Ayant eu la chance d'avoir été choisi comme garçon d'honneur, c'est en toute logique que je siège à la table centrale, non loin du futur marié. À ma gauche, l'un des témoins, le frère. Lui aussi jouit d'une attribution toute particulière : fournir la viande pour le banquet.
Je ne parle pas du banquet du grand jour, mais de celui auquel nous sommes tous conviés ce soir, la semaine précédant le mariage.
Une vingtaine d'invités sont réunis autour de plusieurs tables rondes. Les chandeliers accrochés aux murs pourpres comme seule source de lumière, l'atmosphère est tamisée, renforçant l'aspect intimiste de ce tableau. Les convives bavardent joyeusement, le champagne vient tout juste d'être servi.
Le marié entre enfin sous les acclamations et s'arrête debout juste derrière son frère.
« Merci à tous d'être présents. Si vous êtes ici, c'est que vous faites partie du cercle fermé des personnes les plus chères à mon cœur. Pour la plupart d'entre vous, votre origine est différente de la mienne, et vous ignorez comment cette soirée va se dérouler. Tout se passera comme le veut notre tradition. Mon frère et témoin fournira la viande. »
Le frère arbore un sourire emplit d'émotion, dans lequel on peut aisément lire une grande fierté. Son regard dévoile cependant une légère anxiété.
« C'est un privilège mon frère.
- Qu'on m'apporte le couteau, » dit le marié.
Le couteau me parait étonnamment court et peu affûté pour un ustensile qui va servir à couper une pièce de viande suffisamment grosse pour nourrir l'entièreté des invités. Le frère penche la tête vers l'arrière.
C’est à ce moment que, pris d'une lucidité soudaine, tout devient clair pour moi. D'abord, je détourne le regard. Ma curiosité morbide prend finalement le dessus.
Le marié venait de placer le couteau, non pas contre la gorge de son frère, comme je l'imaginais, mais sur son visage. Ses yeux n'ayant pas changé d'expression sont secs. À sa place, je sais que je n’aurais pu retenir une larme.
Le marié lutte un peu au début, puis parvient finalement à faire pénétrer la lame dans la chair. Avec sidération, je le vois découper son frère à partir de la commissures des lèvres vers l'arrière du crâne, prolongeant son sourire en un sinistre abysse. À mi-chemin, le frère lâche un très léger râle, interrompant le marié quelques secondes.
« Ça va ?
- Ça va. » Deux mots étonnamment très bien articulés.
Pas une seule goutte de sang ne s'échappe de l'ouverture, peut-être grâce à la forme singulière du couteau. Je suis épris de pitié pour le frère sacrifié, mais aussi d'admiration quand je vois son regard et son corps immobilisés dans une posture fière, ne trahissant aucune douleur.
Ma tristesse s'atténue quelque peu quand je comprends que, grâce à leur origine, la mort du frère ne sera pas irrévocable.
« Nous nous reverrons au mariage », lâchais-je timidement mais suffisamment fort pour faire rire l'assemblée de bon cœur.
Par rapport à la longueur du texte, je me suis basé le plus fidèlement possible sur un rêve dont je me souviens. J'ai hésité à ajouter des détails supplémentaires, mais j'ai finalement trouvé intéressant le fait de rester fidèle au "matériau d'origine". Peut-être que je la rallongerai un jour ou l'autre dans une nouvelle version !