Il était une fois, dans un pays de l’Orient, un roi connu pour sa grande bonté. Des contrées les plus lointaines, on venait le voir dans son palais de Yosofa pour obtenir de lui un conseil, un jugement ou encore une faveur. Mais depuis quelque temps, ce roi, Jaffa le bon, était triste et mélancolique. Sa fille, la princesse Samia avait disparu. Des recherches avaient été organisées dans tout le pays, mais la jeune femme demeurait introuvable. Malgré cela, Jaffa continuait à recevoir les pauvres, une fois par mois, et tous ceux qui demandaient son aide.
Ce jour là, au palais, on installait de confortables nattes pour permettre le repos des voyageurs, et des serviteurs fidèles apportaient nourriture et boissons pour réconforter les plus démunis.
Saadi était venu avec son père. Il avait un peu plus de dix ans et pour son âge, c'était un garçon fort débrouillard. Sa mère était morte le jour de sa naissance et il avait conservé le beau scarabée d’argent qu’elle portait, et qu’il mettait bien en vue sur son turban de tête. Il vivait avec son père, et la pêche était leur seul moyen de subsistance. Un jour, son père devint aveugle. Il appela Saadi :
- Mon fils, c'est à toi d'être mon guide aujourd’hui. Il nous faut aller trouver Jaffa le bon, lui seul pourra nous aider.
Ils espéraient beaucoup de ce voyage et se mirent en route dès le lendemain. Ils marchèrent pendant des jours et des jours avant d’atteindre Yosofa. A l’entrée du palais, une longue traînée humaine enflait démesurément et ils durent attendre plusieurs heures avant d’y pénétrer. Enfin, on les présenta au roi.
Jaffa interrogea :
- Quelle est votre demande ?
- Grand seigneur, répondit le père, je suis aveugle depuis peu. On dit que tu as le pouvoir de guérison et ta bonté est connue jusqu‘en Alexandrie. Avec mes yeux, je répare les filets de pêche et nourris mon enfant. Je viens chercher ton aide.
Le roi se tourna vers le jeune garçon et aperçut le scarabée d’argent sur son turban. Un instant, il fut surpris mais ne le montra pas. Il réfléchit et dit :
- Veux-tu sauver ton père ?
- Oui, Majesté, répondit Saadi, mais comment ferais-je ?
- Va à la cité perdue où le désordre et l’infamie règnent. Trouve le calice d’or et rapporte-le.
- Mais comment trouver cette cité, Majesté ? Interrogea Saadi.
- Va ! A un coeur pur, rien n’est impossible. Maloud, l’âne gris t’accompagnera.
C’est ainsi qu’on lui donna un petit âne maigrichon et quelques provisions. Au lever du soleil, ils partirent.
Ils traversèrent des plaines marécageuses, escaladèrent des volcans brûlants et franchirent des ravins périlleux où Saadi faillit mourir. Mais à chaque fois, comme par enchantement, Maloud le sauvait et le remettait sur la voie.
Enfin, Ils parvinrent à l'entrée d'un désert où tout n’était que désolation. Des squelettes parsemaient le sol et la terre, desséchée, semblait gémir de tristesse. Saadi fut effrayé. Comment trouver le bon chemin dans cette immensité ?
Le petit âne avança entre les cailloux et s’arrêta un peu plus loin. Il secoua la tête plusieurs fois.
- Que veux-tu me dire ? Lança Saadi.
Pour toute réponse, Maloud frappa plusieurs coups sur le sol et agita de nouveau la tête. Le garçon s’approcha et quand il voulut passer devant l'animal, il se heurta à une résistance invisible. Avec ses mains, Saadi étudiât la surface lisse et transparente qui s’élevait devant lui. Une paroi vitrée séparait le désert en deux. A gauche comme à droite, aucun passage ne semblait exister. Saadi réfléchit.
Puis, il ramassa une énorme pierre, recula de quelques mètres et rassemblant toutes ses forces, la jeta sur la muraille. Un bruit de tonnerre se fit entendre, de nombreux éclairs déchirèrent le ciel. Au même moment, dans un fracas épouvantable, la paroi se brisa en plusieurs endroits et un énorme trou noir apparut. Saadi avança prudemment et vit, dans cette masse sombre et inquiétante une cité qui s’élevait dans le ciel : la cité perdue !
Il s’engagea avec Maloud.
A mesure qu’ils approchaient, des cris leur parvenaient. Partout, des maisons délabrées et des arbres morts donnaient à ce lieu une apparence sinistre. Saadi se cacha dans l’un des paniers accrochés au dos de l’animal et regarda autour de lui. Des hommes en haillons se battaient entre eux. Plus loin, dans une arène, des dragons enchaînés combattaient avec des insectes géants. Une foule haranguait les guerriers. Maloud continuait d’avancer mais personne ne lui prêtait attention.
Quand ils pénétrèrent dans la cité, tout était silencieux. Les habitations, des cavernes encastrées les unes dans les autres, formaient une architecture étonnante. Les hommes étaient absents, sans doute trop accaparés au spectacle de l’arène. Au milieu d’une cour, Saadi remarqua un puits. Il abreuva Maloud puis se coucha sur une natte fraîche qu’il avait repérée. Aussitôt il tomba dans un profond sommeil.
Il fit un rêve étrange. Une jeune fille très belle lui souriait et le prenait par la main. Ensemble, ils parcouraient un labyrinthe qui menait à une grotte éclairée de mille feux. Un énorme vase de pierre reposait sur le dos d’une statue courbée qui représentait un vieil homme.
Saadi se réveilla en sursaut. Des mains vigoureuses le secouaient. Un homme l’avait surpris dans sa couche et voulait le retenir prisonnier. Le garçon se sauva mais fut rapidement maîtrisé. Celui qui paraissait être le chef l’interrogea. Saadi, courageux, ne souffla mot de sa mission. Alors, on le jeta dans un souterrain infesté de vermines. Il erra longtemps dans les galeries sans savoir comment se diriger. Plus il avançait et plus il pensait au rêve étrange qu’il avait fait. Il ferma les yeux, laissant son intuition le guider. La phrase du roi résonnait au plus profond de son être : « A un coeur pur, rien n'est impossible ». Alors, il continua d’avancer, plus confiant. Quand il rouvrit les yeux, ce fut un éblouissement. Devant lui, des pièces d’or et des objets précieux étincelaient. Le sol, recouvert d’une fine poussière d’or, donnait un éclat particulier à la grotte. Il vit la statue du vieil homme avec l’énorme vase de pierre. Son regard lui rappela son père et, pris d'un élan d’amour, il embrassa les paupières du vieillard. A peine avait-il retiré ses lèvres que la statue se transforma en une ravissante jeune fille qui ressemblait curieusement à celle de son rêve. Au même moment, le vase, tombé sur le sol, se changea en un calice d’or.
La princesse sourit :
- Merci, dit Samia, tu m'as délivrée d'un mauvais sort. Mon père, Jaffa le Bon, me pleure depuis longtemps. Zoufi, son conseiller m’aimait en secret et voulait faire de moi son épouse. Il m’a fait enlever par des brigands. Lorsque j’ai voulu m’échapper, il m’a poursuivi jusque dans ce repaire où il cache des trésors volés à mon père et m’a jeté un sort. C’est ainsi que je suis devenue statue.
- Partons maintenant, dit Saadi, en ramassant le calice. Il faut nous enfuir d’ici au plus vite.
Ils s’engagèrent dans l’une des galeries, mais l’obscurité et le relief abrupt ralentissaient leur évolution. Peu à peu, un épais brouillard se forma et les enveloppa entièrement. La princesse tenait serrée la main de Saadi qui avançait, mue par une force interne.
Brusquement, ils furent happés par un gouffre qui les entraîna dans une chute vertigineuse. Un abîme interminable les avalait encore et encore.
Enfin, ils furent expulsés dans une étendue aride et poussiéreuse. Ils se retrouvèrent dans le désert, nez à nez avec le petit âne gris.
- Maloud, Maloud, s’écria Saadi, je te croyais perdu ! Il l’entoura de ses bras et le couvrit de baisers.
Lorsqu’ils arrivèrent au palais, le roi pleura de bonheur en serrant sa fille sur son coeur. Puis, la princesse lui expliqua la trahison de Zoufi et les trésors de la grotte. Le roi donna des ordres et Zoufi fut arrêté dans l’instant. Puis, il se tourna vers le jeune garçon avec une reconnaissance infinie :
- Approche Saadi. Ma gratitude ne sera jamais assez grande, mais je veux aujourd'hui vous aider. As-tu le calice ? Le garçon avança et sorti de son sac de toile le précieux objet. Le roi se dirigea vers une fontaine où une eau pure coulait de manière incessante. Il remplit le calice, en versa un peu dans ses paumes et les appliqua sur les paupières du vieillard. Aussitôt, le père de Saadi ouvrit les yeux et l’éclat de son regard fut merveilleux.
- Merci grand seigneur, je resterais à jamais ton obligé.
Le roi dit alors :
- Vois-tu Saadi, une prédiction m'avait été faite. Un jour ma fille serait enlevée par des brigands de la cité perdue. Seul, un petit garçon au turban orné d’un scarabée d'argent pouvait la sauver. Et en découvrant le calice volé à mon père il y a des années, tu lui redonnais son pouvoir de guérison. Lorsque ma fille a été enlevée, j'ai envoyé mes hommes les plus fiables aux confins du royaume, mais en vain. Ils n’ont pu trouver cette cité et je croyais avoir perdu mon enfant à jamais. Quand tu t’es présenté, j'ai compris que la prédiction pouvait se réaliser et j'ai espéré.
Pour célébrer dignement le retour de la princesse, le roi organisa plusieurs jours de festivités. Saadi et son père partagèrent ces bons moments mais refusèrent les cadeaux de grande valeur que voulait leur offrir Jaffa. Ils repartirent heureux dans leur village, avec un petit âne gris appelé Maloud.