la jeune femme, satisfaite. Silvester Roberts doutait déjà d'une relation entre sa femme et le jardinier. Il est d'une nature jalouse. Le jour du crime, il a cru pouvoir espionner sa femme par la fenêtre de la cour arrière, mais Tim Hawes, qui travaillait dans le jardin, l'a aperçu et il s'est enfui en courant. De toute manière, Janna Roberts se trouvait encore dans la salle à manger. C'était avant qu'elle monte à l'étage avec sa fille.

-        Tout me semble clair, annonça le commissaire divisionnaire, après un silence de réflexion. Qu'aurait fait Janna Roberts après le meurtre de sa fille, selon vous ?

-        Peut-être se serait-elle débarrassée de son mari, d'une façon ou d'une autre, afin de pouvoir profiter pleinement de l'héritage. Ou elle aurait d'abord tout fait pour toucher l'héritage de sa fille, avant de se libérer d'un mari antipathique et jaloux. Allez savoir.

 

Le silence refit surface dans le bureau 315. Le genre de silence qui survenait après un dur effort de réflexion, un silence apaisé qui rassurait et annonçait bel et bien la fin d'un problème. Bercé par cette douce quiétude, le grand patron de la Brigade Criminelle attrapa un formulaire à côté de lui, et le remplit avec beaucoup d'application. Il murmurait ce qu'il écrivait.

 

-        Janna Conway épouse Roberts... Vous avez sa carte d'identité ?

-        Accrochée aux aveux, à la fin du dossier, souligna Gabrielle.

-        De Caumont, toujours aussi pointilleuse, nota le supérieur avec un léger sourire, le nez toujours penché sur le formulaire.

 

La jeune femme rougit devant le compliment alors que son collègue levait les yeux au ciel. Le chef laissa échapper un rire discret. Il se doutait bien que son deuxième officier attendait lui aussi sa part d'éloges.

 

-        Et je suppose, Levesque, que vous vous êtes chargé de faire parler Janna Roberts ?

-        En effet, répondit aussitôt Valentin, un sourire machiavélique collé sur le visage. Elle n'a pas tenu une demi-heure.

-        Je dois avouer moi-même qu'il est efficace dans les interrogatoires. On ne dirait pas comme ça, mais il peut vraiment se montrer très persuasif quand il veut. Ce talent n'est sûrement pas sans lien avec son mauvais caractère, si vous voulez mon avis.

 

Si un regard pouvait tuer, la Brigade Criminelle serait surchargée d'affaires. Finalement, le commissaire divisionnaire reboucha son stylo-plume, puis tamponna le bas du formulaire rempli avant de l'insérer dans le dossier. Gabrielle et Valentin surent alors que l'entretien prenait fin. La suite des évènements ne concernait désormais plus que la Cour d'Assises et Janna Roberts, qui constatait avec déplaisance la médiocrité de sa cellule en ce moment même.

 

-        Je vous remercie, fit poliment le patron, toujours souriant. Vous pouvez disposer. Et par pitié, ne vous étripez pas dans le couloir.

-        Non, non, bien sûr que non, démentirent précipitamment les deux officiers.

 

Ils se levèrent simultanément avec ce même sourire factice et, alors que leur supérieur décrochait déjà son téléphone pour contacter la Directrice de la PJ,  ils quittèrent le bureau en silence. Une fois la porte refermée derrière eux, ils prirent quelques instants pour se coller au mur et soupirer de soulagement. L'affaire Conway était finie. Pour eux, du moins. Et en toute honnêteté, ils ne la regretteraient pas.

 

-        On s'en est bien tirés ? souffla Gabrielle.

-        On s'en est bien tirés.

 

Ils se redressèrent et s'éloignèrent lentement vers leur propre bureau, reprenant les discussions dignes de certains fonctionnaires.

 

-        Bon allez, un café bien serré et ça repart.

-        Avant de partir, faites-moi penser de demander à Anthony de classer toutes les photocopies qu'il a faites.

-        Vous êtes cruel, Valentin.

-        Pas du tout, je lui enseigne le métier.

-        Mais bien sûr... Vous pensez que c'est en faisant des photocopies qu'on a réussi à coincer Janna Roberts ?

-        Bah... Anthony n'est pas censé le savoir.

 

Gabrielle jugea bon de ne pas répondre. Au fond, si Anthony s'occupait de l'archivage en plus des photocopies, cela l'arrangeait. Quant à Valentin, il repensait encore à Janna Roberts.

 

-         Vous savez Gabrielle, j'ai tendance à croire qu'un dieu du polar nous a balancé cette affaire dans la tronche pour nous punir. Un genre de romancier tendre comme un lapin à l'extérieur, et supersadique à l'intérieur. Vous pensez ça possible, vous ?

-         Bouclez-la et dégagez en vacances.

 

 

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Liné
Posté le 19/09/2009
Ma plus grande surprise, je crois que ça a été les registres : autant au début je rigolais bien, avec le caractères des deux flics, le subordonné attitré à la photocopieuse ; autant j'ai été bluffé par la suite qui ressemble à un vrai bon policier à la française ! O.o<br />
<br />
Bref, que du bonheur. Chez toi aussi, chaque élément de Xay prend sa place, tout devient clair. Tu as su nous tenir en haleine, rien qu'avec le mobile du crime ! L'idée du commissaire divisionnaire qui salive à l'idée de connaître le fin mot de l'histoire est à la fois simple et bougrement efficace (et en plus, elle te donne l'occasion d'écrire quelques répliques vraiment drôles xD)<br />
<br />
Bravo à toi, Clo ! =D
La Ptite Clo
Posté le 19/09/2009
Je passe en coup de vent avant de repartir...
Un grand merci pour ton commentaire ! Je suis contente que ce petit polar à ma sauce t'ait plu ! ;)
Bon, Clo doit filer, mais Clo t'es très reconnaissante ! MOUWAAAAK
Sati
Posté le 03/09/2009
Oh ! Clo !! Mowwwww !! Le 36 Quai pour quelques pages ! C'est beau ! C'est agréable à lire... Une petite enquête inédite avec notre tandem de choc... Je fooooond !! *p*
""- Photocopies, annonça platement Valentin, sans le regarder, et faisant claquer le paquet de feuilles sur l'avant-bras de son élève."" Et MDR !!!!!!! ça m'avait manqué à un point ça ! Ce début est très bien écrit. Au niveau de la forme, mais aussi avec ta méthode pour nous mettre dans le contexte du 36 greffé à celui de l'enquête policière de Xay. Chapeau, tu te débrouilles bien.
""- Bordel, c'est peu de le dire, bougonna son collègue. Je vous préviens, c'est la dernière fois que je me fais avoir par une équipe de branquignols !"" LOL ! Val' fidèle à lui-même. J'adore !
O_O Et ben ça ! Il avait tous les vices ton coupable ! c'est dingue ! En tout cas, Clo, je ne me lasse pas de ton 36. Jusqu'à ce que je replonge le nez dedans, je me suis même rendue compte que ça m'avait manqué. Dommage que ce soit si court. M'enfin il y avait des directives à respecter. J'ai apprécié aussi tout le côté psycho autour des personnages. Tu les as bien fouillé, bien creusé, et ça a été superbe à découvrir au fur et à mesure que Gabrielle expliquait le fin mot de l'histoire à leur Boss. La dernière réplique entre les deux était fameuse. Encore Bravo !
Enjoy ! Spilou ^_- 
 
 
La Ptite Clo
Posté le 03/09/2009
=D Merci Spilou !
Bien contente que ça te plaise et que tu trouves que tout concorde (bon, y'a juste cette histoire d'arsenic... ^^").
Je ne pouvais pas parler du 36, sans mettre Anthony et ses photocopies. XD C'était pas possible autrement. MDR
Moi aussi, ils m'avaient manqué. Ca faisait très longtemps. Mais si j'écris un nouveau truc sur eux, ce sera sur Xay retrouvé dans le ragoût de lapin. Mouarf mouarf mouarf !
Bon ma réponse de commentaire ne ressemble à rien, et j'en suis désolée, mais c'est parce que j'ai faim. ^^" 
Bien des bisous, et merci encore !
Cricri Administratrice
Posté le 02/09/2009
"- Pourquoi ? Ils avaient une liaison ? - Pas du tout, voyons ! s'écrièrent les deux officiers, horrifiés. - Bordel, mais lâchez le morceau ! s'énerva le commissaire divisionnaire." >> Ca m'a pliée de rire !
Si hier Flammy m'a donné le sourire tout au long de la journée, tu prends la relève aujourd'hui ma Clo ! J'ai tout simplement adoré revoir Valentin et Gabrielle, le pauvre petit à qui on confie toute les photocopies et les accros du café qui prennent leur pause au premier prétexte (même que ça m'a donné une furieuse envie de me replonger dans le Quai des Orfèvres *o* ils sont tout simplement irrésistibles).
Des dialogues vivants et pimentés, une mise en scène dynamique qui nous fait plonger direct dans le texte et la petite phrase finale qui est simplement merveilleuse x'D
Pour le contenu, je crois bien que tu n'as rien oublié ! Tout y est, tout s'explique et tout paraît évident une fois fini le rapport. Ce que j'aime, c'est que tu confrontes les faits à la psychologie des personnages dont Xiou avait donné un aperçu... Il n'empêche, quelle marâtre cette Janna ! ><' Dire qu'elle a passé Val au scanner, mdr !!!
Bon, va falloir que je calme mon sourire, ça commence à me faire mal aux joues.
La Ptite Clo
Posté le 02/09/2009
*fiouh fiouh* C'est la couuuurse ! Désolée de ne pas avoir répondu plus tôt Cricri.
Je suis contente de t'avoir fait sourire, c'est un peu ma récompense après avoir sué corps et âme par la faute de ce vilain Lapinou. J'ai pris beaucoup de plaisir à retrouver mes bons vieux personnages (et Anthony XD).
Bref... Je trouve quand même que c'est bien fait pour Janna Roberts, de croupir en taule. Je ne peux PAS la blairer. Hmmph !  (Avec mon pauvre petit jardinier en plus T_T)
Sinon, merci pour ton commentaire ma Cricri et, comme à Tidoo, interdiction de lire le 36. xD
Nascana
Posté le 15/01/2010
J'ai beaucoup aimé le côté crime au XIX °s, transposé à notre époque.
Un texte sans grandes descriptions, mais avec des dialogues d'une grande qualité, qui nous permettent de bien comprendre l'histoire, et y ajoute un certain rythme, qui en font un récit plaisant. 
La Ptite Clo
Posté le 15/01/2010
Héé ! Merci beaucoup Miss !
Je pense que t'as bien vite cernée que je déteste par-dessus tout les descriptions (et que j'adore les dialogues en revanche)... :D Bref, merci beaucoup pour ton commentaire, en tout cas, qui fait très plaisir. :)
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